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La mort du rêve supranational ouvre la porte à une autre Europe agissant comme un catalyseur de puissance au service de ses membres souverains.

Raphael Chauvancy est officier supérieur des troupes de Marine. Il a servi dans différentes unités opérationnelles en France et outremer. Projeté sur différents théâtres allant du Sahel à l’arc caribéen et des Balkans au cercle Arctique, il a été détaché pendant quatre ans au sein des UK Commando Forces - Royal Marines. Egalement enseignant en intelligence stratégique à l’école de guerre économique, il a écrit plusieurs essais dont Les nouveaux visages de la guerre, lauréat 2022 du prix de La plume et l’épée.

1/ Quel regard un officier supérieur des Troupes de Marine peut-il porter sur la France d'aujourd'hui ?

En tant qu'officier d'active je crois évidemment en l'avenir des valeurs et de l'identité du pays qui est le mien et que j'ai choisi de servir. Il dispose de nombreux atouts militaires, culturels, scientifiques économiques etc. dans la compétition globale qui marque notre époque.

Cette confiance n'empêche pas la lucidité. La réalité du déclin et la possibilité d'un déclassement majeur face au réveil d’acteurs aussi dynamiques qu'ambitieux imposent de profondes remises en cause. Sans même parler des impérialismes russe et chinois, qu'un navire turc illumine une de nos frégates avec son radar de tir en 2020 ou que le ministre de l'économie du Brésil qualifie publiquement la France d'insignifiante, comme il l'a fait cet été, révèle une évolution significative des rapports de force.

L’affaire de l’AUKUS et des sous-marins australiens a montré que l’alliance anglo-saxonne était tout sauf inconditionnelle et révélé l’isolement de Paris. Tenue en défiance à Washington pour ses velléités d’indépendance, contestée par les nations atlantistes d’Europe, surclassée par Berlin, remise en cause en Afrique, effacée au Levant, la France est relativement isolée et contestée.

Sa vision géopolitique a en partie perdu sa capacité fédératrice pour plusieurs raisons. L’alignement atlantiste sous la présidence Sarkozy a mis à mal l’exception française dans le monde sans lui procurer d’avantage substantiels en contrepartie. Des prises de position erratiques et un manque de visibilité ont dégradé l’image de Paris. La défense du multilatéralisme, qui est sa vocation profonde, a parfois pris la forme d’un effacement derrière des organismes supranationaux et assimilée à une marque de faiblesse. L’effritement de ses spécificités culturelles et politiques au profit d’une américanisation de plus en plus visible ne lui permettent plus de proposer un modèle alternatif attrayant. Enfin, sa situation économique fragile pose la question de la soutenabilité de ses ambitions

La France est aujourd’hui à la croisée des chemins. Si elle fait preuve d'audace, d'agilité et de combativité, elle demeurera un acteur global de la scène internationale et confirmera sa vocation de puissance d’équilibres contribuant à la stabilité de l’ordre international. Mais si elle s'enferme dans ses divisions et ses certitudes, qu’elle échoue à se réformer et à se réinventer, elle sera réduite sans retour au statut de nation secondaire.

Elle ne figure parmi les principales puissances mondiales que grâce à son héritage. Si, au lieu de le faire fructifier, elle le laisse se disperser aux quatre vents, la réalité de sa faiblesse démographique, de ses frontières réduites et de ses ressources limitées la rattrapera.

2/ Vous enseignez à l'Ecole de Guerre Economique. Que pensez-vous de l'idée que cette guerre singulière puisse être condamnée à ne jamais connaître de fin ?

Le XXIe siècle est celui du réveil des nations et de la compétition de puissance généralisée. Seuls certains Etats comme l'Azerbaïdjan (contre l'Arménie) ou la Russie (contre l'Ukraine) ont recours aux armes, mais tous pratiquent la guerre économique, sans exception.

