SouveraineTech_logo_975

Newsletter n°55 - 7 avril 2023

⭕️ Édito

Intelligence entre amis

Au sortir d'un récent salon professionnel, une vague impression m'est venue à l'esprit. Il est en France un manque à créer de la valeur MONUMENTAL qui procède du simple fait que nous ne savons pas nous approcher les uns des autres, pour faire plus ou mieux. Non pas pour additionner les forces. Mais bien pour les coordonner au succès, de manière géométrique. Dès lors comment installer des coursives entre nos petites verticales pathétiquement obnubilées par la VENTE de leurs biens et services ? Comment inciter au maillage, au foisonnement, à la capillarité les mille acteurs de notre maison commune ? Comment, en pleine guerre économique, réveiller cette intelligence entre amis, un peu comme on entend hélas parler d'intelligence avec l'ennemi ? Chacun bien à sa place, il nous suffirait de tourner la tête à gauche, puis à droite, pour commencer à actionner ce levier décisif.

Bertrand Leblanc-Barbedienne



La souveraineté sera à l'honneur lors de la prochaine édition de #LaREFthema. Rendez-vous le jeudi 13 avril à 18h.
Dirigeants d’entreprise, experts et acteurs publics engagés échangeront sur le thème "Être souverain : de la fiction à la réalité".
+ d'infos : ? LaREF.org



Nous recevons aujourd'hui Joshua Henry, qui est Délégué général de Défense Angels et Hubert Raymond, qui est Responsable de l'innovation et de l'accélérateur "GENERATE" du GICAT

"Le contrat de défense doit être vu comme un outil de puissance et de souveraineté"




⭕️ Le grand entretien

 

1/ Pouvez-vous décrire le marché de la défense français (acteurs, tendances, chiffres clés)

HR: Ce marché spécifique, régalien par essence, est un marché oligopolistique, où de grands maîtres d'œuvres industriels tels que Arquus ou Nexter, ou encore Thales, fédèrent une chaîne de valeur industrielle autour de centaines de programmes d’armement. Avec ces entreprises, parfois héritières en ligne directe des arsenaux d'État, on trouve beaucoup de PME, et de plus en plus de start-ups. Les entreprises de Défense sont pour certaines regroupées localement en cluster (exemple : le cluster Primus, le pôle SAFE) et aussi fédérées nationalement par divers groupement d’entreprises : le GIFAS (Groupement des Industriels Français de l’Aéronautique), le GICAN (Groupement des Industries de Construction et Activités Navales), et le GICAT (Groupement des Industriels de Défense et de Sécurité terrestre et aéroterrestre), ainsi que le Comité Richelieu.

Également, les industriels côtoient dans un triptyque atypique les forces armées, exprimant le besoin, et les services de la Direction Générale de l’Armement, chargée de contractualiser l’acquisition du besoin. En ce qui concerne la tendance de ces entreprises, ces dernières connaissent actuellement une croissance, avec un chiffre d'affaires de plus de 30 milliards d’euros tous domaines confondus (terre, air, mer, spatial), et une augmentation progressive du chiffre d'affaires à l’export se situant à près de 40 % du montant global.

Toutefois des difficultés se font ressentir, notamment dans la question du recrutement de la main d'œuvre qualifiée, capable de mener à bien la création de systèmes complexes. Tel que l’a rappelé le Délégué Général pour l’Armement Emmanuel CHIVA, quelques milliers de postes sont en tension. Sur un autre plan, la question de l’accès aux financements et aux assurances, ou encore l’incertitude des mesures qui seront prises pour les commandes futures de nos armées sont aussi des facteurs qui pèsent sur nos industries.

JH: Le marché de la défense est caractérisé par une forte atomicité avec une dominance de grandes sociétés (9 grands groupes), entourés de 4 000 petites et moyennes entreprises. En termes d’emplois, il est considéré que la base industrielle et technologique de défense (BITD) emploie plus de 200 000 personnes sur des postes considérés comme stratégiques. C’est un secteur irrigué par les technologies civiles, avec un grand nombre d’entreprises qui sont duales (à la fois civiles et militaires) comme c’est le cas pour Dassault, qui fabrique des avions de chasse mais aussi des jets privés. Aux côtés de Dassault, l’on peut notamment retrouver Thales (spécialisé dans les systèmes de défense, les équipements électroniques et les services de sécurité), Safran (spécialisé dans l'aéronautique, la défense et la sécurité), Nexter (spécialisé dans la production de systèmes d'armes, de véhicules militaires et de munitions), Airbus Defence and Space (filiale d'Airbus spécialisée dans les systèmes aérospatiaux, la défense et les services de sécurité).

