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Parce que souverainetés alimentaire et numérique vont de pair !

Sébastien Picardat est directeur général chez Agdatahub

1/ Comment se positionne le monde agricole français par rapport aux enjeux de souveraineté technologique ?

Il se positionne très bien ! Agdatahub en est d’ailleurs la preuve. Je rappelle que notre entreprise a été fondée par et pour le secteur agricole, aujourd’hui rejoint par des acteurs technologiques français de premier plan, afin que la valeur des données issues des champs et des élevages français, une fois collectées, échangées et traitées par différents acteurs, revienne, en fin de parcours, aux exploitants agricoles.

Plus largement, la mission que nous a confié le monde agricole français est également de veiller à ce que les données de la “Ferme France” ne circulent pas n’importe comment, n’importe où et vers n’importe qui.

Agdatahub est donc la traduction directe que souverainetés alimentaire et numérique vont de pair, en sa qualité d’intermédiaire de données tiers de confiance !

D’ailleurs, nous ne sommes qu’une illustration récente de la capacité du secteur agricole à se mobiliser et à jouer collectif face à des enjeux stratégiques majeurs pour les filières. Rappelons que c’est à la sortie de la Seconde Guerre mondiale que des élus agricoles visionnaires ont su mobiliser leurs propres outils économiques pour reconstruire la France : sa banque (le Crédit Agricole), son assurance (Groupama), son assurance maladie (la MSA), ses coopératives… C’est aussi à cette période que les Instituts techniques agricoles et les Chambres d’agriculture ont accéléré le développement agricole. Aujourd’hui encore, l’activité R&D est financée majoritairement par les agriculteurs au travers de fonds dédiés comme le CASDAR et les Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) des Interprofessions. A ce titre, on peut affirmer que la souveraineté technologique agricole est assurée par des fonds et une gouvernance professionnelle, en lien avec l’État.

Comprendre cet historique est fondamental pour comprendre la genèse d’Agdatahub et sa contribution à la structuration en cours du numérique agricole en France.

Aujourd’hui, une nouvelle étape se joue. Une nouvelle occasion de s’unir, se [ré]unir face à cet enjeu de souveraineté numérique. En effet, les forces en présence du numérique agricole sont multiples et dispersées, avec une appétence, comme dans de nombreux domaines, à se maintenir en silos.

Nous avons d’une part des start-up principalement orientées vers des outils d’aide à la décision et la disruption de processus métiers à optimiser (comme l’assurance, la distribution d’intrants, les services environnementaux, les circuits courts, etc.).

Par ailleurs, on constate un équipement massif des exploitations agricoles avec une multitude d’objets connectés assurant progressivement la collecte automatisée d’informations indispensables à la gestion de l’exploitation, mais aussi les acteurs des filières comme les coopératives, les négoces, industriels et conseillers qui numérisent leurs processus métier.

Ajoutons à cela, sur un autre axe, les incontournables que sont les géants mondiaux du numérique, avec notamment la prééminence des GAMAM (Google, Amazon, Méta, Apple, Microsoft)…

Vis-à-vis de ces derniers acteurs, la solution pour que les forces agricoles, technologiques, économiques françaises en présence servent l’ambition d’une agriculture française forte, c’est la circulation régulée des données, et le moyen d’y parvenir est de casser les silos.

C’est là qu’Agdatahub intervient. Alors oui, nous sommes parfois vu comme un OVNI et, certains nous regardent même de travers. Pourtant, notre ambition est simplement de mettre au service de tous les acteurs du secteur agricole de France une expertise data mutualisée et une infrastructure sécurisée afin que les données circulent dans le respect du consentement des agriculteurs et ce au bénéfice du plus grand nombre, notamment des consommateurs, sans être soumises aux mesures extraterritoriales américaines.

2/ Les exploitants agricoles sont-ils eux aussi atteints d’Atlantite aigüe ?

Nullement. Est-ce que vous vous entendiez par « Atlantite aigüe », le rejet de toute technologie provenant des États-Unis ou, au contraire, l’acceptation sans réserve de technologie made in USA ?

Les agriculteurs français n’ont pas le luxe d’être autrement que pragmatiques. Ils ont besoin avant tout d’outils efficaces. La question de l’origine est seconde, elle n’est pas moins importante mais intervient dans un deuxième temps. Les exploitants agricoles sont des chefs d’entreprise (presque) comme les autres. Ils recherchent avant tout l’optimisation de leur temps, l’efficacité économique et technique, ainsi que la facilité d’usage de leurs outils de travail.