L'économie a longtemps été un outil au service de l'entretien des armées, considérées comme l'alpha et l'oméga de la puissance. Les rôles se sont aujourd'hui inversés. Le cœur de la puissance est constitué par l'économie et les armées ne sont plus qu'un outil parmi d'autres, même si elles demeurent indispensables. En Ukraine, les drames humains les plus insupportables sont évidemment provoqués par le feu mais les coups les plus violents sont portés sur le plan économique. Il sera plus difficile à l'économie allemande de réussir sa transition sans le gaz russe qu'aux Ukrainiens de reconstruire leurs villes après la guerre. Même si les Russes finissaient par mobiliser toutes leurs ressources et par atteindre leurs objectifs sur le terrain, le retard accumulé par leur économie causerait un déclassement structurel plus incapacitant encore que la défaite militaire.

Simultanément, les grandes démocraties se portent des coups violents entre elles sur le plan économique. Prédation des entreprises les plus performantes, création de liens de dépendance, offensives informationnelles ou politiques pour conquérir un marché, instrumentalisation des normes etc. sont monnaie courante entre elles. A ce jeu, les Etats-Unis ont d'ailleurs un coup d'avance sur la France.

Dans ces conditions, la fin de la guerre économique est improbable à un horizon visible. Elle devrait même au contraire s'accentuer de manière de plus en plus décomplexée, y compris entre alliés.

3/ Que diriez-vous de l'état d'avancement technologique de l'équipement de nos armées ?

Il constitue un des points forts de la France et une des clefs de son crédit international. Sa maîtrise de la technologie nucléaire, aussi bien en termes d'armements que de propulsion pour les sous-marins ou son porte-avions, est incomparable; ses satellites militaires comptent parmi les meilleurs au monde; son aéronautique est une référence illustrée par les succès à l'export du Rafale. L'armée de Terre n'est pas en reste avec le déploiement du programme Scorpion qui marque un bond majeur en regroupant les différentes plateformes dans un système d'information unique permettant d'entrer dans l'ère du combat collaboratif, qui sera prochainement étendu à la troisième dimension.

La France dispose de compétences et de capacités souveraines de pointe dans à peu près tous les domaines critiques de l'armement. C'est une des raisons pour lesquelles elle est aujourd'hui la puissance militaire de référence en Europe.

Les retombées en termes politiques et militaires sont évidentes mais l’impact positif d’une Base industrielle et technologique de Défense dans notre écosystème économique ne saurait non plus être surestimées. Il s’agit d’un des atouts majeurs d’une politique de réindustrialisation et d’investissement des industries de pointe civiles.

L'effort doit bien sûr être poursuivi et, lorsqu'elle est possible, la coopération avec nos partenaires de l'UE privilégiée. La recherche de plus grandes mutualisations et de synergies est la condition d'une autonomie stratégique retrouvée dans un monde plus en plus dangereux où l'alliance américaine demeure un appui essentiel mais ne constitue plus à elle seule un parapluie crédible.

Il existe cependant à terme un réel danger pour l’indépendance de l’Europe. Le réarmement annoncé de l’Allemagne ne semble pas se traduire par un investissement accru dans la Défense européenne. Le risque est de voir se constituer une masse militaire germano-polonaise, équipée de matériel américain, adoptant les normes américaines et s’ouvrant encore plus qu’aujourd’hui (si c’est possible…) à l’influence de Washington. Comme elle assurerait de fait la garde aux frontières orientales de l’Europe, elle exercerait exercerait une force d’attraction importante sur les autres pays de la région.

Dans un contexte multilatéral, l’interopérabilité est une donnée essentielle. Il ne suffit pas aux Français de disposer d’un des meilleurs outils au monde, il faut en diffuser les équipements pour assurer la soutenabilité de la BITD autant que pour faciliter l’intégration opérationnelle avec ses alliés.

