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Concilier tradition et modernité dans toute innovation

David Fayon est Responsable Écosystème Innovation et Prospective au sein du Groupe La Poste

1/ L’idée de service public revient au cœur du débat sur la souveraineté, en quoi cela constitue-t-il une opportunité autant qu’un appel pour le Groupe La Poste ?

Au préalable, notre Constitution à savoir la Ve République du 4 octobre 1958 qui a évolué depuis indique dès son préambule « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004 ». Le titre premier de notre Constitution est par ailleurs intitulé « De la souveraineté » avec un principe « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (art. 2). Ceci est complété par l’art. 3 « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » et dans ce même article et son alinéa 2, nous avons le fait que la souveraineté est une est indivisible « aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».

Ceci étant posé, la souveraineté est plurielle, elle concerne bien évidemment la souveraineté industrielle et dans ce domaine depuis le premier choc pétrolier en 1973 et surtout pendant les années 1980 puis les erreurs commises par les gouvernements et les industries (comme la non-montée en gamme de nos produits français, les délocalisations vers les pays où la main-d’œuvre était moins chère, les transferts de technologie vers les pays en développement, les taxes confiscatoires pour les entreprises notamment PME familiales avant la loi Dutreil qui ont occasionné des disparitions et des ventes à des acteurs étrangers et des démantèlements, la suppression des écosystèmes de TPE/PME en régions là où se joue l’innovation, le coûteux passage aux 35 heures et surtout la sous-estimation du potentiel de la réunification allemande nous a fait décliner ; ce dernier point nous coûte aujourd’hui en matière de balance commerciale environ 12 milliards par an de déficit avec l’Allemagne notre premier partenaire (68,4 milliards d’euros d’exportation vs 80,8 milliards d’euros d’importation en 2021), ce qui correspond au gain annuel supposé pour la réformette des retraites avec le passage de l’âge de départ de 62 à 64 ans !

C’est aussi la souveraineté alimentaire et la France qui est une terre agricole a décliné avec des importations massives de fruits et légumes que nous pourrions planter sur notre territoire, le fait qu’un poulet sur deux est à présent importé sans compter les aberrations écologiques en matière de CO2 comme l’importation de cerises du Chili en hiver, de moutons de Nouvelle-Zélande ou plus récemment de farine de grillon pour intégration dans l’alimentation avec des possibles effets secondaires depuis le seul Vietnam (avec le start-up Cricket One qui a le monopole de ce marché !) et négocié au plus haut niveau européen par la Commissaire Ursula von der Leyen !

Il existe d'autres souverainetés comme la souveraineté linguistique (on le voit avec le rôle de la francophonie et le Français largement plus parlé en dehors de nos frontières du fait de notre histoire), la souveraineté culturelle (avec la fameuse exception pour ne pas être bombardé de productions hollywoodiennes) et la souveraineté énergétique dont on mesure à peine l'importance avec la guerre en Ukraine et pour laquelle le passage au véhicule électrique sans politique globale et vision en lien avec la souveraineté industrielle mène à des catastrophes économiques et sociales d'ampleur.

Nous avons également la souveraineté en matière de Défense laquelle consiste à protéger notre pays et nos intérêts vitaux chez nous et partout dans le monde. On le constate souvent à nos dépends avec des fleurons français technologiques à protéger (Exxelia, Photonis, rachat en 2014 par General Electric à Alstom des activités énergétiques puis reprise par EDF des turbines Arabelle qui équipent une partie du parc des réacteurs nucléaires). Le passage sous pavillon américain ou de toute autre puissance étrangère entrave notre indépendance nationale ou européenne car ces entreprises sont des maillons stratégiques dans l’arsenal militaire.

C’est enfin – et c’est plus mon registre – la 7e souveraineté, la souveraineté numérique, où nous avons une troisième voix à construire pour ne pas être dépendant au niveau de la France et de l’Europe de solutions technologiques américaines et chinoises et nous enfoncer dans une tiers-mondisation numérique alors que c’est là que se jouent les emplois et la compétitivité de demain : intelligence artificielle, robotique, informatique quantique avec la nécessité d’avoir des champions locaux et de développer des écosystèmes sur l’ensemble de la chaîne de valeur du numérique : matériel, système d’exploitation et logiciels, données.

