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Pour réussir sa transition écologique l’occident doit exploiter ses propres mines plutôt que de publier des listes de métaux critiques, qui ne sont que des aveux de ses propres faiblesses et indécisions.

Didier Julienne, spécialiste du marché des matières premières et Président de Commodities & Resources (didierjulienne.eu) Cet entretien a été publié le 24 juin 2022.

1/ Quel est selon vous le lien entre les matières premières et la souveraineté technologique ?

Toute souveraineté technologique est liée à la maîtrise d’une ou de plusieurs matières premières. Les outils, la technique, de la roue d’une charrette aux microprocesseurs, ont pour base de fabrication des ressources naturelles plus ou moins transformées, mais dont il est toujours souhaitable de maîtriser la production.

Notre époque récente a décidé d’ignorer ce lien en nous conduisant vers des fantasmes, tel que celui de « l’entreprise sans usine » et à des décisions politiques tragiques, telles que l’abandon européen de notre souveraineté dans la maîtrise des ressources naturelles énergétiques — à la mode allemande — mais aussi minérales et agricoles, dont nous voyons les effets délétères depuis la pandémie et la guerre en Ukraine. 

L’une des entrées géopolitiques de cette déroute fut l’effondrement de l’URSS. J’avertissais une première fois les autorités en 1990 que l’abandon de notre souveraineté dans les matières premières était néfaste, car le couple désindustrialisation et dépendance aurait comme corollaire fortune et chômage. Mais partout il était répondu : « dividendes de la Paix »,

Par la suite, je continuais d’avertir après avoir pratiqué l’intelligence économique des ressources naturelles en Chine et constaté dès la fin du siècle dernier que la doctrine minérale chinoise provoquerait chez nous une crise de dépendances géopolitique vis-à-vis des matières premières. Je constatais en effet qu’à Pékin, il est plus simple d’atteindre l’objectif industriel national lorsqu’on a été formé à la compréhension de son chemin technologique. Parmi les six derniers Présidents et Premiers ministres chinois, à l’exception du Premier ministre actuel, Li Keqiang, juriste, tous reçurent une formation d’ingénieur : génie mécanique de 1993-2003 avec le président Jiang Zemin, et électrique avec Premier ministre Zhu Rongji, hydro-électrique de 2003-2012 avec Hu Jintao alors que son Premier ministre Wen Jiabao était géologue et de 2012 à ce jour, Xi Jinping, chimiste des procédés, connaît l’agriculture. Cette chronologie universitaire correspond aux étapes industrielles réussies du pays : centrales électriques, hydroélectricité, géopolitique minière et énergétique, chimie des procédés, agroalimentaire… Autant de solidarités stratégiques sécurisées par la Chine grâce à une idée puissante : la sécurité est un bien public que le marché ne peut ni garantir ni procurer. 

De nos jours, en écho de dirigeants occidentaux, des commentateurs se plaignent que cette Chine dispose de supériorités dans la mobilité électrique, l’hydrogène… Mais cet avantage de l’Etat chinois est l’héritage de l’éducation de son élite, c’est-à-dire une connaissance industrielle qui encourage la culture de la performance et de l’innovation, des coûts serrés des chaînes de production et une maîtrise des chaînes logistiques stratégiques. De notre côté, il y a longtemps que l’on n’écoute plus la parole de l’ingénieur, mais l’inculture industrielle du communicant. Combien avons-nous connu de dirigeants sachant dans quelle direction industrielle diriger la France ou l’Europe ? Combien se sont réellement intéressés au fonctionnement d’une mine, d’une centrale électrique ou d’un champ de blé ?

J’alertais donc dès cette époque vétérotestamentaire, comparée à notre siècle des réseaux sociaux, que la transition écologique nous faisait basculer d’une dépendance aux hydrocarbures vers celle des métaux. Puis au cours de conférences, les dépendances aux métaux stratégiques se précisant, j’alertais de nouveau par exemple devant l’Institut de France ou dans les médias comme récemment en 2017.

Résultat, au fil des années, je n’ai pu que constater non seulement la confirmation de nos abandons, mais aussi qu’ils engendreraient cette convergence de mouvement entre des fortunes colossales, qui se construisaient sur les gravats de la désindustrialisation française et en parallèle un chômage qui s’approfondissait, au fur et à mesure que nos dépendances « désindustrialisées » s’élargissaient. 

Dans la métallurgie des métaux critiques, l’exemple caractéristique fut la « désindustrialisation » puis la disparition du leader français et européen, le Comptoir-Lyon-Alemand-Louyot. Cette entreprise bicentenaire, dont le dernier propriétaire connu fut le groupe Fimalac, vit son immense stock de métaux stratégiques, sa trésorerie, sa réserve immobilière du quartier du Marais à Paris engloutis dans une fortune et ses usines et leurs emplois simultanément disparaître. Depuis ses savoir-faire métallurgiques de métaux critiques ne cessent de cruellement manquer à la souveraineté technologique et la transition énergétique de la France d’aujourd’hui. 

