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Vendredi 31 mai 2024
Renaud Monnet est directeur du Digital Lab de CentraleSupélec.
1/ Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la technologie d'IA générative souveraine ARISTOTE et comment elle est utilisée dans le domaine de l'enseignement supérieur ?
L’objectif que nous nous sommes fixé dans le projet Aristote, c’est d’enrichir les supports de cours (vidéos, présentations, documents) de sorte à aider l’étudiant dans son apprentissage et ses révisions. L’enseignant est au cœur du dispositif puisqu’il a la possibilité de valider les enrichissements qui sont produits par Aristote avant de les publier à l’attention des étudiants. Les premiers enrichissements réalisés sont la transcription d’une vidéo en texte, et l’analyse de ce texte pour fournir le résumé de la vidéo et des quizz qui permettent à l’étudiant de vérifier qu’il a bien compris. D’autres enrichissements sont en cours de prototypage.
2/ Quels sont les avantages ou éléments distinctifs d'ARISTOTE par rapport à d'autres outils d'IA tels que Chat GPT ou Copilot en particulier en ce qui concerne la protection des contenus pédagogiques et des données personnelles ?
C’est précisément pour éviter aux enseignants et aux étudiants d’avoir recours à des IA non souveraines telles que Chat GPT ou CoPilot que nous avons développé Aristote. En effet, lorsqu’un enseignant est amené à utiliser Chat GPT faute d’alternative, il fournit à Open AI une valeur tout à fait significative, puisqu’il livre son contenu de cours et, par les échanges qu’il a avec le chatbot, il aide Open AI à affiner son analyse du document. Le but du projet Aristote, c’est simplement de proposer aux enseignants une alternative souveraine afin qu’ils ne soient pas contraints de donner de la valeur à Open AI ou Microsoft.
3/ Comment ARISTOTE aide-t-il les étudiants dans leurs apprentissages et leurs révisions, et quels sont les résultats observés ou attendus en termes de taux de réussite aux examens ou de développement d'une certaine forme d'intelligence humaine ?
Prenons l’exemple d’un étudiant qui, lors de ses révisions, voit qu’il n’a pas compris une partie du cours. Sans Aristote, il peut certes aller chercher sur la plateforme vidéo de son établissement le replay du cours et trouver dans la vidéo le moment où l’enseignant a expliqué le concept. Chercher dans une vidéo, c’est long, surtout si l’étudiant n’a plus en mémoire le déroulé précis du cours. Avec Aristote, l’étudiant peut faire une recherche par mots clés dans la retranscription textuelle de la vidéo. Quand il a trouvé la phrase qu’il cherche, il clique et arrive directement au bon endroit dans la vidéo. Cet usage de « recherche par mots clés dans une vidéo » est apparu comme un gain de temps important pour les étudiants qui l’ont essayé. Par ailleurs, Aristote génère des quizz qui aident les étudiants à tester leurs connaissances. Ils peuvent ainsi se rassurer sur leur bonne compréhension du cours. En cas de réponse erronée, ils peuvent revenir au bon endroit dans la vidéo.
4/ ARISTOTE est décrit comme une plateforme ouverte. Quelles sont les possibilités pour les enseignants et les chercheurs de contribuer à son développement et de partager leurs innovations pédagogiques utilisant l'IA ?
Il est en effet possible de contribuer au projet en ajoutant des fonctionnalités d’analyse de la vidéo ou d’analyse du texte. Si des enseignants-chercheurs produisent un nouveau type d’enrichissement (par exemple, une reformulation du texte pour qu’il soit plus facile à comprendre par des étudiants asperger), alors nous pouvons intégrer ce nouvel enrichissement à la plateforme Aristote et tous les utilisateurs en bénéficieront.
5/ Le premier prototype d'ARISTOTE présentait trois fonctions principales. Pouvez-vous nous en dire plus sur chacune de ces fonctions et sur la façon dont elles ont évolué depuis ?
Le premier prototype d’Aristote a été réalisé par des étudiants, avec l’objectif de faciliter les apprentissages et les révisions. Les fonctionnalités ont été testées auprès des étudiants. Les plus utiles pour réviser se sont avérées être : chercher par mots clé dans une vidéo (comme on le fait déjà dans un document) , lire le transcript de la vidéo plutôt que de la visionner (car la lecture permet une mémorisation différente et permet de balayer plus rapidement un contenu), passer du transcript à la vidéo en un clic, demander une reformulation si on n’a pas compris ce que dit l’enseignant, disposer d’une traduction dans une autre langue, et tester ses connaissances avec un quizz qui ramène directement au bon endroit de la vidéo en cas de réponse incorrecte.
