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Le RGPD ne prévoit aucun mécanisme permettant d’empêcher la prédation des données personnelles des européens par des géants américains et ne limite que de manière imparfaite les transferts hors de l’union européenne.

Maître Alexandre Mandil est avocat à la cour, DPO externe et membre du corps professoral à l’EGE (École de Guerre Économique) Cet entretien a été publié le 29 avril.

1/ Vous dites avoir deux amours, la nation française et la civilisation européenne. La meilleure façon de réconcilier deux points de vue qu'on tente de nous présenter comme opposés ?

Effectivement, j’ai coutume d’affirmer que mes deux amours sont la nation française et la civilisation européenne. La nation française d’abord, car la France est ma patrie, ma loyauté politique va à la France et son Histoire est celle que je fais mienne. La civilisation européenne ensuite, car, si les nations peuvent aisément mourir et disparaitre emportées par le tragique de l’Histoire (guerre, colonisation, catastrophe naturelle…), les civilisations m’apparaissent bien moins mortelles et parviennent souvent à survivre aux catastrophes sous une forme ou sous une autre. Or, l’Europe est la civilisation qui m’habite ; il m’est facile de me sentir chez moi à Rome, à Genève, à Vienne, à Paris ou à Madrid, ce qui n’a jamais été le cas en Chine, en Indonésie, en Afrique, au Moyen-Orient ou même aux Etats-Unis. Mon sentiment d’appartenance à la civilisation européenne s’exprime, indépendamment de tout sentiment patriotique, dès que j’admire une œuvre d’art européenne - peinture, sculpture, littérature, musique ou architecture – qu’elle soit le style baroque, classique ou romantique de celle-ci.

Loin d’être opposés, ces deux points de vue sont, de fait, réconciliés par la France. Comme l’écrit Jacques Bainville dès les premières pages de son Histoire de France, « le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation ». La France est celte, gréco-romaine, franque et normande. Nice, Perpignan, Strasbourg, Toulouse ou encore Lille témoignent de cette diversité européenne réunie par l’Histoire dans un hexagone.

De manière plus prosaïque, plus politique, je suis convaincu que, dans un monde où les grands empires renaissent et où les affrontements civilisationnels sont de plus en plus prégnants, tout dirigeant français devrait toujours, d’abord protéger les intérêts de la France et ensuite défendre la civilisation européenne. Chaque fois que l’Europe peut agir comme un bouclier d’Archimède pour la France, la carte européenne devrait être jouée. En revanche, lorsque les intérêts français ne coïncident pas avec ceux d’autres nations européennes, alors la vision française devrait prévaloir. Je pense notamment au programme SCAF qui ne devrait pas conduire la France à prendre le risque d’adopter, au nom de l’Europe, un Eurofighter 2.0 décevant et cher au détriment d’un Rafale 2.0 performant et compétitif.

2/ Cryptomonnaies, blockchain, web3…Tout cela vous apparaît-il comme une opportunité ou une menace pour les États ?

Je suis mitigé sur la question. Du point de vue des Etats, les cryptoactifs représentent d’abord une menace. En effet, les cryptoactifs reposent sur différentes blockchains répondant à des caractéristiques différentes mais qui sont le plus souvent décentralisées. A ce titre, elles ne sont pas directement sous le contrôle des Etats et des banques centrales et représentent un réel défi pour la souveraineté des Etats. On se souvient notamment du projet de cryptomonnaie stable (stablecoin) Libra/Diem initié par Facebook/Meta en janvier 2019 qui, en raison du nombre d’utilisateurs de Meta dans le monde, de sa stabilité par rapport au Bitcoin et des participants évoqués (Visa, Mastercard, PayPal, Stripe, Ebay…) avait provoqué une levée de boucliers des différentes banques centrales dans le monde jusqu’à aboutir au départ du projet de la plupart de ses membres fins 2019 puis à l’abandon du projet en début d’année 2022. Ce projet avait été vue comme une atteinte par les Etats, Etats-Unis compris, à leur monopole monétaire et est à l’origine de la plupart des projets de règlementation.

Encore aujourd’hui, la France, avec la Loi Pacte de 2019, est l’un des seuls pays européens à disposer d’une règlementation des « cryptoactifs » et des émissions de jetons (ICO). Toutefois, la Commission européenne a présenté en 2020 son paquet « Finance numérique » intégrant notamment une proposition de Règlement sur les marchés de cryptoactifs (MICA) qui vise à encadrer les émetteurs de cryptoactifs et les fournisseurs de services sur cryptoactifs (CASP). Cette proposition s’inspire en partie du régime d’enregistrement français mais intègre un régime obligatoire d’agréments pour certains acteurs (actuellement facultatif en France) et prévoit des exigences inédites relatives aux émissions de stablecoins afin de répondre aux risques pour la stabilité financière et pour la conduite d’une politique monétaire ordonnée qui pourraient résulter de ces derniers.

