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Nous ne sommes souverains ni technologiquement ni numériquement.

Philippe LATOMBE est député de la 1ère circonscription de Vendée, et Cosimo PRETE, le fondateur de Crime Science Technology, lauréat de la French Tech. Cet entretien a été publié le 21 janvier 2022.

1/ Quelle réalité placez-vous derrière le terme de souveraineté technologique ? (Technologique et pas uniquement numérique)

Philippe LATOMBE

Le terme de « souveraineté » est un mot extrêmement galvaudé que chacun redéfinit à l’aune de son idéologie personnelle, ce qui fait que tout le monde ne parle pas de la même chose. Certains font même un micmac entre « souveraineté » et « souverainisme ». C’est aussi une notion mise à mal par la mondialisation de l’économie, de façon encore plus nette concernant le numérique, car la souveraineté se définit comme l’exercice du pouvoir sur une zone géographique déterminée. L’euphorie créée par l’illusion d’un cyberespace qui appartient à tout le monde a donc mis plus de temps à se dissiper. Si virtuel soit-il le cybermonde est le miroir des turbulences du monde réel et les reproduit. Nous ne sommes souverains ni technologiquement ni numériquement. Et ce constat est valable pour la France comme pour l’Europe. Où la situation devient alarmante, et la crise sanitaire a mis le doigt là où cela fait mal, c’est que nous ne sommes pas autonomes dans un nombre de domaines qui dépasse très largement le numérique ou les nouvelles technologies. La première étape consiste donc à viser l’autonomie stratégique et à assurer notre approvisionnement. Pour ce qui est du numérique et des nouvelles technologies, l’enjeu est d’autant plus crucial qu’en quelques années ces technologies ont envahi toutes les activités humaines et sont transversales et indispensables. Pour arriver à cette autonomie stratégique, nous devons recenser méthodiquement tout ce qui peut y contribuer. Nous ne pourrons y arriver seuls et c’est là que l’échelon européen est essentiel.

Cosimo PRETE

Nos sociétés deviennent dépendantes de la technologie et des entreprises qui les contrôlent (réseaux et plateformes, télécommunications, information, santé, commerce, justice, sécurité, armée…). Il me semble que la souveraineté technologique pourrait se définir comme une interaction harmonieuse entre l’État, les citoyens, les territoires et les acteurs économiques dans l’intérêt du plus grand nombre. Puisque la notion de frontière géographique na plus vraiment de sens dans le cadre du déploiement dune technologie, il est important d’entretenir une relation de confiance entre l’ensemble de ces acteurs. Notre société est alors souveraine dans ses choix dans la mesure où elle a la possibilité de choisir librement les solutions qu’elles souhaitent privilégier, en particulier lorsqu’elles impactent massivement les citoyens et leur quotidien (Exemple : la vaccination). Aussi, il apparait important de distinguer souveraineté technologique et patriotisme technologique. Ce dernier consiste à niveau technologique équivalent ou supérieur à favoriser une technologie française.

2/ Quels ont été les fruits, pour vous et pour le pays, de la mission parlementaire sur la souveraineté numérique ?

Philippe LATOMBE

Pour moi ? Ce n’est pas le plus important, loin de là, mais j’ai la satisfaction d’avoir fait un travail qui mobilise le monde de la tech et dont j’espère qu’il inspirera les politiques à venir. J’ai essayé d’être le plus exhaustif possible en multipliant les auditions et donc les intervenants. Je continue à m’investir dans le suivi du rapport afin d’en promouvoir les propositions, avec l’espoir d’en voir rapidement les fruits, pour reprendre le terme utilisé dans votre question, pour le pays.

Cosimo PRETE

Cette mission parlementaire a été l’opportunité de témoigner, en qualité d’expert et d’entreprise de la tech spécialisée dans la sécurisation des documents d’identité, des difficultés que l’on rencontre en France pour concevoir nos documents régaliens tels que la nouvelle carte d’identité électronique et d’accéder à la commande publique.