En outre, dans cette dépendance technologique la théorie du ruissellement fonctionne à l’envers. Si telle grande entreprise est « désindustrialisée », ses partenaires et sous-traitants plus petits suivent. Lorsque ces filières et métiers disparaissent, il n’est pas possible de les recréer sans des investissements supérieurs aux fortunes apparues lors de leurs effacements. 

Dans la métallurgie au sens large, la liste des disparus est déjà longue : Pechiney, Comptoir-Lyon-Alemand-Louyot, Metaleurop, Pennaroya, actifs miniers du BRGM, Rhodia, Alstom,… Ce mouvement a bien été dirigé vers la désindustrialisation et la dépendance avec une logique de bénéfice et de fortune, sinon pourquoi le faire ? Pourquoi l’administration, les organisations patronales ou de filières sont-elles restées muettes, que déclaraient les politiques de l’époque ? Étrangement, alors qu’en Allemagne, en Angleterre ou en Italie le syndrome n’a jamais eu la même ampleur, toute cette logique française du lien entre désindustrialisation et fortune n’est pas documentée. Un autre siècle eût dit qu’il y a « quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark ».

Nos quarante dernières années de désindustrialisation sont donc à mes yeux directement liées à cette maximisation de nos abandons de souveraineté dans les ressources naturelles. Le chemin inverse est donc naturellement le seul qui puisse nous ramener vers une souveraineté technologique et les emplois associés. 

2/ Pourquoi dites-vous que les métaux rares n’existent pas ?

Depuis mes premiers pas dans l’industrie métallurgique stratégique, je classe les métaux en trois catégories.

Un métal abondant a été recherché et découvert par un tissu industriel dynamique et une diplomatie inventive. Puis une gamme de technologies se révélait opportune pour l’extraire du sol, le raffiner, et grâce à l’écoconception, pour le consommer en des quantités unitaires décroissantes et des usages croissants. Enfin, il est recyclé. Si l’une des étapes précédentes est légèrement ou temporairement défaillante, il peut devenir métal sensible.

Il deviendra métal critique s’il existe des risques élevés de déficit sans percée scientifique ouvrant vers des solutions de substitutions. Il sera également critique s’il n’existe plus de diplomatie des ressources naturelles favorisant l’accès et l’augmentation de la production minérale ; c’est le même chemin pour l’énergie et l’agriculture. Mais encore, si les quantités unitaires de métal à recycler deviennent si faibles que le recyclage sera défaillant parce que ce dernier n’aura pas de bon rendement et qu’il coûtera donc très cher.

Ce métal sera toutefois critique dans une industrie, mais pas dans une autre, dans un pays, mais pas dans un autre et cela évolue avec le temps. Le platine était critique dans la catalyse automobile diesel, mais cette consommation diminue ; il sera de nouveau critique dans les membranes d’échange d’ions nécessaire au fonctionnement des piles à combustible de l’économie de l’hydrogène, mais pas dans la voiture 100 % électrique. Le nickel est qualifié de critique pour la mobilité électrique. Mais sa production mondiale annuelle est équivalente à une production d’environ 60 millions à 100 millions de batteries pour véhicules électriques, ces quantités sont recyclables et d’autres chimies de batterie, sans nickel, notamment LFP, ou sans lithium, n’ont aucune limite géologique pénalisante, sans compter les progrès techniques, qui feront encore baisser le coût des batteries. Il y a donc peu de doute que la production de véhicules électriques répondra à la demande de la transition écologique à des prix abordables.

Prudents, le producteur ou le consommateur à la mémoire longue s’interrogeront régulièrement sur les équilibres d’offre et de demande de ces métaux, sinon le danger est de figer le caractère abondant ou critique, sans dynamique temporelle. En outre, si un métal est le sous-produit d’un autre métal, l’observation des équilibres de ce dernier est essentielle. Le chrome sud-africain utilisé dans les aciers est un sous-produit des platinoïdes, le dynamisme de sa production sera donc sujet à la demande de platine dans les pots catalytiques, la bijouterie ou la mobilité à hydrogène plutôt que sa propre consommation dans la sidérurgie. Dans le domaine agricole, la guerre en Ukraine nous rappelle la fragilité de la frontière entre matières premières agricoles abondantes et critiques.

Une matière stratégique est politique. Elle s’éloigne de critères géologiques ou bien de marché. C’est une ressource indispensable aux missions régaliennes de l’État, à la défense nationale ou bien à des ambitions politiques fondamentales d’un pays consommateur ou producteur. Le minerai de fer est abondant, mais il aura été très stratégique pour un consommateur, la Chine, et sa production d’acier destinée à sa politique d’urbanisation. Début 2022, le charbon était stratégique pour un producteur, l’Indonésie, car elle en interdisait temporairement l’exportation pour subvenir à sa propre consommation. Depuis la guerre en Ukraine, tous les métaux sont redevenus stratégiques, car ils sont consommés dans l’industrie de l’armement. La guerre en Ukraine a également provoqué une inflation mondiale des prix des ressources minérales, énergétiques et agricoles ; protéger l’économie de cette inflation est devenu stratégique et des nations détendent ces tensions sur les prix en retenant à l’intérieur de leur frontières leur production nationale, tels le blé, le minerai de fer ou l’acier pour l’Inde. Ce nationalisme des ressources a évidemment un effet délétère sur les économies voisines, notamment pour les importations européennes d’acier indien alors que les sanctions frappent les sidérurgistes russes et des bombes détruisent des aciéries ukrainiennes. Inversement, il est stratégique pour ces derniers de continuer à exporter leurs ressources, devenues stratégiques pour nourrir l’effort de guerre.