L’Union européenne n'est toutefois pas la seule à vouloir réguler les prestataires du secteur des cryptoactifs. Au Royaume-Uni, la Financial Conduct Authority (FCA) leur a fixé un ultimatum pour s'enregistrer afin d'obtenir une licence les autorisant à poursuivre leurs activités sur le territoire, tandis qu’aux Etats-Unis, les projets de règlementation se concrétisent et qu’en Chine la réglementation se durcit davantage.

Le paradoxe est que les cryptoactifs ne sont, le plus souvent, pas considérés juridiquement comme des monnaies, car n’ayant pas cours légal, contrairement au dollar, à l’euro etc. Toutefois, les Etats ont de plus en plus tendance à vouloir réguler les cryptoactifs en leur imposant des règlementations similaires à celles applicables… aux monnaies. Ainsi, au nom de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme par l’intermédiaire de cryptoactifs (pratique représentant une infime parti des transactions effectuée via les cryptoactifs mais en progression constante), l’Union européenne entend réviser le règlement de 2015 sur les transferts de fonds en devise afin d’appliquer les strictes obligations de transparence, de déclaration des opérations et de « screening » des risques aux cryptoactifs.

Cependant, les cryptoactifs représentent également une opportunité pour les Etats. D’abord, pour certains Etats, qui, à l’instar du Salvador et de la Centrafrique, reconnaissent ou étudient la possibilité de reconnaitre les cryptoactifs (et notamment le Bitcoin) comme monnaie légale en parallèle de leur propre monnaie souvent fragile. Ces initiatives sont toutefois critiquées par le Fonds monétaire international et constituent objectivement un pari particulièrement risqué pour la sécurité et la stabilité financière de ces pays qui ne maitriseront plus totalement leur politique monétaire et les transactions réalisées et pourraient ouvrir en grand la porte aux activités mafieuses.

Sans aller jusqu’à reconnaitre les cryptoactifs en tant que monnaies légales, de nombreux Etats, qui les interdisaient jusque-là, sont revenus sur leur décision. C’est notamment le cas de l’Ukraine, de la Russie et de l’Inde. D’autres pays parient sur l’émission de monnaie numérique par les banques centrales elles-mêmes afin de concurrencer les cryptoactifs privées. C’est notamment le cas de la Banque centrale européenne (BCE) qui étudie depuis 2020 la possibilité de créer un euro numérique utilisable pour les paiements de détail (c’est-à-dire pour les dépenses courantes des particuliers et des entreprises) et qui serait échangée à parité avec l’euro. La BCE entend ainsi déployer l’euro-numérique d’ici à cinq ans pour répondre au déclin des paiements en espèces au profit de la dématérialisation croissante des paiements et à la multiplication des cryptomonnaies. Elle s’inscrit dans le contexte de développement de projets similaires, notamment aux États-Unis (réflexions de la Federal Reserve) et en Chine (le e-yuan est désormais opérationnel sur les téléphones depuis le mois de mars 2021).

Enfin, s’agissant du métavers particulièrement en vogue aujourd’hui dans l’actualité, Emmanuel Macron a évoqué pendant la campagne présidentiel la nécessité de créer un métavers européen. L’idée part d’une bonne intention néanmoins ce projet reste totalement flou et le concept demeure bien mal défini… Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire et à écrire sur les métavers en tant que tel…

3/ Pensez-vous que l'Europe pourrait inventer une alternative à la domination américaine par les cartes de crédit ? (Plutôt que de lancer la sienne comme c'est prévu dans quelques années)

Le lancement d’un schéma de carte de paiement européen est une idée qui revient régulièrement mais qui n’est pas neuve. En effet, le marché européen de la carte de paiement est largement dominé par deux acteurs américains, Visa et MasterCard. Certains concurrents domestiques, comme c’est le cas en France avec le GIE Cartes Bancaires ou en Allemagne avec Girocard, sont parvenus à leur opposer jusqu’ici une certaine résistance mais ils demeurent peu connectés les uns aux autres et ne constituent pas une réelle alternative européenne. Cette domination américaine est préoccupante dans la mesure où elle s’accompagne d’un accaparement des données liées au paiement qui sont particulièrement riches tant d’un point de vue quantitatif (cela représente des milliards de transactions) que qualitatif (ces données révèlent notamment les habitudes de consommation des européens et permettent d’analyser assez finement l’activité économique de notre continent). 

Dès lors, la perte de contrôle de l’Europe sur les paiements au profit d’acteurs américains (et demain chinois) engendre des risques de multiples natures qui mettent directement en péril l’indépendance stratégique européenne et la souveraineté de ses nations. La manière dont le blocage des paiements par carte Visa et MasterCard et par virement SWIFT sont utilisés contre la Russie depuis 2014 devrait nous alerter sur notre dépendance aux Etats-Unis si demain nous en étions la cible. Cela a presque été le cas lorsque, dans le cadre du retrait américain des Accords de Vienne sur le nucléaire iranien en 2018, le président des Etats-Unis Donald Trump avait menacé d’obliger Visa et Mastercard à couper l’accès à leurs réseaux aux pays qui continueraient à commercer avec l’Iran.