Crime Science Technology est un cas d’école dans le marché de la sécurité qui démontre qu’il y a une distorsion entre les discours et la mise en pratique par notre administration. Au risque de déranger : pour une même fonctionnalité, comment un donneur dordre appartenant 100% à Bercy peut préférer aux technologies de la French Tech classées dans le TOP 50 mondial des sécurités, des technologies qui ont plus de 30ans et appartiennent à une entreprise étrangère avec une quinzaine de procès en cours pour corruption ? Paradoxalement, notre solution protège la carte d’identité de l’Allemagne qui se veut la plus sûre en Europe et d’autres pays de l’union nous ont sollicité pour protéger leur nouvelle CNIe en 2022.

La mission conduite par le député Philippe Latombe a mis l'accent dans ses propositions sur l'importance de “faire confiance à nos entreprises technologiques”. Il s'agit notamment de “faire de nos entreprises technologiques une priorité nationale, de privilégier, en matière de commande publique, le recours aux solutions d’acteurs technologiques français ou européens”.

3/ Pensez-vous que les enjeux liés à la souveraineté numérique peuvent se permettre de souffrir le jeu improductif de l'alternance politique ?

Philippe LATOMBE

Tant que nous naurons pas un ministère dEtat du numérique doté dune administration compétente et ayant autorité sur les autres ministères sur ce sujet transverse, nous souffrirons de ce que vous appelez « le jeu improductif de lalternance politique ». Remonter notre handicap, énorme en matière de souveraineté numérique, demande une stratégie clairement formulée et planifiée, sur le court le moyen et le long terme, et qui requiert l’adhésion des parties prenantes.

Cosimo PRETE

Le dossier sur « Comprendre la Souveraineté numérique » des Cahiers Français rappelle qu’« alors que la plupart des activités humaines sont désormais régies par les technologies digitales, les États sont entrés dans un rapport de force avec les multinationales qui règnent sur les réseaux numériques. Il s’agit de préserver ou de reconquérir une part du pouvoir qui s’exerce dans ces nouveaux espaces, pourtant conçus pour échapper à l’emprise étatique ». Aussi, il m’apparait évident que les enjeux liés à la souveraineté numérique ne peuvent souffrir de l’alternance politique. Selon moi, il s’agit d’une composante stratégique qui mérite à part entière un ministère. Bien souvent par manque d’expertise, de conservatisme et/ou d’anticipation, nos politiques et grandes administrations se laissent dépasser par la vitesse à laquelle le monde de la tech évolue. Ils ont du mal à l’intégrer alors que les différentes communautés du monde digital ont de nombreuses attentes sur le sujet. D’ailleurs, pour le moment, nos candidats déclarés à l’élection présidentielle ont été assez discrets sur le sujet alors quil ne se passe pas une semaine où lon parle de souveraineté !

4/ Entre une République des experts et une République des généralistes, que faire pour que la représentation nationale comprenne mieux les coulisses de la guerre technologico-commerciale que nous vivons ?

Philippe LATOMBE

Les députés sont à l’image des Français, tous utilisateurs d’Internet mais peu conscients des enjeux où, quand ils le sont, pas toujours suffisamment acculturés aux technologies pour avoir un avis pertinent. Sur les 577 parlementaires de lAssemblée, les spécialistes de ces questions se comptent à peine sur les doigts des deux mains. C’est très peu quand il s’agit de légiférer sur un tel sujet. Cela m’a particulièrement frappé lors de la proposition de loi sur les contenus haineux ainsi que la façon dont s’est peu à peu élaborée une usine à gaz que le conseil constitutionnel a fait exploser en plein vol. Beaucoup de travail parlementaire et beaucoup de bruit pour rien. J’avais prêché dans le vide pendant des semaines. La grande leçon à tirer, c’est qu’il faut lutter contre un certain amateurisme, trouver un ratio équilibré entre ceux que vous appelez députés experts ou députés généralistes. Lexpertise en nouvelles technologies est sous-représentée dans lhémicycle. Il faut dire que les compétences requises sont complexes puisqu’elles sont technologiques, juridiques et in fine éminemment politiques et stratégiques.

