Newsletter n°59 - 19 mai 2023

⭕️ Éditorial

Grand causou, petit faisou

Quand nous sommes enfants, certaines des paroles de nos ainés deviennent au fil des années comme des mantras. En psychologie, on parle d’introjections, processus par lequel des choses qui sont en dehors vont peu à peu être à l’intérieur de soi. Ces introjections sont l’héritage familial immatériel, celui qui forge notre rapport au monde, en adéquation avec les pensées entendues, ou en opposition. Un de mes anciens mentors m’avait ainsi dit un jour que s’il était toujours en retard, c’était pour satisfaire sa mère. Quand il était enfant, elle lui demandait sans cesse de se dépêcher, et petit à petit, il s’était forgé l’idée qu’il ne la satisfaisait jamais autant que s’il faisait les choses au dernier moment, ce qui le forçait à se dépêcher.

Si je le soupçonne de s’être moqué de moi, il n’en reste pas moins que, comme tous, ce que j’ai entendu dans mon enfance a participé à ma construction. Et s’il est bien une chose que j’entendais souvent dans ma famille, depuis mes grand-parents maternels jusqu’à mes parents, tous bretons, c’est le leitmotiv « Grand causou, petit faisou« . Ces quatre mots-là ont assurément façonné mon rapport au monde comme « Il faut savoir se retrousser ses manches » est à la base même de ma détestation des chemises à manches courtes. À l’heure où les choses vont si vite, il est bon d’observer que la transmission intergénérationnelle continue à faire son œuvre. On ne grandit jamais aussi bien qu’en apprenant de nos ainés, c’est l’essence même de l’humanité, un continuum qui fait honneur à l’expérience et à la connaissance.

Or, depuis quelques années, comme tant d’autres, je suis consterné par l’incroyable place donnée aux causous dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ceux-là n’ont pourtant pas (encore) fait grand-chose de leur vie. Ce sentiment est renforcé par une expérience de plus d’un quart de siècle auprès de très nombreux faisous (professionnels ou experts), qu’on entend trop peu causer. Conséquemment, parce que les convictions et les certitudes se fondent sur l’inexpérience, l’influence des premiers dans des décisions structurantes de notre pays conduit à de graves difficultés. Pourtant les seconds sont ceux, hommes et femmes, qui, sans le moindre doute possible, peuvent aider à guider, à condition qu’on leur accorde enfin la place qu’il est la leur.

Sébastien Tertrais



Aujourd’hui nous avons l’honneur de partager avec vous un échange passionnant avec Arnaud Montebourg, avocat, ancien ministre et désormais chef d’entreprise, qui nous présente son Podcast « Les Vrais Souverains« 

Un entretien conduit par Sébastien Tertrais

Arnaud Montebourg, avocat, ancien ministre et depuis 2018 entrepreneur, vient de produire un podcast nommé « Les Vrais Souverains », dont deux premiers épisodes sont déjà disponibles.

Dans le premier il retourne à la rencontre des anciens salariés d’Alstom à Belfort, entreprise rachetée par Général Electric en 2015 pour un montant de 13 milliards de dollars, dans le cadre de tractations révélatrices de la capacité de prédation de l’économie américaine et de l’importance de la loyauté des dirigeants des grandes entreprises françaises, dans le second il va à la rencontre de Horizom, un producteur de bambous, une plante magique qui pourrait contribuer à la séquestration du carbone et aux objectifs d’augmentation de la biomasse. Plus tôt en mars nous avions suivi avec beaucoup d’intérêt la commission d’enquête parlementaire liée à la perte d’indépendance énergétique de la France et l’audition de l’ancien ministre, dont nous avions d’ailleurs diffusé deux extraits percutants sur la notion de souveraineté. Nous avons naturellement pris attache auprès de ses collaborateurs afin de nous entretenir avec lui autour des enjeux de souveraineté. Nous avons le plaisir de vous partager ci-après l’entièreté de notre conversation, réjouissante et des plus motivantes.

ST : Après votre premier métier d’avocat, vous vous êtes engagé dans une carrière politique de haut rang, puis vous avez quitté votre mandat en 2015. Vous êtes désormais entrepreneur. C’était important pour vous d’entreprendre ?