Faisant suite à un premier projet de système de paiement européen « Monnet » abandonné en 2012 en raison de profonds désaccords entre les banques européennes et la Commission européenne, plusieurs grandes banques européennes (dont les principales banques françaises), encouragées cette fois-ci par la Commission européenne et la BCE, avaient pris l’initiative de lancer en 2 juillet 2020 un nouveau système de paiement par carte paneuropéen baptisé EPI (European Payment Initiative). L’ambition, clairement assumée, était de créer une solution de paiement paneuropéenne couvrant l’ensemble des flux, nationaux et transnationaux afin de redonner au continent, en matière de paiements, une indépendance stratégique abandonnée depuis trop longtemps à Visa et Mastercard. Malheureusement, une fois encore, les Européens ne sont pas parvenus à s’entendre, provoquant l’abandon par EPI de son ambition de créer un nouveau schéma de carte de paiement européen. Après le départ de la majorité de ses banques membres en début d’année, EPI s’est recentrée sur un projet de porte-monnaie électronique (wallet) et de paiement instantané qui, bien qu’innovant et susceptible de concurrencer des acteurs importants du marché comme PayPal, ne répond plus à l’objectif de souveraineté initial. L’avenir nous dira si ce nouveau projet verra le jour.

Dans ce cadre, la Commission européenne semble résignée à abandonner les cartes de paiement aux américains et parie sur le développement du virement instantané (SCT Inst) et sur le lancement de son euro-numérique mentionné à la question précédente.

Le virement instantané permet d’effectuer un paiement de compte à compte en quelques secondes 24h/24 – 7j/7 en Europe, contrairement à un virement traditionnel qui peut prendre une journée, voire plusieurs jours à l’international. Toutefois, le virement instantané ne se développe pas aussi vite qu’espéré par la Commission européenne (le business model n’est pas encore évident pour les banques). C’est pourquoi, la Commission européenne travaille actuellement sur la rédaction d’un règlement (qui devrait être publié en fin d’année) destiné à en faciliter l’essor afin qu’il devienne la nouvelle norme des paiements en Europe, tant pour les paiements entre particulier qu’en e-commerce.

Par ailleurs, avec l'aide de la Commission européenne, la BCE souhaite proposer un prototype d’euro numérique d'ici 2023 et travaille actuellement à l'élaboration d'un projet de loi pour réglementer l'euro numérique. L'euro numérique pourrait être prêt d’ici 2025 et constituerait une solution adaptée au commerce de détail pour de petits montants susceptible de compléter le recours aux espèces et de concurrencer l’usage de la carte de paiement pour les achats quotidiens.

En conclusion, la Commission européenne, après une prise de conscience tardive suivie de nombreuses désillusions, semble avoir définitivement renoncé à un système de carte de paiement européenne et pari clairement sur des solutions alternatives plus innovantes. L’avenir nous dira si elles seront adoptées par le marché…

4/ Les données personnelles sont toujours au cœur du débat. Mais l'augmentation de l'Homme (sic), les neurotechnologies, la biométrie etc peuvent nous faire redouter d'autres types d'atteinte à venir. Vous préparez-vous à défendre l'intégrité personnelle ou à composer avec le “progrès” ?

Depuis la fin du XIXe siècles, les technologies ont d’ores et déjà changé l’Homme. Elles nous permettent aujourd’hui de soigner nombres de maladies autrefois mortelles et de simplifier nombres d’aspects de notre vie quotidienne (transports, communications…). En ce sens, l’Homme est déjà en grande partie augmenté. D’autres innovations nous promettent également un monde meilleur. Ainsi, les exosquelettes robotisés constituent une réelle opportunité pour les populations vieillissantes, les personnes handicapées, les travailleurs souffrants de la pénibilité du travail et nos forces armées en sous-effectif. De même, l’automatisation et la robotisation pourraient constituer une vraie alternative à un recours massif à l’immigration dans des pays à la démographie déclinante et ainsi davantage préserver l’homogénéité de nos sociétés.

Derrière cette promesse d’un monde meilleur, il apparait immédiatement nécessaire de relever certains paradoxes. L’amélioration des communications ne conduit-elle pas à une sorte d’harcèlement quotidien au détriment, in fine, de la qualité desdites communications ? Certaines avancées technologiques (amélioration des techniques d’aide à la procréation…) ne sont-elles pas qu’une réponse aux conséquences néfastes de la technologie ?

En outre, certaines avancées menacent directement notre vie privée, voire notre condition humaine. Ainsi, l’essor de la biométrie et le perfectionnement de la reconnaissance faciale ont rendu possible le système de crédit social chinois. Les populations occidentales ont eu tort de considérer qu’il s’agissait d’un système spécifique à la dictature chinoise, comme elles ont eu tort de considérer que les confinements massifs de population en période d’épidémie n’étaient possibles qu’en Chine. En effet, ces technologies intéressent nombre de nos dirigeants et sont de plus en plus présentes dans nos vies. Les projets de reconnaissance facial se multiplient (à Nice par exemple) et la ville de Bologne a récemment annoncé vouloir lancer un portefeuille citoyen vertueux qui permettra aux Bolonais, en récompense de comportements considérés comme étant vertueux, de dépenser des lots actuellement en cours de définition. Des idées de « pass vert » sont parfois aussi mentionnés pour « récompenser » nos agissements « éco-citoyens ». 

