SouveraineTech_logo_975

Le Choc des Souverainetés

 

Le lecteur entre très vite dans le dernier ouvrage du président de l'Institut Choiseul, Pascal Lorot. D'abord parce qu'il est écrit dans un français impeccable qui manque à bien des oeuvres qui jonchent les étals des libraires; Ensuite parce que l'ordonnancement de son propos nous mène méthodiquement, des constats jusqu'aux préconisations, à l'adhésion de plein gré.

Notre ère est celle du retour du tragique, ou de l'Histoire. Elle correspond aussi à la "fin d'une certaine mondialisation". Partout dans le monde, nous assistons au réveil des souverainetés. Pendant ce temps, les Etats-Unis imposent leurs règles à des alliés qu'ils "traitent davantage en vassaux ou en obligés" tandis que "la Russie tente de renouer avec sa gloire impériale et a fait de la souveraineté une question existentielle". Naguère sous le joug soviétique, la Pologne et la Hongrie, se réapproprient quant à elles "une histoire, des racines et des codes culturels en décalage avec le progressisme qui domine à l'ouest de l'Europe."

L'époque est mouvante, et certains amnésiques tentent d'épouser son rythme sans vergogne. Ainsi des laudateurs du "fabless" qui aujourd'hui se font parangons de la réindustrialisation, ou encore des contempteurs du nucléaire qui se reconvertissent en apôtres de la fission.

L'auteur part à la recherche des causes de nos renoncements ainsi qu'aux origines de l'abandon de notre souveraineté. La pression exogène exercée par les Etats-Unis a sa part d'importance. Washington et ses normes, "instruments du soft power américain". Pour asseoir sa domination, l'Oncle Sam "a également veillé à ce que la généralisation du libre-échange soit conforme à ses vues" (Magique !). Pascal Lorot évoque aussi la très préoccupante extraterritorialité du droit américain, qui fait figure de "machine de guerre juridico-administrative".

Notre souveraineté est également mise à mal par "l'archipelisation" d'une France atomisée, presque prise au piège du citoyen roi, insusceptible de s'engager dans l'allégeance ou de se projeter encore dans une vision collective de l'avenir.

La remise en cause de la souveraineté tient enfin aux élites françaises et européennes, embourgeoisées, qui ont pénétré le capitalisme français et se sont déracinées. Face aux gens qui sont de quelque part les "somewhere", ils sont "de nulle part", toujours en transit, et conséquemment assez peu soucieux des conditions de vie de ceux de leur compatriotes qui vivent de manière sédentaire.

Ces élites sont par ailleurs, et dès le berceau, biberonnées au catéchisme atlantique grâce à la French American Foundation et son programme de Young Leaders. Allez vous étonner qu'ils le récitent quand les intérêts de l'Europe sont pourtant en jeu.

Notre perte de souveraineté (ne faisons pas peser la faute que sur les autres) tient aussi aux choix désastreux que nous avons pu exercer. Comment, ainsi "comprendre l'interdiction de la vente des voitures thermiques à l'horizon 2035 ?" illustre Pascal Lorot.

Pour bien positionner l'enjeu de souveraineté entre État et entreprises, Pascal Lorot mobilise la réflexion de Lorraine Tournyol du Clos (Conseillère spéciale du président de l'Institut Choiseul), dans les termes qu'elle emploie non sans fulgurance, dans la note de l'Institut Choiseul intitulée "Repenser la souveraineté" et dont voici un extrait : "L'État, au carrefour d'injonctions contradictoires, peine trop souvent à se placer en défenseur de la souveraineté nationale. Et les entreprises, dont les comportements mal coordonnés ou bloquants trouvent une justification naturelle dans la recherche de rentabilité financière [..] hypothèquent parfois le renforcement à long terme de cette même souveraineté nationale. On parle alors de "tragédie des horizons"pour décrire cette incapacité à arbitrer entre le court terme et la préparation du futur. Le contexte actuel ne le rappelle que trop bien : nous payons des choix passés qui ont été effectués au mépris de l'avenir et des intérêts français; en cédant à l'électoralisme ou à la satisfaction de minorités vociférantes, une partie de nos élites ont hypothéqué les atouts de la France". 