Le service public est un service d’intérêt général et le fait que des nations étrangères s’y immiscent est potentiellement dangereux pour notre indépendance tant nationale qu’au sein de l’Union européenne. L’équation à trouver pour les prochaines années sera de recréer des services publics de qualité pour les administrés, à moindre coût mais aussi avec un intérêt du travail accru pour les agents de l’administration et une question du sens dans les actions et tâches conduites. Ceci passera par une déconstruction des processus complexes, en silos et une reconstruction en mode agile et collaboratif pour avoir moins de lourdeurs dans le back office, et un front office, proche des citoyens et des administrés. C’est tout le contraire du rajout d’une couche de numérique sur des processus bancals et archaïques comme les rendez-vous pour les titres d’identité opérés pour la mairie de Paris où la pénurie est gérée. Et plus généralement il s’agit des 3 fonctions publiques, l’État, les collectivités territoriales et les hôpitaux où nous avons tous en tête des exemples traumatisant, les classes surchargées (passage d’une norme de 25 à 30 élèves en une génération) et avec un niveau qui baisse, les classements PISA l’attestent pour les maths par exemple), les hôpitaux avec la fermeture des lits et la gestion catastrophique de la crise sanitaire et les confinements occasionnés par le manque de lits pour les réanimations.

Dans ce contexte, La Poste est un acteur de confiance et de proximité. Ceci est incarné par le facteur. De nouveaux services sont développés et les Top directeurs pourront donner des exemples d’un acteur tourné vers l’avenir avec le plan stratégique « La Poste 2030 », des services à la personne pour les seniors comme Veiller sur mes parents ou la tablette Ardoiz, l’identité numérique. Mais aussi dans les 3 France décrites par le général Pierre de Villiers dans son livre L’équilibre est un courage, la France des villes (on a des programmes dans les ZFE pour les centres villes avec des vélos cargo pour la livraison de colis), la France des banlieues et la France des campagnes. Nous avons des objectifs comme la neutralité carbone, l’inclusivité, des critères de responsabilité sociale et environnementale. Tout ceci permet à La Poste d’établir un pont entre service public et souveraineté. J’ajoute à cela que La Poste applique scrupuleusement le RGPD et les obligations légales. La Poste qui existe depuis Louis XI a toujours réussi ses mutations et a accompagné les évolutions de la société. Récemment Docaposte a recruté l’ancien directeur de l’ANSSI. C’est un signal fort pour la sécurité, le développement du Groupe à l’international avec des opérations stratégiques à venir dont je ne peux vous parler.

2/ Y-a-t-il dans notre société des aspects qui doivent impérativement échapper à l’innovation ? On pense notamment aux questions de bioéthiques.

Déjà dans notre Constitution est inscrit le principe de précaution. Cela permet d’éviter en théorie des possibles conséquences néfastes de l’innovation sur l’homme. A contrario, le principe d’expérimentation est roi et prévaut dans d’autres pays comme les États-Unis. Ils ne s’en privent pas, par exemple pour exploiter la ressource énergétique qu’est le gaz de schiste et ils utilisent la fracturation hydraulique, ce qui a des possibles conséquences défavorables à l’environnement au niveau du sous-sol. Il est important de noter comme dirait notre « ami » ChatGPT – mais il fallait que je le place au moins une fois dans l’interview pour nourrir un autre ami qui nous veut du bien, Google pour le référencement de cette interview – que principe de précaution n’est pas systématiquement gage de sécurité. Nous l’avons vu avec la vaccination imposée de facto et non de jure et les rappels de doses à répétition lors de la crise de la Covid sur la population y compris chez les plus jeunes qui désiraient continuer à avoir une vie sociale alors que pour les 12-25 ans, il n’est pas complotiste d’affirmer que les bénéfices sont bien inférieurs aux risques. C’est surtout la fortune des Pfizer et Moderna qui ont été faites. Et plus récemment avec la décision d’intégrer dans l’alimentation et les produits semi-transformés jusqu’à 5 % d’insectes alors que le vrai principe de précaution consisterait à consommer moins de viande rouge !