Anciennement patrie de la politique de l’enfant unique, la Chine ambitionne de limiter la quantité de personnes humaines sur son territoire et d’améliorer sa qualité. Peu encline au respect des droits humains et à l’éthique elle a autorisé ses scientifiques a collecté des échantillons d’ADN sur des personnes humaines particulièrement intelligentes, pour identifier les allèles déterminant cette intelligence, le but étant d’améliorer le QI sur plusieurs générations. Du côté des Etats-Unis, Elon Musk et sa société Neuralink souhaiteraient procéder aux premiers essais d’implant cérébral sur des volontaires humains. Ce projet a donné lieu à de nombreuses critiques tant les questions sur la bioéthique, la sécurité et l'utilisation des données de santé, l'avenir des puces implantées une fois l'essai terminé ou encore les conséquences d’un rachat de Neuralink, sont nombreuses.

La France a, quant à elle, réformé la loi relative à la bioéthique promulguée le 2 août 2021 en rappelant certains interdits, notamment l’interdiction du clonage humain et de la création d’embryons à des fins de recherche mais en étendant les interventions possibles sur un embryon humain. Désormais, la loi n’interdit plus que la modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces. Il en résulte qu’est autorisée la création d’embryons transgéniques et d’embryons chimériques animal/homme.

Evidemment, une première réaction saine à avoir serait de dénoncer ces manipulations génétiques de l’Homme et du vivant. Hélas, en tant qu’amoureux de la nation française et de la civilisation européenne je crois profondément qu’il n’y a que deux solutions raisonnables à adopter : soit parvenir politiquement à faire interdire ces pratiques au niveau mondial, soit s’assurer d’être en pointe dans ces domaines en abandonnant toute considération morale au profit d’un principe de réalité. De même que la bombe nucléaire constitue incontestablement une menace pour l’humanité mais que son obtention devient une nécessité absolue dès lors que d’autres la possèdent, l’Europe devrait tout mettre en œuvre pour ne jamais finir dominée par une Chine ou des Etats-Unis peuplés d’humains augmentés physiquement et intellectuellement. Peu en importe le prix.

5/ La ligne de l'EGE dont vous êtes diplômé est : “rien qui aille contre les intérêts de la France”. Pouvez-vous établir un petit état des lieux des contraventions à ce principe dont notre pays pourrait actuellement souffrir ?

Les exemples sont malheureusement nombreux… Alors même que ce principe fondamental devrait éclairer la moindre action de nos dirigeants, force est de constater que, depuis quelques décennies, nos dirigeants semblent faire passer d’autres intérêts avant les intérêts français.

Parfois, les intérêts poursuivis semblent louables. Ainsi, la construction européenne a conduit les dirigeants français à abandonner à l’Union européenne des pans entiers de notre souveraineté (volet monétaire, douanier, financier, économique…) au nom d’une ambition : bâtir une Europe capable de peser dans le monde face aux géants américains, chinois, indiens, russes etc. L’union fait la force. Hélas, cette ambition conduit régulièrement nos dirigeants à sacrifier les intérêts français sur l’autel de l’Europe au profit de pays européens moins naïfs.

A cet égard, la Défense est un sujet parlant. Au nom d’un objectif de défense européenne, les Français ont eu tendance à affaiblir leur armée et leur autonomie stratégique, sans pour autant qu’une telle défense européenne ne se développe ailleurs que dans l’esprits féconds de nos élites technocratiques. Quand la France fait des concessions à ses partenaires européens pour construire l’avion européen du futur, les Allemands (entre autres) achètent massivement des F35 américains pour renforcer leur défense.

Parfois, les intérêts poursuivis semblent moins louables. Aurais-je la cruauté de rappeler que céder des entreprises aussi stratégiques qu’Alstom, le fabricant du tiers des centrales nucléaires du monde, dont les 56 réacteurs en activités en France, nos sous-marins à propulsion nucléaire et le porte-avions Charles de Gaulle, pourrait aisément passer pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de notre nation ? Ou que le sous-investissement des dernières décennies, le manque de soutien à Orano (ex Areva et EDF) et l’abandon de programmes prometteurs dans le secteur du nucléaire constituent une folie environnementale, économique et stratégique dont la France paye d’ores et déjà le prix ? Et que dire du recours massif à des cabinets de conseil américains pour des missions aussi stratégiques que la politique de gestion d’une crise sanitaire ?

6/ Notre droit est-il fait pour répondre efficacement aux prédations sournoises ou fallacieuses, qu'elles proviennent de Chine, des États-Unis ou d'ailleurs. Que valent les règles sur un marché où des acteurs puissants ont appris à s'en affranchir…Légalement ?

