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Newsletter n°56 - 21 avril 2023

⭕️ Édito

La plus exigeante et la plus noble des entreprises

Sur mon berceau, se sont penchés deux investisseurs. Au dessus-d'eux, Un, plus puissant encore, m'avait déjà insufflé, avec la vie, la nature même de mon objet. J'ai par la suite appris, étudié, me suis dépensé, associé (merci ma chérie), j'ai recruté des amis, vécu en société, en compagnie, ambitionné, crû, créé, servi, connu le succès, échoué, puis repris courage, au point de constituer un capital personnel inestimable, que nulle autre intention ne m'anime plus que de le transmettre à mes fils. L'entreprise est une belle chose. Et Dieu sait combien je caresse l'idée de parvenir un jour à en être un jour un de ses "créateurs". Ah ! Sans doute pas à hauteur de celle qu'avait créée Ferdinand Barbedienne et continuée Gustave-Leblanc-Barbedienne. Un siècle d'existence, 300 collaborateurs, 10 expositions universelles... La gloire de l'art industriel ! Peut-être pas. Mais si déjà je m'emploie à vivre cette vie, la mienne, comme la plus exigeante autant que la plus noble des aventures, peut-être aurais-je déjà réussi cela : devenir, comme chacun(e) d'entre vous, un entrepreneur, moi aussi ?

Bertrand Leblanc-Barbedienne




Nous recevons aujourd'hui Geoffroy Roux de Bézieux, qui est Président du MEDEF.


"L’extraterritorialité du droit américain est devenue une arme économique redoutable"




⭕️ Le grand entretien

1/ Le monde s'est couché en rêvant de marché global, et réveillé en pensant nations souveraines ? S'agit-il là d'une gueule de bois ou d'une soudaine et heureuse révélation ?

Si à ce stade on ne constate pas de démondialisation, avec une croissance du commerce international à 2,7 %, le découplage économique en cours entre la Chine et les Etats-Unis signe l’accélération d’une guerre commerciale et technologique sur fond de tensions géopolitiques. Ce schisme des blocs régionaux, accompagné d’un rejet du multilatéralisme par certains pays, s’est creusé avec la guerre en Ukraine et a favorisé l’émergence de nouvelles alliances géopolitiques. Notre dépendance aux pays tiers révélée pendant la crise sanitaire a été un sursaut pour l’Europe et nous a fait réaliser qu’il fallait cesser d’être béat. Nous avons réalisé que la « mondialisation heureuse » était illusoire, et que tous les pays n’étaient pas nos alliés comme l’avait résumé Charles de Gaulle, « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Aujourd’hui, il s’agit surtout de s’adapter à un nouvel environnement mondial marqué par une profonde redistribution des cartes et de développer des modèles économiques qui nous permettent de rester compétitifs en gérant à la fois les interdépendances, les enjeux climatiques et les mutations numériques.

2/ Les entrepreneurs américains fonctionnent au patriotisme économique. À quoi fonctionnent donc les patrons français ?

Le patriotisme économique américain a été récemment réaffirmé avec l’Inflation Reduction Act (IRA). Le plan de subventions massif favorisant les industriels américains, sonne le glas des règles d’un libre-échange à des conditions équitables. Nous avons en France de belles entreprises, des start-ups aux grands groupes, qui ont pleinement intégré les enjeux de souveraineté mis en exergue par les crises à répétition, et s’investissent notamment dans les plans de réindustrialisation, relocalisation et d’innovation mis en place dans le cadre du plan de relance et de France 2030. L’enjeu aujourd’hui est d’aider nos entreprises à sécuriser leurs chaines d’approvisionnement, notamment en matières premières et rester dans la course technologique mondiale. C’est la voie à suivre pour retrouver une partie de notre souveraineté.  

3/ Quelle lecture faites-vous de cette récente déclaration du ministre Jean-Noël Barrot ? "Oui, la priorité doit être donnée aux entreprises françaises mais les entreprises étrangères sont bienvenues si elles respectent nos principes." 6 mars 2023 #iDFRightsLive

Rappelons que la France est, avec les autres pays de l’UE, un marché ouvert aux investissements étrangers, sous réserve du respect des réglementations applicables et des accords passés avec certains pays ou zones géographiques.