On peut l’appeler « bon sens paysan », si on veut. C’est surtout de la logique. Les exploitants agricoles se dirigent vers des services numériques efficaces, simples d’usage, accessibles voire gratuits et disponibles facilement. Si les outils français, il y a dix ans, avaient réuni ces caractéristiques, les agriculteurs les auraient utilisés en masse.

Rappelons d’ailleurs que, dans le cadre du suivi sanitaire des élevages au début des années 1980, les éleveurs français utilisaient massivement une innovation française pour collecter leurs données… c’était le Minitel !

Ma prescription face à cette « maladie de l’Atlantite » largement répandue chez tous les utilisateurs du numérique : que les services numériques conçus, développés et opérés en France soient orientés vers les besoins de l’utilisateur final, plutôt que vers le plaisir des ingénieurs !

3/ Pouvez-vous évaluer la proportion de maîtrise que les exploitants ont réussi à conserver sur nos données agricoles ?

La réponse est facile : la maîtrise que les agriculteurs ont sur leurs données est quasi nulle !

J’aime bien citer l’exemple du président d’Agdatahub, Sébastien Windsor, qui est agriculteur en Normandie. Sur son exploitation, il élève des cochons mais aussi produit des céréales, des oléagineux et du lin. Il y a recensé plus de 30 sources de données : moissonneuse-batteuse pour le rendement et la qualité de la moisson, stations météo, ruches connectées pour suivre la production de miel, distributeur d’aliments pour ses cochons… Chacun de ses outils génèrent des données en local. Elles sont ensuite transférées sur le cloud de chaque prestataire. Dans ce cadre, comment Sébastien pourrait-il avoir de la visibilité sur ce que deviennent ces données agricoles ? Par exemple : quels usages sont faits de ses données ? Où sont-elles stockées ? A qui appartiennent-elles réellement ? Peut-il les récupérer en cas de changement de fournisseurs ?

Autant de questions sans réponses claires car il y a autant de contrats que d’outils et certaines clauses peuvent rester imprécises. En effet, un fournisseur de services peut lui-même avoir besoin de faire passer les données à un tiers, sans forcément le spécifier et, là, on ne s’en sort plus. Quand les exploitants agricoles interrogent leurs partenaires ou leurs fournisseurs de numérique, ils ont difficilement des réponses et ce n’est pas normal.

Au-delà d’une incapacité des services clients à se mettre à niveau pour comprendre leurs utilisateurs, c’est la clarté des modèles économiques de chacun qui est en jeu, et aussi la manière dont les données des agriculteurs génèrent du chiffre d’affaires… pour d’autres !

Heureusement, des solutions émergent. Ainsi, les organisations agricoles (notamment la FNSEA) ont anticipé les enjeux autour des données agricoles et de leur valorisation par d’autres acteurs que les exploitations agricoles.

Le syndicat européen des agriculteurs (COPA) a rédigé le code de conduite européen de partage des données agricoles, dès 2017. Il a été décliné en France par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, via la charte Data-Agri. Un label a même été créé et, à l’issue d’une procédure d’audit, les conditions générales d’utilisation des outils numériques agricoles qui répondent aux principes de Data-Agri, peuvent l’obtenir.

Toutefois, les enjeux économiques autour des données agricoles sont suffisamment importants pour que le volontariat ne suffise pas à établir un climat de confiance équilibré entre les agriculteurs et leurs partenaires numériques. Il faudra toute la puissance de la réglementation européenne (identique dans tous les États Membres) pour rétablir une relation équilibrée entre 10 millions d’exploitations agricoles et leurs 500 000 partenaires en Europe.

4/ Quelle est selon vous la nature du rapport qui relie les enjeux de progrès technologique et ceux liés à la préservation / valorisation écologique ?

Nous sommes sur un rapport gagnant-gagnant. En faisant circuler les données agricoles, on alimente un cercle vertueux bénéfique au plus grand nombre et donc également à l’écosystème environnemental.

De façon plus précise, ce rapport est complexe et multifacette. Les données collectées sur les exploitations viennent améliorer les outils d’aide à la décision. Il s’agit par exemple de logiciels qui vont permettre de limiter les intrants, d’améliorer le bien-être animal et les conditions de travail des exploitants agricoles, d’augmenter le rendement ou encore d’améliorer la traçabilité…

On obtient alors des fermes plus performantes économiquement, des ressources naturelles économisées, de la pénibilité réduite pour les agriculteurs, des animaux qui bénéficient d’un suivi plus individualisé, des consommateurs mieux informés. Des éléments essentiels à la réussite de la transition agroécologique, à l’échelle individuelle mais aussi collective.