La règlementation française prévoit que, par principe, les relations financières entre la France et l’étranger sont libres. Toutefois, suite à plusieurs actions de prédation ayant eu un fort écho médiatique (Lafarge, Alcatel, Alstom, STX, Carrefour, Photonis…), la règlementation française s’est renforcée pour réduire les risques de prises de contrôle de sociétés françaises stratégiques par des capitaux étrangers : c’est ce qu’on appelle le contrôle des investissements directs étrangers (IDE).

En 2005, lors du second mandat de Jacques Chirac, la promulgation du décret Villepin avait donné lieu à un renforcement du contrôle des IDE. Depuis lors, la question de la protection des actifs stratégiques français dans un contexte de mondialisation revient durant chaque quinquennat.

Ainsi, l’article L151-3 du Code monétaire et financier (CMF) soumet à autorisation préalable du ministre chargé de l'économie les investissements étrangers dans une activité en France (même à titre occasionnel) qui relève des domaines suivants à savoir : les activités de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale et les activités de recherche, de production ou de commercialisation d'armes, de munitions, de poudres et substances explosives. Avec le décret de 2014, Arnaud Montebourg a élargi significativement le champ des secteurs concernés (les deux tiers du Cac 40). Ces activités sont listées au sein de l’article R151-3 du CMF tel que l’énergie, l’eau, les transports, les activités exercées dans le secteur de la sécurité des systèmes d'information etc. La loi PACTE de 2019 portée par Bruno Le Maire a en outre introduit des mesures permettant une meilleure gradation des mesures de police administrative en matière d’investissements étrangers en France. Le ministre de l’Économie dispose de plusieurs options selon le manquement constaté et sa gravité prévu à l’article L151-3-1 du CMF.

Au niveau européen, le règlement européen (UE) 2019/452 sur le filtrage des IDE adopté en mars 2019 a établi un cadre européen dans lequel la Commission européenne et les États membres peuvent coordonner leurs actions en matière d'investissements étrangers et justifié par la préservation de la sécurité et de l’ordre public. Le règlement joue un rôle majeur dans les cas exceptionnels où des investisseurs étrangers tentent d’acquérir des actifs critiques pour les intérêts essentiels de l’UE. En outre, certaines acquisitions dans des secteurs stratégiques peuvent
également avoir des incidences sur des projets financés par l’UE.

Toutefois, en dehors de ces pouvoirs de contrôle des IDE face à des actes de prédation, la règlementation française et européenne demeure encore impuissante à bien des égards face à la prédation, non pas d’entreprises, mais de marchés entiers.

Ainsi, les règles strictes de libre concurrence consacrées au cœur même du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (articles 101 à 109 du traité FUE ainsi que le protocole n° 27 sur le marché intérieur et la concurrence) limitent drastiquement la capacité des Etats européens à se protéger, y compris face à des entreprises non-européennes, en constituant des champions nationaux ou européens aptes à résister à ces dernières. Nous pouvons constater chaque jour le résultat de ce principe dans les marchés du numérique où les GAFAM sont rois et où, face à l’absence éclatante des européens brillant par leur absence, les seules alternatives semblent chinoises (BATX, Tiktok, Haiwei…).

Autre exemple, le RGPD (le règlement européen sur la protection des données personnelles) souvent présenté lors de son entrée en vigueur en 2016 (et entré en application en mai 2018) comme un instrument de souveraineté européenne ne prévoit aucun mécanisme permettant d’empêcher la prédation des données personnelles des Européens par des géants américains et ne limite que de manière imparfaite les transferts hors de l’Union européenne. Pire, ces géants américains, soumis aux mêmes règles qu’une PME européenne, sont souvent davantage en mesure de déployer les moyens nécessaires pour s’y conformer ou… pour payer les amendes infligées.

7/ Où en est l'harmonisation juridique au sein de l'UE du point de vue de l'entrepreneur ? Y existe-t-il une ex-portabilité concrète des entreprises ?

Bien que constituant l’un des piliers de l’Union européenne, le marché unique demeure difficilement accessible aux TPE et PME. Il existe en effet de nombreux vides juridiques en droit européen des affaires et une évidente hétérogénéité entre les différents ordres juridiques nationaux. La pratique des affaires en Europe est largement impactée par ce manque d'unification, le « droit des affaires » touchent à différents secteurs. Par exemple, le droit de la concurrence relève de la compétence exclusive de l'Union européenne. A l’inverse, lorsque le droit européen est inexistant dans une thématique particulière, l'État membre applique son propre droit, ce dernier n’allant pas forcément dans le sens d'une harmonisation européenne. À titre d'exemple, la législation concernant les fusions de sociétés, différente dans chaque État membre, est source de difficulté dès lors que deux PME, localisées dans deux États membres distincts, souhaitent fusionner.