Cosimo PRETE

Aujourd’hui, il me semble que la composante innovation/numérique soit éclatée entre différents ministères ; ils ont tous plus ou moins un conseiller technique sur le sujet. En l’état, il m’apparait assez difficile d’avoir une véritable vision transversale. La solution dun « Ministère du Numérique et de lInnovation » avec une force de frappe dédiée permettrait doffrir davantage de ressources tant sur le plan humain que financier. De nombreux parlementaires s’intéressent aux coulisses de la guerre technologico-commerciale, certains en ont fait l’un de leur sujet de prédilection. Je serai pragmatique, rien de tel que de se confronter à la réalité du terrain et sans langue de bois. Je ne peux qu’encourager nos élus à aller à la rencontre des entreprises de la tech et réciproquement, ce qui est déjà le cas pour une partie d’entre eux en circonscription. Nous avons un bel outil qu’est la French Tech : créons des ponts, encourageons la confrontation des idées avec les plus représentatifs de l’écosystème, voir même l’immersion. Des think-tank existent mais je pense qu’il faut aller au-delà. Les coulisses de la guerre technologio-commerciale sont un véritable enjeu de société. Il n’y a qu’à voir les difficultés que rencontrent des pépites de la tech telles que Valneva pour mettre leur produit sur le marché français en pleine crise sanitaire.

5/ Au regard des récents partenariats noués par des grosses entreprises françaises avec des prestataires américains, que dire de la notion d'OIV ? L'ANSSI fait-il correctement son travail ?

Philippe LATOMBE

Il n’y a rien à dire sur l’OIV en tant que définition légale d’un certain nombre d’organisations qui sont difficiles à tous identifier d’ailleurs car leur liste n’est pas publique. En revanche, il faut veiller, pour toutes celles qui sont estampillées pour toute ou partie de leurs activités, à ce que les partenariats avec des sociétés étrangères soient compatibles avec ce statut. Cela exclut une inféodation aux GAFAM. Quand la SNCF choisit Amazon, non seulement elle tourne le dos aux fournisseurs français ou européen, mais elle met tous ses serveurs dans le « panier » Amazon et sinterdit toute possibilité de rétropédalage, de réversibilité. Ce n’est pas le seul exemple, je pourrais citer Radio France qui fait héberger une partie stratégique de l’entreprise par le cloud Azure de Microsoft et c’est Orange qui sert la soupe.

LANSSI fait correctement son travail en fonction de son périmètre dintervention et des moyens qui lui sont impartis. Cela ne veut pas dire quon ne puisse pas mieux faire.

Cosimo PRETE

Selon le SGDSN, « les opérateurs d’importance vitale sont désignés par le ministre coordonnateur du secteur qui les sélectionne parmi ceux qui exploitent ou utilisent des installations indispensables à la vie de la Nation. Les critères de choix et les objectifs de sécurité recherchés sont fixés par le ministère coordonnateur. La procédure repose, d’une part, sur une consultation des opérateurs pressentis, et d’autre part, sur une concertation interministérielle permettant une protection équivalente entre les secteurs d’activités. Le choix des OIV tient compte des éventuelles distorsions de concurrence et vise à éviter les charges indues ». Les OIV sont des acteurs de la stratégie de notre sécurité nationale. Aussi, on peut s’interroger sur le fait qu’ils soient associés de manière directe ou indirecte au « Patriot Act » américain. N’aurait-on pas pu a minima privilégier des partenariats avec des acteurs européens ? De manière plus générale, le coup d’arrêt pour le Health Data Hub démontre clairement qu’il y a un manque de transparence sur la mise en place des marchés et que nous sommes prisonniers (voir victimes) de nos propres règles. 

