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Newsletter n°66 - 15 septembre 2023

⭕️ Éditorial

Idéation & maillot à fleurs
Même si je suis sur le point de réaliser un rêve en faisant converger au même et bel endroit un assez grand nombre de personnes ressources, désireuses de faire joliment avancer les choses une pinte de Duchesse Anne à la main, sans revenir sur les sempiternelles querelles sémantiques, je me suis mis en tête de formuler une énième définition de la souveraineté. Pour votre parfaite connaissance des conditions dans lesquelles j'y suis parvenu, je dois vous avouer que sur les coups de 19h, j'ai, hier, laissé glisser mon bulbe en effusion dans une eau couleur menthe sous un ciel d'absolue porcelaine, et que j'ai nagé pendant une bonne heure à la poursuite des termes appropriés. Il faut parfois savoir se donner du mal à la tâche. Sur la méthode, nombreux sont les auteurs qui ont vanté les mérites de la marche dans le processus d'idéation. Peu, étonnamment, mentionnent les vertus du bain énergique en maillot à fleurs. Comme c'est dommage. Voici donc ma définition. La souveraineté pourrait être la capacité de mobiliser les ressources matérielles et immatérielles d'une communauté de destin dans le but de la mettre durablement à l'abri du danger, du besoin et de la médiocrité. Le vendredi 29 septembre au Palais du Grand Large, rejoignez-nous donc pour les travaux pratiques, et un bon bain, si vous goûtez l'eau à 15°. Au pire, vous l'allongerez avec autre chose.

 

Bertrand Leblanc-Barbedienne




Nous recevons aujourd'hui, vendredi 15 septembre 2023 Camille Roux, qui est présidente et cofondatrice de Themiis.



L’autonomie stratégique va de pair avec la souveraineté.


⭕️ Conciliabule

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de "disputatio" ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n'engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d'influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l'objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.


1) Quelle place la France occupe-t-elle aujourd’hui dans le concert des nations et des organisations ?

Depuis il y a eu les images lors des manifestations des gilets jaunes contaminées par les black blocks et cette photo symbolique des destructions de l’arc de triomphe...sorte d’image apocalyptique en miroir de la France d’aujourd’hui. Or pour rayonner, pour dire les choses simplement, il faut que « cela aille bien chez soi ». Dans les relations internationales, son terrain de jeu s’est réduit également, la France a des forces militaires pré-positionnées un peu partout dans le monde, un réseau diplomatique qui reste important même s’il s’est réduit ces dernières années, mais on mesure qu’elle a du mal à peser, par exemple dans la zone indo-Pacifique, au milieu des grands. Sur tous les grands dossiers internationaux de ces dernières années, Syrie, Libye, Iran, Liban notamment, la France a peu souvent joué un rôle de premier plan, ou bien, pire son implication a été fortement critiquée (cf cas de la Libye avec les conséquences que l’on connait).

Donc faite de "succès achevés et de malheurs exemplaires" pour reprendre l’expression du Général de Gaulle, la France a perdu son rang dans le grand concert mondial des nations. Cela dit, faire ce constat, cela ne veut pas dire que tout serait inexorablement en déclin. La France a des atouts, elle reste ce pays « poil à gratter » qui a une façon particulière d’aborder les sujets, et il faut au-delà de notre statut (membre permanent du conseil de sécurité, 27 représentations permanentes ou délégations auprès des instances internationales, etc.), retravailler nos fondamentaux (est ce que la notion de puissance d’équilibre(s) fonctionne encore ?), afin que ce que la France a à dire soit écouté, et suivi. Il faut revoir pour cela le contenu, mais aussi les vecteurs, et la forme de notre présence dans le concert des nations, pour redevenir une puissance de confiance.

2/ Comment la cybermenace vous semble-t-elle en mesure de redistribuer les cartesdans les relations internationales ?