La BITD est confrontée à de nombreux challenges, le principal étant désormais d’être en capacité d’augmenter le volume de production dans le cadre d’une “économie de guerre” (sujet que nous aborderons infra), mais aussi la numérisation des armées et des équipements, le développement de drones, et les enjeux spatiaux.

2/ Où en sommes-nous au regard des impératifs de la "taxonomie" européenne ?

JH: Bien qu’elle n’ait pas été entérinée, la mise en place d’une taxonomie européenne excluant la défense des investissements favorisés envoie déjà un très mauvais message aux investisseurs (banques ou fonds de pension) ce qui a tendance à dévaloriser les actifs servant à financer les activités de défense. A long terme, ces messages répétés de la part des institutions n’incitent ni à l’investissement, ni à l’innovation, et favorisent le rachat de ces entreprises par des pays étrangers. Il est nécessaire d’agir, pour empêcher une fuite des cerveaux mais aussi de ces technologies stratégiques.

Fin septembre 2022, Patrice CAINE, PDG de Thalès, dénonçait déjà la “schizophrénie” d’une Union Européenne qui renforce ses capacités de Défense tout en envoyant des messages désastreux aux investisseurs. Il note au sein de son entreprise une chute nette des investisseurs européens, ainsi qu’une difficulté croissante à recruter de jeunes talents. Le PDG de Dassault exprimera par ailleurs des problématiques similaires en novembre 2022. Voici ce que rencontrent des “mastodontes”, qui ont pourtant une certaine stabilité. Imaginez pour nos start-ups…

HR : A la suite de Joshua, je rappellerai également que la conformité, d’où découle la taxonomie, se définit comme le respect d’un corpus de règles, fixées en interne à l'entreprise pour atteindre des critères internes de durabilité environnementale et sociable. Elle fut au début implémentée au Etats-Unis pour lutter contre la corruption interne. Par suite son utilisation a évolué vers une application internationale, notamment dans les établissements bancaires avec les accords de Bâle, et son éventail d'applications s’est considérablement élargi.

Les établissements financiers sont en effet désormais plus regardants sur l’allocation réelle de leurs investissements, et établissent en interne des règles plus exigeantes que le minimum exigé par la législation nationale ou internationale en matière de contrôle des origines des investissements, de la nature de ses derniers, leurs finalités… Dans ce cadre, l’Union Européenne a décidé de mettre en avant un projet de classification des activités de développement durable, mettant en avant la transparence et permettant de réorienter les capitaux. Les objectifs de conformité en matière de durabilité environnementale prennent donc de plus en plus de place (ce qui en soit n’est pas un obstacle tant que ces derniers ne sont pas dans l’excès) et les liens entre des informations extra-financières et des informations financières sont de plus en plus pregnants, faisant fi de la finalité de l’entreprise et / ou du caractère sensible ou stratégique de sa technologie. Par conséquent, des activités identifiées comme concourant à la survie de la Nation peuvent être identifiées comme non durables par une classification réalisée par l’UE, et donc dissuader des investissements dans le secteur visé.

Mais il ne faut pas s’y méprendre : bien que l’objectif visé soit louable (et nécessaire), c’est à dire le développement durable, le but est parfois détourné afin de faire une arme idéologique, brandie par les adversaires farouches de l’industrie de Défense, qui ne reconnaissent pas en cette dernière une industrie durable. S’il est nécessaire de décarboner notre industrie, il est aussi indispensable d’accompagner sa transition et de favoriser les investissements de ces industriels, conscient des grandes problématiques de demain. Sans perdre de vue la raison première de l’industrie de défense : permettre de répondre à un besoin opérationnel.

3/ La réalité de l'idée de souveraineté connaît un retour en grâce. Cela pave-t-il la voie pour une prise en considération plus raisonnable de la nécessité d'investir dans nos entreprises de défense ?

