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Vendredi 16 mai 2025
Nous sommes heureux de publier aujourd'hui un entretien avec Stéphane Labadie, qui est Président-directeur général de Luminess.
1/ La capacité de Luminess à innover vous semble-t-elle d'une manière ou d'une autre à mettre en perspective avec son enracinement en Mayenne ?
Absolument. Notre enracinement en Mayenne n’est pas qu’un héritage historique : c’est un choix assumé, stratégique, qui participe directement à notre capacité d’innovation. Nous venons d’ailleurs récemment d’y renforcer notre présence avec l’ouverture d’un nouveau pôle dédié à l’ingénierie logicielle dans la technopole de Laval, à proximité des écoles et des infrastructures. Ce territoire riche en talents et en stabilité, favorise une approche de long terme et un engagement durable. Cela ne nous empêche pas, bien au contraire, d’être connectés aux dynamiques nationales et européennes via nos autres implantations, notamment à Paris. Mais c’est justement cette complémentarité entre ancrage local fort et rayonnement national qui nous permet de conjuguer agilité, fidélisation des équipes, et indépendance technologique. En Mayenne, nous avons bâti un environnement où l’innovation peut s’inscrire dans la durée, en cohérence avec nos valeurs de confiance, d’excellence et de souveraineté.
2/ Quelle est votre manière d’appréhender l’objectif de souveraineté technologique, devenu populaire à la faveur de récents événements géopolitiques ?
Chez Luminess, la souveraineté technologique n’est pas une posture opportuniste, encore moins une réaction à la mode. C’est un engagement ancien et structurant. Luminess traitant les données de près d’un quart des français, il ne peut pas en être autrement. Nous sommes éditeur de nos propres solutions, ce qui signifie que nous maîtrisons l’ensemble de notre chaîne logicielle, de bout en bout. Lorsque des solutions souveraines ou suffisamment sécurisées n’existent pas sur le marché, nous choisissons tout simplement de les développer nous-mêmes ou de participer à leurs développement. C’est ce que nous avons fait avec TrustMe, notre solution d’identité numérique et de wallet référencée sur FranceConnect. Nous sommes aussi propriétaires de nos propres data centers en France, à Laval et à Mayenne, ce qui garantit autonomie et sécurité pour nos clients, dans des secteurs (banque, assurance, public) particulièrement sensibles. Plus largement, nous défendons une autonomie numérique raisonnée, qui protège sans isoler, en conformité avec les normes européennes telles que eIDAS ou les recommandations de la CNIL. Face à l’émergence de plateformes globales souvent extra-européennes, nous assumons notre rôle de tiers de confiance technologique, en offrant des alternatives éthiques, fiables et compétitives.
3/ Vous pariez sur le succès d’une hybridation des ressources IA / humain. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Je crois que l’IA est un formidable levier de performance, capable de démultiplier la vitesse et la fiabilité des traitements. Mais elle ne saurait se substituer à l’humain. Dans notre approche, l’IA est au service de l’humain, et non l’inverse. Cette approche a toujours été au cœur de nos développements sur les trente dernières années. L’humain reste indispensable, notamment pour gérer les exceptions, apporter du discernement, et garantir la conformité des processus. C’est un choix profondément éthique, mais aussi pragmatique : cette hybridation IA-humain augmente la précision, renforce la fiabilité des décisions, et permet une meilleure anticipation des cas limites. Nos chaînes de processus sont donc construites comme des systèmes hybrides, où chaque ressource joue son rôle, au bénéfice de la transparence, de l’auditabilité et de la performance globale.
4/ Comment entendez-vous agir en garant des libertés individuelles en étant présent sur des technologies d’identité numérique, sujettes à caution, ou en tout cas, à précaution ?
L’identité numérique suscite parfois des craintes légitimes liées à la protection des libertés individuelles, comme le risque de surveillance ou l’exclusion numérique. Mais bien encadrée, elle offre surtout de réels bénéfices : elle renforce la sécurité des échanges, limite la fraude identitaire, simplifie les démarches en ligne et redonne à chacun le contrôle sur ses données personnelles. C’est un levier essentiel pour des services numériques plus fiables, accessibles et interopérables, à condition d’être conçue dans un cadre de confiance, respectueux des droits fondamentaux.
C’est pourquoi nous développons des solutions qui placent la technologie au service du citoyen, et non l’inverse, nos développements sont strictement conformes aux régulations européennes, comme eIDAS V2.
FranceConnect a montré qu’un système d’identification centralisé pouvait améliorer l’accès aux services publics tout en restant protecteur. C’est exactement dans cette logique que s’inscrit notre solution TrustMe.