Nous sommes dans une cyberguerre mondiale. L’espace cyber est sans doute l’espace le plus confrontationnel à l’heure actuelle. La cour pénale internationale vient d’ailleurs de considérer cette semaine que des actes commis dans le cyberespace pourraient constituer des crimes de guerre. La quasi-totalité de nos vies étant régie par des réseaux informatiques, cela multiplie nos potentielles fragilités, et divise le monde en deux camps : ceux qui ont les moyens de mener ces attaques, et de les exploiter ensuite, et ceux qui restent à la traine. Ce différentiel technologique gigantesque entre les nations redistribue très clairement les cartes. Parce que les potentialités et les conséquences de ces cybercrimes sont énormes et peuvent donner un avantage très grand à celui qui les commet (en termes d’informations piratées, de surveillance – cf Pegasus- ou de paralysie de la cible notamment). Toutes les notions de sécurité, de confidentialité, de contrôle, sont remises en cause. Avant on employait à tout va « combien de divisions », aujourd’hui il faut dire aussi « combien de hackers » ? Enfin, le cyber c’est l’espace du façonnement des opinions publiques, et donc du contrôle des marqueurs démocratiques (influence sur les élections par exemple). C’est par essence même un outil clé de souveraineté. Dans ce monde soi-disant ultra contrôlé, régulé, normé qu’est le nôtre, l’espace cyber est enfin le lieu où s’opèrent des réorganisations sociétales profondes (dark web, ventes mafieuses, crypto monnaies etc..) qui elles aussi participent à redistribuer les cartes dans les relations internationales.

3/ Comment pouvez-vous décrire le niveau d'acculturation de la France aux enjeux de la guerre informationnelle ?

Je pense qu’il faut dissocier 2 choses : l’action de l’État en matière de guerre informationnelle pour commencer. Celle-ci est beaucoup plus offensive qu’elle ne l’était il y a quelques années à mon sens, et parmi ces actions, il faut distinguer celles qui sont
ouvertes (officielles) et celles qui sont clandestines. Sur ce dernier volet, nous n’allons sûrement pas assez loin car nous sommes d’abord une démocratie - nos modalités d’actions diffèrent des régimes autoritaires-, et nous sommes aussi régis par des mécanismes de transparence et de contrôle qui nous limitent sûrement. En face, ceux qui nous affrontent dans les champs immatériels, n’ont pas les mêmes retenues ou états d’âme. Ce qui est probable, c'est que nous avons mis du temps à rentrer dans une culture offensive de la guerre informationnelle, et à contrer les attaques envers la France par exemple en provenant des puissances étrangères. Elles ont commencé il y a longtemps pour ce qui est de l’Afrique, on s’est réveillé tard. On en voit les résultats aujourd'hui très clairement. Mais au niveau de l’État, les esprits sont quasiment tous sensibilisés à cette guerre informationnelle. Et historiquement d’ailleurs, la France a été à la pointe de ces sujets, même si cela avait été délaissé depuis la fin de guerre froide pour diverses raisons.

4/ Percevez-vous des signes qui annoncent l'avènement d'un monde différent que le monde globalisé auquel on est habitué ? Et le cas échéant, quelle forme le voyez-vous adopter ?
Oui il y a un certain nombre de signes. La globalisation, c’est-à-dire l’intégration des marchés sur le plan mondial, ne va pas disparaître du jour au lendemain. En revanche elle va changer de forme, et la dynamique des flux va se réorienter. D’abord pour des considérations très pragmatiques de fonctionnement des chaînes d’approvisionnement, de coût du transport, de l’énergie, des pénuries, des sanctions, etc. Et en parallèle, le sens des appartenances des groupes nationaux va se modifier, et les repères qui leur sont liés, vont changer de grammaire. Le tableau est le suivant : pluri-polarité et multi-alignement du sud global, regroupement de pays dans une forme de croisade anti-occident , en tout cas dans un mouvement de refus de son hégémonisme (voir le dernier sommet des BRICS) sur le thème des valeurs (après la contre-culture, mouvement que l’on pourrait qualifier de « contre-décadence » ) et de la monnaie (dédollarisation de l’économie même si on en est encore loin), antagonisme Chine –États-Unis, décrochage économique sévère de régions entières dû entre autres aux instabilités politiques, sécuritaires et climatiques, prégnance et développement des mafias dans tous les secteurs économiques, multiplication et accroissement des menaces cyber, compétition encore plus féroce pour les ressources, réveils identitaires, migrations climatiques. En prenant en compte tous ces paramètres, nous allons vers un monde ultra instable, chaotique, avec à la fois d’une part une dynamique de la norme, du tout contrôle, et de la transparence (qui serait plutôt l’apanage ce que l’on nomme « l’occident »), avec l’idée que plus on est anxieux plus on régule comme action de réassurance, et d’un autre un monde plus sauvage, pas forcément moins contrôlé en revanche pour ce qui est des régimes autoritaires, mais dans tous les cas moins régulé. Avec en toile de fond, la fin du monopole occidental sur les affaires du monde, la fin des alliances traditionnelles, et une diplomatie obscurcie par de la gestion de crises permanentes. Et donc in fine, on chemine de plus en plus vers des groupes de pays qui se réuniraient sur des considérations plus politiques qu’économiques (avec des blocs où le volume des échanges ne serait pas forcément le critère de réunion), et donc vers une mondialisation / globalisation que l’on pourrait qualifier de fragmentée. Ce monde a commencé depuis le début des années 2000 en fait. Beaucoup ont refusé de le voir ou ronronnaient tranquillement avec des schémas de pensée anciens, parce qu’ils étaient confortables et qu’ils étaient surtout plus rassurants pour une partie de l’Occident.
5/ Quelle est la vision dont le président de la République vous semble porteur pour l'avenir de notre pays ?