HR : La fonction de défendre la population et les frontières du territoire qu’elle occupe appartient à la puissance publique par principe. Par conséquent, la Défense est une des caractéristiques essentielles de la durabilité de la Nation, et un de ses attributs les plus marquants. Afin d’exercer la Défense du pays, l’Etat a besoin d’outils à mettre à la disposition de ses Armées, devant être parmi les plus performants. Rien d’étonnant alors à ce que ce soit d’abord l’Etat, par le biais de ses arsenaux royaux, qui prenne en main la conception et la production des armes de guerre. Le soutien de l’Etat à l’industrie de défense, et par conséquent l’assurance des bons outils de défense de sa population, est une nécessité pour garantir l’efficacité et la pérennité du bras armé de la Nation. La guerre en Ukraine a réveillé les mentalités sur les exigences fortes d’un appareil de Défense souverain et conséquent, et sur l’impératif de résultat auquel une action militaire est soumise.

Le retour en grâce de l’idée de la souveraineté entraîne donc une reprise de conscience du caractère stratégique de nos entreprises dans la Défense (aussi active dans le domaine de la sécurité pour certaines). Au-delà, il s’agit aussi de témoigner de l’apport de ces entreprises composant la BITD, partant du constat que la technologie est souvent duale. Au lieu d’aborder une entreprise de défense en fonction de sa finalité (dotation aux forces armées ou non), il est plus pertinent et nécessaire de l’aborder par sa technologie et les solutions qu’elle propose. D’où la question de voir les technologies de défense et de sécurité comme faisant partie de la Souveraine Tech, ensemble de technologies critiques et stratégiques pour la France. Beaucoup de start-ups, ayant pourtant de belles technologies se retrouvent sans d’autres possibilités de financement ou investissement car trop peu de mécanismes existent encore.

JH: Le COVID a contribué à poser la question de la souveraineté de certains éléments (par exemple la fabrication de Doliprane), et la guerre en Ukraine a légèrement remis sur la table les questions d’autonomie stratégique. Pour autant, les cas d’entreprises telles qu’Exxelia, ou plus récemment Segault, montrent un certain retard sur ces aspects. Des propositions visant à mobiliser l’épargne afin d’investir dans les entreprises de défense ont été formulées, le plus récemment par Christophe PLASSARD, député, mais cela doit encore se traduire par des mesures concrètes qui sont nécessaires.

La souveraineté en termes d’industrie de défense est nécessaire, notamment si l’on veut que la France reste indépendante dans ses choix. En 2003, la décision de ne pas suivre les Etats-Unis en Iraq a engendré le blocage de leur part de nos importations de catapultes pour le porte-avions Charles de Gaulle, ce qui aurait pu l’incapaciter. Dans le cas d’un manque d’indépendance de notre production de matériel de défense, il est donc totalement concevable que nos partenaires fassent ce genre de “chantage” pour lier nos mains sur des décisions géopolitiques d’envergure.

4/ Nous disons "notre défense" mais avez-vous une idée du montant de notre production exportée et des pays clients ?

HR: Le modèle de notre industrie de défense est dépendant des exportations réalisées par ces mêmes entreprises, nos armées ne pouvant seule absorber le besoin de réalisation de commande de l’industrie. Au-delà, le contrat de défense doit être vu comme un outil de puissance et de souveraineté, ainsi qu’un outil de diplomatie. En outre, le contrat de défense assure une présence et un partenariat dans le long terme avec le pays acheteur. Dans ces opérations, la France a une grande volonté de transparence sur ses exportations et sur les pays clients, tel qu’en témoigne la mission récente d’information parlementaire sur le contrôle des exportations d’armement de 2021. Chaque année le Gouvernement produit le “Rapport sur les exportations d’armement de la France”, listant les matériels pour lesquels une autorisation d’exportation a été accordée. Pour l’année 2021, le montant global des commandes s'élève à 11,7 milliards d’euros avec 5 principaux pays acheteurs : l’Egypte, la Grèce, la Croatie, l’Inde et l’Arabie Saoudite. En tout sur la période 2012 - 2021, les principaux acheteurs sont l’Egypte, l’Inde, le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis. Dans cette optique, il faut rappeler que ces commandes à l’export pèsent pour beaucoup dans la balance française des exportations.