Le développement d’une souveraineté numérique passe par une réflexion sur nos dépendances et les moyens de mieux les maitriser. Nous n’avons pas toujours pris la mesure de l’enjeu stratégique de certains maillons technologiques, et il faut y remédier. Cela passe par le soutien à l’innovation et au développement d’acteurs européens compétitifs. Ce développement doit aussi passer par la commande publique pour que certains marchés puissent aussi bénéficier à nos entreprises.

4/ Est-ce que les pouvoirs publics peuvent se contenter de créer de l'emploi en France en y attirant des capitaux étrangers ? 

Si l’attraction de capitaux étrangers participe de notre compétitivité, cela ne suffit pas pour créer de l’emploi en France. Le contexte actuel, marqué par l’entrée en vigueur de l’Inflation Reduction Act américain et l’impact de la crise énergétique sur la rentabilité des entreprises, montre qu’il faut plus que jamais privilégier la poursuite de la politique de l’offre déjà engagée par l’Etat lors du précédent quinquennat.

Les puissantes politiques de soutien à la réindustrialisation et à l’accompagnement des transitions écologique et numérique, produisent en effet depuis plusieurs années des résultats concrets et une dynamique économique positive : d’un point de vue macroéconomique, la masse salariale globale en France a augmenté de 10 % depuis 2017 ; et d’un point de vue plus microéconomique : 150 sites industriels de plus de 10 salariés ont ouvert leurs portes dans l'Hexagone, permettant de créer davantage d'emplois industriels en 2022 (41.500) qu'en 2021 (33.700).

Pour renforcer la compétitivité des entreprises et favoriser la création d’emplois en France, il reste quelques combats à mener.

Tout d’abord poursuivre la baisse de la fiscalité, sur les facteurs de production. En 2024, après la suppression totale de la CVAE, le poids des impôts sur les facteurs de production payés par les entreprises françaises sera toujours supérieur à celui supporté par les entreprises européennes.

Ensuite, il faut simplifier la réglementation, notamment à destination des TPE-PME. Les crises à répétition depuis quatre ans ne nous ont pas permis de s’attacher à défendre la simplification et à dénoncer la montée en puissance des normes européennes. Les entreprises ne sont plus en capacité d’assumer tout cela. Les chiffres sont éloquents : En France, 2021 a été une année record pour l’inflation normative avec 67 lois, 91 ordonnances, 1843 décrets et 83 570 pages publiés au journal officiel ! Mais l’inflation vient désormais davantage de Bruxelles que de Paris. 850 obligations nouvelles et 5 422 pages de textes supplémentaires ont été adoptées sur les entreprises entre 2017 et 2022 ! La complexité administrative est source d’importants surcoûts pour les entreprises. Entre 3 % et 4 % du PIB chaque année. Les dirigeants de PME y consacrent jusqu’à un tiers de leur temps. Une réduction de la charge de 25 % permettrait d’économiser de l’ordre de 15 milliards d’euros aux entreprises. La France a pourtant montré durant la Covid qu’elle était capable de fonctionner avec des régimes d’exception. C’est donc possible !

Enfin, il faut assurer le déploiement rapide des mesures de soutien (ex : France 2030) pour renforcer la capacité d’investissement des entreprises. Ce d’autant que de récentes études ont estimé que France 2030 ne permettrait pas, à lui seul, de combler le retard français en matière d’industrialisation par rapport à la moyenne européenne. Fin 2022, 8,4 milliards d’euros (sur les 54 Milliards du plan d’investissement) ont été investis (source : SGPI). Il est notamment important de bien coordonner les échelons national et européen pour faciliter des investissements trop importants pour être assumés par un seul pays (ex : 40 Md€ par an de surinvestissement des entreprises pour se décarboner selon Rexecode).

5/ Pouvez-vous nous dire ce que vous inspire cette longue litanie de cessions et autres passages de champions français sous pavillon américain ou chinois ?

Les acquisitions de fleurons Français par des investisseurs étrangers posent clairement la question de la protection de notre souveraineté, même s’il est important de maintenir un écosystème attractif pour les investisseurs étrangers. Quand il s’agit d’entreprises ayant un poids stratégique dans l’économie française au sens de la technologie, d’actifs souverains, il faut s’interroger sur les conditions et impacts de reprise. En effet, si elles ne répondent pas aux impératifs de protection de la souveraineté économique et industrielle française, voire européenne, nos intérêts fondamentaux pourraient en être impactés. Je pense aux risques de transferts de technologies, notamment aux technologies à double usage, ayant une composante militaire, susceptible de porter atteinte aux intérêts de la nation. La stratégie d’acquisition d’entreprises qui développent des technologies ou gèrent des infrastructures essentielles correspondent à l’application de la feuille de route de certains Etats. Ces fleurons ne peuvent être cédés à n’importe qui. Dans ce cadre, notre intérêt et de créer davantage de partenariats au niveau européen.