En résumé, le rapport entre les enjeux de progrès technologique et la préservation / valorisation écologique dans le monde agricole dépend fortement de la manière dont les technologies sont utilisées. Il est essentiel de concevoir et d'appliquer les technologies numérique, génétiques, agricoles… de manière responsable et durable, donc en tenant compte des impacts sur l'environnement, la santé humaine et la société dans son ensemble.

Plus que jamais, avec l’accélération des progrès technologiques, une réflexion éthique et déontologique est nécessaire. En ce domaine, la France, le monde agricole français et ses partenaires peuvent montrer la voie et être exemplaire.

5/ Gaia-X a essuyé de nombreuses critiques à son départ. Que pouvez-vous nous dire qui soit de nature à réconcilier ses détracteurs avec la démarche ?

Gaia-X a vécu un faux départ, avec une « incompréhension » initiale entre les Français et les Allemands autour de la définition de la « souveraineté ». Cela a ensuite amené certains à assimiler Gaia-X à une infrastructure cloud concurrente aux GAMAM.

Cette incompréhension est liée à des définitions différentes de la souveraineté. Pour les Allemands : il s’agit de permettre à toute organisation de pouvoir changer librement et simplement de fournisseur d’infrastructure cloud. Pour nous, Français, la souveraineté, c’est permettre à la France (à ses administrations et à ses entreprises) d’être technologiquement indépendant et de bénéficier de prestataires non soumis aux législations extraterritoriales (notamment le Cloud Act américain).

Cette ambiguïté larvée sur les objectifs initiaux de Gaia-X a vu son apogée sur la question de l’ouverture ou non à l’adhésion des GAMAM américains et des BATX chinois à l’association Gaia-X. On peut y voir une « crise d’ado » qui s’est traduite par l’affirmation d’une ligne pragmatique actant l’ouverture de l’association aux acteurs non européens, mais à leur non-participation au board de Gaia-X. Je regrette toutefois que cela ne soit pas valable pour leur association représentative « DIGITALEUROPE ».

Les conclusions de cette période mouvementée ont été bénéfiques pour Gaia-X qui, aujourd’hui, réconcilie ces deux visions, rappelant le concept cher au général De Gaulle, et détaillé dans ses mémoires, lié à l’affirmation de la souveraineté dans l’interdépendance.

Gaia-X se fixe comme objectifs, d’une part, de définir des spécifications fonctionnelles et techniques d’interopérabilité entre les différentes briques technologiques nécessaire aux espaces de données (data spaces) et, d’autre part, de contribuer à fournir aux utilisateurs des services numériques une information fiable et objective sur le niveau de souveraineté grâce à 3 niveaux de labellisation.

Espérons que cette vision sera reprise au sein du Data Spaces Support Center, copiloté par les trois autres organisations de la Data Spaces Business Alliance (BDVA, IDSA, Fiware) qui ont parfois une vision plus « atlantiste » ! La Commission Européenne qui finance ce projet devra y être vigilante.

Quoi qu’il en soit, l’enjeu prioritaire pour la réussite des usages du numérique au sein du secteur agricole (comme de tous les secteurs économiques) est de fournir aux décideurs une grille de lecture compréhensible couvrant les dimensions juridiques, économiques et technologiques des offres de services numériques au regard de la souveraineté. Faisons le pari de nouvelles passes d’armes feutrées mêlant lobbying, communication et marketing ! A ce titre, le rôle de la puissance publique sera fondamental pour informer objectivement les décideurs sur ces enjeux stratégiques de l’économie de la donnée.

Pour revenir sur la question initiale, réconcilier les détracteurs de Gaia-X avec la démarche, je rappellerais 4 points clés liés à l’ADN de Gaia-X, sa mission… :

En premier lieu, la sécurité des données et le besoin d’accroître la confiance sur ce point.

Puis la collaboration européenne car seuls nous n’aurons pas la taille critique pour peser au niveau mondial.

La transparence de la démarche et l’ouverture sur l’ensemble des parties-prenantes est un autre point clé.

La stimulation de l’innovation induite par l’application des lignes directrices Gaia-X et donc la création de nouveau produit et service numériques est le dernier point.

6/ Le paysan de demain est-il nécessairement une pointure en technologies ? 

Oui… et non ! Comme sur tous les autres aspects du pilotage de son exploitation, l‘agriculteur doit être expert en tout : agronomie, gestion économique et comptable, dimension technique, administratif… Le numérique vient ajouter l’expertise data ou plutôt la culture data !

