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L'époque de startups naïves et apolitiques est finie.

Roxanne Varza est directrice de Station F. Cet entretien a été publié le 3 décembre 2021.

1/ À Station F, l'idée de souveraineté numérique fait-elle son chemin ?

C’est une excellente question et la réponse est clairement OUI ! Je pense que l'écosystème a pris conscience de l'importance du sujet notamment avec suite à certaines affaires comme le scandale Cambridge Analytica par exemple. La relation entre les États-Unis et la Chine a également révélé des enjeux politiques en lien avec la technologie et le numérique.

Je pense aussi que l'arrivée du web3, que l’on voit exploser ces dernières semaines, et la tendance de plus en plus forte à la décentralisation est directement en lien avec ce sujet et cette prise de conscience de l’importance de la souveraineté numérique. L'époque des startups naïves et apolitiques est finie.

2/ Dans notre village global, qu'est-ce qui permet de dire qu'une entreprise est française ? Le capital, la nationalité des fondateurs, l'emplacement du siège social ?

En réalité, je pense que la réponse à cette question dépend de qui pose la question et pourquoi elle est posée. Il arrive régulièrement que par simplicité et pour des raisons administratives on relie cela au siège social, mais en réalité la nationalité des actionnaires et la localisation géographique des fondateurs est de plus en plus prise en compte pour définir cela. A mon sens, il s’agit moins d’un sujet de nationalité des fondateurs - même si l’on est évidemment toujours fier de dire que telle ou telle entreprise a été fondée par un français ou une française.

3/ On a l'impression que la question de l'usage est subsidiaire dans l'univers des startups et qu'il faut plutôt créer un nouveau besoin que répondre à un besoin existant. Est-ce une vue de l'esprit ?

Pour le coup, je ne suis pas du tout d'accord. On demande souvent aux start-up “à quel problème réponds-tu” et la grande majorité vont commencer avec un problème déjà existant. Certes, elles peuvent parfois adresser un problème pour lequel il existe déjà plusieurs solutions ou un problème que l’on peut juger “de niche”, mais c'est aussi pour cela que la diversité est si importante. Des personnes issues de milieux différents vont identifier des problèmes différents et créer des solutions différentes.

Globalement, on a pu voir à une époque des start-up qui cherchaient à résoudre de “faux problèmes”, mais depuis quelques années nous observons un vrai recentrage sur l’amélioration du quotidien.

4/ À quelle avancée technologique vous opposeriez-vous formellement et pour quelle raison ?

Toute “avancée” en lien avec les armes ou la violence. Au-delà de ces deux points, je garde aussi un oeil sur tout ce qui concerne la sécurité des enfants sur les différentes plateformes. En réalité, je m’oppose plutôt à certains usages et pas forcément à la technologie en elle-même.

5/ Vous luttez contre les stéréotypes. Les seniors trouvent-ils vraiment leur place à Station F ? Le cas échéant, qu'apportent-ils de spécial par rapport aux Millenials ?

Soyons honnêtes, les seniors ne sont pas la majorité des résidents de STATION F. Pour autant cela ne veut pas dire que tous les entrepreneurs sont des jeunes, nous avons aujourd’hui à STATION F des entrepreneurs qui ont 70 ans. Mais à mon sens, l'âge n'est pas un critère ici. On voit que les entrepreneurs plus expérimentés sont souvent mieux positionnés sur les sujets B2B ou même sur les sujets plus techniques qui nécessitent une certaine expertise ou un réseau spécifique pour avancer.

On a tendance à croire que les entrepreneurs sont tous jeunes, mais c'est faux. L'âge moyen à STATION F est de 31 ans et si on regarde l'âge moyen d'un entrepreneur “à succès” (exit) est plutôt vers 45 ans.

6/ Comment associer l'ensemble des Français et des entreprises françaises à la manne dont jouissent les startups (attention, financement, redistribution) ?