Par rapport aux questions de bioéthiques, on a parfois l’impression est que le terme est galvaudé comme le projet de loi sur la bioéthique qui comporte des dispositions qui n’en sont pas avec une appellation qui pourrait prêter à confusion comme l’utilisation des embryons qui peut heurter les croyances de certains citoyens. Sans compter les possibles dérives dans l’évolution du droit positif, comme les mères porteuses. On a cette idée venue de Norvège – qui n’est pas un pays de l’Union européenne mais de l’AELE – d’utiliser les utérus des mères en état de mort cérébrale comme mère porteuse.

L’innovation n’est pas forcément chez nous mais ailleurs dans un monde globalisé et dans différentes formes, certaines sont positives pour l’homme, d’autres sujettes à débat, réserves ou opposition. Pour parodier Gusteau dans le film Ratatouille, « tout le monde peut innover » mais avec des garde-fous car « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Être progressiste doit s’ancrer dans une histoire, une réalité. C’est le sens de concilier tradition et modernité dans toute innovation qui soit positive tant pour le court terme que le long terme.

3/ L’innovation actuelle vous semble-t-elle suffisamment respectueuse de la somme des innovations qui l’ont précédée (et permise) ?

Nous assistons potentiellement à un accroissement de la complexité des innovations avec souvent une combinaison de technologies pour en créer une nouvelle à l’image d’un assemblage d’atomes pour constituer des molécules. Je ne dirai pas qu’il y ait une « innovation actuelle » si ce n’est la plus grande prise en compte du développement durable et de l’impact environnementale et des questions qui se posent en amont de l’innovation. Nous avons aussi la question qui est dans l’ADN de la Silicon Valley et de San Francisco qui se répand dans le monde, à savoir que tout problème est matière à une solution, que la solution à ce problème est une opportunité business et que celle-ci sera potentiellement traitée par une innovation ou une solution pragmatique.

Nous avons désormais des questions à nous poser en amont au même titre que l’éthique, et ce d’autant plus que nous sommes dans un monde VUCA (volatile, incertain, complexe, ambigu) auquel je préfère l’adoption d’une posture VICO (vision, intelligence collective, olfactif) qui redonne la patate.

L’innovation actuelle repose pour certains visionnaires sur une forte intuition ou la capacité à convaincre d’un nouvel outil ou d’un usage créateur de valeur. Nous avions le sens inné du marketing chez Steve Jobs. Il est à présent présent chez Elon Musk mais avec une autre dimension même si humainement la personne n’est pas chaleureuse.

4/ Comment définir, mais surtout garantir l’idée de « liberté numérique » sans aller jusqu’à nous affranchir de toute dépendance à cet environnement ?

Ce serait l’idée de pouvoir choisir de façon éclairée sa vie numérique et ses outils qui vont avec. Il faudrait un consentement éclairé pour cela, que les algorithmes soient plus transparents et pas vus comme des boîtes noires opaques, que le stockage des données et l’utilisation faite et que la portabilité transparaissent mieux, que les composantes de la solution numérique soient connues, X % de la valeur ajoutée des États-Unis, Y % de Chine, Z % d’Europe, T % d’ailleurs. Établir un « Yuka du numérique » en quelque sorte. C’est une idée que je lance en réponse à votre question comme une bouteille à la mer et qui pourrait éclairer le citoyen dans ses choix : pourquoi opter pour une solution en open source ou une solution propriétaire selon les cas, comment choisir une solution qui a un meilleur impact CO2 ou de l’utilisation des matières premières dans sa construction ou son utilisation, etc.

Mais c’est aussi être dans un monde phygital où la liberté numérique irait de pair avec la liberté dans le monde physique puisque les deux sont interdépendants. Cela suppose le droit à la déconnexion, la vigilance contre les addictions et les cyberdépendances. Tout ne se passe pas dans les métavers et nous avons besoin de moment dans la vie physique, admirer un paysage, partager un bon repas avec des amis. Au même titre que nous avons deux hémisphères du cerveau avec des liens forts entre les deux parties, il en est de même avec les deux univers numérique et physique avec une liberté de curseur pour passer de l’un à l’autre en étant conscient des opportunités et des risques mais aussi avec la réalité virtuelle et la réalité augmentée d’être simultanément dans les deux mondes qui se superposent et qui ne sont pas donnés à tous avec une fracture phygitale possible.