5/ Luminess a un passé d’éditeur. Quel parallèle établissez-vous entre l’écrit et la data, s’il en est un à évoquer ?
Notre héritage éditorial nous a appris à considérer la donnée comme une forme d’information, donc comme une responsabilité. Comme l’écrit, la donnée doit être structurée, vérifiée, contextualisée. La culture de précision documentaire que nous avons développée depuis des décennies irrigue aujourd’hui notre façon d’appréhender la data. Finalement, l’éditeur devient aujourd’hui l’architecte de parcours numériques : les supports changent, les technologies évoluent, mais le fond, c’est-à-dire l’attention portée à la rigueur, à la traçabilité, à la vérité, reste le même.
6/ Que dirait Henri Jouve s’il pouvait découvrir ce qu’est devenu Luminess en 2025 ?
Il serait, je pense, fier et sans doute ému. Fier de voir qu’une entreprise familiale enracinée en Mayenne est devenue un acteur international du numérique. Il reconnaîtrait dans notre développement les valeurs qui l’animaient : l’audace, la responsabilité, la confiance et l’excellence. Il serait sans doute surpris par la place prise par l’intelligence artificielle et les données, mais il verrait aussi que l’humain est toujours au cœur de notre projet. En cela, il verrait une forme de continuité entre hier et aujourd’hui : une entreprise qui se transforme, mais qui ne trahit pas son ADN.
7/ Pourquoi avoir tenu à demeurer propriétaire de vos propres data centers ? Avez-vous par ailleurs des interactions avec l'excellent Groupe Numains, attaché comme vous à la Mayenne ?
Nous avons fait le choix de rester propriétaires de nos data centers pour une raison simple : garantir une maîtrise totale de la chaîne de valeur, en particulier dans des secteurs aussi sensibles que la santé, la justice ou l’assurance. Mais nous avons également développé une offre SecNumCloud avec notre partenaire Outscale. Cela nous permet d’adapter finement les niveaux de sécurité aux besoins de chaque client. C’est aussi une manière concrète de structurer un écosystème numérique souverain, depuis la Mayenne.
Quant au Groupe Numains qui est aussi un fer de lance de l’innovation en Mayenne, nous n’avons pas encore eu l’occasion de collaborer directement, mais cela pourrait tout à fait faire sens dans le futur.
8/ Vous employez une formule « une alternative française sécurisée, respectueuse des normes nationales et européennes » qui nous semble très sensible à l’idée subsidiarité. Est-ce juste une impression ?
Ce n’est pas une impression : c’est une conviction profonde. Chez Luminess, le respect des normes nationales et européennes n’est pas une option, c’est notre quotidien. Nous pensons que les solutions numériques doivent pouvoir s’adapter aux contextes locaux, tout en s’inscrivant dans un cadre commun. Cela permet d’éviter une uniformisation technologique qui serait contre-productive. Cette approche est particulièrement pertinente quand on gère, comme nous, des données sensibles : justificatifs d’identité, de revenus, données personnelles, voire de santé. Ces données ne sont pas traitées de la même manière partout dans le monde. L’Europe a fait le choix d’un cadre exigeant, protecteur pour le citoyen. Utiliser des briques technologiques non maîtrisées ou des solutions extra-européennes peut compromettre cette protection. C’est pourquoi nous investissons autant en R&D, pour développer des solutions souveraines, auditables et conformes aux plus hauts standards de confiance.
9. La grande raison invoquée, pour laquelle des tombereaux de nos données stratégiques ont hélas été confiées à des « hyperscalers » américains, serait précisément leur capacité à répondre de manière efficace à l’expression soudaine de besoins d’une autre échelle. Serait-ce donc que nos groupes français n’en sont pas capables ?
C’est un argument qu’on a beaucoup entendu, mais qui mérite d’être remis en perspective. Ce n’est pas tant une incapacité technique des acteurs français ni forcément un manque de volonté politique et de vision à long terme. Les “hyperscalers” américains ont bénéficié d’un alignement exceptionnel entre investissements massifs, soutien stratégique de leur État et une politique commerciale très agressive. Face à cela, les acteurs européens — et français en particulier — n’ont pas toujours eu les mêmes moyens, ni le même soutien.
Il est essentiel que la souveraineté numérique redevienne un choix stratégique national. C’est pour cela que nous travaillons avec l’un d’entre eux, sur le SecNumCloud de Dassault Systemes, Outscale Pour garantir la sécurité et la confidentialité des données, il est impératif que la France, et plus largement l’Europe, investissent dans des solutions locales capables de répondre aux enjeux numériques contemporains, tout en respectant les régulations européennes. Ce n'est qu'en renforçant cette souveraineté que nous pourrons assurer une indépendance véritable face aux acteurs globaux.