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L'industrie reste un outil au service d’un projet de société, d’une vision du monde et de la défense de valeurs. ne pas définir ce socle pourrait laisser l’industrie comme une variable d’ajustement.

Anaïs Voy-Gillis, qui est docteur en Géographie, chercheuse associée à l’IAE de Poitiers et directrice associée chez June Partners. Cet entretien a été publié le 17 juin.

1/ L'âge du “fabless” est-il derrière nous ?

(Cet anglicisme désigne une société qui conçoit ses produits et sous-traite l'intégralité de sa fabrication.)

La pandémie a été un électrochoc sur l’état de l’industrie en France et a montré les limites du modèle fabless. Entre les ruptures d’approvisionnement et les images fortes (médecin en surblouse sac poubelle, négociation de masques sur le tarmac d’un aéroport, etc.), il y a eu une prise de conscience sur le besoin de réindustrialiser et sur les risques d’une dépendance industrielle accrue. Ainsi, le modèle d’une société post-industrielle où les entreprises se spécialisent sur les tâches en amont et en aval de la production semblent être durablement remis en cause. La pandémie et la guerre en Ukraine viennent casser un cycle et vont surement participer à une nouvelle géographie de la production avec une plus forte régionalisation. La réindustrialisation peut prendre différentes formes et ne se limite pas uniquement à des relocalisations : sécurisation des approvisionnements avec la recherche de fournisseurs nationaux ou européens, stratégie de relocalisation de certaines activités et choix de localiser de nouvelles productions directement en France. Toutefois, la réindustrialisation est loin d’être un pari gagné, elle prendra du temps et aura un coût.

Si le besoin de réindustrialiser semble faire consensus, le « pourquoi » et le « comment » ne font pas encore l’objet d’un consensus. Il suffit de regarder les différents programmes des candidats à l’élection présidentielle pour se convaincre que derrière la question de l’industrie doit se dessiner un projet de société dont l’industrie est un pilier. Les grands défis auxquels nous sommes confrontés (rivalités géopolitiques, ambitions industrielles des autres nations, réchauffement climatique) nous obligent à définir où nous souhaitons aller. Ces questions peuvent aussi amener des positions contradictoires : comment pense-t-on la souveraineté dans un contexte de transition écologique ? Ceux qui s’intéressent au premier sujet, sous-estiment souvent la criticité du second, ceux qui s’intéressent au second n’intègrent pas assez le contexte géopolitique dans leur réflexion. 

Malgré le besoin d’optimisme, il faut pointer un risque majeur pour le mouvement de réindustrialisation. Actuellement, les ruptures d’approvisionnement et l’augmentation des prix poussent beaucoup d’industriels à chercher des alternatives locales. Le prix est souvent secondaire, l’urgence étant de pouvoir maintenir la production. Le retour à la normale pourrait encourager certaines entreprises à reprendre la logique du moindre coût. Il y a donc un enjeu à faire évoluer en profondeur les politiques d’achat des entreprises et de les former sur la thématique des achats responsables. De plus, il est nécessaire d’améliorer la connaissance du tissu productif national. Il y a de nombreuses entreprises en France avec des savoir-faire d’excellence, mais qui ne sont pas ou peu connues de leurs pairs. 

2/ Pourrait-on réfléchir à une façon moins absurde et surtout moins hypocrite d'invoquer le bilan carbone de…Cet entretien par exemple ?

Il est important de ne pas limiter la réflexion sur l’environnement à la question du carbone et de la décarbonation. Le sujet doit être appréhendé de manière plus large et systémique. Le carbone représente une partie du problème sur lequel l’action est centrée. Or, les sujets sont nombreux : biodiversité, pollution aux microplastiques, ressources en eau, etc.

Sur le sujet du carbone, il faut mesurer, réduire, voire adapter son modèle économique à ces évolutions. Pour mesurer, il faut à la fois standardiser et rendre obligatoire un système de triple comptabilité. À ce titre, la directive CSRD (Corporate Social Responsibility Disclosure) qui va obliger un plus grand nombre d’entreprises à mettre en place un reporting environnemental et sociétal va dans le bon sens, même s’il est nécessaire d’adopter des méthodologies communes. Le besoin de standardiser les approches est également clé. Il existe différentes méthodologies pour mesurer l’impact de l’entreprise (modèle CARE, SROI, EP&L, etc.), mais elles ne permettent pas de mesurer la même chose. Certaines entreprises sont plus en avance que d’autres en la matière, elles se sont dotées d’approches propres. En outre, il faut bien expliquer que l’enjeu est la réduction et non la compensation qui ne résout en rien le problème.