Depuis plusieurs années, un projet de code européen des affaires a été entrepris, porté par l’association Henri Capitant, dont l’objectif est d’ouvrir le marché aux TPE et PME et de proposer une législation unifiée permettant de rendre le « droit européen des affaires » plus accessible et plus lisible.

Dans un autre registre, il est actuellement possible pour une entreprise ayant son siège social situé au sein d’un pays membre de l’UE qui souhaite exercer ses activités au sein d’autres états membres de devenir une société européenne (SE). Ce statut de société européenne est officiellement entré en vigueur en 2004 par le Règlement communautaire n°2157/2001 du 8 octobre 2001. Il s’agit en pratique d’une société anonyme qui permet de gérer ses activités dans plusieurs pays européens en utilisant un ensemble de règles unique. Le projet de code européen des affaires a pour ambition, lui, de créer le statut de société européenne simplifiée (SES).

8/ Si la technologie est le discours sur l'outil et ses usages, existe-t-il aujourd'hui un outil qui soit plus puissant…Que l'argent ?

On l’a souvent dit l’argent est le nerf de la guerre mais la volonté est aussi une véritable force motrice qu’il ne faut pas négliger. L’Europe est, aujourd’hui encore, indéniablement l’un des pôles de richesse du monde et l’Allemagne est indéniablement la puissance économique de l’Europe. Et pourtant, le manque d’ambition politique et de volonté de puissance est à l’origine du déclassement technologique européen, bien davantage, à mon avis, qu’un manque de capacité financière.

A l’inverse, avec un PIB à peine supérieur à l’Espagne et malgré ses déboires militaires en Ukraine, la Russie reste un acteur majeur de la géopolitique mondiale face à qui la riche Union européenne peine à imposer ses vues. Autre exemple : la Turquie, bien que n’étant pas doté d’une puissance financière particulièrement impressionnante, est capable de proposer à l’Ukraine des drones « Bayraktar TB2 » qui ont fait leurs preuves dans les frappes en Libye, en Syrie et en Azerbaïdjan, et ont détruit de nombreux véhicules de russe. Ces drones qui présentent des qualités indéniables à moindre coût ont permis à la Turquie d’assoir la réputation de ceux-ci sur le marché et sont devenus le fleuron de l’industrie militaire turque.

Je pourrais répondre à cette question en vous citant uniquement une citation du général en chef de l’armée d’Italie, Napoléon Bonaparte, à ses soldats, le 29 mars 1796 devant Toulon : « Soldats, vous n’avez ni souliers, ni habits, ni chemises, presque pas de pain, et nos magasins sont vides ; ceux de l’ennemi regorgent de tout. C’est à vous de les conquérir. Vous le voulez, vous le pouvez, partons ».

9/ Les NFT représentent-ils selon vous une extension naturelle de la notion juridique de propriété ou sa remise en cause ?

La propriété est définie depuis 1804 à l’article 544 du Code civil comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue ». Il s’agit par conséquent d’un droit, mais qui ne permet pas en lui-même de garantir à un propriétaire qu’il pourra l’exercer.

Les NFT (non-fongible tokens ou jetons non fongibles) sont des certificats uniques (non-interchangeable) et identifiables (pas de même nature les uns par rapport aux autres) qui viennent garantir le caractère authentique et unique d’un fichier numérique auquel ils sont liés. Ils ont la particularité de recevoir un numéro unique d'identification (ID) par le smart contract (programme informatique) qui les génère. Le régime juridique des NFT est à ce jour quasi-inexistant, sa nature et ses fonctions tendent à le rapprocher d'un certain nombre de catégories juridiques existantes, sans qu'il ne parvienne jamais à s'y dissoudre complètement.

Il est toutefois possible d'assimiler les NFT à un titre de propriété même si, concrètement, il n'est pas toujours évident de savoir quel est l'objet de cette propriété. Seul le détenteur du NFT (du « certificat ») peut décider de le vendre ou de l'échanger et spéculer sur sa valeur. Néanmoins et prenons par exemple un « NFT arts », celui-ci sera le certificat de propriété d'un exemplaire d'une œuvre désignée par le NFT mais ne sera pas l'exemplaire en tant que tel. Le titulaire du jeton en est bien le propriétaire il n’en reste pas moins qu’il n’est pas le propriétaire de l’œuvre elle-même. La « possession » d'un NFT ne peut donc être assimilée à la possession d'un exemplaire matériel d'une œuvre de l'esprit. 

En outre, le NFT peut être soumis à des contraintes juridiques décidées par l'émetteur du NFT : par exemple le NFT sera-t-il cessible en dehors de la place de marché de telle plateforme ? Quels seront les droits attachés au bien ? La réponse varie en fonction du smart contract.

10/ Pourrait-on imaginer un droit à la sobriété technologique sans appliquer à qui le revendiqueraient une forme d'ostracisme ?

