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Achat public, un levier de souveraineté enfin identifié ?

Achat public, un levier de souveraineté enfin identifié ?

La souveraineté économique désigne la capacité d’un pays à contrôler la production et la gestion de besoins essentiels, en ne dépendant pas d’un autre État ou d’une entreprise. Mais elle ne signifie pas pour autant l’autarcie ou le protectionnisme car elle ne concerne généralement qu’un domaine spécifique. On peut ainsi parler de souveraineté sanitaire, alimentaire, énergétique ou encore numérique. Tout est dit !

Peut-on ainsi par les textes ou les pratiques atteindre des objectifs de souveraineté à l’échelle d’une Union ou d’un continent ? La réponse est non. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause un modèle qui a démontré historiquement et encore récemment son efficience en matière de vaccins ou encore de gestion de la crise ukrainienne, mais d’arrêter sans cesse d’attendre le droit européen pour agir ou pour expliquer qu’on ne peut agir.

Les crises, un révélateur à plusieurs titres

Si les crises ont révélé des fragilités réelles, elles auront surtout conduit l’Etat à « enfin » considérer la commande publique non plus comme « une contrainte budgétaire » mais comme un levier stratégique économique et politique. Une prise de conscience brutale, mais nous savons que notre pays sait se transcender sous la contrainte. 10 à 15% du PIB sont ainsi mobilisables dans un contexte de deniers publics rares et de taux d’intérêt en hausse. Un changement de paradigme majeur qui honore notre pays mais qui bouleverse l’achat public.

Loi Industrie verte, SREN, programme ETIcelles…, la commande publique est appelée à la rescousse allant jusqu’à exclure si nécessaire les entreprises non vertueuses (lire non européennes ou françaises)

Des freins bien plus culturels que réglementaires

L’achat public est historiquement approché comme un acte juridique à risques. Ce fait, associé à une jurisprudence dense, explique la frilosité des acheteurs dans l’intégration des politiques publiques et ce malgré la multiplication des textes et guides appelant « indirectement » à un patriotisme économique qui n’a jamais irrigué ni l’acheteur, ni l’usager, ni le citoyen. Si les Allemands consacrent en valeur 49% de leur commande publique à leurs TPE/PME contre 30% en France, ce n’est pas une question de texte mais une question de culture, sensibilisation et pratiques. Tout le monde est d’accord pour produire en France mais pas toujours pour acheter français ! Penser que le consommateur, pourra à lui seul soutenir l’industrie française est une erreur qui plus est dans un contexte d’inflation. Penser que le secteur privé, dans l’environnement concurrentiel que nous connaissons, pourra à lui seul soutenir l’industrie française l’est également. L’État, les collectivités territoriales et les hôpitaux ont ainsi un rôle clé à jouer tant en termes de commandes que d’exemplarité.

Ne pas tout attendre de la réglementation européenne

Au regard des disparités des États membres en termes économique, industriel, politique, social, ou sociétal, il serait dommageable d’attendre une évolution incertaine des directives pour « favoriser » les entreprises européennes. Les atermoiements autour de la réciprocité dans les marchés publics en témoignent. La récente mobilisation du Parlement européen pour un « Buy European Act » semble relever davantage de l’intention que de l’action. La France, par la forte mobilisation notamment de ses Ministres délégués chargés respectivement de l’Industrie et de la Transition numérique et des Télécommunications, est en train toutefois de baliser un chemin européen.

Se fixer des objectifs ambitieux mais réalistes et mesurables

La réindustrialisation ou relocalisation sont des processus longs et coûteux. Réagir et agir aujourd’hui est indispensable. Pourtant, malgré quelques bonnes volontés, toutes les initiatives politiques des vingt dernières années présentent des résultats mitigés (achats innovants, accès des TPE-PME, mobilisation autour du « Made in France »).

Pourquoi ? Tout simplement parce que la mobilisation s’est faite davantage sous la contrainte que par conviction. La question n’est pas ou plus de favoriser les PME et encore moins les entreprises françaises ou les produits français (sous-entendu l’existence de critères objectifs ?) mais de faire de notre commande publique un levier de création, de soutien et de développement. Mais sans connaissance approfondie des acteurs économiques et de l’origine des produits et services, difficile de mobiliser une commande publique « méconnue » avec des objectifs non mesurables.

Penser souveraineté et coût global avant de penser PME et Made in France

Un salarié français sur sept est employé dans les 18.000 filiales étrangères sur son territoire, contre un sur dix chez ses voisins et un sur vingt aux Etats-Unis. Cette statistique confirme la nécessité de penser global et non pas uniquement local. Cibler les orientations de la commande publique plutôt que poser des grandes ambitions parfois inatteignables.

Des mesures assez évidentes pourraient être prises rapidement :

· Mettre l’achat public au cœur des priorités de l’Etat avec la nomination d’un délégué interministériel à la commande publique permettant de lever les injonctions contradictoires.

· En finir avec les incertitudes sur le poids de la commande publique par des dispositions plus fortes en matière d’open data (obligation sous les 40 000 € HT et sanctions associées).

· Simplifier et adapter le droit par une expérimentation liée à la création de marchés publics de souveraineté (périmètre et seuils) sur le modèle des achats innovants

· Mobiliser les centrales d’achat et les acheteurs importants par une communication régulière et précise de leur empreinte économique, environnementale et sociale et par de plus grandes exigences en termes de statut et de labellisation RFAR.

· Faire évoluer le SPASER d’une obligation de moyens à une obligation de résultat (indicateurs, mesures, plan d’actions).

· Renforcer les obligations en matière de vigilance, de probité, de lutte contre la corruption mais aussi davantage mesurer la réalité en termes d’engagements environnementaux ou sociaux.

· Accroître la formation des acteurs de l’achat public au coût global et aux enjeux de souveraineté.

En conclusion, accélérer la mobilisation des deniers publics au service des enjeux économiques, environnementaux et sociaux par une poursuite de la sensibilisation, de la professionnalisation, de la mutualisation à toutes les échelles et du développement des outils et plateformes permettant aux acheteurs mais aussi aux entreprises de se recentrer sur la valeur et leurs objectifs.

Sébastien TAUPIAC, Directeur Communication et Relations Publiques e-Attestations.com
Administrateur de l'APASP
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