Je parle bien de culture et de data, et non de formation et technologies. Demander à tous les exploitants agricoles d’être des geeks serait aussi incohérent que de demander à tous les médecins de l’être !

À l’opposé, pour les premiers comme pour les seconds, il est indispensable d’informer et d’éduquer sur la maîtrise et les possibilités de l’usage des données si l’on veut construire un climat de confiance entre les agriculteurs et leurs partenaires, entre les professionnels de santé et leurs prestataires.

Sur le versant agricole, c’est aussi la condition sine qua none pour que la maîtrise de la data soit synonyme d’amélioration du revenu agricole. Voici deux exemples sur l’amélioration du revenu agricole grâce aux données : un relai de croissance sur la segmentation de la mise en marché des matières premières agricoles grâce aux primes qualité et/ou l’émergence de nouvelles sources de revenu, comme le crédit carbone ; l’optimisation des charges d’exploitation (phytos, semences, fertilisants, aliments du bétail) est possible grâce aux outils d’aide à la décision ou de simulation.

En définitive, le paysan de demain ne sera pas nécessairement une pointure en technologies mais disposera d’une culture lui permettant d’appréhender le champ des possibles en termes de data.

7 / Comment faire en sorte que l’Homme soit au cœur de notre réflexion sur la data et non le contraire ? 

C’est simple, en mettant les données au service de l’Homme et non l’inverse. C’est d’ailleurs l’ADN d’Agdatahub depuis sa création : faire que les agriculteurs gardent la main sur leurs données tout en libérant leur circulation (sous certaines conditions) car elles sont essentielles à l’innovation et à la transition agroécologique.

Ainsi, nous avons développé Agritrust, qui comprend notamment un module de gestion des consentements à l’usage de leurs données, fondé sur la première identité numérique agricole, en co-innovation avec Orange Business Services et IN Groupe (l’expert de l’identité en France, qui est dans toutes les poches avec les cartes d’identité, les passeports...).

Il s’agit de lier l’identité de la personne physique (via France Connect) avec l’identité de la personne morale (celle de l’exploitation, via le Registre National des Entreprises qui est censé remplacé le Registre des actifs agricoles depuis le 1er janvier 2023) pour émettre des preuves de consentements à l’usage des données.

Agdatahub et Agritrust sont les preuves tangibles que la nécessaire réflexion éthique et déontologique que j’ai mentionnée au début de notre entretien peut se transformer en outil permettant de remettre l’Homme au cœur de la réflexion sur la data mais aussi au cœur des usages.

8 / Quel est l’état de fédération et de financement des acteurs de l’AgriTech en France ? 

L’AgriTech française est très dynamique, en pleine expansion et développement. Les start-up se fédèrent au sein de deux associations principales ou plutôt trois pour ne pas oublier la dimension viti-vinicole (Ferme Digitale, CoFarming, WineTech). Les différents acteurs s’épanouissent également au sein des territoires dans des pôles de compétitivité comme Agri Sud-Ouest Innovation, Vitagora ou Végépolys Valley… sans oublier le rôle joué par les grands groupes industriels et les GAMAM.

Concernant le financement des acteurs de l’AgriTech, il y a des financements publics européens (Horizon Europe / Digital Europ Program) et français (France 2030, avec les opérateurs Bpifrance et la Caisse des Dépôts et Consignations).

En termes de financement, l'AgriTech en France est soutenue par plusieurs sources de financement publiques et privées. Le gouvernement français a lancé plusieurs initiatives pour encourager l'innovation dans l'agriculture, telles que le plan de relance de l'économie qui a alloué 100 millions d'euros à la transition écologique de l'agriculture, ou encore le Programme d'Investissements d'Avenir qui a alloué 40 millions d'euros pour le développement du domaine.

D’autre part, des fonds d'investissement et des incubateurs spécialisés dans l'AgriTech ont émergé ces dernières années, tels que Capagro, Demeter Partners, Station V ou encore Hectar.

Malgré ces initiatives et celles au niveau européen, il reste encore des défis pour financer l'AgriTech en France. En effet, les investissements y sont considérés comme risqués car nécessitent souvent des investissements à long terme pour être rentables. Il est donc important de continuer à encourager l'investissement et l'innovation dans l'AgriTech en France pour garantir le développement de ce secteur prometteur tout en prenant en compte les spécificités du calendrier agricole…

La dernière levée de fonds d’Agdatahub est toutefois un signal positif fort pour l’ensemble du domaine. La pluralité des acteurs qui y participent ajoutée aux associés historiques montrent clairement que notre secteur est au cœur de l’économie de demain.