4/ Des chiffres ont circulé laissant entendre qu'en cas d'engagement dans un conflit, la France épuiserait son stock de munitions au bout de quatre jours. Est-ce exact et le cas échéant, qu'est-ce que cela vous inspire ? Serait-ce par ailleurs métaphorique à vos yeux ?

Cette évaluation un peu polémique relève des outrances normales du débat politique dans une démocratie. Nos armées ont fait en sorte de conserver la plupart de leurs capacités depuis la fin de la guerre froide pour remplir tout le spectre des missions probables. Elles constituent en cela une exception en Europe. En revanche, les moyens alloués en un temps où la menace d'un conflit conventionnel paraissait s'éloigner n'ont effectivement permis de le faire que de manière échantillonnaire.

En juin dernier, la commission des Affaires étrangères et de la Défense au Sénat relevait d'ailleurs que le modèle militaire français était complet mais "d'une faible épaisseur". Le chef des d'État-major des armées a averti l'Assemblée nationale en juillet dernier que la capacité à constituer une force expéditionnaire des armées ne les rendaient "pas instantanément aptes à conduire une guerre de haute intensité".

De fait, les chefs d'État-major des trois armées ont tous mis l'accent sur l'urgence de retrouver réellement certaines capacités qui ne sont plus détenues que de manière symbolique et ont fixé pour priorité de reconstituer des stocks de munitions plus significatifs. Le ministère des armées travaille d’ailleurs sur un changement d’approche dans la gestion des stocks, qui seront augmentés, tout en dialoguant avec les industriels afin de s’assurer qu’ils disposent de réserves de matière première pour augmenter leur production sans craindre de rupture d’approvisionnement en cas de besoin.

Cette situation m'inspire un constat assez dur : le temps de l'insouciance est révolu. Nous avons cru vivre dans un monde fini, destiné à s'assoupir dans le marché global et la démocratie universelle alors que nos intérêts, nos valeurs, voire notre survie en tant que collectivité stratégique ne sont plus des évidences mais impliquent que l'on se batte pour elle.

Vous avez raison, il y a bien une métaphore politique derrière ce constat. C'est toute la nation qui doit se réarmer physiquement et moralement. Ainsi se pose la question de notre résilience collective globale et de notre capacité à la densifier.

5/ Comment la France pourrait-elle prendre un avantage en matière de guerre informationnelle ?

La France commence tout juste à investir le champ informationnel. Malgré des efforts soutenus et la priorité donnée par le chef d'État-major des armées à ce domaine, elle est encore dans une phase de rattrapage par rapport à ses adversaires ou à ses alliés, anglo-saxons notamment. Il y a un travail gigantesque à effectuer en termes conceptuels tout d'abord, afin de développer une doctrine efficace du combat informationnel, en termes d'acquisition de moyens et, enfin, de formation des combattants destinés à s’engager dans cet espace. 

On peut y ajouter l'impératif d'un véritable débat interne sur la nature de la guerre informationnelle, assimilée par une partie de nos concitoyens et de nos dirigeants à la manipulation de l'information - contraire à notre éthique démocratique. Or c'est tout l'inverse. Dans une société ouverte, l'arme informationnelle la plus dévastatrice est la transparence. Révéler les manipulations adverses, susciter l'esprit critique de l'opinion publique des sociétés autoritaires en leur fournissant des informations vérifiables, ruiner les constructions narratives de l'adversaire en mettant en relief la contradiction entre ses discours et ses actes etc. constituent les grandes lignes d'une méthode de combat destinée à nous donner l'avantage.

Lorsque la France a révélé à l'opinion publique mondiale une tentative russe d'intoxication au Mali, en diffusant les images des mercenaires de Wagner en train d'enterrer des corps pour faire croire à un charnier laissé par Barkhane, elle a gagné une bataille informationnelle importante, montrant à la fois qu'elle n'avait rien à cacher et que ses compétiteurs n'étaient pas fiables.