Enfin, si les deux dernières notions critique et stratégique fusionnent, c’est-à-dire si géologie et politique fusionnent, cela entraînera deux phénomènes. D’une part, une destruction de la demande, puisque le métal est « introuvable » et son prix élevé. D’autre part, une consommation compétitive s’impose, c’est-à-dire une compétition politique et économique entre différentes consommations de ce métal qui exige que le producteur choisisse toujours le consommateur le plus proche de ses propres objectifs stratégiques : ce choix revient en général à l’État qui privilégie en premier lieu son industrie nationale. Là encore l’invasion de l’Ukraine est un révélateur.

Cette situation ne peut toutefois être qu’éphémère : un tel métal « introuvable » peut ne pas avoir été suffisamment recherché dans la croûte terrestre, ou bien il est en surconsommation écologique, voire en évolution du stade de la production d’un métal marginal à celui d’une production de métal mature. De telles situations seront en général celles de marchés de métaux étroits, temporairement mal gérés et qui rentreront rapidement dans le rang.

J’avais avisé Nouméa en 2014 que l’Indonésie menait une redoutable politique de nationalisme de ressources naturelles sur sa production de nickel en privilégiant la transformation nationale de produits finis au détriment d’exportations de minerais. Par la suite, Djakarta a bien privilégié l’installation d’aciéristes chinois au pied de ses mines de nickel et il courtise à présent Tesla afin qu’il y installe ses usines de batteries et de véhicules électriques pour diversifier ses partenariats. C’est une consommation compétitive de nickel qui date de longtemps, qui privilégie l’emploi local, mais dont nous ne voyons les effets qu’aujourd’hui.

Toutefois la hausse des prix provoquant un goulot d’étranglement de la chaîne logistique et une destruction de la demande, des progrès techniques de substitution ont été trouvés. La consommation compétitive du nickel laisse la place à des batteries sans nickel, qui équipent déjà des véhicules électriques. Le raisonnement est le même pour d’autres matières puisque les mêmes batteries de véhicules électriques ne contiennent plus de cobalt et peut-être plus tard plus de lithium.

Enfin, dernière étape, lorsque la consommation compétitive apparaît, des esprits néophytes s’inspirant innocemment de grilles de lecture du Grand Jeu pétrolier et gazier imaginent des « guerres de métaux » qui s’empareront des tensions créées autour de qu’ils nomment « métaux rares ». C’est une erreur, un conflit concentré géographiquement dans le Golfe à peu de chance de se produire simultanément pour des mines de fer, de platine, cuivre, de bauxite, de lithium, de nickel ou de zinc, qui sont dispersées tout autour du globe. Inversement, l’invasion d’Ukraine par le Kremlin a ouvert la porte à un renversement de la Russie et à la future conquête de ses ressources naturelles entre l’Europe et la Chine, avec la question centrale : comment et de quelles façons seront-elles partagées ?

Dans cette hiérarchie aucun minerai ou métal n’est classé dans ce que les médias ou la politique ont désigné avec ignorance des « métaux rares », parce que cette catégorie n’existe pas. Son apparition depuis 2017 ne résulte que de la fake-news environnementale et complotiste promue pour contrer la voiture électrique. Financée en millions de dollars par un lobby pro-pétrole texan, elle a trituré à dessein le canular « métaux rares » avec la notion de « terres rares », ou lanthanides. Relayée en France en toute impunité par des mystifications telles que « guerres de métaux rares » ou « voiture verte, batterie rouge », l’infox avait le but de discréditer la mine, ses emplois et ses métiers, puis les usines d’affinage et métallurgique et enfin la voiture électrique, dont elle affirmait que les batteries n’avaient pas d’économie circulaire alors que les industriels se battent pour les recycler. Infirmons enfin une nouvelle fois une contrevérité : ces batteries ne contiennent pas de terres rares.

La cible ultime de cette infox était d’influer des femmes et hommes politiques, notamment en France. D’aucuns de ces derniers adoptèrent aveuglément la fake news des « métaux rares » sans savoir de quoi ils parlaient, sans remettre en cause ni les communicants et chroniqueurs prêts aux compromissions pour émarger au financement de cette infox ni les médias qui la propageaient et privilégiaient le sensationnalisme, l’émotion délétère, la caricature en diffusant l’intoxication anti-électrique sans examiner, sans étudier le contradictoire, sans regarder les faits, sans s’interroger.

Puis, cette incompétence et cette inculture engendraient la suite de l’infox. Elle prévient désormais que les ressources minières souterraines seraient insuffisantes et entraveraient l’expansion de la voiture électrique et qu’il devient absolument nécessaire d’exploiter les réserves métalliques sous-marines, notamment les nodules de l’Océan Pacifique ou bien dans certains grands fonds des sulfures, encroûtements ou autres sédiments polymétalliques. En 2022, la folie de tels projets saute aux yeux tant l’impact néfaste d’une telle exploitation sur la biodiversité sous-marine est inconnu, écocide, non maîtrisé, donc non souhaitable et non souhaitée par des consommateurs qui bannissent déjà cette idée.