Face à l’augmentation en quantité et en sophistication des attaques informatiques, et à leurs impacts potentiellement destructeurs, l’ANSSI a pour mission d’accompagner les opérateurs d’importance vitale dans la sécurisation de leurs systèmes d’information sensibles. La France est le premier pays à être passé par la réglementation pour mettre en place un dispositif efficace et obligatoire de cybersécurité de ces infrastructures critiques. Je respecte mais n’approuve pas que les OVI restent souverains dans leur stratégie partenariale tant quil ny a pas la mise en place dun « Patriot Act » à la française. Il en va de même pour les grands donneurs d’ordre dont l’État est actionnaire.

6/ On entend ici et là “plus d'État” et moins d'État”, quelle est la bonne formule en matière de financement et de développement d'entreprises innovantes dun certain nombre dorganisations ?

Philippe LATOMBE

Moins de lourdeurs administratives et plus d’accompagnement dans la recherche de financement, à l’export aussi. On a tendance à multiplier les mesures ce qui complexifie le parcours des porteurs de projet. L’innovation, c’est toujours une prise de risques. Or, elle pèse essentiellement sur le porteur de projet. Il y a un gros travail à faire aussi sur la commande publique et sur les délais de paiement par l’administration pour ceux qui ont été choisis. Plus quune question de « plus dEtat » ou « moins dEtat, cest une question dun Etat qui est là quand il faut et où il faut.

Cosimo PRETE

L’intervention du Président de la République lors de France 2030 me parait très claire : « On a un problème, l'innovation de rupture ne se fait plus dans les grands groupes et la valeur ne se crée plus dans les grands groupes. Ce n'est pas une offense, c'est une réalité. Donc il y a des grands groupes qui sont en train de se transformer très vite, il faut les aider. Mais si la stratégie des grands groupes est de tuer l'innovation qui vient des acteurs qui sont les plus innovants, ils se tueront eux-mêmes à terme ou ils aideront leurs compétiteurs […] La capacité à faire confiance à l'émergence, elle passe aussi par les politiques d'achat. Et là je parle pour l’État comme pour les grands groupes. Si nous avons des politiques d'achat qui ne sont pas cohérentes avec ce que je viens de dire du côté des grandes administrations publiques, des collectivités locales et des grands groupes français, tout ce que je viens de dire n’adviendra pas. Et donc dans la feuille de route que je donne aussi à l'équipe commando, c'est d'intégrer nos politiques d'achat. ».

7/ En quoi consisterait un programme Choose France” dont le but serait de retenir les entrepreneurs français dans l'hexagone ?Fiscalement, sommes-nous attractifs pour nos propres ressortissants ?

Philippe LATOMBE

Le terme « Choose » est, soit dit en passant, assez maladroit, quand on est censé s’adresser à des entreprises françaises que l’on souhaite retenir. Est-ce que fiscalement nous sommes attractifs pour nos propres entreprises ? Clairement non. Il suffit de voir le problème des management packages, où la fiscalité est clairement en défaveur de l’investissement salarié. Les start-up ont intérêt à s’expatrier dans des pays où les conditions sont plus favorables. Il ny a pas besoin d’être très inventif mais de reprendre des idées qui ont fonctionné ailleurs, comme en Israël, où il existe un véritable écosystème fiscal en faveur de linnovation. Nous pourrions par exemple encourager les start-up innovantes et toutes les entreprises d’ailleurs, en leur accordant un abattement de 50% de l’IS quand elles consacrent au moins 30% de leurs bénéfices à la R&D.