Bien souvent cette variable de l’empreinte carbone à toutes les étapes de la chaîne de production est faiblement intégrée dans l’approche de décarbonation, car elle sous-entend d’avoir une réflexion plus globale sur la stratégie des entreprises, leurs logiques d’approvisionnements et les choix de matières, la conception du produit et la gestion de sa fin de vie. Autrement dit, la décarbonation de notre économie appelle à une réflexion à la fois sur l’ensemble de la chaîne de valeur d’un produit fini, mais également sur son cycle de vie. Il peut donc être intéressant d’intégrer dans la réflexion une logique d’écosystèmes productifs territoriaux, seul moyen de recréer de vrais circuits courts. Or, beaucoup de secteurs industriels reposent sur des stratégies d’approvisionnements mondiales, notamment en raison d’une recherche du moindre prix, souvent au détriment des aspects sociaux et environnementaux. Il existe de nombreuses entreprises en France capables de répondre à des demandes diverses, y compris dans l’électronique, mais encore faut-il qu’elles soient connues par leurs pairs. Les acteurs publics ont sûrement un rôle à jouer dans la valorisation des entreprises de leurs territoires pouvant répondre aux exigences de décarbonation d’autres industriels.

Enfin, un autre sujet qui se pose est notre niveau de consommation. La surconsommation de produits manufacturés avec une durée de vie courte est incompatible avec nos objectifs environnementaux. Le modèle économique des entreprises fondé sur le principe de massification de la production pour baisser les coûts unitaires de production est remis en cause par un impératif de sobriété dans la consommation. En complément, il est également clé de repenser les produits (choix des matières, réduction de la dépendance aux matières premières critiques) et les rendre durables, réparables et recyclables.

Je sais que certains sont tentés de dire que le sujet n’est pas prioritaire pour la France car l’empreinte carbone du pays représente environ 1,5% des émissions de CO2. Mais il faut bien comprendre que l’inaction aura un coût supérieur et que le réchauffement climatique n’a pas de frontière. En ce sens, fixer un cap est clé pour accompagner ces nécessaires transitions.

3/ Y-at-il des mesures bonnes pour la France sur lesquelles vous pourriez parvenir à mettre d'accord la gauche et la droite ? (Courage !)

En matière d’industrie, il y a déjà consensus sur la nécessité de réindustrialiser et c’est déjà un grand pas en avant. Néanmoins, le consensus entre le « pourquoi » et le « comment » est loin d’être acquis. Cette situation s’explique notamment en raison de visions du monde différentes.

Il est donc sûrement possible de mettre d’accord les responsables politiques sur certains grands thèmes, mais la mise en œuvre ne sera pas la même avec des résultats différents. Tout le monde pourrait s’entendre sur le besoin d’une réforme fiscale globale pour avoir un système plus lisible et plus équilibré, mais certains prôneront une baisse de la fiscalité globale. D’ailleurs une partie du débat autour de la réindustrialisation tourne autour de la question de la baisse des impôts de production. D’autres prônent une augmentation de la fiscalité ou pour un statu quo au regard du montant des aides publiques allouées en France. D’autres notions comme l’indépendance ou la souveraineté pourraient parler aux différents courants, alors que le terme « souveraineté » était avant crise pour beaucoup un sujet tabou. 

L’accord est, à mon avis, à rechercher en premier lieu l’envie de se saisir du sujet et de l’objet. L’industrie reste un outil au service d’un projet de société, d’une vision du monde et de la défense de valeurs. Ne pas définir ce socle pourrait laisser l’industrie comme une variable d’ajustement. 

4/ Entre le village global et le village Hobbit, comment envisager un futur humain plausible et désirable ?