Enfin, dernière résurgence inconsidérée de la fake news : la mobilité hydrogène préférable à la voiture électrique. Dans l’énergie, ce gaz pourrait apparaître comme un facteur de paix, car tout le monde peut en produire, sauf que les métaux de la mine des platines issus d’Afrique du Sud et de Russie sont indispensables à la filière et cela n’a pas été anticipé. Plus grave, l’hydrogène est une solution inadaptée à cause de son rendement électrique et c’est sans doute pour cela qu’Elon Musk a préféré l’électricité. En effet, 70 % de l’électricité introduite dans la filière hydrogène est perdue — de la production d’électricité pour produire le gaz jusqu’à sa destruction dans une pile à combustible d’une voiture — alors que dans la filière à batterie c’est moins de 10 % d’électricité qui est perdue, mais dans son transport par lignes électriques. C’est pour cette raison que l’électricité solaire ou éolienne, qui est une électricité rare, ne doit pas être gaspillée pour produire de l’hydrogène, mais consommée telle quelle et que seuls les transports très fortement carbonés — maritimes, ferroviaires ou poids lourds — doivent être considérés par cette technologie.

L’infox des « métaux rares » ou d’une guerre de ces métaux était donc une mystification pro-pétrole qui a voulu tuer la voiture électrique, une escroquerie livresque d’éco-blanchiment qui niait la technologie et dont rien de grand ne sera bâti. Elle restera de son début jusqu’à sa fin un questionnement sur l’intégrité de certains chroniqueurs et médias et sera une intéressante étude de cas de manipulation de l’information enseignée dans les écoles de journalisme et d’infoguerre. Son seul résultat aura été de créer nos retards européens dans la voiture électrique avec pour conséquence ses cohortes de problèmes industriels et sociaux, alors que rien ne confirme que les futures batteries utiliseront les métaux d’aujourd’hui.

3/ A-t-on déjà tout exploré des usages possibles et autres vertus de nos minerais ?

Non, chaque jour amène de nouvelles découvertes qui transforment une matière banale en un élément stratégique. En 2015, la mode était aux batteries Nickel-Manganèse-Cobalt fortement chargées en cobalt ; en 2020 le nickel était en vogue ; en 2021 l’emprise mortifère des prix de ces deux métaux et l’insécurité thermique de ces batteries propulsent les batteries Lithium-Fer-Phosphate (LFP) sans cobalt ni nickel, mais à base de fer, le métal le plus abondant sur terre. Ces dernières équipent plus d’une batterie sur deux en Chine et dernièrement 50 % des voitures Tesla. D’autres métallurgies sont également disponibles : les batteries LMNO et LMO, fortement chargées en un métal abondant, le manganèse. Et bientôt les nouvelles percées techniques présenteront des batteries avec un électrolyte au sodium au lieu du lithium ou bien un électrolyte solide en céramique, mais aussi des cathodes en nano structure de soufre ou des anodes dopées au silicium.

Cette R&D aboutissant à des substitutions était largement prévisible pour un esprit industriel. Celui-là est toujours préparé aux dynamiques de renversement de théories géopolitiques lorsqu’une matière première prend la place d’une autre, alors que l’inverse est la statique d’un état d’esprit qui copie la géopolitique des hydrocarbures pour construire l’infox des « métaux rares ».

Il me semble d’ailleurs que ces incultures et ces ignorances qui permettent à de telles fake news de prospérer vont sombrer et laisser la place à la redécouverte de ce qu’est l’industrie et le progrès. Cette irruption ne sera pas anormale, tant le discours politique français des dernières décennies évoqué dans votre première question aura été « désindustrialisateur ». Faisons en sorte qu’elle ne soit pas une oasis au milieu du désert.

Les parlementaires européens ont voté le 8 juin dernier l’arrêt des ventes de voiture thermiques en Europe à partir de 2035, sans doute avec tous ces éléments en tête. La conséquence en doit donc être une poussée technologique supérieure en direction de solutions électriques utilisant des matériaux abondants plutôt que d’enfermer l’industrie dans des canulars moralisateurs.

4/ Pouvez-vous évaluer en quantité, mais aussi en potentiel ce que recèle le sous-sol de notre pays ?

C’est une excellente question à laquelle je ne peux pas répondre avec précision. Nous savons qu’en métropole nous ne connaissons ni l’horizon géologique des métaux de base ni des métaux critiques sous une moyenne de 100 mètres, à l’exception de l’uranium qui a été recherché et exploité avant le lancement du programme national des centrales nucléaires et du sujet lithium, métal profus, qui est en cours en Alsace. En revanche, nous constatons qu’il existe en Europe des pays qui exploitent des mines de métaux critiques dans des thèmes géologiques proches du Jura, du Massif-Central des Pyrénées ou de la Bretagne.

Sans répéter les erreurs du passé, sélectionnons quelques sujets métallurgiques, initions des explorations non invasives et confirmons les quantités à exploiter.

