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Newsletter n°70 - 27 octobre 2023

⭕️ Éditorial

Tout est politique

Vous connaissez tous l'indigent argument : "La souveraineté, c'est le repli sur soi." Eh bien nous avons récemment eu la surprise d'entendre une psychologue en carence de vitamine D déclarer avec une moue dégoûtée : "La famille, c'est le repli sur soi." Voilà pourquoi, bien conscients qu'il vaut mieux prévenir que guérir, nous vous proposons aujourd'hui un petit exercice de prospective clinique. À quelle ânerie, selon vous, allons-nous bientôt avoir droit ?

Qu'allons-nous encore entendre de la bouche de ceux qui ne comprennent décidément toujours pas l'absolue nécessité sociale, anthropologique de la cellule ? De ceux-là-même qui pensent que LA liberté procède de l'absence de contraintes formelles quand l'exercice même DES libertés ne peut avoir lieu qu'au coeur aimable d'un cadre exigeant et attentionné ?

✅ Pour "l'entreprise, c'est le repli sur soi", tapez 1
✅ Pour "la vie privée, c'est le repli sur soi", tapez 2
✅ Pour "la propriété privée, etc.", tapez 3
✅ Pour "le repli sur soi, c'est du repli sur soi", tapez 4
✅ Pour "le repli sur soi, c'est du yoga", tapez 5

Trêve de plaisanterie.

On a certes pu fâcher du monde à cause de cela, mais il faut le redire quand même : tout est politique.

La semaine prochaine, si vous le voulez bien, nous nous intéresserons au protectionnisme (le "pré carré", vous savez...)

Bertrand Leblanc-Barbedienne




Nous recevons aujourd'hui, vendredi 27 octobre 2023,
dans le cadre d'un partenariat
Arnaud et William Meauzoone, qui sont les co-fondateurs de Leviia

La liberté qui transcende la simple technique est profondément politique.



⭕️ Conciliabule

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de "disputatio" ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n'engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d'influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l'objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.


1/ Pourquoi la France est-elle selon vous l'un des rares pays en Europe à se passionner mais aussi à s'écharper sur la question de la souveraineté numérique ?

À notre humble avis, et comme souvent dans de tels cas, les raisons sont multiples : à la fois historiques, politiques et culturelles. La France a une longue tradition d’état fort centralisé qui a la maîtrise de ses infrastructures, de ses ressources ou de ses innovations. Nous avons développé notre propre avion, notre propre programme de dissuasion nucléaire et même notre propre système de communication avec le Minitel… Le désir de contrôler son propre destin est fortement ancré dans l'identité française… c’est sans doute un point commun à toutes les grandes puissances qui cherchent à maintenir leur position dominante dans le monde. Mais encore une fois, il s'agit d'une interprétation simplifiée d'un sujet complexe. Il y a probablement beaucoup d'autres facteurs à prendre en compte et chaque pays a sa propre dynamique.

Toutefois, il faut bien reconnaître qu’en France le débat sur la souveraineté numérique est principalement mené par une élite informée. Il s'agit surtout d'un débat d'initiés, dominé par les décideurs politiques, les experts du secteur, les lobbys industriels, etc. La majorité des citoyens ne s'intéresse pas spécialement à cette question. Certains pensent qu’on ne sensibilise pas assez, qu’il faut démocratiser cette discussion. Nous sommes d’accord. Mais ne nous méprenons pas sur une chose : la souveraineté numérique ne sera probablement jamais aussi centrale pour le grand public que le pouvoir d'achat ou la sécurité des personnes.
Cependant, même si elle peut sembler lointaine ou abstraite, cette question mérite toute notre attention et notre réflexion collective. C’est pourquoi nous avons récemment publié une tribune à ce sujet pour proposer que la souveraineté numérique soit élevée au rang de priorité dans les programmes RSE des entreprises. De la même manière que ces programmes ont intégré des enjeux liés au développement durable, la protection et la gestion souveraine des données doivent aussi y occuper une place centrale. L'idée est de créer un catalyseur dans les entreprises françaises pour encourager la sensibilisation des employés, l’instauration de nouvelles politiques internes et influencer les décisions stratégiques au sommet de l’organisation. Aussi, nous avons aussi soumis l'idée d'un label grand public. Basé sur des normes strictes, l'objectif est de créer une signalétique de confiance pour les citoyens et les entreprises en leur permettant de choisir des services respectueux de leurs données. On pourrait par exemple s'inspirer du label "Made In France", délivré par la SOMIF, tout en y ajoutant des critères spécifiques liés à la protection des données et à la souveraineté numérique.

2/ Comment articulez-vous intellectuellement souveraineté et écologie ?

Nous ne parlons plus de cloud écologique chez Leviia mais de cloud durable. Les technologies de stockage ont un impact tangible sur l’environnement. Matériaux utilisés, énergie consommée, déchets produits, toute activité humaine laisse une trace. Notre enjeu chez Leviia est de réduire cette trace au maximum.