Le président de la république me semble porteur avant tout d’une vision essentiellement économique pour l’avenir de notre pays. Beaucoup de réformes ont été menées, certaines sont allées dans le bon sens. La France a su conquérir beaucoup d’activités financières de la City après le BREXIT, les investissements directs étrangers (IDE) sont dynamiques, ce qui est un signe de la vitalité de l’attractivité économique du pays, dans un environnement international complexe. Mais il manque quelque peu cette patte politique, c’est-à-dire savoir sentir la France éternelle, ses régions, ses particularismes, comprendre les symboles qui sont induits dans toute action politique ; un certaine culture des relations internationales également fait défaut (on ne passe pas uniquement quelques heures dans un pays en Afrique...) et des rapports de force (nos alliés ne sont pas toujours nos amis). Et donc, il manque cette vision d’ensemble. Non pas pour en faire un fourre-tout économico-diplomatico-sécuritaire, mais pour avoir une vraie stratégie et se fixer un cap et des lignes rouges. Aujourd’hui par exemple, on parle de souveraineté à tous les étages, mais, - et votre site s’en fait noblement souvent l’écho - , des fleurons stratégiques et des pans entiers de notre industrie passent entre les mains de capitaux étrangers, ce qui compromet sérieusement notre souveraineté industrielle. En outre, le Président porte une vision essentiellement européenne, nul ne peut lui contester cela, qui peine parfois à réorienter sa politique en cours de marche, quand nos partenaires principaux ne sont plus forcément nos alliés sur une certain nombre de sujets (exemple de l’Allemagne).  Enfin, le Président est conscient de l’importance de la dynamique de l’influence, dont il a fait une priorité stratégique depuis 2022. Quels outils va-t-il mettre en place pour cela ? Je suis partagée entre l’idée de dire « enfin ! » et d’un autre côté, le propre de l’influence, c’est justement d’en faire sans jamais le dire.... Plus on va véhiculer un discours officiel de l’influence, plus on risque de se voir rejeté.

6/ L'idée de coopération semble battue en brèche par la vivacité et la brutalité des antagonismes. Pouvez-vous nous donner des motifs d'espérance ?

Plus il y aura des crises, et plus il y aura un besoin de coopération, dans tous les domaines. Il nous faut être plus créatifs et multiplier les formes de coopération, et savoir aussi... agir entre les lignes...et donc il faut également favoriser l’émergence de nouveaux acteurs de la coopération, société civile ou entreprises privées. La confrontation amène aussi des idées, des nouvelles alliances.... Un peu comme les couteaux qui s’aiguisent entre eux. De cette brutalité des antagonismes que vous évoquez, il peut sortir aussi de grandes choses. Cette accélération des crises ces dernières années, cela a sans doute contribué aussi à nous réveiller et à sortir d’une certaine torpeur qui nous empêchait quelque part de réfléchir à de nouveaux mécanismes de coopération. Ce qui est certain, c’est que dans cette idée de coopération, cela ne sera plus les pays du Nord pour les pays du Sud, mais certains pays du Nord avec certains pays du Sud.

7/ Dans l'argumentaire de Themiis, vous parlez d'autonomie stratégique et non de souveraineté. Est-ce à dessein et si oui pour quelle raison ?

L’autonomie stratégique va de pair avec la souveraineté. Sans autonomie stratégique, un pays est dépendant et ne peut jouir réellement de sa souveraineté. C’est une composante de la souveraineté si vous préférez.

8/ On peut lire beaucoup de commentaires condescendants à l'endroit de l'Afrique. Dans quels domaines pensez-vous que nous autres Français devrions nous y prendre à deux fois avant de verser dans ce travers ?

