SouveraineTech_logo_975

Newsletter n°64 - 1er septembre 2023

⭕️ Éditorial

Maintenant

La technologie ne parle plus que d'elle-même. Depuis qu'elle s'est dépouillée de son premier sens, qui est le discours moral sur l'usage des outils, elle ne cherche plus, comme dirait Alain Supiot, que l'optimisation. De quoi ? Eh bien d'elle-même bien sûr ! Nous devrions convoquer la téléologie mais aussi l'axiologie dans nos réflexions ordinaires sur la "tech". Quelles sont les fins que nous poursuivons, les faims qui nous mobilisent, les valeurs morales qui nous animent dans cette perpétuelle course à l'efficacité ? Le chant des sirènes de l'IA nous détourne insidieusement de cette réflexion nécessaire. Où sont donc passés les usages bénéfiques ? Aussi, pourquoi ne pas nous poser à nouveau les questions élémentaires à ce sujet ? Quoi, pour qui, pourquoi, comment, quand ? Quoi : les moyens de nous tenir durablement et collectivement à l'abri du besoin, du danger et de la médiocrité. Pour qui ? Le peuple seul souverain. Pourquoi ? Assurer la pérennité de sa communauté de destin dans l'Histoire. Comment ? En cultivant activement et loyalement ses ressources indivises et l'héritage de son génie national. Quand ? Maintenant, tout de suite. Et si vous êtes de ceux qui joignent le geste à la parole, le 29 septembre à Saint-Malo !

Bertrand Leblanc-Barbedienne




Nous recevons aujourd'hui, vendredi 1er septembre 2023
Maï-Linh Camus,
qui est présidente et fondatrice du cabinet Prisme Intelligence


Il n’y a pas de manipulation de l’opinion sans une opinion manipulable.



⭕️ Conciliabule

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de "disputatio" ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n'engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d'influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l'objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.



1/ Vous avez servi cinq ans sous les drapeaux, qu'est-ce que cela a changé dans votre manière d'envisager votre activité professionnelle de chef d'entreprise ?


Lors de la réalisation d’une mission il est indispensable d’être efficace et concret. Un objectif est donné, il faut le réaliser ! Cela implique d’être capable de réagir vite, de savoir s’adapter et surtout de bien comprendre le besoin initial pour aller à l’essentiel. Cette rigueur s’applique entièrement au sein des Forces Armées. En tant que dirigeante du cabinet Prisme Intelligence, dans le secteur du renseignement d’affaires, j’applique ces mêmes exigences. J’ai la volonté d’être concrète, efficace et d’apporter une vision appuyée sur le terrain aux dirigeants que j’accompagne Cela s’illustre par la capacité à être efficace dans les techniques de recherche du renseignement et pertinente dans la sélection de ce qui est ensuite communiqué au dirigeant. Savoir lire et comprendre le besoin du dirigeant est nécessaire, ce qui nécessite très souvent d’aller au-delà des premières impressions. Il faut donc faire preuve d’analyse et inscrire nos actions dans la stratégie globale du dirigeant. Nous pouvons être tentés par la curiosité mal placée et se laisser submerger par la surinformation pour finalement noyer l’essentiel. En tant que professionnel du renseignement je me dois d’être objective, factuelle et de travailler sans biais d’interprétation.


2/ Le renseignement continue d'intriguer. Qui peut ou doit le pratiquer, et à quelle fin ? Peut-être même que, tel Monsieur Jourdain, nous y avons tous recours peu ou prou, sans le savoir ?

Le renseignement permet de prendre en compte son environnement pour prendre des décisions. Chaque individu a recours au renseignement quotidiennement de manière inconsciente. C’est un instinctif que de prendre en compte les éléments mis à notre disposition pour prendre la meilleure décision, et un processus qui donc en effet se rapproche de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir ! Néanmoins, dans certains domaines tel que le renseignement étatique ou le renseignement d’affaires, il est indispensable de faire appel à des professionnels formés et aguerris. 
L’amateurisme ou la barbouzerie, dans le pire des cas, ne peuvent pas être tolérés. Les enjeux sont bien trop importants et le cadre légal est très strict. Selon moi, il est nécessaire de toujours se demander : « faire du renseignement pour quoi faire et avec quel objectif ? » Avant de réaliser une mission de renseignement, il est important de savoir quels sont les intérêts que nous allons servir et pour quelle finalité. Cela permet de se concentrer sur le cœur de la mission mais également de se situer d’un point de vue éthique.