5/ Ixana, une société américaine propose une technologie, le Wi-R, qui permet de transmettre ses données personnelles, uniquement par la conductivité du corps humain. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Effectivement cette société Ixana présente un concept novateur, le « wire-like wireless », le fait de se passer de capteurs, le corps humain le devenant. Plus besoin de vêtements connectés ou de devices. C’est une facilité. Mais pour avoir celle-ci, la question à se poser est de savoir s’il y a un risque notamment pour le piratage, les libertés individuelles. Est-ce que l’on peut être libre de ne pas transmettre ses données personnelles et quand, où, comment, pourquoi ? Toutes ces questions me font penser à la citation attribuée à Benjamin Franklin, le père fondateur des États-Unis, « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux ».

Plus généralement, on peut jouer aux apprentis sorciers avec l’homme augmenté, des implants ou des puces pour augmenter son intelligence. À ce titre, Neuralink est une des entreprises co-créées par Elon Musk pour des implants cérébraux. Cela peut être utile pour lutter contre des maladies dégénérescentes et correspond dans ce cas à l’homme réparé lequel est à ne pas confondre avec l’homme augmenté où l’on pourrait avoir une sélection par l’argent – qui comme disait mon père « demeure la plus juste si tout le monde a le même revenu ». Concrètement, des implants pourraient permettre en cas de défaillance de retrouver ses capacités originelles sans toutefois les dépasser, c’est le garde-fou à observer. En effet si les implants ou une IA greffée dans le corps humain le rend plus intelligent, certains individus moins intelligents et fortunés deviendraient plus intelligents que d’autres mais de milieux plus modestes. C’est aussi cette question éthique à se poser. Une autre question et Laurent Alexandre l’évoque aussi, celle des singes augmentés car les expériences débutent souvent sur les animaux (par exemple la chienne Laïka envoyée dans l’espace en 1957 juste après le premier satellite artificielle russe Spoutnik, qui sont de fait les bêta-testeurs même si le bien-être animal n’a pas toujours été considéré avant d’être généralisées sur l’homme. Ces singes augmentés pourraient ubériser l’homme dans des chaînes de montage dans les usines 4.0. On pense inévitablement au roman culte de Pierre Boulle adaptée au cinéma, La planète des singes et à ses risques. Si un jour les singes augmentés dépassaient l’homme ?

6/ La capacité de stockage du cerveau humain s’élève à 10 puissance 15 octets, qui équivaut à l’ensemble de toutes les données web mondiales. Quel besoin de machines ?

Sur le papier on pourrait dire qu’un seul homme est l’équivalent du Web dans son ensemble mais sans être cogniticien il convient de distinguer la capacité théorique et la capacité réelle. Albert Einstein disait que nous utilisions en moyenne que 10 % de notre potentiel. Et il faudrait certainement que tous les neurones et toutes les synapses soient connectés et sollicités simultanément. La machine a toujours été là pour libérer l’homme et lui permettre à la fois de réaliser d’autres tâches plus épanouissantes, de se désaliéner et aussi avoir du temps libre, le tout dans des proportions raisonnables pour l’équilibre de la société. Force est de constater que parfois on devient l’esclave de la machine.

7/ À en croire certains, l’innovation ne peut se passer de financements massifs. Qu’en pensez-vous ?

Nous avons deux types d’innovation à distinguer, d’une part l’innovation incrémentale qui consiste à améliorer un produit ou un service existant par des caractéristiques ou fonctionnalités nouvelles ou optimisées. C’est par exemple le cas des versions successives de l’iPhone depuis la première version apparue en 2007. Et nous avons d’autre part l’innovation disruptive qui suppose un changement de paradigme, nouvelle technologie, processus radicalement différent, etc. C’est le cas par exemple du passage de la bougie à l’ampoule pour l’éclairage ou plus récemment le tsunami provoqué par ChatGPT et le saut de l’intelligence artificielle « classique » ou passive vers l’intelligence artificielle générative, capable de créer (texte ou code avec ChatGPT, images avec Dall-E ou Midjourney, musique avec MusicLM de Google).