5/ Comment décririez-vous une mine moderne, quelque part en France, pour tenter de substituer une image à celle que l’opinion populaire pourrait encore se faire d’un tel lieu ?

Dans les années 50 une génération de géologues, de mineurs et d’énergéticiens exploita ce qui pouvait l’être en France avant de gagner des territoires à l’étranger. Cela permettait l’industrialisation de notre pays post deuxième guerre mondiale. Faut-il rappeler que le cycle industriel c’est : exploration, exploitation et transformation de ressources naturelles, ensuite fabrication industrielle, marketing, puis service et enfin recyclage. Depuis, l’industrie minière française n’a pas échappé au grand mouvement « désindustrialisateur » qui fragilise notre pays. Elle est même une déception pour deux raisons. Par manque de vision, elle est restée prostrée, petite et figée alors que des géants sont nés ailleurs. Glencore, leader minier mondial n’existait pas au début du siècle, il surpasse de loin nos sociétés minières centenaires. D’autres leaders mondiaux, Rio Tinto ou Newmont, ont bâti des empires en achetant notamment des découvertes françaises du BRGM (Yanacocha, Neves Corvo, Tembo Grande,…) qui n’ont pas intéressé des mineurs français, pourquoi ? Depuis cette époque, la mine française n’a eu peu de nouveau projet d’ampleur ou bien le zénith de la catastrophe : l’affaire d’Uramin dont on a fêté le triste quinzième anniversaire le 15 juin dernier.

C’est pourquoi la mine française moderne doit être replacée au centre de l’intérêt général. À notre époque c’est la décarbonation et les métaux extraits qui doivent être sélectionnés pour être réellement utiles à réussir cet objectif tandis que les autres doivent rester sous terre. En d’autres termes nous avons moins besoin de l’or de la Guyane, mais plus d’exploiter avec responsabilité nos gisements métropolitains de titane, de tungstène, d’étain, de lithium d’antimoine, de cuivre… Tous identifiées ou répertoriés dans le sous-sol hexagonal si peu exploré. 

Deuxième réalité, reconnaissons que dans les esprits, la mine en France c’est Salsigne, elle fait peur. Replacer la mine au centre de l’intérêt général et de l’industrie c’est commencer par réparer : faisons nos preuves, nettoyons tous les Salsigne de l’hexagone. Nous en avons les compétences et dans le cadre de l’économie circulaire ces opérations seront rentables.

Troisièmement, libérons l’administration de ses carcans. Par exemple, est-il normal que l’autorisation administrative de deux forages identiques demande un délai administratif de deux mois pour une exploration géothermique, mais souffre d’un délai de deux ans pour une exploration minérale ?

Quatrièmement, la mine n’est plus celle de Zola, la mine française privilégie la sécurité de ses employés et les anciennes méthodes qui ont blessé la nature ont cédé la place aux méthodes environnementales modernes, compatibles avec notre territoire densément peuplé.

La mine française sera souterraine et non pas à ciel ouvert pour limiter son emprise écologique, elle fonctionne naturellement avec des engins électriques ou à hydrogène, elle n’engendre ni poussière, ni déchet, ni bruit à l’extérieur, elle a attiré à proximité les emplois d’industries métallurgiques qui convertissent immédiatement les métaux en produits, sans que ces derniers fassent le tour de la terre pour être transformés et consommés. Elle est enfin une gigantesque pompe à chaleur capable d’engendrer sa propre énergie et fournir l’éclairage et le chauffage des villes aux alentours. En un mot elle a réussi le compromis entre progrès et protection de l’environnement. Inversement, c’est au titre de cette crédibilité que nous devons exclure la folie des mines sous-marines incompatibles avec ces normes d’exploitation responsable.

La France pourrait ainsi ouvrir rapidement une dizaine de petites mines, souvent avec des coproduits qui sont des « métaux stratégiques » et créer une multitude de nouveaux emplois qui serviraient la transition énergétique.

6/ Vous expliquez que le cuivre est perpétuellement recyclable.

Pouvez-vous décrire quelques étapes de la vie d’une tonne de cuivre ?

Une fois sorti de terre au Chili, du minerai de cuivre y est affiné pour isoler le métal. Celui-ci subira ensuite en Europe des transformations métallurgiques pour fabriquer par exemple du fil électrique qui sera utilisé pendant plus de 50 ans dans une maison espagnole. Une fois celle-ci détruite ou rénovée, le fil placé en déchetterie puis recyclé en Turquie et fondu par un métallurgiste en France sera intégré pour sa deuxième vie dans une voiture électrique française ; 60 ans après avoir quitté le Chili.

Dix années plus tard, 100 % du véhicule étant recyclables, le cuivre et d’autres métaux seront orientés vers d’autres utilisations. À chaque étape, ce stock de métaux sur terre économise le stock de métaux sous terre. 

7/ On assiste à un grand retour du nucléaire. Comment expliquez-vous qu’il ait fallu autant de temps ?

Les marchés énergétiques se ressemblent tous, mais les marchés énergétiques nucléaires sont différents chacun à leur façon.