Au sein du cabinet Prisme Intelligence, nous travaillons uniquement avec des professionnels du renseignement aux savoir-faire particuliers capables d’agir dans le monde entier avec des années d'expériences dans le domaine du renseignement, de l’investigation économique, de la diplomatie et des opérations militaires


3/ Comment analysez-vous, si vous l'observez-vous aussi, l'entreprise de discrédit (de ridiculisation) à l'œuvre contre toute expression, dans l'espace médiatique, de l'idée même de la puissance de la France ?

Aujourd’hui, il y a un débat sur le positionnement de la France sur l’espace mondial du fait de sa place particulière qui bénéficie de relais de puissance important lui permettant d’exprimer une voie à part sur la scène internationale. Il est en effet aisé de trouver sur les médias des articles moquant l’idée de puissance de la France tant sur le plan économique, militaire, social et culturelle. La France se veut être une puissance de premier plan malgré un positionnement réel économique, militaire ou culturel factuellement moyen. Cette place unique s’appuie sur des démultiplicateurs exceptionnels de puissance, héritages de l’Histoire : une place de membre permanent au Conseil de sécurité, la possession de l’arme nucléaire, un réseau diplomatique et culturel de premier rang, un statut de membre fondateur et de puissance moteur au sein de l’Union Européenne... Régulièrement les ressources investies pour maintenir actifs ces relais de puissance sont remises en question, jugées plus utiles peut-être pour être réorientées vers des priorités plus internes ou alors vues comme soutenant une vision passéiste des relations internationales. Plus grave peut-être, cette remise en cause peut également être le fruit de puissances étrangères agissant pour leur propre compte et cherchant à diminuer, critiquer ou restreindre la puissance française.

Néanmoins, cette remise en cause n’est pas autant systématique qu’on veut nous le faire penser.

La France est une puissance d’équilibres (selon les mots du président Macron) qui cherche à défendre une vision particulière des relations internationales et de l’équilibre du Monde. Cette vision est régulièrement expliquée, défendue et argumentée dans les médias, elle est donc présente pour qui se donne la peine de l’écouter ! La question à se poser, sans forcément d’ailleurs chercher à se positionner, serait donc davantage celle de la capacité de résonance : les deux discours sont présents mais il semble que celui critiquant ou relativisant cette place de la puissance française fasse meilleure recette. Je suis donc modérée, et je ne relève pas l’impression d’une entreprise de discrédit systématique à l’encontre de la puissance de la France. En effet, je constate que si le discours négatif est très présent, il existe également dans le même temps des défenseurs de l’idée de puissance de la France dont je fais partie. Il s’agit donc peut-être plutôt d’une question de perception individuelle ou collective.


4/ Les Etats-Unis ont recours aux deepfakes dans le cadre de campagnes de déstabilisation. Devrons-nous inéluctablement nous déplacer sur ce terrain ou est-il encore envisageable en 2023 de livrer cette bataille économique et informationnelle "à la loyale" ? 

Le recours aux deepfakes est avéré dans le cadre de luttes d’influences entre États, voire entre groupes d’opinion et de pression.
Se positionner ou non sur ce terrain renvoie pour les États, les sociétés et les individus au choix des armes avec lesquelles ils se battent : faut-il se priver de quelque chose qui sera utilisé sans états d’âme par l’adversaire ? La question des valeurs est centrale et aujourd’hui la France préfère opposer une capacité de déconstruction des narratifs intentionnellement faussés pour construire sa légitimité et celle de sa stratégie d’influence.

Cependant, dans un conflit plus important, avec des enjeux vitaux, la question resterait posée. Jusqu’où aller par nécessité de s’opposer à la stratégie adverse sans pour autant détruire sa propre légitimité ? C’est plus délicat qu’il n’y parait car aujourd’hui on voit par exemple qu’un État comme la Russie pourtant reconnu comme manipulant faits et vérité au service de ses objectifs obtient malgré tout de réels succès dans certaines opinions publiques. Je n’ai pas la prétention d’apporter une réponse tranchée, tant elle serait dépendante du contexte et des intérêts mis en cause, en revanche je crois que l’éventuel usage de deepfakes pourrait toujours se faire de manière encadrée, légitime, peut-être comme un dernier recours, sans exclure les autres procédés « à la loyale » qui restent le fondement d’une posture légitime et crédible. Au sein d’une entreprise le sujet se simplifie, et s’il est évident que les experts de Prisme Intelligence sont formés à la détection des fakes news et très sensibilisés au deepfake, le recours à cette dernière stratégie est totalement en-dehors du champ éthique du cabinet.

5/ Si l'on en croit les enseignements d'Edward Bernays, l'auteur du fameux ouvrage "Propaganda : Comment manipuler l'opinion en démocratie", le peuple est le dindon de notre farce contemporaine. Quels conseils concrets pourriez-vous nous donner pour nous former et assumer une opinion vraiment personnelle ?