Pour répondre à votre question plus globalement, si l'on considère les trajectoires actuelles du changement climatique, il est possible que la notion de souveraineté soit redéfinie ou comprise autrement dans le futur. Au lieu d'être centrée sur l'indépendance vis-à-vis des autres nations, comme aujourd’hui, elle pourrait se focaliser davantage sur la capacité d'une communauté ou d'une nation à protéger sa propre subsistance dans un monde hostile et imprévisible. La gestion de l'eau, l'autonomie alimentaire, la protection contre les événements climatiques extrêmes pourraient devenir de nouveaux critères de souveraineté dans un monde où les conditions climatiques seront de plus en plus imprévisibles.

La terminologie joue un rôle essentiel dans la façon dont nous percevons et traitons les problèmes. Le terme “écologique” est souvent utilisé pour évoquer une relation idéale et harmonieuse avec la nature. Toutefois, quand on parle de « cloud » et de numérique, cette harmonie semble être davantage une aspiration qu’une réalité. Si la vraie nature écologique réside dans la capacité à contribuer activement à la régénération de notre environnement, un cloud serait réellement écologique s’il pouvait, par exemple, capturer du dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère et rejeter de l’oxygène, à l’image de ce que font les arbres. En bref, l'expression « cloud écologique » est un oxymore.

3/ Sur le plan technique en interne, comment liez-vous le geste à la parole en termes d’enjeux environnementaux ?

D’abord, nous nous sommes tournés vers un fournisseur comme OVH qui s’appuie à 78% sur des énergies renouvelables et qui vise un approvisionnement énergétique 100% renouvelable d’ici 2025.

Aussi, nous avons fait le choix de mutualiser nos serveurs pour nous inscrire dans cette démarche d’efficacité énergétique. Mutualiser, dans le monde du cloud, signifie regrouper plusieurs clients ou instances sur un même serveur, plutôt que de les isoler chacun sur des infrastructures dédiées. Cette approche présente plusieurs avantages :

* Premièrement, cela permet de maximiser l’utilisation de la capacité des serveurs. En d’autres termes, un serveur mutualisé fonctionne souvent à un niveau d’efficacité beaucoup plus élevé que plusieurs serveurs sous-exploités.

* Deuxièmement, cela réduit le nombre total de serveurs nécessaires, ce qui signifie moins d’équipements à refroidir et à alimenter, réduisant ainsi les besoins en énergie.

* Aussi, la mutualisation favorise l’adaptabilité. En regroupant les ressources, il est plus aisé de redistribuer la capacité selon les besoins fluctuants, ce qui entraîne une réactivité accrue et une optimisation constante. Par conséquent, non seulement cela permet de réaliser des économies d’énergie significatives, mais cela optimise également le rapport entre l’énergie consommée et la quantité de données traitées, réduisant de façon notable l’empreinte carbone par unité de donnée. Enfin, cela est bénéfique pour le client car il bénéficie de la puissance d’un serveur haut de gamme sur une offre très abordable, chose qui ne serait pas possible avec un serveur dédié.

4/ En quoi votre parti pris "souverain" a-t-il joué dans le cadre de la levée que vous avez effectuée auprès de la holding personnelle de Xavier Niel ?

Xavier Niel est un acteur très engagé dans le tissu entrepreneurial français. Il a créé Station F, l’école 42, le fond KIMA ... Les connexions furent vite très bonnes et lisibles entre Xavier et Leviia. Il connait notre secteur et ses enjeux. Son appétence pour la technologie a fait le reste.

5/ Entendez-vous vous lancer dans la course à la qualification SNC auprès de l'ANSSI ? Et le cas échéant, ou non, pour quelles raisons ?

C’est un sujet très difficile à traiter pour une jeune entreprise comme la nôtre. Rappelons que nous sommes à ce jour ISO 27001 et HDS (hébergeur de données de santé) et que cela demande énormément de temps et d’investissement. SecNumCloud est encore un niveau au dessus, bien plus long à obtenir et coûteux à mettre en place. La question, à notre sens, se pose ainsi : les clients sont-ils prets à payer x % en plus pour un produit SecNumCloud ? Car la réalité est là : SecNumCloud est une qualification de l’ANSSI nécessaire pour certains, beaucoup trop chère pour - beaucoup - d’autres. Le constat est peut-être brutal mais si SecNumCloud était un vrai sujet business, ne pensez-vous pas qu'Amazon, Google ou Microsoft le seraient déjà ? Dans tous les cas, si notre position en France est clairement tournée vers la protection de la souveraineté nationale et européenne, pourquoi alors ouvrir la qualification SecNumCloud à des acteurs soumis à des lois extra-territoriales en termes de données ? Nous considérons chez Leviia qu'un acteur extra-territorial ne devrait pas pouvoir, purement et simplement, passer la qualification SecNumCloud.