https://www.defense.gouv.fr/rapport-au-parlement-2022-exportations-darmement-france

JH: En complément de ce que dit Hubert, je me permets d’insister sur la nécessité d’exporter du matériel de défense:

  1. La recherche et développement : cela permet de financer la recherche et développement dans l'industrie de défense française (coûts qui ne sont donc pas/peu supportés par l’armée française). Les ventes à l'étranger génèrent des revenus supplémentaires pour l'industrie, qui peuvent être réinvestis dans la recherche et développement pour développer de nouveaux produits et technologies.
  2. La diversification des clients : En exportant du matériel de défense, la France peut diversifier ses clients et ne pas dépendre uniquement du marché intérieur. Cela peut aider à maintenir une production suffisante pour répondre aux besoins de l'industrie de défense française.
  3. La création d'emplois : l'exportation contribue à créer et maintenir ces emplois en France.
5/ Que perd-on en France à ne pas mieux articuler la R&D mais aussi l'investissement entre les entreprises civiles et l'environnement militaire ?

JH: Nous avons beaucoup d’intérêt à faire travailler les deux, l’exemple le plus connu étant Internet. Aujourd'hui, les frontières entre les domaines civil et militaire sont de moins en moins étanches, ce qui a des répercussions sur la structure des entreprises. Les entreprises qui sont appréciées par les marchés sont celles qui ont une approche duale, c'est-à-dire qui développent à la fois des produits pour le marché civil et pour le marché militaire. Cette approche duale présente de nombreux avantages. Elle permet de développer des produits potentiellement éprouvés dans le civil avant d'être utilisés en opération militaire, ce qui est un gage de qualité et de fiabilité. De plus, cela permet aux entreprises de diversifier leurs sources de revenus, ce qui les rend plus stables financièrement. Cependant, cette approche peut également avoir des conséquences négatives. Elle peut par exemple dissuader les entreprises de développer des applications de défense, ce qui peut être problématique pour les États qui ont besoin de technologies de pointe pour assurer leur sécurité.

HR: Plus haut, Joshua et moi mettions en avant la question de l’importance d’entreprises souveraines et stratégiques, qui concourent de par leurs technologies à la souveraineté de la France. De fait, ce soutien est à considérer au-delà des seules finalités opérationnelles que l’on obtient par la création et la mise en service de tel ou tel équipement, même si ces dernières doivent être considérées dans un premier temps.

Les entreprises dans la Défense (et aussi la Sécurité) ont tout à gagner à se développer également dans le civil, puisque l’ensemble des technologies développées sont loin d’avoir seulement pour objectif la létalité. On voit aujourd’hui en Ukraine une adaptation très rapide de biens civils pour une finalité militaire. Sans avoir pour but de le faire pour les même buts, la même chose est également possible dans l’autre sens, singulièrement dans le domaine de la santé, de la localisation, de la gestion de crise, de l’imagerie par drones … Enfin il y a surtout un fort impératif pour les entreprises civiles de mieux être imprégnées de l'environnement militaire, et inversement pour l’environnement militaire, à être plus curieux dans ce domaine.

La connaissance des faiblesses et des capacités mutuelles est un élément de lancement et de réussite d'éventuelles coopérations. Pour l’illustrer par un exemple, les entreprises du monde de la finance ont beaucoup plus les moyens de financer leurs propres R&D et l’achat de solution innovantes et efficaces en termes de cyber sécurité et de traitement de la data. Toutefois, ce sont les solutions qui témoignent d’une grande crédibilité qui sont choisies, et c’est alors souvent sur des solutions ayant fait leurs preuves avec la Défense et/ou la Sécurité, ou sur des entreprises ayant des liens ténus avec ces domaines, que se porte le choix. Il existe donc une porosité entre des écosystèmes principalement sur les solutions employées, le tout étant par suite de pouvoir faire valoir des solutions dans le monde civil. Néanmoins il ne faut pas oublier que la dualisation est un “problème de riche”, ne se posant qu’à des acteurs ayant déjà réussi à percer le monde de la Défense et de la Sécurité. Il est en effet difficile pour une start-up, ayant une technologie innovante pour la Défense, de partir simultanément dans le domaine du marché civil classique… Sans accompagnement, cette dernière est condamnée à devenir captive du marché public de Défense et de Sécurité, ce qui ne peut pas assurer sa pérennité.