La notion de futur désirable est clé selon moi pour envisager les transitions. Il faut également travailler sur les imaginaires, les représentations et les logiques identitaires. Ainsi, il est tout à fait possible d’envisager un schéma entre le village global et le village hobbit. Les différents rapports de l’ADEME ou de Négawatt montrent les différentes possibilités de chemin, tout en atteignant nos objectifs climatiques. Dès lors, il y a la fois les contraintes réglementaires pour accélérer les transitions, mais également offrir la possibilité à chacun de se projeter dans ce futur où il faudra changer ses habitudes, mais cela ne veut pas dire vivre moins bien. Enfin la question du cadre démocratique et de la concertation est clé pour que chacun puisse se projeter.

5/ Comment percevez-vous la notion de souveraineté technologique du point de vue l'industrie ?

La souveraineté technologique et la souveraineté industrielle sont intimement liées, en particulier dans une industrie que l’on veut de plus en plus connectée et automatisée. L’industrie a besoin des objets associés à la souveraineté technologique : cloud, data, cybersécurité, etc. 

Or, nous avons à la fois pris du retard dans de nombreux domaines, si bien qu’on peut se demander si on peut le rattraper ou s’il ne faut pas se positionner sur des segments des chaînes de valeur pour créer de la codépendance.

La question de l’échelle pertinente se pose. L’échelle européenne serait pertinente. Or, dans de nombreux domaines, nous ne sommes pas capables d’avoir une réponse coordonnée cette échelle. Je trouve que le cas 5G, où l’Asie domine, est un bon exemple pour montrer la difficulté d’adopter une position commune. En l’occurrence, nous avions des entreprises européennes maîtrisant cette technologie et nous aurions pu envisager de juger ce marché stratégique et donc le fermer à la concurrence étrangère, tout en soutenant le développement des entreprises européennes. Certains répondront que ces entreprises sont en retard par rapport à Huawei, mais le problème est toujours le même : nous reprochons le retard des entreprises européennes, or on ne leur donne pas les moyens de se développer. Quand on parle de moyens, on pense finance, mais il faut aussi raisonner cas d’usages. 

Enfin, le dernier lien est que la souveraineté numérique repose sur des infrastructures physiques qui résultent de procédés industriels où il y a aussi de nombreux enjeux géopolitiques. Or, nous les sous-estimons, pire encore nous n’arrivons pas à faire le lien entre le contrôle de ces infrastructures et notre indépendance. 

6/ Comment la France pourrait-elle enfin assumer correctement la notion si mal comprise de “puissance” ?

En effet, cette notion est mal comprise et surtout est entourée d’un certain nombre de représentations. Comme le rappelle si bien Christian Harbulot, la « puissance » est souvent associée à la recherche de pouvoir. Or, il conviendrait de dire que l’ambition derrière la puissance n’est pas forcément d’être belliciste, mais d’avoir le courage d’exister et d’assumer une position française et/ou européenne claire. 

À mon sens, l’un des premiers enjeux est d’adopter une définition claire et commune de ce qu’est la puissance et de l’assumer dans le débat public. La France a assumé, par parenthèse, cette idée de puissance et sûrement à un moment où les rapports de force étaient plus clairement définis qu’ils ne le sont actuellement. Ainsi, pour assumer la puissance, il faut avoir une vision de là où nous allons dans un contexte géopolitique complexe et où la vision de l’État doit faire face à la construction de storytelling contraire par des groupes nationaux, mais aussi par l’influence de groupes étrangers. Il faut assumer une autonomie de pensée et donc assumer sa vision du monde. Or, sommes-nous collectivement capables de nous entendre et de défendre une vision commune en dehors du temps de guerre ? Nous pouvons nous permettre d’en douter. 

L’enjeu est aussi notre capacité à définir les domaines clés de notre souveraineté et les domaines où nous souhaitons nous prémunir des prédations étrangères. Aujourd’hui notre vision du monde se calque souvent sur les aspirations américaines. Or, à l’échelle de l’Union européenne et au regard de l’histoire de la France, nous avons les moyens de définir notre propre voie pour faire entendre notre voix. 

7/ Comment décririez-vous la ligne de Commission européenne en matière industrielle, depuis sa création ?