A l'avenir, les Français devront apprendre à se montrer offensifs, à ne plus se contenter de répondre aux attaques de leurs adversaires mais à prendre les devants pour révéler au grand jour leurs turpitudes, crimes, contradictions etc. pour les affaiblir devant l'opinion mondiale aussi bien que devant leur propre opinion. Cela implique évidemment d'avoir eux-mêmes les mains propres et de ne pas prêter le flanc à l'accusation de ne pas mettre en accord leurs propres paroles et leurs actes comme il a pu être reproché, souvent à juste titre, aux Anglo-Saxons.

6/ Comment décririez-vous la nature du lien qui existe en France entre la recherche, l'entreprise et la Défense ? Voyez-vous des choses à mettre en place pour galvaniser ce noyau de relations au service du pays ?

La France a acquis et conservé un statut de grande puissance dès le Moyen-Age. La remarquable Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) dont elle dispose aujourd’hui, une des toutes premières au monde, est le fruit d’une longue histoire et d’un volontarisme continu de la part de l’Etat en tant que chef d’orchestre.

Ce modèle a fait ses preuves. Malheureusement, il se limite à certains secteurs stratégiques et ne peut masquer la profonde défiance qui règne entre l’Etat et le monde entrepreneurial. Pour diverses raisons, qui ne sont pas toutes fiscales, ce dernier se défie profondément des pouvoir publics au lieu d’y voir une aide. Réciproquement l’Etat se désintéresse trop souvent des entreprises nationales, l’exemple le plus criant étant constitué par le mépris du corps diplomatique pour les questions économiques qui a ouvert des boulevards à nos concurrents à l’étranger.

Comme nous n’avons pas la culture libérale des Anglo-Saxons, le noyau de relations que vous évoquez a du mal à se mettre en place en dehors de l’impulsion des pouvoirs publics. Les secteurs de la recherche, de l’entreprise et de la Défense travaillent en tuyaux d’orgues, ce qui leur fait perdre en efficacité. Sans doute faut-il développer une vision stratégique qui ne se limite pas aux domaines militaire, spatial, aéronautique…

Tout un écosystème est à développer sur la base du développement de nos réseaux, internes et externes, et d’une approche globale.

7/ Obsédés que nous sommes par le complot des complotistes (comme c'est amusant), quel genre de service rendons-nous selon vous aux mille orchestrateurs du soft power, de quelque continent qu'il vienne ?

Une société de l’information ouverte comme la nôtre est naturellement vulnérable aux tentatives de manipulation de la part de ses compétitrices. Le besoin de nouveauté, la recherche du buzz, l’émotion instantanée sont autant de chemin d’accès pour les fake news de tout acabit.

D’autre part, la communautarisation, favorisée par divers phénomènes comme la panne des mécanismes d’intégration, les algorithmes favorisant les bulles cognitives virtuelles ou encore certaines idéologies identitaires, dévalorisent la raison au profit de la croyance. Malraux avait raison. Bien qu’il ne soit pas mystique, notre siècle est religieux. C’est-à-dire que les masses privilégient de plus en plus leurs croyances à l’analyse cartésienne. Or, ces croyances sont faciles à décrypter puisqu’elles prétendent expliquer le monde à travers le prisme de certains biais revendiqués. Il est alors très facile de dresser une véritable cartographie cognitive collective et d’anticiper ou d’orchestrer les réactions à certains stimuli.

De manière caricaturale, on peut mobiliser certaines franges de population en dénonçant le mâle blanc, le juif ou l’arabe dont certaines croyances font le bouc émissaire idéal et systématique.

L’opinion publique française est vaguement consciente de ces risques d’instrumentalisation. Malheureusement, elle réagit par la défiance à l’égard de toute information. Le mythe selon lequel on ne peut connaître la vérité en raison des multiples manipulations engendre un relativisme dangereux puisqu’il justifie l’abstention ou l’indifférence politique et sape notre démocratie fondée sur la participation des citoyens au débat public.