Il n’y a pas de manipulation de l’opinion sans une opinion manipulable.

Aujourd’hui il est plus qu’indispensable de s’éduquer, de se former, de se sensibiliser à la manipulation de l’information pour tout simplement pour ne pas en être victime et garder son libre arbitre. C’est exactement ce que je souhaitais dire sur la question des fake news : elles ne valent que tant qu’il existe un public suffisamment vulnérable pour y être sensible.

Il est nécessaire de garder en tête qu’une information est par essence toujours plus ou moins biaisée par le média qui la diffuse, par le contexte (politique, climatique, géopolitique, économique…) qui nous entoure mais aussi par nos propres biais d’interprétation. Quand nous partons du principe que l’information est biaisée, il est de notre devoir de se renseigner avec quelques actes réflexes tout simple :
- Réaliser des recherches sur un canal différent de celui où nous avons eu la première information ;
- Multiplier les sources d’informations et leur positionnement (politique, économique, …) ;
- Prendre de la hauteur et mettre de côté nos émotions dans l’interprétation de l’information ;
- Discuter avec des personnes différentes capables de confronter notre lecture.

A ce moment-là on peut dire que nous cultivons la fameuse « pensée complexe » et nous pouvons nous faire une réelle opinion de l’information. Je prends souvent l’exemple de la pièce de théâtre. Imaginez que vous l’observez depuis votre fauteuil puis vous changez de place. Si la pièce est similaire mais vous percevez des différences subtiles, c’est que vous devez varier les sources de l’information (média, …). Si la pièce est sensiblement différente, c’est que l’information a été manipulée et donc à vous de faire quelques recherches pour trouver la vérité. Il est important de ne pas tomber dans le panneau de l’information « instantanée », non sourcée et de prendre pour argent comptant ce que vous pouvez lire et écouter sur un unique média.

La cabinet Prisme Intelligence accompagne des dirigeants sensibilisés à la maitrise de l’information stratégique afin qu’ils puissent obtenir les informations dont ils ont besoin pour prendre les bonnes décisions, de manière consciente et éclairée. Cela peut paraitre logique, mais ce n’est pas une chose aisée car la surinformation noie totalement le renseignement pertinent. La prochaine étape est d’intervenir auprès du public afin de le sensibiliser à la manipulation de l’information afin qu’il n’en soit pas victime.


6/ Dans le combat armé, il est une dimension importante : celle des forces dites "morales". Comment selon vous l'importer dans le cadre de la guerre économique et technologique ?

Derrière l’idée de forces dites « morales » se cache l’idée de résilience.

Dans le combat armé, c’est l’idée de faire appel à des capacités autres que physiques pour faire face à une adversité peut être très violente. Ce peut être la discipline, la camaraderie, la cohésion, l’amitié, ou encore même si cela pourra faire sourire le patriotisme ou même la Foi ! Tout ce qui peut permettre au soldat de mettre en perspective ce qu’il vit pour lui donner du sens, et ce faisant prendre du recul et se détacher pour préserver sa capacité de réflexion, son esprit critique et ses valeurs. Cette violence peut tout à fait s’exprimer également dans le champ économique par des actions de concurrence hostiles très déstabilisatrices.

Le contexte économique lui-même peut d’ailleurs être vu comme intrinsèquement violent, avec des conséquences humaines réelles : mise au chômage, familles qui basculent dans la pauvreté, ou encore suicides d’artisans, de paysans, de dirigeants, voire pour aller encore plus loin et sur un autre niveau, actions de déstabilisation personnelle dans le cadre de l’espionnages industriel. On pourrait trouver beaucoup d’exemples permettant de réaliser un parallèle entre le combat et l’économie !

Importer l’idée de forces dites « morales » en tant que tel n’est peut-être pas immédiatement transposable dans l’univers économique et technologique. En revanche, l’idée de résilience l’est selon moi bien davantage. En effet, la capacité de diversifier ses ressources, de connaître ses concurrents, de prendre en compte son environnement d’affaires afin d’anticiper les risques et de maitriser l’information stratégique sont par exemple des moyens de diversifier les assises de son entreprise et de mieux garantir sa capacité de développement.


7/ Que diriez-vous à l'une de nos lectrices qui aimerait intégrer l'ESM Saint Cyr ?

Foncez, dépassez-vous et n’ayez aucune limite !

