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Dépolitisons la nation

Le plus européen des Français proclamait « Je suis national ». L’Empereur précisait : « Ni talons rouges, ni bonnets rouges » pour bien exprimer le caractère universel de ce lien social fondateur : la nation. Aussi, quels que soient notre rang, notre condition ou même les idées que nous revendiquons, nous sommes tous faits par cette nation, quand bien-même nous serions aujourd’hui curieusement appelés à la « refaire » (sic). C’est là une évidence autant qu’une incontestable source  de bienfaits. Le lien vertical et horizontal qui nous unit et nous affilie à la nation, dans l’espace et dans l’Histoire, constitue notre trésor commun, notre demeure indivise : Voilà pourquoi il nous semble important d’en faire aujourd’hui la pierre angulaire de notre réflexion politique. Ce qui suppose d’abord d’en dépolitiser la notion une bonne fois pour toutes.

Lappartenance à la nation, une évidence autant quune somme de bienfaits

La nation est, avant toute chose, une réalité tangible, charnelle et spirituelle, enracinée dans le territoire et inscrite dans les siècles. La nation française est peuplée par 67 millions de personnes de « nationalité française ». (INSEE, 2023). Comme l’a écrit Philippe d’Iribarne dans son  ouvrage La Nation, une ressource d’avenir¹ : « Le cadre national a permis l’émergence de la figure du citoyen qui, avec ses pairs, décide des orientations de la cité. » Le cadre fondateur, protecteur et fructificateur de la Cité, est bel et bien la nation. Elle est partout, regardez donc autour de vous ! Songez un peu à l’Assemblée nationale, à la Défense nationale, à l’Hymne national, à la Bibliothèque nationale, à la concorde nationale, au service national universel etc. Et cette fameuse « startup nation » ! Inutile de nous lancer dans un panégyrique. Il suffit d’ouvrir un manuel de géographie, d’Histoire, de chanter  ou d’entendre ceux qui parlent et portent notre langue si belle, aux quatre coins du monde. La nation, famille de familles, représente la cellule élémentaire de toute forme d’essor  économique, politique, culturel. Elle place chacun de ses membres, dans une échelle géographique raisonnable, à l’abri du besoin et du danger ; Et, comme y invitait Montesquieu, de manière suffisamment proche du Prince, afin que ce dernier connaisse et gouverne justement chacun de nous.

La nation repose sur le vouloir vivre ensemble

Selon Ernest Renan, la nation est "une âme, un principe spirituel" qui repose sur "le vouloir vivre ensemble". Le « vivre ensemble » dont les discours politiques alvéolés nous rebattent les oreilles n’a jamais existé, et n’existera jamais sans l’indispensable corollaire  de ce « vouloir vivre ensemble » qui le fonde, au cœur même et sous l’ombrelle de la nation. C’est le nécessaire « affectio societatis » de cette noble entreprise qu’incarne la nation. Il ne faut pas voir ailleurs que dans le défaut si manifeste de ce « vouloir vivre ensemble » la cause profonde de la plupart de nos maux actuels. Or, seule la nation permettra de recueillir à nouveau, sous quelque forme politique possible, cet assentiment collectif permanent.

Certes, la question de la nation pourrait - attendons-nous à cette objection - achopper  sur celle de l’Europe, et plus particulièrement sur la forme politique qu’elle revêt depuis trente ans : l’Union européenne. Nul ne conteste cependant, et certainement pas nous, l’intérêt que les nations d’Europe trouvent depuis des siècles à œuvrer en bonne intelligence, pour gagner en intérêts et en influence dans le grand concert... des nations ! Mais, comme le déclarait autrefois le Général de Gaulle, pas au point que nos pays en viennent à « perdre leur personnalité nationale », dans la grande marmite dissolvante  d’une quelconque fédération.

Fidélité à l’esprit des Lumières

Par ailleurs, si nous voulons demeurer fidèle à l’héritage des Lumières, il nous faut maintenir la nation. Jamais le mot de nation n’a été autant à la mode que pendant la période qui a précédé et accompagné la Révolution française. « Les titres de 895 ouvrages de langue française publiés entre 1700 et 1789 comportent les termes nation ou national, et que 277 autres contiennent des variantes sur le mot patrie, contre seulement 105 et 16 avant 1700. Rien qu’en trois ans, de 1787 à1789, les mots « nation » et « patrie » figuraient dans les titres de 520 ouvrages. » ²

Cependant, l’attachement à la nation doit éviter l’écueil de l’idéologie. Chez nous, la nation, c’est la France. Et la France n’a aucune vocation à être remisée dans une boîte à doctrines. La nation n’est pas une idée, c’est une réalité qui appartient à tous, et à laquelle tous appartiennent. En revanche, le nationalisme est une exacerbation idéologique qui naît historiquement sur le terreau de l’humiliation de la nation. Le meilleur moyen de ne pas verser dans ce travers, c’est donc sans doute de la restaurer dans ses droits.

Reconstituer une rosace

Voyez comme le socialisme a récupéré la préoccupation sociale (aujourd’hui, l’on dirait qu’il a « surfé » sur elle). Observez les libéralismes, l’ancien et le nouveau, un peu comme les testaments. N’ont-ils pas tous deux phagocyté sans vergogne l’idée même de liberté ? Les capitalistes auraient-ils cultivé seuls les bienfaits du capital ? Les communistes ont-ils quant à eux soustrait à leur profit privé (quelle ironie) l’idée même de Bien(s) Commun(s) ? Les Républicains se targuent, l’air de rien, d’avoir convolé seuls avec Marianne. Ne parlons pas des Progressistes, des Démocrates ou des Humanistes qui ont choisi, non sans orgueil et malice, de commuer les noms communs qui nous appartiennent en  noms propres. Or, ne sont-ce pas là, éparpillées, des dimensions, toutes nécessaires et attendues de n’importe quelle forme d’engagement politique complet, homogène, conciliant ?

Ces courants d’idée, toutes ces rentes intellectuelles ont choisi de ne considérer  le monde qu’à travers un seul prisme, au risque de méconnaître ou de mécontenter tous les autres. Seule la nation, tel un vitrail, nous permettra de recomposer une image, une vision éblouissante et juste du réel. Elle seule ramassera en une seule rosace les bris lumineux épars d’un kaléidoscope idéologique obsolète surtout conçu pour nourrir les petites chapelles et figer les antagonismes. La dimension sociale de notre communauté, la conservation de notre héritage, notre projection dans l’avenir, le sacro-saint exercice de nos libertés individuelles : voilà le seul vrai programme en entier.

Oui, nous ne mesurons pas à quel point la fragmentation, l’atomisation du paysage intellectuel nous empêche, de l’intérieur, d’envisager pour demain cet indispensable « vouloir vivre ensemble ». Toutes nos actuelles boutiques partisanes, qui forment le visage de la représentation nationale, obèrent une réalité fondamentale : nous sommes tous enfants de cette nation, de manière organique. Et sauf à vouloir faire sécession, géographique ou idéologique, nous ne parviendrons jamais à imprimer à notre destin la vision commune à laquelle nous aspirons sans recourir, encore et toujours, à l’idée cristallisante de nation.

Thomas Fauré
Président-fondateur de Whaller



¹ https://www.editionsartege.fr/product/126728/la-nation
² https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2006-2-page-165.htm

 

 

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