Cosimo PRETE

Aujourd’hui, en qualité de lauréat de la French Tech, je fais le constat comme beaucoup d’entre-nous que nul n’est prophète en son pays, y compris dans la Start-Up Nation. Je reprendrai les propos d’Alain Juillet, Ex- Haut Responsable à l’Intelligence Economique (HRIE) : « pourquoi a-t-on appelé un cabinet américain pour organiser la vaccination en France ? Prenons un autre exemple, celui des cartes d’identité qui semble d’actualité. Il faut pouvoir utiliser les techniques les plus modernes pour les rendre vraiment infalsifiables, contrairement à ce qu’on a connu dans le passé. Cela signifie qu’il faut pouvoir faire appel aux meilleures technologies, a fortiori lorsqu’elles existent en France. Or que constate t’on ? Exactement le contraire, car on ne respecte pas les règles élémentaires issues de l’Intelligence économique. Non seulement on ne sélectionne pas les technologies françaises les plus efficaces qui ont fait leurs preuves ailleurs mais, bien souvent, on prend des technologies anciennes chez des interlocuteurs avec qui l’administration a l’habitude de travailler…C’est le contraire des pratiques d’une véritable start-up nation comme Israël ! ». Lexemple américain de la DARPA a démontré que laccès à la commande publique est un élément majeur pour l’émergence des champions. Il me semble avoir inspiré à la Défense la création de lAgence pour lInnovation de Rupture qui na pas encore son équivalent à lIntérieur et dans dautres secteurs stratégiques.

En matière de fiscalité, je vous renvoie à l’actualité sur l’aberration des « managements packages ». Les salariés et les managers qui investissent dans leur entreprise sont fiscalement pénalisés par rapport aux salariés et managers des fonds d'investissement qui prennent une participation dans la même société. Cherchez l’erreur ?

8/ Les grands groupes rendent-ils aux start-up ce qu'ils leur doivent ? L'open Innovation est-elle autre chose que de l'élevage intensif intéressé ?

Philippe LATOMBE

Les grands groupes font beaucoup de nursing, de start-up washing, mais in fine se tournent trop facilement vers les solutions intégrées GAFAM (cf. Orange). Il faut que ils comprennent que les GAFAM vont finir par les tuer et que jouer la souveraineté en Europe a du sens, notamment pour maintenir de la valeur ajoutée et des emplois sur nos territoires, donc sur nos marchés. Attention à la délocalisation GAFAM. Attention à l’évasion fiscale GAFAM qui fera au bout du compte porter la charge fiscale et sociale sur peu d’épaules

Cosimo PRETE

Selon le Président de la République, le plan «France 2030» doit «réconcilier» les start-up et l'industrie, aussi je garde espoir que les propositions de la mission “Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne” soient mises en application : Faire confiance à nos entreprises technologiques. La mise en place de véritables partenariats gagnant-gagnant encadrés juridiquement me semble fondamentales. A ce titre, je salue l’initiative de France Industrie et de l’engagement pris par les 27 industriels signataires du Manifeste des Grandes Entreprises pour soutenir les Startups Industrielles.

Par ce manifeste collectif, les industriels signataires souhaitent concrètement répondre aux besoins exprimés par l'écosystème des startups industrielles, en s'engageant à :

  • Identifier en leur sein au moins un point de contact dédié aux startups,
  • Développer les possibilités de coopérations technologiques (recherche finalisée, développement, et innovation) y compris au travers de la mobilité des compétences,
  • Favoriser l'accès des startups aux financements, notamment en facilitant des alliances et des partenariats financiers ou capitalistiques.
  • Respecter un cadre de coopération établi dans un mémorandum d'accord protecteur des uns et des autres, notamment en matière de propriété intellectuelle, de protection des données et de gouvernance,
  • Co-organiser et participer à des sessions de rencontres professionnelles pour formaliser les besoins réciproques et accélérer de futurs partenariats commerciaux.
  • Valoriser médiatiquement les partenariats développés avec les startups industrielles sous forme d'actions de promotion et de communication pour les faire gagner en visibilité.