6/ Avez-vous présents à l'esprit quelques leviers de bon sens qui serviraient rapidement les intérêts de notre économie de la défense ?

JH: Pour moi, il serait nécessaire de valoriser à nouveau l’investissement et le développement d’entreprises de défense, à la fois de manière symbolique (ce sont tout de même des produits qui servent à défendre notre liberté) mais aussi financière (par exemple par le biais de la défiscalisation de l’investissement dans une start-up comme le veut la loi Madelin). Attirer les investisseurs et les talents résoudrait la plupart des problèmes que peuvent rencontrer les entreprises de la BITD, dont les carnets de commandes sont déjà relativement remplis, mais qui peinent à séduire ces deux types d’acteurs à cause d’un manque de connaissance du secteur et de ses enjeux souverains.

HR: De manière complémentaire avec Joshua, je parlerai de la présentation qui a été faite de l’Économie de guerre. Cette dernière se veut forte et annonciatrice de changements. Le terme même sous-entend une dualité dans l’ordre économique. On a ainsi le temps de paix où l’économie est normale, et celui où l’économie doit être urgemment tournée vers la remontée des cadences de production, vers l’inflation des matériels livrés à l’Etat. Toutefois cette Economie de Guerre ne peut être envisageable, à la manière d’une économie de paix, si tous les maillons de la chaîne sont simultanément et instantanément réversibles, avec des procédures prévues, dérogatoires du droit commun.

Beaucoup de travaux sont actuellement en cours pour prévoir cet état d’Economie de Guerre, mais sans un changement de regard sur ces activités, qui sont par essence stratégiques et durables, il existera un plafond de verre… qui ne peut qu’à nous mener à un plafond de guerre, synonyme d’une incapacité à faire face à n’importe quelle situation de manière souveraine, dès lors que celle-ci dépasse nos capacités.

Il faut donc préparer l’entièreté du système, et continuer ce qui est déjà entrepris. Eurenco est un bon exemple de relocalisation de la production, bénéfique à notre économie nationale. Les initiatives des accélérateurs des groupements et de quelques organisations faisant en sorte de sensibiliser au plus tôt les acteurs crédibles souhaitant se diversifier dans ce milieu. La mise en valeur de la Souveraine Tech, regroupant les start-ups d’avenir et mettant en oeuvre des technologies stratégiques, apparaît comme une priorité, afin de mieux parler et mettre en avant ces pépites. L’ossature des relations entre l’industrie de défense et l’Etat, soit la commande publique, doit elle aussi, être revue. Si le code de la commande publique contient les éléments nécessaires pour nous doter des matériels adéquats, la question de l’exécution contractuelle pourrait être à revoir, étant souvent trop lourde et difficile. Une plus grande connaissance des écosystèmes de par et d’autre du contrat serait aussi un beau chantier à mener.

7/ Le marché de la défense vous semble-t-il lui aussi atteint d'Atlantisme aiguë ?

HR: Le marché de la Défense est un marché encore très difficile à pénétrer pour une entreprise. Sans connaissances dans le domaine, sans relation avec des opérationnels ou les institutions, il est très difficile de pouvoir obtenir des informations sur sa solution (est-elle pertinente ? doit-on modifier certaines choses ? a-t-on tort d’avoir raison trop tôt ? est-ce trop tard ?...). A ce constat se rajoute la difficulté actuelle de pouvoir financer rapidement l’étape de pré-seed (jusqu’à quelques centaines de milliers d’euros) ou de seed (quelques centaines de milliers à 1 millions), mais également ensuite de pouvoir lever des fonds lors d’une série A (1-10 millions). C’est donc à la fois un constat “dual” de difficulté de relation à l’acheteur et à l’investisseur. Il faut donc accompagner davantage les entrepreneurs dans le monde de la Défense, en proposant rapidement des expertises de technologie et des voies de dualisation accessibles, afin de sanctuariser la technologie et conforter le développement des entreprises. Ces initiatives doivent être soutenues et regardées avec bienveillance par la personne publique, qui peut faciliter ces voies de diversifications, au service de la pérennisation des technologies critiques et de leurs instigateurs.