La faisabilité de ces fonctionnalités a été vérifiée durant la phase de prototypage, mais en appui sur Chat GPT. Or, notre but est clairement de ne pas nourrir d’IA propriétaire et donc la phase d’industrialisation vise à mettre en œuvre ces fonctionnalités sur des IA open source hébergées sur des serveurs souverains.
Par ailleurs, les enseignants ont exprimé le souhait de pouvoir valider les enrichissements produits par les IA. Donc Aristote propose un portail à l’enseignant qui lui permet de voir les enrichissements et de donner son accord pour leur publication.
Enfin, nous ne souhaitons pas ajouter un nouvel outil à la panoplie déjà étoffée des outils proposés aux étudiants et donc nous avons fait le choix de ‘“brancher” Aristote aux plateformes vidéos existantes. Nous travaillons donc avec les principales plateformes vidéo utilisées dans l’enseignement supérieur pour qu’elles se connectent à Aristote et présentent les enrichissements aux étudiants.
7/ La phase d'industrialisation d'ARISTOTE a permis de mettre à disposition des plateformes vidéo une API qui enrichit les vidéos grâce à l'IA. Quels sont les autres cas d'utilisation envisagés pour cette API, et comment cela pourrait-il bénéficier à un plus grand nombre d'étudiants et d'enseignants ?
La priorité est de connecter Aristote aux plateformes vidéos utilisées dans l’enseignement, primaire, secondaire, et supérieur.
7/ Le projet ARISTOTE va se poursuivre grâce à l'appui financier de la Direction Interministérielle du Numérique (DINUM). Quels sont les objectifs à court et à long terme pour cette nouvelle phase de développement, et comment comptez-vous mesurer les retours et animer un cycle itératif d'amélioration continue ?
C’est précisément ce que nous démarrons en ce moment, grâce au soutien du fonds FTAP. Les enseignants soumettent leurs vidéos, relisent les enrichissements produits par Aristote et nous font des retours via le portail. La collecte et l’analyse de ces retours nous permet d’améliorer le dispositif.
8/ Qu'est-ce qui fait précisément d'ARISTOTE une IA souveraine ?
Aristote est hébergé sur des serveurs opérés par CentraleSupélec chez OVH. Les Intelligences Artificielles utilisées par Aristote sont des modèles open source.
9/ Comment la collaboration entre CentraleSupélec, la Fondation CentraleSupélec, Illuin Technologies et d'autres partenaires a-t-elle contribué au succès d'ARISTOTE, et quelles sont les perspectives de collaboration à l'avenir ?
La Fondation CentraleSupélec a soutenu le projet Aristote dès son démarrage et a accordé les financements qui ont permis de développer la première version du produit. Illuin Technology a mobilisé deux ingénieurs pour aider les équipes CentraleSupélec à mettre au point cette première version (Antonio Loison et Mohamed-Ali Barka)
10/ Enfin, comment voyez-vous l'avenir de l'enseignement supérieur à l'ère de l'IA et du numérique, et quel rôle des outils comme ARISTOTE peuvent-ils jouer dans cette évolution ?
L’enseignement supérieur s’est adapté aux précédentes ruptures technologiques (la calculatrice, l’ordinateur, l’internet, les moteurs de recherche) et s’adaptera donc à cette nouvelle évolution technologique qu’est l’Intelligence Artificielle. Cette adaptation prendra plusieurs formes : former les étudiants à l’usage de ce nouvel outil, pour les préparer à leur vie professionnelle ; donner le recul nécessaire pour ne pas confondre le résultat fourni par l’outil et le résultat recherché ; adapter la pédagogie et les évaluations en tirant parti de ce nouvel outil.
11/ Dès que l'on manifeste la moindre critique au sujet de l'IA, il se trouve toujours quelqu'un pour nous rappeler que la situation reproduit ce qui s'est passé avec l'avénement de l'imprimerie, de la télévision ou d'Internet. La mutation qu'induit l'IA vous semble t-elle de même nature au plan anthropologique, tout particulièrement du point de vue de la noétique ?
Chaque rupture technologique porte une dimension éthique et requiert une prise de recul. C’est particulièrement vrai pour l’IA qui introduit des défis réellement nouveaux. Néanmoins, il me semble que l’avènement de l’ordinateur au sein des entreprises, puis au sein des foyers, de l’internet puis du Web, et des moteurs de recherche, puis des réseaux sociaux ont engendré des défis éthiques tout à fait considérables.
Question subsidiaire : Pourquoi Aristote ?
Parce qu’il aide les étudiants à réfléchir.