Il existe aussi l’innovation frugale ou low cost, comme décrite dans le livre de Navi Radjou, qui permet d’innover avec des moyens réduits et l’ingéniosité de la débrouillardise. Ce type d’innovation qui a un côté « système D » répond à des besoins de terrain et notamment respecte plus l’environnement avec souvent récupération d’éléments, recyclages ou encore micro-paiement ou micro-crédit comme les solutions développées par M-PESA au Kenya et étendues à des pays d’Afrique et à l’Inde. Toutefois, certaines innovations comme l’informatique quantique nécessitent à la fois des gros investissements, beaucoup de jeux de données et des marchés suffisamment grands. L’innovation dite à « deep impact » répond souvent à cela. Nous avons besoin des deux aux deux extrémités du spectre.

Indépendamment du financement massif pour certaines innovations de nature souvent plus disruptive, nous avons à intégrer également la notion du temps long dans l’innovation qui est importante surtout si les couches pour l’informatique sont toutes impactées, du matériel aux données en passant par les logiciels car plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Ou encore pour faire de la R&D au niveau mondial car il existe des process de standardisation avec des comités de normalisation qui se réunissent plusieurs fois par an avec du lobbying pour discuter et proposer/imposer des solutions qui peuvent devenir des standards. Prenons le cas par exemple de F2R2 qui commercialise les adresses des Frogans et qui représentent une disruption par rapport aux sites Web, en matière de présentation, d’économie d’énergie par un facteur supérieur à 10, d’ergonomie. Les fondateurs ont dû discuter avec les organismes de gouvernance d’Internet - que je décris dans mon livre paru voici 10 ans, Géopolitique d’Internet – qui gouverne le monde -, à savoir l’ICANN pour les noms de domaine, l’IETF pour la production de RFC sans compter la nécessaire création d’un fonds de dotation. Ceci a permis d’aboutir à un standard ouvert, à un langage de développement, le FDSL pour les Frogans pour permettre une utilisation gratuite comme HTML pour le Web. Ce temps qui est d’une décennie doit être financé. Ce n’est pas la même chose de disposer d’une levée de fonds de 10 millions en lançant une start-up dans les services et de disposer de cette même somme pour des actions de fondation pour un service qui pourra reposer sur les pierres que l’on aura bâties dans un édifice plus ambitieux et complexe. Il s’agit en l’espèce d’un marathon de l’innovation où l’on peut aussi avoir le phénomène du mur des 30 km environ où l’on se doit de tenir et de gérer son effort jusqu’à la délivrance et la commercialisation rendue possible de son produit ou service. Outre F2R2 qui a l’exclusivité mondiale de la commercialisation des adresses des Frogans pour 10 ans via l’organisation de standardisation OP3FT et qui est une initiative française bien qu’embarquant des acteurs américains et chinois, on pourrait aussi citer l’ambitieux projet de datacenter souverain Titan Datacenter. Cet acteur ambitionne des datacenters à haute performance avec une certification Tier IV obtenue laquelle est le plus haut niveau existant en termes de disponibilité, d’efficacité et de sécurité, permettant de répondre aux besoins des clients et des secteurs d’activité les plus exigeants. Outre le gigantisme d’un datacenter qui nécessite une construction d’un bâtiment sur plus de 100 mètres de long avec les contraintes administratives liées au permis de construire, au diagnostic préalable de l’INRAP, etc., on a des innovations structurantes comme le recyclage de l’eau avec une économie à plusieurs chiffres qui complètent l’offre Titan Cloud de cloud souverain haute performance.

L’innovation logicielle de type TikTok est plus simple mais l’enjeu est ensuite plus commercial, de nature à pouvoir disposer de la masse critique et un service qui décolle. En effet, le temps de développement selon les types d’innovation n’est pas le même et ce, avant même de parler du temps de la transition et de l’adoption.

8/ Le courrier papier, un peu comme le livre, ne s’est pas laissé absorber par le numérique. Comment le comprenez-vous ?

