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© Lora Barra / SKEMA Business Schoo

Claude Revel, esprit critique et décence commune

Pour connaître la remarquable trajectoire de Claude Revel, il suffit de consulter le Who’s Who. Mais comme l’écrit un jour Simone Weil, « ce que je sais de vous m’empêche de vous connaître ». Il nous fallait donc rencontrer Claude Revel en ne sachant d’elle rien ou presque. 

C’est dans les salons feutrés du Cercle de l’Union interalliée  que nous reçoit, comme chez elle, Claude Revel, veste en velours moiré chic et col roulé, afin de se dévoiler un peu, même si la pudeur et l’humilité semblent assez vite l’en distraire. 

Claude Revel est née d’un creuset de cultures. Sur ses quatre grands-parents, trois avaient quitté leur patrie maternelle. Deux grands-parents italiens, et un grand-père Algérien, berbère pour être exact. C’est à Nice qu’ils se sont tous rencontrés. Mais c’est à Conakry qu’est née Claude et c’est à Dakar qu’elle a passé ses dix premières années, comme une marque de prédestination pour l’horizon international. Nous l’écoutons attentivement évoquer ses origines modestes, dans l’atmosphère cossue du Cercle. Son papa a commencé dans la vie comme mécanicien, sa maman, secrétaire de direction. Tous deux nourrissaient beaucoup d’intérêt pour l’actualité internationale et lisaient abondamment. Très tôt, ils lui communiquèrent cette soif précieuse de culture et de connaissance. Mais le plus beau cadeau que Claude Revel reçut sans doute de ses parents fut une grande indépendance intellectuelle, solidement fondée sur un esprit critique. Ce à quoi il convient d’ajouter,  à la place de notre invitée, un certain goût de l’effort qui a structuré son ascension sociale. « Je suis un pur produit de la méritocratie » confirme t-elle, avec, dans le regard et dans la voix, quelque chose du devoir accompli. 

Les études qu’elle entreprit la firent rapidement entrer de plain pied dans un milieu bourgeois, dont elle adopta vite les codes sans jamais rien abandonner de sa liberté de pensée. 

Science Po d’abord, des études de droit des affaires à Nice et Assas, puis elle intègre l’ENA en 1980, sans trop savoir à quoi cela la destine. Tous ses homologues ou presque entendaient depuis l’âge de 4 ans « tu seras inspecteur des finances ». Claude Revel ne savait pas du tout ce que c’était en entrant dans l’école.  Sans doute était-elle cependant déjà animée de ce mélange assez romantique de souci du bien commun, de disposition à la prise d’initiative et d’attachement à la nation. 

Le haut fonctionnaire insiste sur ce dernier point. « Je suis particulièrement sensible à l’idée de nation et aux principes républicains. Et cela tient sans doute au fait qu’à mes yeux, liberté et souveraineté vont de pair. » En fallait-il beaucoup plus pour faire un haut fonctionnaire digne de sa mission ?

C’est que le champ lexical de Claude Revel, comme disent les analystes politiques, regorge de termes oblatifs, tels que « loyauté, exemplarité ou encore courage », dont elle déplore que ce soit sans doute aujourd’hui « la qualité la moins bien partagée ».

Claude apprécie particulièrement les cours de sciences politiques. A l’ENA, elle développe le goût du service de l’intérêt général que matérialise l’Etat, et que nourrit un patriotisme assumé, qu’elle relie sur le moment à son histoire familiale. « Mon grand-père algérien s’est engagé et battu dans les Dardanelles, un grand oncle niçois a perdu la vie à 19 ans en août 14 dans un champ de blé en Alsace ».

Dès la sortie de l’ENA, la carrière de Claude Revel part en trombe pour ne plus s’arrêter. De 1980 à 1989, elle sert trois ministères différents comme administrateur civil : l’Equipement (Direction de la Construction, contrôle des activités financières des entreprises disposant de crédits publics ), le Commerce extérieur (DGA de l’ACTIM ancêtre d’Ubifrance), puis les Affaires étrangères (Information scientifique et technique). C’est au Quai d’Orsay qu’elle attire vainement l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de valoriser l’information scientifique et technique pour les entreprises. Mais elle est en avance sur l’état d’esprit de cette époque et ne parvient pas totalement à faire émerger cette prise de conscience. Voilà bien un coup de pinceau assez évident dans ce portrait, le côté pionnier ou visionnaire de Claude Revel. 

De 1989 à 2003, Claude Revel crée et dirige l’OBSIC (Observatoire du marché international de la construction) structure d’intelligence économique internationale mutualisée entre majors du BTP français. Peu après,  elle prend concomitamment la direction générale du SEFI (Syndicat des Entrepreneurs Français Internationaux), centre d’advocacy des mêmes avec les organisations internationales mondiales. Puis en même temps en 2000, elle assure également la direction générale de la CICA (Confederation of International Contractors’​ Associations), association mondiale des entrepreneurs de construction et infrastructures.