Les entreprises ont bel et bien un rôle majeur à jouer dans la défense et l'illustration de cette souveraineté ! "De ce point de vue, les entreprises ont évidemment une mission fondamentale à remplir. À la différence des représentants politiques et de l'État, qui ont parfois tendance à être versatiles et à embrasser l'air du temps en fonction de contingences électorales, les entreprises sont contraintes de s'inscrire dans le moyen et le long terme, au moins dans le secteur industriel. Elles représentent donc un atout déterminant pour briser la "tragédie des horizons" et éviter que la souveraineté ne soit sacrifiée sur l'autel du court-termisme un écueil dans lequel la France a régulièrement sombré depuis une trentaine d'années."

Une grande vertu de cet ouvrage est sa dimension panoptique. Pas un aspect de la situation actuelle, de ses tenants ou aboutissants, n'est ignoré par l'auteur.

L'accent est certes mis sur la dépendance ("plus que jamais") de l'Europe vis à vis des Etats-Unis. Pascal Lorot ne craint pas d'écrire par exemple que "les Etats-Unis ont utilisé l'OTAN afin de poursuivre davantage encore l'accroissement de leur sphère d'influence jusqu'aux anciennes républiques soviétiques, engendrant ainsi des crispations inutiles avec une Russie se sentant agressée et menacée dans ses interêts vitaux". Le moins que l'on puisse dire est que ce type d'assertion n'a pas exactement cours dans les plateaux TV en ce moment.

L'ouvrage rassemble en un seul et même lieu un faisceau de propositions de bon sens habituellement défendues ça et là, parmi lesquelles on retrouve un Small Business Act européen, la mise en place d'un fonds européen "late stage", la valorisation de l'atout considérable que représente notre Zone économique exclusive (ZEE), l'investissement dans le "new space". D'autres mesures sont préconisées. Il faut en finir avec la fiscalité vexatoire appliquée aux entités industrielles. Il est "primordial" de développer le nombre d'ETI en France (5000 chez nous contre 13000 en Allemagne). Nous devons moderniser notre appareil productif, accroître son degré d'automatisation etc.

Mais avant toute chose, l'auteur présente "la défense des interêts français" comme une priorité. Etait-ce si difficile à invoquer jusque là ? La mère des batailles, dans ce combat, s'appelle donc bien réindustrialisation. Tout cela passe sans doute par une communication sur l'industrie comme "voie d'excellence" plutôt que "voie de garage". Pascal Lorot fait d'ailleurs de la logistique la pierre angulaire de la souveraineté et d'une réindustrialisation réussie."

Sur la question européenne, le lecteur appréciera un propos pragmatique, nuancé, mais non pas fuyant. Oui le couple franco-allemand est un mythe. Non, on ne peut pas, en rigueur de termes, parler de souveraineté européenne, puisqu'il n'est pas de nation européenne. Pour autant, il ne faudrait pas négliger un deuxième étage à cette souveraineté, une "souveraineté partagée" où se retrouveraient les nations d'Europe pour assurer ensemble, par exemple, la défense du Vieux continent

L'ouvrage se referme sur un vibrant appel au patriotisme. Et il ouvre sur deux notions fondamentales, quasi-absentes de la littérature du genre : la puissance de la France, posture que nous devons enfin assumer et l'indispensable proximité, comme facteur de au service de la réindustrialisation, de la souveraineté, de la transition écologique et de la cohésion territoriale, notamment dans nos campagnes.

Nous sommes le 12 juillet, n'est-ce pas une date appropriée pour vous conseiller une saine et bonne lecture ?

Très agréable surprise que ce magnifique ouvrage qui nous permet de mieux cerner la vision de Pascal Lorot et de l'institut qu'il préside.

Et, d'une certaine manière, d'y souscrire...

? "Le Choc des Souverainetés" - Pascal LOROT
Éditions Débats Publics  200p

Un dernier mot peut-être, qui est un motif de grande réjouissance : Lorraine Tournyol du Clos nous fait l'immense honneur d'intervenir à l'occasion de notre colloque malouin du 29 septembre prochain.

 

 

image_pdfimage_print

Cet article vous a plu ?

Inscrivez-vous pour recevoir chaque semaine nos publications.