Force est de constater que les technologies ont envahi notre quotidien pour le meilleur et pour le pire. Il serait d’ailleurs intéressant de se demande si le numérique ne vampirise pas l’essentiel des investissements au détriment d’autres technologies. Alors que les levées de fonds s’accélèrent pour dématérialiser la santé, l’administration, les paiements, la finance etc., les évolutions technologiques dans d’autres secteurs semblent (peut être uniquement en apparence) ralentir. Par exemple, sans nier les innovations permanentes dans le secteur des transports, il me semble que peu de véritables ruptures technologiques y ont été réalisées ces dernières années en comparaison avec la première moitié du 20e siècle. Les technologies se perfectionnent et se sécurisent, c’est indéniable, mais les avions, voitures et trains n’ont pas fondamentalement changées (en termes de vitesse et, en attendant l’automatisation totale, de philosophie) depuis les années 70-80.

Pour revenir à votre question, un droit à la sobriété technologique m’apparait essentiel pour au moins deux raisons : 

D’abord, face à la dématérialisation rapide des services publics, la fracture numérique (particulièrement des personnes âgées) est un réel facteur d'exclusion, de déconnexion involontaire. Il est possible de parler dans ce cas d’illectronisme. Pour le moment, l’Etat français et des associations tentent de lutter contre l'exclusion numérique en proposant un accès internet avec un ordinateur dans les mairies, un numéro de téléphone non surtaxé pour les accompagner dans diverses démarches et des « nouveaux réseaux de proximité » dont l’un des objectifs est d’être au plus près des usagers et il est toujours possible de payer ses impôts sous format papier (non sans difficultés). Mais pour combien de temps ?

Ensuite, l’omniprésence des technologies dans notre quotidien conduit de plus en plus souvent à une hyper-connexion. Le moindre message marqué comme « vu » mais n’ayant pas fait l’objet d’une réponse dans l’heure est considéré comme une offense… Dans le milieu professionnel, le droit à la déconnexion est venu endiguer ce phénomène avec la loi du 8 aout 2016 dit « loi Travail ». Celle-ci prévoit que les entreprises de plus de cinquante salariés doivent prendre en compte via un accord collectif ou une charte les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques. Ce droit à la déconnexion ne se pose que lorsque le salarié se connecte avec un sentiment de contrainte. Le droit de se connecter à son outil de travail en dehors de son temps de travail doit donc rester une liberté.

Reste qu’à l’époque des apéro-visio et du métavers, il semble de plus en plus difficile de revendiquer une sobriété technologique et une vie simple sans, à l’instar des Amish, être marginalisé. A titre personnel, j’essaie de concilier les deux en restant pleinement connecté pendant mes jours de travail et en optant pour une déconnexion (quasi) totale les week-ends et en congés en immersion dans la nature (mer ou montagne) ou plongé dans un livre.

11/ Compte tenu de la volonté pas si originale de disruption de notre époque, craignez-vous que le droit soit un jour lui-même “disrupté”, dans ses fondements et dans ses principes ? (Si ça n'est pas déjà le cas)

Effectivement, les conséquences de la numérisation de la société se font ressentir jusque dans les normes juridiques et les institutions annonçant peut-être le bouleversement de l’accès au juge et du fonctionnement de la Justice. En 2016, la loi pour une République numérique a entendu encourager l’innovation et l’économie numérique et a notamment prévu la publication par l’administration des données publiques et d’intérêt général ; c’est ce qui est communément appelé l’« open data ». L’accès aux décisions de justice étant également concerné, il ouvre la voie, associé à de puissants algorithmes, à l’analyse de grandes masses de décisions de justice (big data judiciaire) en vue d’apporter une aide à la prise de décision des professionnels du droit, par le jeu des statistiques et des probabilités. C’est dans ce cadre que de nombreux outils ont été développés ces dernières années, notamment en matière de préjudices corporels pour en faciliter l’évaluation.

L’open data des décisions de justices permet ainsi l’essor progressif d’une justice prédictive confiant le soin à un algorithme d’analyser, à partir des données en open data, les récurrences à des fins de prédictions. Dans un premier temps, évidemment, cette technologie se limiterait à aider les juges à rendre leurs décisions en fournissant des décisions proches de celle du cas d’espèce pour une meilleure sécurité juridique. Toutefois, face au manque de moyen de la Justice et à la congestion des tribunaux, il est certain qu’un jour se posera la question de préremplir, puis d’automatiser et d’homogénéiser les jugements en fonction de la nature de l’affaire. Une telle évolution serait toutefois contraire aux principes qui régissent actuellement notre droit et en particulier la liberté d’appréciation et l’indépendance du juge ainsi que l’individualisation des peines. Or, le propre de la justice est que chaque affaire soit examinée pour ce qu’elle est. En outre, le risque serait aussi celui d’une jurisprudence répétitive qui n’évoluerait plus.

La résolution des litiges via la blockchain, de manière décentralisée est également parfois mentionnée. Certaines start-up proposent d’ores et déjà à leurs utilisateurs de créer un « smart contract » pour régler leurs litiges à l’amiable. Des arbitres sont tirés au sort par le système, chacun d’eux rend sa décision de manière indépendante puis la décision est automatiquement exécutée par le smart contract. Néanmoins se pose évidemment la question de la valeur de cette décision et de son exécution. En l’absence d’une exécution volontaire, les demandeurs devront alors saisir une autorité étatique.