Le meilleur moyen de lutter contre ces dérives réside dans la recherche de la plus grande transparence de la part des autorités publiques ; du recoupement systématique de l’information au détriment du buzz de la part des journalistes qui devront également renoncer à guider l’opinion selon leurs propres convictions pour se contenter de l’informer le plus efficacement possible ; de l’éducation de nos concitoyens.

Pour conclure, les manipulations sont multiples mais le véritable soft power ne consiste pas à tromper mais à séduire. A ce titre, malgré la remise en cause de son modèle et sa perte d’attractivité relative, seul le modèle américain se montre en mesure de faire rêver les Français. Les autres modèles n’exercent qu’une séduction nihiliste en réaction aux imperfections de nos institutions et de nos structures sociales mais personne ne songe réellement à transposer le modèle russe, chinois, turc ou algérien, même parmi les ressortissants de ces nations qui ne les ont pas quittées sans raison…

8/ Quelles sont à vos yeux les forces que nos compétiteurs ou nos ennemis auraient pu sous-estimer jusqu'à maintenant dans la Vieille Europe ?

Nos compétiteurs estiment généralement l’Europe engagée dans un déclin irréversible et ses populations réduites à un agglomérat de consommateurs dépourvus de toute cohésion et de toute résilience. Cette image caricaturale se nourrit, naturellement de certains faits objectifs.

D’autre part, l’Union Européenne s’est construite comme l’avant-garde du village global post stratégique. Elle est à, ce titre et sous sa forme actuelle, inadaptée à la compétition globale.

Cependant, les efforts de mutualisation accomplis au sein de l’UE dans un but idéologique de dérégulation peuvent prendre une orientation nouvelle et répondre aux nécessités stratégiques des nations qui la composent. Si elle est loin d’avoir rempli toutes ses promesses, il est à mettre au crédit de l’UE d’avoir levé nombre de difficultés et de barrières à la coopération entre ses membres.

La force de l’Union ne réside pas dans ses commissions et ses fonctionnaires mais dans ses nations. Même si ce n’était probablement pas son but premier elle a mis en place toutes les conditions nécessaires pour des coopérations et mutualisations entre Etats-membres en fonction des intérêts de chacun. La mort du rêve supranational ouvre la porte à une autre Europe agissant comme un catalyseur de puissance au service de ses membres souverains. Naturellement, il faudrait pour cela vaincre le poids de l’habitude, triompher des conservatismes et contrer la force d’inertie de l’Union. Mais la ressource est là.

Les compétiteurs des nations européennes sous-estiment également les ressources intellectuelles et scientifiques, les capitaux etc. du vieux continent.

Enfin, et c’est la principale erreur commise, beaucoup sous-estiment la fantastique vitalité, les capacités de réaction et la créativité d’une société ouverte. Ce qu’elle perd parfois en cohésion ou en vision à long terme est compensé par une capacité à saturer l’espace cognitif, à ouvrir des voies nouvelles et à surprendre ses compétiteurs. La résurgence des notions de compétiteur, d’adversaire ou d’ennemi pourrait initier une réaction d’ampleur et une véritable révolution copernicienne de l’effacement à la puissance. 

Les jeunes Anglais des années 1920 ne voulaient plus se battre ni mourir pour leur pays. C’est pourtant le même peuple qui a tenu tête seul à Hitler pendant de long mois puis qui s’est battu avec acharnement avec ses Alliés jusqu’à l’écrasement total du Reich tandis que les Américains, isolationnistes jusqu’à Pearl Harbor, délogeaient quelques mois plus tard à la baïonnette les Japonais de petites îles qu’aucun Marine n’aurait su placer sur une carte. Malgré la débâcle de 1940, la France a su se réinventer et s’imposer parmi les grands de ce monde. Que dire de l’Allemagne, qui n’a jamais été aussi riche et influente que depuis sa conversion à la démocratie ?