JH: Il est vrai que pour certains entrepreneurs en France, les États-Unis peuvent sembler être un choix incontournable. Non pas parce qu'ils sont nécessairement meilleurs que les options locales, mais plutôt parce qu'ils ont les ressources et les moyens nécessaires pour financer et innover à grande échelle. Lorsqu'un entrepreneur a tout misé sur son entreprise, il peut être tentant de se tourner vers les États-Unis pour trouver les financements et les investisseurs nécessaires pour faire grandir son entreprise. Bien que cela puisse sembler être la seule option viable, il est important de rappeler qu'il y a également des opportunités en France, mais qui doivent être approfondies. Le gouvernement français doit prendre des mesures pour soutenir les entrepreneurs dans la défense en facilitant l'accès aux financements et en créant un environnement favorable à la création d'entreprises. Si nous proposons des solutions plus attractives pour les entrepreneurs, nous pourrons attirer et retenir les talents locaux et étrangers, ce qui sera bénéfique pour notre souveraineté et notre économie dans son ensemble.

8/ Quelles sont les dominantes / grandes lignes de l'industrie : des activités liées à la dissuasion, la défense ou l'agression ?

HR: Je me permettrai de préciser que dans un environnement où l’image compte pour beaucoup, ce que l’on aurait nommé la propagande, on peut considérer la dissuasion dans un appareil militaire conventionnel. En effet le principe de la dissuasion veut qu’un adversaire potentiel renonce à une agression parce qu'il pense que le gain escomptable est inférieur au risque de destruction qu'il encourt. Dans l’acception de la dissuasion pour une arme conventionnelle, défense et agression sont en relation dans le principe de dissuasion qui se veut dynamique, ce qui peut nous permettre de dire qu’une arme, qu’elle soit élaborée en vue d’un but défensif (Défense anti-aérienne par exemple) ou dans un but offensif (capacité de frappe dans la profondeur), portera toujours en elle la capacité d’être déployée dans un but dissuasif. Ainsi va le déploiement de chars dans un territoire donné qui a souvent comme objectif immédiat une démonstration de force à but dissuasif. Ou encore le déploiement de capacités anti-missiles autour d’une ville ou aux frontières d’un pays. Partant, il est également possible d’affirmer que si la conception d’équipements est destinée soit à l’attaque soit à la défense, l’emploi de ces équipements déterminera toujours leurs destination in fine, et peut être d’une manière différente suivant les différentes phases de l’opération. Le cyber est ainsi un élément tout à fait réversible, entre la lutte informatique défensive et la lutte informatique offensive. Concernant la production au sein de l’industrie de défense, il est clair qu’il ressort aujourd’hui de l’état de nos équipements que l’accent a été mis sur l’attaque et non sur la défensive. En témoigne la revalorisation de nos capacités de combat d’infanterie à travers le programme Scorpion, et l’amenuisement considérable de la défense sol-air en France, qui explique un retour aujourd’hui d’un plaidoyer pour des canons antiaériens.

JH: Le développement de la politique de défense française veut que la dissuasion, qui sert principalement à notre défense, soit l’élément clé de notre développement industriel. En se basant sur la présence de la dissuasion nucléaire, il a donc progressivement été décidé de réduire les budgets sur nos capacités défensives et offensives. Nous avons maintenu des savoir-faire de manière échantillonnaire sur beaucoup d’équipements, en considérant qu’il était plus complexe de passer de 0 à 1 (création d’une ligne de production) que de 1 à 5 (augmentation de la cadence). Désormais, l’accent est mis sur l’augmentation de la cadence, tout en maintenant une dissuasion crédible et stable. L’arbitrage entre ces trois axes est complexe, même si la suprématie géostratégique (et le coût) de la dissuasion n’empêche pas le développement de la défense et l’attaque.

9/ Est-ce juste un "sentiment d'insécurité" (sic) ou vivons-nous dans un monde de plus en plus hostile ?