La France, comme de nombreux pays européens, a renforcé sa réglementation sur le contrôle des investissements étrangers, notamment dans le cadre de la Loi Pacte, puis plus récemment pendant la crise sanitaire. Notre écosystème de fonds d’investissement en Europe, qui a un rôle à jouer dans le maintien de fleurons technologiques sur notre territoire, a encore besoin de se développer pour être compétitifs face notamment aux acteurs anglo-saxons.

6/ Êtes-vous inquiet à l'idée que des données sensibles puissent être confiées à des opérateurs régis par des lois extraterritoriales ? Le meilleur exemple : nos données de santé hébergées sur des serveurs Microsoft Azure

Depuis plusieurs années, l’extraterritorialité du droit américain est devenue une arme économique redoutable. On parle même de guerre par le droit. Ces lois « permettent à leurs autorités d’enquêter, de poursuivre et de condamner les pratiques commerciales d’entreprises et d’individus du monde entier ». Un nombre important de fleurons industriels français –- ont été sanctionnés par la justice américaine de manière disproportionnée.

La France a renforcé son dispositif de loi de blocage l’an dernier pour aider les entreprises à lutter contre l’impact des lois extraterritoriales étrangères, qui ne sont pas uniquement d’origine américaine. Le MEDEF, en partenariat avec l’AFEP et le Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Economique (SISSE) de Bercy, a accompagné la mise en œuvre de cette réforme par un guide d’aide aux entreprises pour identifier leurs données sensibles au sens de la loi de blocage. La réflexion menée par les entreprises dans ce cadre peut les aider à sélectionner les solutions d’hébergement de leurs données les plus sécurisées.

Aujourd’hui, nos données sont principalement hébergées par des serveurs non européens. C’est un talon d’Achille. L’investissement pour faire émerger des solutions françaises et européennes alternatives de confiance a été initié et fait clairement partie des priorités.

7/ L'Union européenne semble sidérée par la hardiesse économique des Etats-Unis et de la Chine, et semble se contenter de réglementer le marché communautaire. Comment pourrait-elle assumer enfin sa vocation de puissance et "entrer franchement dans la mêlée" ?

Le contexte de crises successives et d’agressivité commerciale dans différentes zones du monde (qu’il s’agisse de l’Indo-Pacifique ou de l’Afrique par exemple) auquel s’ajoute la prise de mesures protectionnistes comme l’Inflation Reduction Act américain nous montre que les valeurs démocratiques partagées avec nos alliés ne doivent pas nous faire oublier qu’aux plans commercial et économique, nous sommes rivaux.

Dans un contexte d’intensification des rapports de force depuis la guerre en Ukraine, le « business as usual » n’a plus lieu d’être. Si l’on a pu constater la difficulté de se mettre d’accord à 27, avec le renforcement de la position atlantiste de certains pays, l’Europe a clairement renforcé son agenda de souveraineté ces dernières années et ses prises de position en faveur de l’autonomie stratégique de l’Union Européenne. Et le consensus trouvé pour faire adopter les paquets de sanctions à l’encontre de la Russie montre que l’Europe sait réagir. Entrer franchement dans la mêlée passe également, au-delà d’une réglementation par des textes comme le DMA ou le MACF, par une politique industrielle et d’innovation plus offensive. Et il ne faut pas oublier que l’Union Européenne à 27 est la 2ème puissance économique mondiale. Nous devons capitaliser sur cette puissance économique !




⭕️ Mezze de tweets



⭕️ Hors spectre


Design for commemorating the Easter Rising including celtic warrior _ Harry Kernoff Rha (1900-1974)

Nous sommes les dupes du langage. Jamais le décalage entre le discours et les faits n'a été aussi impressionnant. Jamais les mots n'ont autant joué avec les choses.
À l'évidence, il existe un piège caché dans le langage qu'il est urgent de conjurer."
Arnaud-Aaron Upinsky in La Parole (ou la tête) coupée

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