Il y a premièrement l’intumescence de l’Histoire et l’ubris. L’Allemagne commet la faute d’abandonner le nucléaire à cause de son aveuglement écologique. 40 ans plus tard, car l’énergie c’est le temps long, le ministre allemand des Finances reconnaissait récemment que cette stratégie énergétique allemande est une erreur, car basée sur la dépendance du renouvelable adossée et sécurisée de façon illusoire par du gaz, du charbon et du pétrole russe, et non pas sur une énergie décarbonée nationale, comme le nucléaire. Notons au passage une autre vérité ignorée par le dogme écologique : les fameux 400 000 emplois énergétiques verts allemands dans l’éolien et le solaire sont bien adossés à des emplois noirs dans le charbon, le lignite ou le gaz. Si ces derniers tombent, les premiers tombent également, comme le démontre le retour de l’électricité charbonnière cette semaine outre-Rhin, en Autriche et aux Pays-Bas pour adosser les renouvelables en panne de gaz russe.

La France a préféré l’indépendance énergétique du nucléaire à toute autre considération. C’est-à-dire qu’en ce qui concerne le carbone, elle a déjà réalisé sa transition énergétique il y a 50 ans, dans les années 70. Mais curieusement, la génération de boomers qui voyait du haut de ses vingt ans cette souveraineté se construire aura tout fait pour la déconstruire pendant les 50 années suivantes, à l’aide d’une doxa sous domination de l’écologie allemande. L’échec énergétique berlinois actuel est donc le moteur puissant qui replace le nucléaire parisien sur sa trajectoire d’il y a 50 ans.

La Russie ou l’Ukraine n’ont jamais remis en cause l’électricité nucléaire malgré le drame de Tchernobyl. Au contraire, Moscou n’a cessé de progresser dans ce domaine au point que Rosatom conquière le leadership mondial, profitant du vide laissé par la calamiteuse gestion d’Areva puis de sa faillite à cause de la désastreuse opération Uramin. Si Areva n’avait pas été société nationale, elle aurait sans doute été découpée, vendue et désindustrialisée comme Alstom, créant là aussi des fortunes.

La Chine a également profité des 20 dernières années pour considérablement progresser et bâtir une future énergie électrique moins charbonnée indépendante et basée sur l’hydraulique, l’éolien et le nucléaire.

Enfin les États-Unis, anciens leaders mondiaux, se sont remis au travail pour revenir aux premières places de l’énergie nucléaire.

Ces stratégies mettent en évidence que l’ubris, la souveraineté, l’indépendance, la conquête sont les moteurs des doctrines énergétiques et des solidarités stratégiques des pays qu’ils soient des démocraties fonctionnant sous des contraintes économiques et environnementales ou bien des régimes non démocratiques sans ces mêmes contraintes.

La réponse à votre question sur le temps qui s’est écoulé pour le retour du nucléaire en France correspond donc au temps politique au cours duquel une erreur antinucléaire « à la mode » d’une ancienne génération, soit reconnue comme une erreur sternutatoire par la suivante et que celle-ci la dissolve dans la solution. 

Le temps est long dans l’énergie, il ne faut donc pas se tromper. C’est pourquoi Berlin peut dire avec exactitude que soudainement, le temps d’une guerre, les prix de l’électricité actuels permettent aux renouvelables d’être rentables, mais l’erreur est de ne pas voir qu’ils sont hors de prix pour les consommateurs. En d’autres termes, des renouvelables rentables parce que les prix de l’électricité sont élevés à cause du prix du gaz russe, c’est d’autant moins la solution que cette doctrine énergétique aura facilité la catastrophe russo-ukrainienne. Se tromper dans l’énergie en Allemagne c’est également rouvrir des centrales à lignite lorsque le gaz russe n’est plus livré. Se tromper dans l’énergie en Allemagne et en France aussi c’est prendre le risque d’une part de protestations dont Paris a connu les affres il y a 4 ans à cause d’amateurisme politique et d’autre part le risque d’un déclassement économique à cause d’une électricité chère et plus coûteuse que celle de pays concurrents, face à laquelle des taxes carbone aux frontières ne pèseront pas lourd.

Désormais, compte tenu des interdépendances électriques européennes, la nouvelle politique énergétique de Berlin ne peut pas se permettre de se tromper, en s’imposant à elle-même et à l’Europe une deuxième stratégie énergétique catastrophique en moins de 50 ans.

Au contraire, l’Allemagne doit faire sa révolution des idées, re-nucléariser son électricité et la coupler avec ses renouvelables plutôt que de compter sur son lignite ou le gaz russe. Révolution des idées, car ce nucléaire moderne doit faire office de nettoyeur de nos déchets nucléaires actuels. Il doit brûler dans des réacteurs à neutrons rapides (RNR) des charges atomiques qui seront formées du combustible usagé d’aujourd’hui. La France doit également s’engager résolument sur ce chemin, car l’intérêt est que là où 140 tonnes d’uranium minier sont nécessaires dans une centrale actuelle pour produire 1GWatt d’électricité, il suffit de 1,4 tonne (100 fois moins) de déchet gratuit pour produire la même quantité d’électricité dans un RNR. 