9/ L'Europe veut se distinguer sur le terrain du droit. Mais on a vu récemment avec Europol qu'elle avait du mal à montrer l'exemple. Le numérique européen, comment le définiriez-vous ?

Philippe LATOMBE

La situation du numérique européen est comparable à celle du numérique français, selon le bon vieux principe du « aux mêmes causes, les mêmes effets ». De mauvaises habitudes ont été prises dès le début et, malheureusement, perdurent. Quand la CJUE intervient, l’administration européenne a bien du mal à se plier aux décisions juridiques qui ont été prises. La CJUE est par excellence le lieu de la défense juridique de la souveraineté et des libertés à l’ère numérique.

Les DSA, DMA et Data Act sont des initiatives nécessaires, et il est impératif de les adopter rapidement si l’on veut éviter le lobbying, mais ensuite il faudra nourrir une véritable réflexion stratégique sur le numérique, du hardware (puces) jusquaux innovations post-quantiques en cours et à venir, ce qui demande un commissaire, vice-président de la commission, et une version européenne de la Darpa, qui soit puissante et écoutée, pas seulement composée de fonctionnaires européens, mais aussi de dirigeants, à la fois fins stratèges et managers agiles.

Cosimo PRETE

L’actualité récente a titré que « Europol se fait épingler pour stockage illégal de données d’enquêtes de police ». L’équivalent européen de la Cnil, le European Data Protection Supervisor (EDPS), a annoncé le lundi 10 janvier 2022 avoir ordonné à Europol de supprimer un large éventail de données que l’agence de police européenne a amassé en dehors de tout cadre légal. Un constat qui interroge également sur le cadre des collectes de données réalisées par les polices du vieux continent notamment dans le cadre du pass sanitaire. Je ne vous cacherai pas que cette situation soulève de nombreuses interrogations. Il me semble intéressant d’avoir une approche transversale du numérique : technologique, socio-économique, normative/légale. L’affirmation de la souveraineté numérique est devenue un fil rouge dans la définition et la mise en œuvre de la gouvernance européenne. Les technologies numériques sont en train de changer la vie des citoyens. Il appartient à l’Union Européenne de faire en sorte que cette transformation profite aux citoyens et aux entreprises. « Celle-ci doit maintenant renforcer sa souveraineté numérique et fixer des normes au lieu de suivre celles des autres, en mettant clairement l’accent sur les données, les technologies et les infrastructures ».

10/ Il y a 300M de francophones dans le monde. Est-ce que cela vous inspire de possibles initiatives sur le terrain du numérique ?

Philippe LATOMBE

300 millions de francophones, c’est le chiffre de l’OIF. Il est contesté. Certaines estimations sont beaucoup moins optimistes et avancent 130 millions, car elles prennent en compte ceux dont le niveau de français en permet une maîtrise suffisante pour un usage courant et quotidien, voire professionnel. Par ailleurs, si vous prenez lexemple de lAfrique, les Américains et maintenant les Chinois ont fait main basse sur les marchés. On peut parler de cyber-colonialisme. S’il y a des créneaux où la France peut encore espérer s’implanter, ce serait plutôt dans des niches technologiques très spécifiques comme la cybersécurité, la télé-médecine, les nouvelles technologies agricoles ou le télé-enseignement, et cela demande un accompagnement, notamment concernant la sécurisation des projets d’implantation.

Cosimo PRETE

J’aurais un clin d’œil pour le programme French Tech Tremplin qui vise à faire en sorte que l’écosystème de La French Tech soit aussi riche et pluriel que la société dont il est issu. Il a été conçu pour rééquilibrer les chances et faire en sorte que tous les talents aient accès aux mêmes avantages que les entrepreneurs issus de milieux plus privilégiés. En qualité de membre du jury, j’ai eu la chance de découvrir des candidats qui ont des projets passionnants. Peut-être une opportunité de découvrir dans la prochaine newsletter de « Souveraine Tech » le détail de ce programme et le témoignage des candidats !

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