Dès 1991, Claude Revel produit pour ses entreprises un rapport de 35 pages sur la concurrence chinoise en Afrique. Elle tente aussi d’alerter l’opinion publique sur l’effort d’influence économique américain à l’international, en diffusant un rapport qui deviendra une base de son livre (en coauteur) « L’autre guerre des Etats-Unis » en 2005. De même le fait-elle sur les enjeux pour notre pays de la gouvernance mondiale en cours avec un autre ouvrage en 2006. . . Elle prend alors conscience du rapport analogique qui existe entre ce que l’on appelle aujourd’hui l’intelligence économique et le Renseignement. Collecte, analyse, recoupement, tri, validation, etc. C’est là peut-être l’un des axes majeurs de la carrière de Claude Revel : l’intuition que rien ne dispose mieux au succès de l’action que la récolte et le raffinement de l’information. 

C’est bien la raison pour laquelle, de début 2004 à fin mai 2013, Claude Revel crée et développe IrisAction, une structure d’intelligence et influence professionnelles internationales (que Claude Revel dissout de manière anticipée début juin 2013, lors de sa prise de fonctions dans l’administration). Elle assure alors également des fonctions de professeure affiliée en intelligence économique et stratégique et de directrice du Centre Global Intelligence & Influence de SKEMA Business School (elle met fin à ces dernières fonctions au 30 mai 2013, pour les mêmes raisons).

Du 30 mai 2013 au 26 juin 2015, Claude Revel est appelée comme déléguée interministérielle à l’intelligence économique auprès du Premier ministre français. Une consécration en quelque sorte !

Elle est ensuite Conseillère maître en service extraordinaire à la Cour des comptes de 2015 à 2019. 

En décembre 2019, elle recrée une structure propre baptisée Information & Stratégies. Depuis le 2 janvier 2020, elle est présidente du GIE France Sport Expertise, directrice du développement du think tank SKEMA PUBLIKA et administratrice indépendante de la société de logistique internationale Clasquin. C’est la portée internationale et la préoccupation opérationnelle de PUBLIKA qui l’ont séduite. Le Think Tank vient de publier un rapport d’envergure, EYES (Emergy Youth Early Signs) qui recense et décrypte des préoccupations d’ordre politique des jeunesses du monde. « C’est une étude dont l’objectif est de doter les pouvoirs publics et privés dans le monde d’un certain nombre de clefs de réflexion, que nous allons développer en moyens d’actions concrets, d’outils opérationnels, par exemple pour aider à la formation de l’esprit critique, bien délaissée aujourd’hui » explique Claude Revel.  

Voilà pour la matière des grandes dates. Mais s’agissant de l’esprit ? « Je crois bien dans une forme d’intelligence supérieure, à laquelle je ne donne pas de nom ». Nous n’en saurons pas plus. Qu’est-ce qui vous tire du lit le matin, qu’est-ce qui irrigue votre vie, poursuit-on. « J’aime l’idée d’Orwell, de ‘common decency’. Il est donné de cette notion une définition bien claire dans un ouvrage. (Références ici) : « La décence ordinaire repose sur les vertus de base toujours reconnues et valorisées par lhumanité. Elle revêt un statut transversal par rapport à toute construction idéologique et détermine un ensemble de dispositions à la bienveillance et à la droiture et constitue lindispensable infrastructure morale de toute société. »

Plus que tout, Claude Revel a souhaité par ses multiples engagements protéger les libertés, « à tout prix, et même de manière collatérale ». « Nous devons préparer le monde de demain pour nos enfants, tous les enfants, poursuit-elle. Il nous faut pour cela lutter contre les rapports de force animale, protéger toutes les formes de faiblesse et la dignité humaine. » L’entretien se clôt sur cette question : Y a-t-il une menace qui vous inquiète en particulier ? « Oui bien sûr. Je suis vent debout contre la prise de pouvoir sur nos vies par des géants multinationaux du numérique, non élus, sans notre consentement éclairé, à l’aide de technologies qui séduisent et sont peu à peu rendues obligatoires. Je vais me battre plus que jamais, par les idées car je crois qu’elles mènent le monde, contre une société proposant un pseudo bonheur formaté et sécurisé contre un contrôle individuel total y compris sur la pensée.  Je crains que certains de leurs dirigeants n’aient un agenda. Et je crois bien, hélas, que ça n’est pas le nôtre. Seul le développement de l’esprit critique et citoyen dès l’enfance peut nous éviter le pire » 

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