AM : Oui, parce qu’il y a l’indépendance et la liberté qui sont liées à mon tempérament et à mon histoire. C’était un vieux rêve, que je voulais réaliser depuis que j’étais étudiant, que je n’ai pas pu réaliser avant parce qu’il fallait aller travailler. J’étais juriste, et finalement la meilleure profession qui correspondait à mon tempérament et à ma carte d’identité intellectuelle c’était avocat, pour exercer en artisan solitaire. J’ai exercé ce métier pendant 7 ans, puis l’action politique m’a rattrapé. J’ai été élu à 34 ans et après je suis parti pour 20 ans, avec un parcours qui devait aller au bout, donc je suis allé au bout du parcours. Après, à 53 ans, je me suis dit que je devais pouvoir réaliser mes rêves.

ST : Vous avez quitté le projet de gouvernement avec Manuel Valls à la suite de désaccords sur plusieurs sujets, sont-ce eux qui vous ont motivé à « y aller » ?

AM : J’ai toujours été en désaccord avec les socialistes, mais dans l’exercice du pouvoir les désaccords ne sont  plus théoriques, ils concernent la vie des gens, donc on a envie d’infléchir le cours de la force des choses,  en se battant de l’intérieur, ce que j’ai fait. Mais j’ai compris au bout de nombreux combats perdus que c’est vain. À un moment j’ai su dans ma tête que j’avais déjà fait mes cartons. Pour un ministre de l’économie demander une inflexion majeure de la politique économique c’est quand même assez original. Tout cela a été maquillé derrière la fameuse cuvée du redressement, mais franchement la cuvée du redressement n’était rien à côté du réquisitoire que j’ai prononcé ce jour-là contre la politique économique que j’étais obligé d’appliquer, contre laquelle j’étais en désaccord. Lorsque je suis parti j’ai ressenti un grand soulagement.

ST : Cela vous a permis de sortir d’une situation de tension et de vous engager dans un combat pour lequel vous étiez prêt. Il est de notoriété publique que vous avez un certain attachement à la notion de vérité et qu’elle n’a pas été sans impact sur vos différents engagements.
AM : La politique a un rapport avec la vérité, vous ne pouvez pas traiter les problèmes si vous les déguisez, si vous mentez vous vous mentez à vous-même, vous ne traiterez pas le mal. C’est comme si un médecin faisait un mauvais diagnostic ou le dissimulait, et appliquait des placebos. Ça ne marche pas. Il faut vraiment regarder la vérité et les problèmes en face pour pouvoir les traiter.

Cette relation à la vérité, qui existe chez Pierre Mendes France, et qui m’avait été bien transmise par mon père, jeune militant radical qui s’était engagé derrière cet homme d’Etat, m’a beaucoup marqué. Dans la « République Moderne », qui est un livre qui a mon âge, Mendes France consacre un passage entier à la question de la vérité comme outil  de résolution des problèmes communs. Il est évident que ne pas faire trop de concessions sur la vérité est un point central pour qui veut agir pour son pays. On peut faire de la politique pour d’autres motifs que celui de soutenir son pays, mais moi c’était ce que je cherchais. Le reste ne m’intéressait finalement qu’assez peu, l’essentiel était là.

ST : Un des cadres de la DREETS[1] me disait récemment qu’un homme politique ne parlait jamais aussi bien que lorsqu’il n’avait plus de mandat.

AM : Il est vrai que lorsque nous relisions certains interviews mes attachés de presse me disaient parfois qu’il fallait revoir certains passages, en affirmant que ça ne passerait pas. Je refusais, je ne pouvais pas faire trop de concessions. La manière de les dire pouvait être un peu corrigée, sur la forme il pouvait être fait des choses, mais quand il s’agissait des contenus je ne préférai ne pas trop transiger. J’ai par exemple défendu la filière nucléaire, après Fukushima, dans un gouvernement de coalition avec les écologistes, j’ai lutté contre la bêtise des critères maastrichtiens de Bruxelles, j’ai dit aux dirigeants du CAC 40 qui trahissaient la France qu’ils se comportaient comme des flibustiers, j’ai soutenu le Made in France contre les ricanements de la classe dirigeante, mais ça n’est pas grave, il en reste quelque chose aujourd’hui.

ST : Vous venez de publier deux premiers épisode de votre Podcast « Les Vrais Souverains [2]», et après leur écoute je constate quelque chose de très marquant. Dans le premier, par exemple, vous êtes retourné voir les anciens de Belfort sur le site de General Electric, qui a racheté Alstom en 2015. Il s’agit de syndicalistes qui se sont mis à agir. Ils sont passés d’une logique de contestation et d’une grande déception à celui de l’action. Pensez-vous qu’il y a ici quelque chose à jouer ?