Au-delà des soutiens publics à l’innovations et aux acteurs technologiques, il convient de pointer qu’une des limites au déploiement massif du numérique en agriculture est le déficit d’experts data au sein des organisations collectives, des acteurs publics et des entreprises. Même s’il faut (parfois) rappeler que l’agriculture s’exerce au cœur des territoires ruraux, l’attractivité du secteur agricole pour des compétences de geek ou data manager reste malheureusement limitée, sans compter la concurrence avec les demandes des autres secteurs économiques. Les compétences humaines restent donc clé pour l’usage massif du numérique !

9/ Il paraît que l’avenir de la planète et de notre assiette passe par le steak de cancrelat aux nèfles ? 

L’avenir de la planète passe par le progrès scientifique et technique, rien de plus, rien de moins. On a tendance à l’oublier mais l’agriculture est la base de toute société humaine. La transformation des chasseurs cueilleurs nomades d’il y a 10 000 ans en fermier sédentaires, en cultivateurs, a marqué une évolution majeure de la civilisation. Il s’agissait de produire sur un territoire donné de quoi nourrir sa famille, son village, son royaume, son pays, tout en préservant les ressources pour les générations futures.

L’agriculteur est avant tout un « gestionnaire de ressources » limitées comme la terre et l’eau. Son savoir-faire ancestral, en cours de numérisation avec les technologies modernes, doit lui permettre de préserver ses moyens de production et son environnement. C’est pourquoi produire plus (pour plus d’habitants sur Terre) et mieux (en préservant les ressources) est l’alpha et l’omega de l’agriculture.

Alors oui, la science, grâce aux biotechnologies et à la sélection variétale, peut permettre à du maïs de consommer moins d’eau ou au blé d’être plus productif par hectare sans remettre en cause ses terres. Et finalement, permettre aux habitants de la Terre de profiter d’un bon steak… Tout est question d’équilibre et de répartition des ressources !

10 / On a la fâcheuse impression que les thèses malthusiennes reprennent du poil de la bête. Comment dépasser intelligemment la désolante opposition population / ressources ?

En innovant ! La bonne adéquation entre la population (ou plutôt son augmentation) et les ressources (ou plutôt leur amenuisement) est une vraie question. Il ne faut pas l’éluder, au contraire. Selon moi, et c’est une opinion partagée par bon nombre d’acteurs du secteur agricole, les nouvelles technologies peuvent permettre de répondre à cette quadrature du cercle.

Mobiliser conjointement les agro-science et les technologies de l’information permet d’ouvrir un nouveau champ des possibles grâce à l’utilisation des technologies dans la sélection génétique, l’adaptation dynamique de l’alimentation en fonction des besoins physiologiques ou de la disponibilité des produits agricoles pour les populations.

Prévisions, simulations et prospective sont autant d’outils disponibles pour mieux répartir les ressources, gérer les productions et assurer le développement socio-économique. Bien sûr, certains préfèrent utiliser ces outils pour accaparer les ressources ou les accumuler à des fins guerrières ou de pouvoir. Voilà peut-être la revanche de Malthus ?

11/ Qu'est-ce que vous inspire la fermeture en série de nos boulangeries ?

Une inquiétude réelle. Derrière chaque boulangerie qui ferme, c’est le débouché du blé produit par des céréaliers et transformé en farine par les meuniers qui se condamnent. J’ai lu l’alerte émise par le regroupement Grain de blé, en rapport avec la hausse du prix de l’énergie, selon laquelle 8 boulangeries sur 10 risquent de fermer si elles ne bénéficient pas du bouclier tarifaire... On a du mal à l’imaginer.

Les boulangeries sont le poumon d’un village, d’un quartier, aux côtés du bistrot, de l’épicerie et du boucher. Ce sont, bien souvent, des entreprises familiales au cœur des territoires qui n’ont plus les moyens de faire face à ces aléas des prix de l’énergie, principale charge après les charges salariales.

La guerre en Ukraine menée par la Russie fait donc également des victimes économiques au fond de nos campagnes et au cœur de nos villes via l’arme énergétique, tout en s’accaparant les terres ukrainiennes pour produire du blé qui lui fournit les ressources financières pour approvisionner son armée en armes et munitions.

Heureusement, nous avons des acteurs mobilisés autour de la souveraineté alimentaire. Là encore, je veux croire que les données vont apporter des solutions, du producteur au consommateur, tout en accompagnant les transitions agroécologiques.

 

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