Nous travaillons justement dessus. Pour commencer, il n'y a pas de profil spécifique pour devenir entrepreneur. On a tendance à croire qu'il faut un MBA, qu'il faut savoir coder, qu'il faut être X ou Y, mais en réalité ce n’est pas le cas. Un entrepreneur peut venir de n'importe où et pour les qualités requises il faut surtout être très débrouillard et ne pas abandonner facilement 🙂

Au-delà des fondateurs, l'écosystème de start-up recrute aussi massivement. Avec l’abondance des financements que les start-up ont aujourd'hui, ces entreprises peuvent également payer de très bons salaires et recrutent pour des postes aux profils variés, pas uniquement des développeurs. Je pense que les start-up vont aussi commencer à recruter des profils plus divers, et c'est sur le recrutement qu’il y a de vrais enjeux.

Évidemment la redistribution de la richesse est plus difficile mais en vérité les succès des start-up sont bénéfiques car l'argent peut être réinvesti dans d'autres projets par la suite. Un entrepreneur qui réussit va pouvoir investir dans d'autres projets qui créent d'autres emplois… Enfin, il ne faut pas oublier que les solutions vont de plus en plus dans le bon sens - on pousse nos entrepreneurs à innover pour un monde meilleur, des solutions durables qui peuvent aider et impacter beaucoup de gens …

7/ Qu'y a-t-il de français, d'américain et d'iranien dans votre vision du monde ?

Il est compliqué pour moi de répondre à cette question car cela suppose de m'identifier avec des clichés ! J'adore mes origines, je considère que la culture iranienne a toujours été très présente dans ma vie, même si j'ai grandi aux États-Unis. Je ne me sentais pas 100% américaine, il y a des éléments de la culture américaine que je n’aime pas et avec lesquels j’ai du mal à m’identifier. En revanche, un élément que j'aime beaucoup est l'optimisme américain.

Malgré cela, c'est la France que j'ai choisie comme pays, une nationalité que j'ai demandée. Je me sens bien ici, je me sens chez moi. Mais je n'arrive pas à expliquer pourquoi. C’est certainement aussi lié à l'opportunité que la France m'a donnée…

8/ Si vous deviez créer un autre indicateur que celui de la licorne (valorisation boursière), quel serait-il pour vous ? (Dites-nous le nom de la créature aussi !)

Nous avons justement eu cette discussion avec l’équipe il y a peu de temps et nous aimerions bien remplacer les licornes par des Teddy Bear (nounours) ? Je rigole. Blague à part, nous aimerions trouver un indicateur permettant d'intégrer des éléments plus divers, notamment non financiers, dans la définition du succès d'une entreprise. Ce sont des éléments plus complexes à mesurer car on parle de l'humain, des valeurs, mais nous sommes ouverts à toutes les idées et propositions !

9/ Quelle vision opposer à la culture très française du rachat ou de l'exit ?

En réalité, on parle encore peu de ces sujets. Il y a encore trop peu de rachats et d’entrées en bourse dans l’écosystème européen. Nos grands groupes rachètent trop peu de start-up et les entrées en bourse, déjà rares, se font majoritairement aux États-Unis. Il y a donc encore du travail à faire sur le sujet mais en réalité il faut trouver un équilibre entre les entreprises qui choisissent l’une de ces deux options et les entreprises qui se développent et qui ne vendent pas trop tôt.

10/ Travaillez-vous en musique et si oui quelle est le morceau qui vous inspire en ce moment?

J'adore la musique et j’écoute beaucoup de genres différents ! Je peux écouter du rap des années 90, Mozart, Otis Redding, Orelsan…même des chansons en espagnol, arabe, italien, chinois, grec, bulgare… Donc je trouve cette question super difficile. Mon équipe sait que je suis fan du rap (le fond d’écran de mon téléphone est une photo de Snoop d’ailleurs…) ). Par contre, je ne sais pas quelle chanson choisir.

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