12/ Pouvez-vous nous redire l'impact attendu du DMA et du DSA sur les mastodontes du marché ?

Le DMA et le DSA ne ciblent pas tout à fait les mêmes acteurs et n’ont pas les mêmes effets néanmoins ils introduisent tous les deux une dynamique nouvelle dans la régulation des Big Tech.

Le DMA (Digital Market Act) a pour objectif de réformer un point fondamental de la régulation de marché en s’appuyant sur le constat que le droit de la concurrence, comme évoqué précédemment, ne permet pas de lutter contre certaines pratiques des Big Tech. Le DMA, qui a fait l’objet d’un accord provisoire en mars dernier et qui devrait entrer en vigueur fin 2022 ou début 2023, vise à s'assurer qu'aucune grande plateforme en ligne en position de “contrôleur d'accès” (gatekeepers) vis‑à‑vis d'un grand nombre d'utilisateurs n'abuse de cette position au détriment des entreprises qui souhaitent accéder à ces utilisateurs. Sera donc qualifié de contrôleurs d’accès les plateformes en ligne ayant réalisé un chiffre d’affaires annuel d’au moins 7,5 milliards d’euros au sein de l’UE et comptant au moins 45 millions d’utilisateurs finaux mensuels et au moins 10 000 utilisateurs professionnels établis dans l'UE. Peu importe le propre lieu d’établissement du contrôleur d’accès, grâce à cette règle de territorialité ils ne pourront plus s’estimer à l’abri.

Ces contrôleurs d'accès n’auront notamment plus le droit de favoriser leurs propres services et produits par rapport à ceux des entreprises qui les utilisent, ou d’exploiter les données de ces dernières pour les concurrencer. Ils ne pourront notamment plus imposer leurs logiciels par défaut à l’installation de leur système d’exploitation. Ainsi, Apple ne pourra plus imposer certaines applications par défaut dans ses systèmes et un acheteur d’iPhone pourra choisir son moteur de recherche et son assistant vocal. De même, les fournisseurs de « wallets » de paiement pourront désormais utiliser la puce NFC (nécessaire pour payer en sans contact avec un téléphone), ce qui leur était refusé jusque-là par Apple.

En cas de manquement, le DMA prévoit par ailleurs des sanctions élevées et en particulier une amende pouvant aller jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires mondial total et jusqu’à 20 % en cas de récidive.

Le DSA s'appliquera quant à lui à l’ensemble des intermédiaires en ligne qui fournissent des services dans l'UE et cherche à freiner la diffusion de contenus illicites et la vente de produits illicites en ligne en imposant certaines obligations aux fournisseurs de services et notamment aux plateformes tels que le retrait rapide de contenus haineux, la lutte contre la contrefaçon etc. Un accord politique provisoire entre le Conseil et le Parlement européen a également été conclu le 23 avril 2022.

Néanmoins ce règlement fait l’objet de contestations au sein de l’Union européenne. En effet, il vise à protéger les internautes en assurant que ce qui est interdit hors ligne le soit aussi en ligne et en contraignant les acteurs en ligne à supprimer ces contenus sous peine d’engager leur responsabilité. Toutefois, comme c’est déjà le cas sur nombre de plateformes en ligne que nous utilisons au quotidien (Youtube, Twitter…), la frontière avec la censure est ténue. Il reviendra en effet aux plateformes de qualifier ce qui relève de « la haine » et ce qui s’inscrit dans le cadre de la liberté d’expression. Le DSA les conduira certainement à accentuer davantage encore l’industrialisation de la modération et du contrôle a priori des contenus. A ce titre, un renforcement de la surveillance de masse et une généralisation de la censure en ligne est à craindre.

Un autre point important du DSA est l’obligation pour les très grandes plateformes en ligne de rendre leur algorithme transparent pour les utilisateurs. La plupart du temps nous ne savons pas comment leurs algorithmes fonctionnent et pourquoi un contenu est mis en avant plutôt qu’un autre. La manière dont les algorithmes façonnent les flux d’informations est un véritable sujet de préoccupation tant ces derniers peuvent avoir une incidence significative dans l’amplification de certains messages, et la stimulation du comportement en ligne. Les plateformes devront donc présenter clairement les principaux paramètres des algorithmes d’une manière facilement compréhensible et veiller à ce que les utilisateurs puissent avoir d’autres options concernant les principaux paramètres, notamment des options non basées sur l’analyse du profil.

En matière de sanctions, le DSA laisse une marge de manœuvre importante aux Etats membres et prévoit que le montant maximum des sanctions imposées ne devra pas dépasser 6 % des revenus ou du chiffre d’affaires annuels de la société et le montant maximum d’une astreinte ne dépassera pas 5 % du chiffre d’affaires quotidien moyen.

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