La civilisation européenne a été la première à faire du changement une valeur en tant que telle à partir de la Renaissance et de l’époque moderne. D’autre part, la démocratie est plus apte à se réformer et à s’adapter que les régimes autoritaires, structurellement sclérosés, parce qu’elle n’est jamais un état abouti mais un mouvement collectif à la recherche d’équilibres sans cesse remis en cause par les évolutions du monde.

Divers facteurs, comme la réduction de la civilisation européenne à un simple espace géographique ouvert ou la confusion entre Etat de droit et démocratie participative active, ont assoupi notre continent. Il dispose pourtant (encore) de l’héritage cognitif et culturel nécessaire pour reconnaître qu’il a fait fausse route depuis la fin de la Guerre Froide et retrouver une dynamique perdue depuis trop longtemps.

9/ On sent qu'une partie de l'opinion rechigne à concevoir que nous puissions vivre dans un monde de plus en plus hostile. Quels conseils formuleriez-vous à l'attention de parents soucieux d'armer (au sens moral bien sûr) leurs chères têtes blondes ?

Les parents d’aujourd’hui ont été bercés dans le mythe de l’inéluctable avènement d’une démocratie de marché globale et apaisée. L’histoire a pris une autre tournure qui est celle de la démultiplication des chocs de puissance. Le totalitarisme chinois se fait conquérant, l’autoritarisme russe fait parler le canon, l’islamisme demeure menaçant, de nouvelles idéologies subversives menacent notre société de dislocation tandis que les rapports sociaux eux-mêmes se durcissent.

Dans ce contexte, transmettre aux enfants de simples valeurs d’effort et d’humanisme revient à les sacrifier sur l’autel de la compétition globale. Les jeunes filles et jeunes garçons d’aujourd’hui doivent être des combattants pour défendre leurs intérêts.

Je conseillerais aux parents de transmettre à leurs enfants les neuf qualités constitutives de l’esprit guerrier, qui ne se limite pas aux champs de bataille mais permet de forger des individus libres aptes à prendre en main leur destin.

Le courage, qui est fondateur de toute action et sans lequel l’individu n’est jamais qu’une feuille morte que balaient les vents de l’adversité ; le sens de l’unité, qui englobe la belle notion de fraternité ; l’humilité, cette forme supérieure de respect de soi et des autres ; l’adaptabilité, indissociable de l’ouverture d’esprit ; l’aspiration à l’excellence qui permet aux individus de se réaliser dans l’action ; le sens de l’humour, cette prise d’ascendant sur l’adversité tournée en dérision ; l’abnégation qui donne du sens à la vie en se dévouant à une œuvre plus grande que soi ; la joie, l’autre nom de la vitalité de l’être incarné ; et enfin la détermination, indissociable de la constance, qui voit l’homme triompher des aléas éphémères du monde pour atteindre ses objectifs.

10/ Vous venez de publier avec Nicolas Moinet "Agir ou Subir" aux Editions Dunod. Quelle promesse pouvez-vous faire à ceux de nos lecteurs qui le liront sur la plage, au fin fond des forêts ou au sommet des montagnes l'été prochain ?

Les promesses n’engagent que ceux qui y croient mais je vais me risquer à en faire une : les individus qui sauront intégrer et vivre les neuf valeurs énoncées ci-dessus auront plus de chances de s’accomplir, ce qui est la vraie nature du bonheur, que les autres.

C’est ce qui nous a poussé à écrire ce petit livre et à l’illustrer d'exemples concrets tirés des domaines militaire, économique, culturel, historique, politique, social etc. En l’écrivant à deux, un chercheur praticien en intelligence économique et un militaire, nous avons voulu montrer combien l’esprit commando s’appliquait aussi à la vie économique et sociale et participer ainsi, un tant soit peu, au réarmement moral de nos concitoyens.

 

"Agir ou subir ?"
L'esprit commando pour muscler votre projet professionnel ou personnel.
Raphaël Chauvancy et Nicolas Moinet

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