Notre désinfluence en Afrique c’est le grand sujet du moment. La claque est magistrale. Beaucoup de choses ont été dites, écrites sur ce sujet, je ne vais pas y revenir. La question que je me pose toujours c’est: quand est ce que l’administration et les hommes
politiques rendront des comptes de leurs actions ? Pour répondre à votre question, dans tous les domaines on devrait s’y prendre à deux fois avant d’être condescendant ! Convaincre l’autre, ce n’est pas le mépriser, lui donner des leçons et l’humilier. Pour construire des partenariats solides, il faut se mettre à la place de l’autre, le comprendre, saisir ses évolutions, ses besoins, ses envies, ses réticences. Le monde a tellement changé ces 20 dernières années, tout va très vite, et on ne nous attend pas. Donc il faut être agile, à l’affut des changements, pragmatiques et gracieux. Or on est trop engourdis dans notre mode de fonctionnement, on met trop de temps à percevoir les changements (exemple en Afrique : les sociétés africaines changeaient et on continuait avec une « coopération à la papa »), on est régi par l’idéologie, et on est « lourdingue » avec une position de donneur de leçons qui
insupporte. Donc on nous met dehors.

9/ Qu'est-ce qu'une nation heureuse en 2023 ?

Ce serait une nation où il y aurait moins de confrontations entre les différentes composantes de la société, plus d’harmonie, moins de rapports de force entre les groupes sociaux, où les familles ne seraient pas angoissées pour remplir leur réfrigérateur et terminer le mois, où chaque parent pourrait se dire que l’ascenseur social fonctionne encore et que nos enfants vivront mieux que la génération précédente. Bref une nation où l’on pourrait vivre dignement de son travail et pouvoir se projeter dans l’avenir avec sérénité et espérance. Une nation heureuse c’est une nation où on ne serait pas esclave des autres, et où notre mode de pensée resterait libre de toute emprise des algorithmes.... Ce serait une nation où l’on se serait ré approprié la notion du temps. Ce serait aussi une nation qui est fière d’elle-même, qui n’aurait pas à devoir sans arrêt s’excuser de son histoire, de ses traditions, qui aurait fait la synthèse avec paix et courage de ses échecs et de ses succès, et dans laquelle l’apprentissage des connaissances et surtout la capacité à raisonner, seraient au cœur du projet de société. Ce qui menace aujourd’hui fondamentalement, c’est l’obscurantisme, la violence mécanique, immédiate, systématisée, dans le débat et dans l’espace publics. En d’autres termes, ce serait une nation qui replacerait l’individu au centre de préoccupations primaires : vivre en harmonie avec son environnement, se redonner du temps, s’instruire, s’élever spirituellement quelle que soit la manière, et en même temps une nation qui rattacherait cet individu à un collectif qui ferait sens.

10/ Que diriez-vous à quelqu'un qui hésiterait à l'idée de soumettre sa candidature à une session nationale de l'IHEDN (majeure souveraineté bien sûr) ?

Je lui dirais qu’il faut y aller les yeux fermés ! A l’IHEDN, on arrive souvent à un âge où on a déjà parcouru un petit bout de chemin. Si vous êtes sélectionné, c’est que l’Institut considère que vous avez réussi plus ou moins dans votre vie professionnelle, au sens où vous allez compter auprès de vos pairs pour faire passer des messages sur la résilience de la nation par exemple, ou l’esprit de défense. Non seulement cela va vous remettre dans le bain de la formation, ce qui est essentiel tout au long de la vie, comme si vous retourniez sur les bancs de l’université, mais surtout, à ce stade justement de votre développement personnel et professionnel, cela évite que vous vous ankylosiez ou vous sclérosiez ! Le sel de cette formation, c’est de confronter ses points de vue, ses idées (y compris reçues), avec des gens qui ont un parcours radicalement différent du votre, en mélangeant des chefs d’entreprises, petites et grandes, syndicalistes, chercheurs, journalistes, personnes travaillant dans le secteur associatif, ONG, civils et militaires, etc... Ce brassage est intellectuellement stimulant et humainement très riche. Vous apprenez à découvrir des gens avec des parcours dont les aspérités ne se devinent pas au premier abord. Ceux qui en tirent vraiment partie sont ceux qui ouvrent leurs chakras et sont capables de se dire : ok, je reprends tout de zéro. Et pour reprendre Pierre Desproges, ne pas oublier d’être un peu fêlé pour laisser entrer la lumière....

 



⭕️ Mezze de tweets

 

 

 

 

 




⭕️ Hors spectre

Triptyque de l'Apocalypse, détail. Augustin Frison-Roche

J'ai su depuis mes premières années de vie qu'il était plus important d'être bon, que d'être intelligent. Edith Stein

 

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