L’académie des écoles militaires de Saint-Cyr a tout à vous apprendre, tant sur les valeurs que sur votre propre personnalité. Beaucoup se révèlent à l’issue de la formation militaire, c’est une expérience incroyable qui mérite d’être vécue. Évidemment, ce n’est pas chose aisée. Il faudra beaucoup de persévérance et de résilience, de volonté et de combativité car devenir soldat et chef n’est pas anodin. Ce qui est certain en revanche c’est que vous serez au meilleur endroit pour le devenir.


8/ Qu'est-ce à vos yeux qu'un pays allié de la France aujourd'hui ?

Je ferai une définition assez simple : un pays allié est un pays qui partage les mêmes valeurs, une proximité de vision politique, avec des liens économiques et culturels privilégiés et/ou encore faisant partie d’une même alliance politique et/ou militaire (ex : UE / OTAN). Sans que cela soit un détail, je crois aussi qu’un pays allié est aussi un pays avec lequel on peut s’opposer sur certains points sans remettre en cause le fond de la relation (ex : les États-Unis pour la guerre d’Irak 2003). Avec ces deux définitions, on comprend que je vois la France disposer de beaucoup d’alliés ! En revanche, l’importance des uns et des autres évolue et diffère selon le contexte et le domaine considéré : sur le plan militaire notre allié principal est les États-Unis mais en termes économiques, nous développons davantage de synergies avec nos partenaires de l’Union européenne, par exemple.


9/ Le terme de souveraineté est durablement revenu sur le devant de la scène, mettant en lumière l'importance du verbe dans les rapports de force. Quelle réalité, mais aussi quelle aura attribuez-vous à ce mot ?

Le mot souveraineté est aujourd’hui au cœur des débats et c’est une réalité qui s’est réimposée avec force dans presque tous les domaines : politique, économique, militaire, mais aussi médical, culturel…

On relève ainsi des efforts importants de la part des politiques mais aussi et surtout des acteurs économiques pour préserver et maintenir la souveraineté de notre pays, voire la restaurer des crises majeures comme le COVID ou la guerre en Ukraine ayant mis en lumière la vulnérabilité de certains secteurs critiques. Ces actions ont à saluer ! Je m’inscris entièrement dans cette démarche, car le renseignement d'affaires est un outil au service de la souveraineté nationale. Engagée auprès des entreprises françaises, j’ai créé le cabinet Prisme Intelligence pour apporter un avantage concurrentiel aux acteurs économiques français afin d’être plus compétitifs dans le monde entier. En effet, c’est avec des entreprises françaises plus concurrentielles et rentables que la France peut préserver sa souveraineté !


10/ Pouvez-vous citer une vertu que vous vous efforcez de cultiver quotidiennement, (et non pas "au quotidien" selon l'atroce locution en vogue) ?

L’audace !

Depuis toujours j’ai l’audace d’oser prendre des chemins non conventionnels et d’entreprendre. Aujourd’hui, il semble courant de communiquer sur l’intelligence économique. J’ai osé assumer le terme « renseignement d’affaires » et je ne me prive pas de communiquer sur la matière afin d’apporter un maximum de clarté sur les pratiques. Il me semble indispensable, dans le renseignement d’affaire, de savoir faire preuve de clarté tant sur le positionnement de nos activités que sur les méthodes employées. Cela permet dès le départ de définir avec le dirigeant ce qu’il est possible de réaliser ou non dans le cadre qui nous est défini. Il n’y aurait rien de pire que de ne pas se comprendre, ou de répondre de manière erronée à un besoin ! Vous pouvez me lire sur LinkedIn où je publie régulièrement et échange avec les dirigeants. Je cultive l’audace dans chacun des dossiers que je traite. Cela permet d’obtenir une vision globale du sujet, d’apporter aux dirigeants une vraie plus-value en lui assurant un renseignement complet. Travailler avec audace, c’est aborder les sujets avec un prisme différent. Et je terminerai en citant la devise du 1er régiment de parachutistes d'infanterie de marine : « qui ose gagne » que j’applique quotidiennement.




⭕️ Mezze de tweets

 



⭕️ Hors spectre

 

"Le fort est, chez Nietzsche, une individualité supérieure qui ne cherche pas à dominer les autres, ce qui serait un signe de faiblesse. Au contraire, le fort,  fondamentalement, recherche la solitude de l'esprit, la distance, le quant-à-soi. Souvent, en effet, ce qu'on appelle la société n'est qu'un rassemblement fondé sur la faiblesse. On a peur de penser par soi-même. On suit ce que les autres pensent. On se rassemble avec eux et l'ont dit du mal de ceux qui n'entrent pas dans le moule du conformisme collectif. " Nietzsche ou la passion de la vie / Bertrand Vergely

 

image_pdfimage_print

Cet article vous a plu ?

Inscrivez-vous pour recevoir chaque semaine nos publications.