La position de la Commission a évolué surtout ces dix dernières années, notamment sur des sujets comme les PIEEC (Projet important d’intérêt européen commun). Il y a à la fois les choses qui bloquent par la faute des États et celles qui sont du fait de la Commission. Le cadre européen n’est pas simple car il y a des rivalités entre les États et certains savent très bien se servir du cadre européen pour privilégier leurs intérêts nationaux au détriment des intérêts collectifs des membres de l’UE. De plus, le dumping fiscal et social n’aide pas, tout comme la difficulté d’adopter des positions communes sur des sujets clés. Par exemple, il a fallu de nombreuses années pour que l’Union européenne avance sur la réciprocité d’accès aux marchés publics. Ainsi, l’Union dans sa forme actuelle est insatisfaisante : trop pour certains, pas assez pour d’autres. 

Les Projets Important d'Intérêt Européen Commun (PIIEC) présentent une innovation dans l’approche par grands projets et dans l’utilisation récente qui en est faite, mais restent actuellement très centrés autour de projets concernant le secteur automobile et avec une prépondérance de l’Allemagne dans plusieurs d’entre eux, signe d’une évolution de l’approche allemande. Ils sont un premier pas vers une forme renouvelée de coopération entre des acteurs d’horizons différents et de politiques industrielles pour l’Union. Il faut se saisir de cet outil pour favoriser l’émergence de nouvelles activités industrielles.

De plus, les ambitions de l’Union européenne en termes industriels s’opposent parfois à ses autres politiques. Il a été beaucoup question d’autonomie stratégique sur le plan industriel et en parallèle la Commission européenne a développé son Green Deal. Le problème est qu’il risque d’accroître la dépendance à certaines matières critiques et donc à la Chine qui est leader dans l’extraction et le raffinage de nombreuses de ces matières. Des décalages de vision entre les membres de la Commission sont également observables. Comment est-ce que les États arrivent à se doter d’outils pour limiter ces dépendances ? Comment apprenons-nous à travailler avec d’autres nations, notamment en Afrique dans une logique de co-développement ?

La politique de la concurrence est un autre point critique. La Commission européenne ne prend pas en compte la concurrence que subissent les États membres de la part de pays tiers qui ne sont pas soumis aux mêmes principes que les entreprises européennes. Les traités européens proscrivent toute mesure qui pourrait entraîner une distorsion de la concurrence. La Chine et les États-Unis ont une conception très différente du sujet. La première soutient sans contrainte ses champions nationaux, qui grâce à l’aide étatique exercent une concurrence déloyale sur les marchés mondiaux. Aux États-Unis, les États peuvent choisir d’immuniser certaines activités de l’application du droit de la concurrence (State Action Doctrine) et il n’y a pas de contrôle des aides d’État. Ainsi, il ne pourra y avoir de politique industrielle européenne ambitieuse sans un rééquilibrage entre politique de la concurrence et politique industrielle.

Un enjeu pour l’UE dans les années à venir est de se doter d’une taxe carbone aux frontières. Le sujet est aujourd’hui bloqué au Parlement européen. Il faut que ce mécanisme soit mis en place, mais pas uniquement sur les intrants comme actuellement pour ne pas fragiliser ces industries, mais bien sur les produits semi-finis et finis. Là encore la route va être longue pour aboutir à une position favorable à notre industrie.

8/ Globalement, que pouvez-vous dire de l'impact de l'adoption de l'euro sur l'économie française ?

Le fait d’être au sein de l’euro est souvent expliqué comme un facteur de désindustrialisation, considérant que nous ne sommes plus maître de notre monnaie et donc que nous pouvons plus agir sur elle comme on l’entend, notamment utiliser la dévaluation pour relancer les exportations en période de crise. C’est un fait, mais la question sous-jacente est la qualité de nos produits et le positionnement en gamme versus nos coûts de production. 

L’autre explication avancée était le poids de l’euro par rapport au dollar, perçu comme un frein aux exportations et un facteur de localisation de la production en dehors d’Europe. L’évolution du coût du travail sous l’impulsion de la hausse de l’euro a joué un rôle dans l’accélération de la fermeture des usines depuis le début des années 2000. Il est considéré que l’Allemagne aurait mieux résisté en raison de sa stratégie de modération salariale et de sa compétitivité hors coût. Toutefois, il convient de préciser qu’une monnaie forte tend à baisser le coût des importations et que les échanges commerciaux au sein de la zone euro se font en premier lieu entre États membres.