Gratuit en effet, puisque ces déchets recyclés en nouveau carburant dans l’économie circulaire européenne du nucléaire sont déjà stockés en Allemagne ou en France ! Ils nous assurent donc une indépendance vis-à-vis de l’uranium minier et d’autres fournitures et donc une réelle souveraineté, car nous disposons de quantités de combustible usagé capable de produire notre électricité pendant 3 000 ans à 10 000 ans.

L’imprécision des chiffres est ici un avantage, car une durée si longue transforme l’électricité nucléaire en renouvelable vertueux puisque cette économie circulaire du nucléaire assure une quantité d’électricité sans déchets, pilotable, abondante et à un prix européen maîtrisé pour toujours. 

Maîtrisé en effet, puisque la matière première, le combustible recyclé est déjà chez nous. Pour toujours également, car après 3 000 ans à 10 000 ans, cette électricité pilotable, non intermittente nous aura permis de découvrir une nouvelle forme d’énergie.

Cette dernière sera peut-être celle du thorium ou l’abandon de la fission nucléaire et l’embarquement pour ITER et la fusion nucléaire, l’énergie des étoiles. Là, que deux seaux d’eau de mer permettront à chaque français d’avoir de l’électricité pour une vie entière, sans engendrer de déchets.

La difficulté de cette perspective n’est pas technique, mais politique, car cette indépendance électrique anéantit un dogme écologiste commun à l’Allemagne et la France. Dès lors qu’ils sont brûlés en produisant de l’électricité, le problème des déchets est supprimé. Nous sommes donc bien face à un choix qui nécessite des personnels politiques qui comprennent vraiment la technique plutôt que la communication.

La fermeture programmée de tous les réacteurs allemands, la fermeture de Fessenheim, l’abandon du programme Astrid, les petits réacteurs modulaires, les EPR et demain les réacteurs à neutrons rapides ou Iter, la souveraineté électrique ne peut s’établir dans l’inconstance politique zigzagante en fonction de vogues électorales. Comme l’écrivait une philosophe des manœuvres politiques : « Le mensonge est souvent plus plausible, plus tentant pour la raison que la réalité, car le mensonge possède le grand avantage de savoir d’avance ce que le public souhaite entendre ou s’attend à entendre. »

8/ Elon Musk PDG de Tesla a signé un contrat pour la livraison de nickel et de cobalt produits en Nouvelle-Calédonie. Y avait-il d’autres moyens de tirer parti de ces ressources nationales ?

Depuis plusieurs dizaines d’années, les finances publiques métropolitaines ont beaucoup investi dans la production de nickel calédonien, notamment grâce à des subventions et aides fiscales. Quel est le retour réel de ces investissements dans l’appareil de production métropolitain, alors que les débouchés commerciaux de la Nouvelle-Calédonie ne sont pas en Europe, mais ils sont focalisés vers la Chine, le Japon ou la Corée du Sud ? Devrions-nous mieux utiliser cette ressource subventionnée par l’État en faveur de l’industrie métropolitaine ?

Pour répondre à ces questions, précisons que dans le Grand Jeu des ressources naturelles s’élaborent puis collaborent ou se confrontent des doctrines “Ressources Naturelles” nationales des États producteurs et celles des États consommateurs. Elles ont de nos jours chacune des trajectoires à très long terme et sont devenues parfois des solidarités stratégiques intergénérationnelles, auxquelles les gouvernements et les administrations qui se succèdent à la tête des pays ne touchent que rarement, parce qu’elles façonnent la relation particulière entre la population et son concept de nation.

Ici, les pays producteurs exercent une stratégie de puissance sur leurs sols ou sous-sols, et ce nationalisme des ressources peut être favorable ou défavorable aux pays consommateurs. Ces derniers, grâce à une diplomatie inventive, comme celle de la Chine, gagnent un accès privilégié à ces matières premières et exercent des stratégies d’influences pour s’approvisionner auprès des pays producteurs, tout en s’engageant également dans des logiques d’économie circulaire via le recyclage et une consommation plus économe en ressources.

Depuis 50 ans, ce rapport de force géopolitique entre ces pays favorisait rarement et unilatéralement les doctrines des consommateurs ou celles des producteurs. Au contraire, les premiers gagnaient un accès géopolitique privilégié aux ressources et les seconds bénéficiaient de l’influence des pays consommateurs, pour notamment développer leurs infrastructures ou leurs industries. Cette influence prenait la forme de transferts de connaissances et de compétences, la structuration de filières industrielles et des capacités de production et des créations d’emplois.

Mais de nos jours, les producteurs de ressources naturelles se sont développés. Le contexte de nationalisme des ressources naturelles ne favorise plus l’aide à leur développement, mais l’inclusion d’usines et de chaînes logistiques au pied de leurs mines dans le but ultime d’exporter non plus des minerais, mais des produits finis. Ces pays producteurs remplacent petit à petit l’usine du monde : la Chine. Identifiant tôt ce mouvement, à la différence des usines occidentales, les aciéristes chinois se sont installés par exemple en Indonésie au pied des mines de nickel.

C’est pourquoi pour réussir sa transition écologique l’Occident doit exploiter ses propres mines plutôt que de publier des listes de métaux critiques qui ne sont que des aveux de ses propres faiblesses et indécisions. 