Tout d’abord, tous les opérateurs postaux connaissent une chute des flux de courrier qui a été initiée surtout après la crise de 2008 du fait notamment de la dématérialisation (factures, bulletins de paie, etc.) qui est souvent proposée par les acteurs. Il n’est pas sûr que le bilan énergétique soit meilleur. Du reste la France est plus boisée sur l’ensemble du territoire (31 % en 2020) que voici un siècle où nous étions à un peu plus de 25 %. Le courrier papier génère aussi une économie de la filière pâte à papier et bois. A contrario, le mél et les volumineuses pièces jointes occasionnent des coûts de stockage et un impact énergétique qui est souvent défavorable.

Cet état de fait implique aux postes de se réinventer, de trouver de nouveaux usages, de nouveaux relais de croissance. À La Poste, on s’appuie sur les facteurs qui sont dotés d’un smartphone avec des applications autour, Facteo, de la première flotte de véhicules électriques en Europe, des bâtiments qui peuvent être intelligents avec des capteurs côté Internet des objets, etc. Des services sont créés autour comme la mesure de la qualité de l’air avec Geoptis. S’agissant du livre papier, il résiste pour l’heure face au livre numérique. Il s’agit d’un phénomène culturel, nous restons attachés à la matérialité du livre. Néanmoins le livre numérique a du succès aux États-Unis mais l’histoire du pays n’est que de 250 ans alors que l’Europe, en particulier la France et l’Italie, ainsi que la Chine ont plus de 2 millénaires d’histoire. Gutenberg précède la création des États-Unis. Les États-Unis sont tournés vers le futur car ils ont un maigre passé. Ceci peut expliquer les adoptions du Kindle. Pour autant allier tradition et modernité est préférable à une modernité et modernité désincarnée.

9/ Que pensez-vous de l’idée selon laquelle la moitié de l’innovation tient à la manière dont on la présente au monde ?

Effectivement, on pourrait dire cela. Les présentations des nouveaux produits Apple lorsque Steve Jobs était vivant et désormais avec Tim Cook et surtout d’Elon Musk sont des shows avec une mise en scène millimétrée. N’oublions pas que chaque iPhone est présenté comme révolutionnaire alors que concrètement d’une version à la suivante, nous avons 10 % d’innovation plus ou moins grande et 90 % d’optimisation des versions précédentes. C’est un peu comme les lessives qui jadis lavaient plus blanc que blanc et qui avaient fait réagir Coluche dans un de ses sketchs.

On pourrait dire d’une certaine façon que l’innovation nous est vendue, parfois à la façon Obélix et compagnie. Il convient de se poser des questions comme est-ce que cette innovation va être utile, va me faire gagner du temps ou automatiser certaines tâches, va me permettre de trouver des informations, d’accélérer la prise de décision ou accomplir une tâche qui correspond à un besoin réel ?

10/ Pensez-vous que la quantique va nous permettre d'intégrer dans le champ de la recherche des incursions et peut-être des découvertes sur le continent... De l'esprit humain ?

La question serait plus à poser à Olivier Ezratty qui est le spécialiste en France du quantique. Je pense que le quantique répond une logique défensive dans le domaine bancaire ou du secret avec une potentielle atteinte à la sécurité car la cryptographie traditionnelle sera menacée par la capacité avec le quantique de casser des codes secrets très rapidement. Traditionnellement la cryptographie contemporaine est basée sur la capacité de factorisation des nombres premiers. C’est la technique employée par des algorithmes asymétriques de type RSA.

Nous n’avons pas une approche unique du quantique comme il n’existe pas qu’un seul métavers. Plusieurs choix sont opérés dans le quantique, que ce soit par IBM, Microsoft ou les projets de R&D en France. En tout cas, il s’agit d’une technologie disruptive à suivre et à investir.

Nous aurons d’autres usages qui viendront en avançant dans l’exploration de cette technologie qui correspond à un nouveau paradigme, le qubit et non le bit ou nous avons soit le 0 soit le 1. Le fait que les 2 états 0 et 1 peuvent se superposer induit une complexité et augmente le champ des possibles. De là à combiner intelligence artificielle générative et informatique quantique et l’on aurait potentiellement un Hyper HAL relayant 2001 L’odyssée de l’espace aux oubliettes…

David Fayon (www.davidfayon.fr) est co-auteur de La transformation digitale pour tous ! et de Pro en réseaux sociaux. Il est membre de plusieurs associations pour le développement du numérique en France et de la souveraineté numérique, mentor pour des start-up.

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