6/ L'argumentaire lié à la souveraineté vous semble-t-il de nature à convaincre de nouveaux clients, et de quelle manière ?

La souveraineté, dans notre contexte, est davantage un attribut de notre offre qu'un argument commercial. Les clients qui nous approchent sont déjà sensibilisés à l'importance de la souveraineté numérique. Ils ne viennent pas à nous parce que nous les avons convaincus de l'importance de la souveraineté, ils la connaissent déjà. Ce qui les attire, c'est la combinaison de cette souveraineté avec un produit sécurisé, accessible et offert à un prix attractif. La souveraineté, pour être véritablement efficace, doit être complétée par une offre technique et économique compétitive.

Aussi, de nombreuses entreprises et collectivités sont en effet conscientes de la nécessité d'assurer la souveraineté de leurs données. Cependant, elles se heurtent à plusieurs obstacles qui rendent cette démarche complexe. Souvent, ces entités ne bénéficient pas d'un accompagnement adéquat ou ne disposent pas des ressources nécessaires pour investir dans des solutions dédiées. Faute d'options appropriées, elles se tournent vers ce qui est facilement accessible et familier pour leurs employés. Les GAFAMs, qui offrent des services bien ancrés dans l'usage quotidien des individus, deviennent alors l'option par défaut... même si ce choix peut présenter des risques en termes de souveraineté ou de sécurité des données.

Les besoins numériques de ces petites structures sont souvent négligés par les fournisseurs de solutions cloud traditionnels. Les offres dominantes sur le marché sont fréquemment calibrées pour de grandes entreprises ou collectivités. Le résultat est simple : des services avec de nombreuses fonctionnalités souvent superflues pour ces entités. Ce trop plein de fonctionnalités rendent ces solutions plus complexes et augmentent leurs coûts, les rendant inadaptées aux besoins et aux budgets de nombreuses PME, TPE, ETI et collectivités.

7/ Peut-on encore décemment parler de souveraineté numérique quand 92% des données européennes sont stockées aux USA, que Microsoft Azure détient les données de santé des Français et qu'AWS rafle 80% des parts de marché du CAC40 ?

Cela parait en effet paradoxal à première vue. Mais c'est justement cette situation qui met en lumière l'urgence et l'importance de renforcer notre souveraineté numérique. Si Microsoft Azure détient les données de santé des Français et qu'AWS domine le marché du CAC40, cela ne signifie pas que la souveraineté numérique est une cause perdue, mais plutôt qu'il est temps d'accorder une priorité stratégique à cette question.

8/ Quelles vous paraissent être les pistes imaginables des futurs supports et véhicules (physiques ou non) de nos données ?

La data avance à pas de géant, les estimations en termes de consommation dans les prochaines années sont incroyables. Le cloud sera pour moi l’endroit de toutes les données. Les vitesses de connexions, l’amélioration des disques durs mécaniques et SSD, la baisse des prix sur ces produits, pousseront les clients à aller vers le cloud avec tous les avantages qu’il propose comme sa scalabilité ou sa disponibilité, sans investissement majeur à réaliser.

9/ Vous sentez-vous portés par l'écosystème de la "tech souveraine" (ou souveraine tech si vous préférez !), par les médias tech français, par la représentation nationale, par le gouvernement ?

Chez Leviia, nous avons toujours adopté une approche autonome. Nous ne nous concentrons pas sur ce que font les autres ou sur ce que nous pourrions attendre d'eux. Notre philosophie est simple : faire de notre mieux pour répondre aux besoins de nos clients. Nous croyons fermement que si nous offrons un produit et un service de qualité, cela parlera de lui-même et le soutien et la reconnaissance suivront naturellement. Nous préférons être acteurs de notre destinée et ne pas attendre que les choses viennent à nous.

10/ La question des données revêt une dimension dramatique, avec les histoires de transfert, de "traite", de prédation, d'attaques, d'espionnage. L'avez-vous bien présente à l'esprit dans le cadre de votre activité, ou vous contentez-vous d'apporter une bonne solution technique à vos clients ? Autrement dit, peut-on s'engager dans une proposition technique souveraine sans une vision "stratégique" du sujet ?

Pour nous la question est plutôt : peut-on s'engager dans une proposition technique souveraine sans une vision « politique » du sujet. La réponse est non. Notre démarche est intrinsèquement liée à une vision politique et éthique plus large. Elle ne vise pas simplement à proposer un produit à des clients, mais à répondre à des besoins fondamentaux comme l'indépendance ou la préservation de la vie privée. Cette capacité à décider, à choisir, est au cœur de la notion de liberté. Et cette liberté qui transcende la simple technique est profondément politique. C'est pour cette raison que notre engagement va bien au-delà : il vise à redonner le contrôle, aux entreprises et individus, de leurs données et, par extension, de leur destin.

 



⭕️ Mezze de tweets

 




⭕️ Hors spectre

"Tous les Français doivent retenir ce quatrain par coeur."
François Cheng, membre de l'Académie française

 
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