Construire de telles listes dans le but de communiquer est inutile, car ces métaux sont déjà connus et essentiels aux objectifs stratégiques annoncés, par exemple la fin des moteurs thermiques en 2035. En outre, a-t-on jamais vu la Chine publier la liste de ses métaux critiques ou bien l’état de ses stocks stratégiques détenus sous l’autorité de la National Development and Reform Commission ? Dans une guerre économique, cette information d’intelligence économique doit rester secrète.

Revenons aux stratégies de puissance et d’influence. Comme je l’ai annoncé, elles sont d’autant plus essentielles à de nombreux États et aux filières industrielles post COP21 et post Covid-19 que le basculement de la transition énergétique nous a fait basculer la dépendance aux hydrocarbures vers la dépendance envers les métaux nécessaires pour engendrer, transporter, stocker et consommer l’électricité dans des générateurs, des connecteurs, des chargeurs de batteries, des accumulateurs et enfin des moteurs.

De plus le nouvel ordre mondial du commerce est passé en 2022 de la globalisation à une géopolitique locale avec quelques nouveaux mots clefs d’une grille de lecture de souveraineté et d’indépendance : marchés mondiaux libres, mais sécurisés ; approvisionnements de ressources naturelles disponibles, durables, accessibles en sécurité ; remplacement du « juste à temps » non résilient et global, par le stockage local stratégique de sécurité du « en cas de ». Tout ceci signifie une inflation temporairement plus élevée que par le passé, le temps que la crise de relocalisation soit amortie.

À la lumière de cet ensemble comment la doctrine minière calédonienne, clairement tournée vers l’Asie, se différencie-t-elle de celles de ses concurrents indonésiens ou philippins ?

Premièrement, la Nouvelle-Calédonie n’a pas été assez agile pour attirer les industries chinoise, japonaise ou coréenne sur son territoire afin qu’elles y produisent de l’acier ou des batteries. Ces trains-là sont passés et c’est bien normal, car Nouméa est défavorablement connue pour son déficit énergétique. Comment y implanter de telles usines si éloignées des centres de consommation, sans une électricité verte, très abondante et bon marché, à la néo-zélandaise ?

Deuxièmement, à la différence de ses concurrents, Nouméa revendique un futur « nickel vert » lorsqu’elle sera en mesure de le produire avec de l’électricité solaire au lieu du charbon ou du diesel. Mais, quel est et quel sera le bilan réel de ce « nickel vert » vis-à-vis de la biodiversité ? Ses mines ne se sont pas empressées de sauvegarder la flore endémique, celle qui s’éteint ou qui a déjà définitivement disparu de l’île, qu’en sera-t-il dans le « nickel vert » ? Que dire en outre de l’installation d’énergies renouvelables sur des surfaces gagnées sur ces végétations fragilisées ? En un mot, que signifie « nickel vert » au regard de la biodiversité calédonienne endémique, de la protection de l’air et de l’eau ?

Enfin, quelle est la nature de la doctrine minière calédonienne vis-à-vis de la métropole ? Cette dernière finance le nickel calédonien, mais sera-t-il un jour tourné vers l’industrie française ? Inversement quelle est la doctrine minière de la métropole vis-à-vis du nickel calédonien et d’une manière plus générale vis-à-vis des mines, alors que l’exemple de la mine de tungstène de Salau est emblématique de zigzags délétères ? 

Compte tenu des acteurs actuels, il n’existe donc pas encore de proposition satisfaisante à toutes ces questions, sinon que l’Histoire nous apprend que la gestion des ressources naturelles est fondatrice de la grande politique. Par exemple, une vision partagée entre Paris et Nouméa, motivée par l’investissement métropolitain des dix dernières années, inutile de remonter plus loin, aurait justifié que le nickel calédonien soit fléché vers l’industrie des batteries de fabrication française ou pour le moins européenne, au lieu de servir l’acier asiatique et les usines de batteries des sous-traitants chinois de Tesla. Mais pour cela il fallait une réelle vision politico-industrielle parisienne.

Il y a 2500 ans, le stratège grec Thémistocle exprima la première doctrine “Ressources Naturelles” au service d’une démocratie. Ses concitoyens mutualisèrent la richesse de la mine d’argent du Laurion pour financer 200 navires et vaincre l’envahisseur Xerxès à Salamine en -480. Il avait posé le bon diagnostic qui déterminait la bonne doctrine minière et la bonne vision de défense nationale.

En 1789, avant Napoléon, des Révolutionnaires français guidés par l’intérêt général national décidèrent que ce dernier imposait d’exploiter des mines en France de façon à ne plus importer de ses voisins mieux organisés, des métaux pourtant détenus dans le sous-sol français. Ils organisèrent l’exploitation minière à l’aide du régime des concessions et d’un corps des Mines qui apportât méthodes et connaissances, ils différencièrent le droit du sol et celui du sous-sol et s’appuyèrent sur un service d’ingénieurs compétents. C’était en France le point de départ de l’industrie.

La France n’a pas encore atteint le stade d’un tel diagnostic et de Doctrine Minière qui s’ensuivrait, parce que ni l’un ni l’autre n’ont été recherchés méthodiquement et détermination par une politique respectueuse de l’avenir.

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