Les économistes auront sûrement une réponse plus précise sur le rôle de la monnaie unique. Il est également vrai qu’au sein de l’Union européenne il y a des déséquilibres entre les balances courantes des pays européens. La construction du marché intérieur a favorisé une nouvelle organisation géographique de la production qui ne s’est pas faite de manière uniforme et qui n’a pas favorisé le maintien de l’industrie dans certains pays.

9/ Quelle est selon vous l'importance d'un retour à une économie minière sur notre propre sol ?

Cette question mérite d’être posée dans un objectif de souveraineté et pour être maître de notre trajectoire environnementale sans dépendre de la trajectoire des autres. Toutefois, se pose la question de la disponibilité des ressources en France et leur accessibilité. Il y a également un enjeu autour de l’acceptabilité, même si nous produirons dans des conditions sociales et environnementales plus importantes ailleurs.

L’autre sujet qui se pose est le recyclage et la récupération de ces matières. À terme c’est un enjeu clé, mais les projections de l’évolution de la demande laissent penser que dans plusieurs domaines le recyclage ne suffira pas et qu’il faudra continuer à s’approvisionner à l’étranger. Il faut donc constituer les filières de recyclage, travailler sur les procédés et faire évoluer la législation afin de favoriser l’utilisation de matières recyclées. Un enjeu se pose aujourd’hui sur le prix des matières recyclées par rapport aux matières neuves. 

Enfin, un autre levier sur le sujet des matières est de repenser les produits pour réduire le besoin autour de ces matières et limiter nos consommations. 

10/ Dernière question anachronique : que pensez-vous des conséquences de la loi Le Chapelier ?

C’est une bonne question que je n'ai traitée que de manière très lointaine dans ma thèse, mais il est possible que l’abolition en 1791 des corporations avec la loi Le Chapelier, ainsi que la loi d’Allarde, aient été un frein au développement de structures intermédiaires fortes comme en Allemagne. Ces lois avaient pour but de rompre avec la société de l’Ancien Régime, dans leur continuité il y a également eu la loi Goudard qui a supprimé la réglementation manufacturière et les inspecteurs royaux de manufactures créés par Colbert. Malgré la constitution des Chambres de commerce en 1801, le monde manufacturier déplorera le manque d’institutions de concertation et de certification de la qualité. L’absence d’organismes intermédiaires va très certainement favoriser une demande forte d’État. Si la suppression des corporations partait d’une bonne intuition, il aurait surement fallu repenser des corps intermédiaires différents. 

Elle a été abolie en 1884 mais a surement affaibli le principe de syndicalisme en France où les syndicats de salariés ne sont pas toujours reconnus par le patronat comme des interlocuteurs valables. Pour certains, cela contribuerait à expliquer les différences entre les systèmes productifs français et allemand et le fait qu’il ne se soit pas développé un Mittelstand en France.

La destruction des corporations a limité les coopérations interentreprises au niveau des branches d’activité en France où, sauf exception, les organisations professionnelles de branche restent faibles, alors qu’en Allemagne de nombreuses négociations se font au niveau de la branche, notamment sur les éléments portants sur les rémunérations. Les négociations ne sont pas toujours aisées, mais une fois qu’un accord a été trouvé, les conflits sociaux sont interdits dans les entreprises couvertes. La conduite des négociations au niveau de la branche et non au niveau des entreprises permet de trouver plus facilement un accord avec des interlocuteurs ayant une vision plus globale sur les enjeux sectoriels et moins soumis à la pression de leur mandat dans l’entreprise. C’est ce système qui permet de comprendre la grève inédite de février 2018 dans le secteur de la métallurgie. Cette stratégie joue un rôle clé dans le maintien de la compétitivité-coût de l’industrie avec une inflation moindre et le maintien d’un haut niveau d’emploi. Contrairement à la France ou le Royaume-Uni où seul un niveau de chômage élevé permet de garantir la modération salariale. En revanche, contrairement à la France, l’État allemand n’a pas étendu les conventions collectives à l’ensemble des salariés d’une branche professionnelle. Elles couvrent uniquement les salariés des entreprises qui adhèrent au syndicat patronal qui les a souscrites.

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