JH: Le monde dans lequel nous vivons ne devient pas nécessairement plus hostile, mais il est vrai que de nouveaux espaces de conflictualité émergent et que les formes de conflits évoluent. Il est important de prendre en compte ces nouvelles dimensions pour comprendre les enjeux de la sécurité internationale. De nos jours, les attaques cyber représentent un véritable défi pour les gouvernements et les entreprises. Nous avons vu récemment l'exemple d'une attaque sur le site de l'Assemblée nationale, qui a mis en lumière la vulnérabilité de nos infrastructures face à ces nouveaux types d'attaques. Les conflits spatiaux sont également un domaine en évolution, où la rivalité entre les grandes puissances mondiales s'intensifie. Les enjeux de la sécurité spatiale sont de plus en plus importants, avec la militarisation de l'espace et la mise en place de nouveaux systèmes de surveillance et de communication. Enfin, les conflits d'information prennent de plus en plus d'importance. Les réseaux sociaux et les nouvelles technologies ont permis une diffusion rapide de l'information, mais également de la désinformation, qui peut avoir des conséquences importantes sur la sécurité et la stabilité de notre monde. En somme, les conflits ne sont plus seulement une question de fantassins et d'épées dans un champ. Les nouveaux espaces de conflictualité, qui nous donnent cette impression d’un monde plus hostile, nécessitent des réponses innovantes et adaptées pour garantir la sécurité et la stabilité de notre monde.

HR: A la manière de mon camarade, je ne parlerais pas d’une hyper inflation de la conflictualité mais plus d’une multiplication de ses champs et de sa visibilité. Aux conflits sur terre, mer et dans les airs, il faut rajouter les conflits dans le cyberespace, et sur le champ de la lutte d’influence. Ainsi si la guerre du Golfe était la première fois que la guerre se suivait à la télé, la guerre en Ukraine se suit en temps réel sur les boucles Telegram. L’hypermondialisation a également comme effet de conflictualiser certains espaces (on peut penser à l’économie avec l’exemple de l’enjeu que représente les fonds marins, ou nos possessions outre-mer). L’inflation des espaces de partages, matériels comme immatériels, créent de même autant d’interfaces, - de hub -, sujettes à de potentielles déstabilisations.

10/ Quel besoin d'attaquer un ennemi quand on peut le manipuler ? L'armée américaine entend recourir aux deepfakes pour déstabiliser des régimes. Cela redessine-t-il les contours de votre secteur d'activité ?

HR: Vous parlez de l’armée américaine à très juste titre. L’action dans les champs immatériels que nous avons déjà cité plus haut, consiste aussi dans la lutte dans le domaine de l’influence. Récemment, ces derniers ont mis au pied une unité complètement hybride, dotée de spécialistes opérationnels d’attaque cyber et d’action dans le domaine de l’influence. Les actions d’influence sont connues dans le domaine militaire, et généralement confiées à des spécialistes lors de la phase de règlement des conflits, notamment pour garantir de bonnes relations avec les populations du théâtre d’opération. Toutefois l’action américaine amène les opérations d’influence à un tout autre niveau, dépassant le seul champ stratégique, et venant s’immiscer dans le champ de bataille. Si ces actions ne redéfinissent pas notre activité, je dirai qu’elles doivent être prises en compte dans la manière de concevoir les équipements. Je pense notamment ici la protection de l’information et de sa transmission, dans le cadre d’une numérisation toujours plus croissante du champ de bataille.

JH: Le développement de tels conflits dans le champ informationnel a forcément un impact sur les stratégies d’influences, mais n’impacte pas grandement (pour l’instant) le champ de l’industrie de défense. En effet, la préparation au conflit armé reste une nécessité incontournable pour assurer la protection de nos citoyens et de nos intérêts. Les actions cinétiques, qui impliquent l'utilisation de la force physique, ne peuvent être menées à bien uniquement depuis un ordinateur, que cela soit via des drones ou des réseaux sociaux. A nous, et aux forces, de s’emparer des sujets, développer des expertises et ne pas laisser les autres acteurs (notamment extra-européens) définir les lignes directrices.




⭕️ Mezze de tweets

 



⭕️ Hors spectre

Collégiale Notre-Dame de Roscudon - Pont-Croix

"Si j'étais médecin et que l'on me demandait mon avis sur les Hommes, je répondrais :
Du silence ! Prescrivez-leur du silence."
Sören Kierkegaard

image_pdfimage_print

Cet article vous a plu ?

Inscrivez-vous pour recevoir chaque semaine nos publications.