AM : C’est le sens à donner à nos vies. Bien sûr qu’on peut être contre quelque chose dans un monde qu’on n’aime pas, le mieux pour résoudre cette conflictualité dans le monde actuel, c’est de construire l’alternative, montrer qu’elle est viable, pour nous-mêmes, pour ceux qui nous regardent, nos enfants et même tous ceux qui se demandent si un autre monde est possible. Oui, on peut le construire. À chaque fois qu’on montre une alternative, on fait la démonstration que c’est possible. C’est la résolution de la tension. Ces syndicalistes sont devenus entrepreneurs, ils ont eu raison de protester, ils ont raison de construire. Dans toute vie on a des périodes de refus, on peut être à la fois Antigone et ces princes, ces rois de micro-royaumes dans lesquels nous pouvons imposer notre forme de gouvernement, le gouvernement de nos vies. Et des millions de gouvernement de nos vies, tous différents, peuvent ensemble constituer le gouvernement d’un pays.

ST : À condition sans doute d’aider, de soutenir, de fédérer et de tisser des liens entre tous.

AM : C’est l’idée de ce podcast, qui promeut des gens ordinaires qui font des choses extraordinaires. Les honorer et les remercier me paraît indispensable.

ST : Lors de la très remarquée et utile commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France vous avez parlé de souveraineté et de loyauté, en montrant votre attachement à ces valeurs. En quoi ont-elles à ce point du sens ?

AM : La France, c’est un pays qui a ce désir éperdu de vivre libre et indépendant. C’est d’ailleurs son histoire, c’est pour cette raison qu’elle s’est affranchie des monarques. La souveraineté est une conquête de la Révolution Française, c’est la liberté de choisir. Dans l’histoire et la géographie de la France, la liberté est une base dont nous sommes les inventeurs. C’est un mot qui n’existe pas dans certaines civilisations, comme en Chine par exemple. Ce mot a été inventé par l’Occident, et au cœur de l’Occident il y a la France, qui joue un grand rôle dans le monde. Cela fait partie de notre histoire. Donc évidemment la perte de souveraineté conduit à ce que vous soyez dans la main des autres, d’abord sur le plan économique.

Comme l’ecrivait Adam Smith « On tient un pays soit par l’épée soit par la dette ». Face à l’épée nous avons fait face, il reste à traiter la dette. Qui sont nos créanciers et comment nous tiennent-ils ? Cette question, c’est la question fondamentale pour notre pays. Est-ce que nous avons le droit, dans la mondialisation, d’avoir un modèle social tel que nous l’avons imaginé, généreux ? Est-ce que nous avons le droit d’avoir un modèle environnemental différent, avant-gardiste ? Peut-être pas ? Peut-être qu’on ne le peut pas ? En tous cas cette souveraineté-là, elle se défend, elle se construit, c’est un ouvrage d’art, qui mute avec le temps et les siècles.

Alors évidemment, dans ce cadre-là, pour construite cette liberté, on a besoin d’unité. On a besoin de concilier les contraires. Et donc pour ça la loyauté est nécessaire. Vous ne pouvez pas mettre d’accord des gens qui ne sont pas d’accord sans loyauté, c’est à dire d’accord sur l’intérêt national. Vous ne pouvez pas faire cohabiter des gens qui sont structurellement dans des situations de s’affronter, les faire coopérer, sans cette loyauté. C’est le même sujet en fait, la liberté s’accompagne de loyauté.

ST : On assiste depuis quelques années aux soubresauts d’un pays qui se construit beaucoup contre. Le premier épisode de votre podcast montre l’écart important entre l’impression que les français seraient beaucoup contre, contre les réformes, contre les projets, contre le fait d’agir, et le fait que beaucoup de gens sont actifs et au service de projets utiles, avec des objectifs précis, riche de sens. Pensez-vous qu’il y a une prise de conscience suffisante pour aujourd’hui inverser la tendance et aller collectivement un plus de l’avant ?

AM : Il y a beaucoup de gens, parmi les protestataires, qui sont eux-mêmes des entreprenants. Ils entreprennent beaucoup dans leur vie, dans les associations, dans leur métier. Il n’y a pas d’un côté ceux qui protestent et de l’autre ceux qui font, parce qu’en fait on est contre quelque chose et on est obligé d’être pour autre chose. C’est invivable d’être toujours contre, parce qu’on se détruit. Et de la même manière c’est impossible d’être toujours pour, parce que là il y a un mensonge. C’est une répartition que chacun a en soi, différente bien sûr les uns des autres. Parfois c’est 50/50, parfois c’est 5/95, 70/30, on ne sait pas. Dans chaque être humain il existe une âme bâtisseuse, comme finalement dans l’abeille, il y a l’instinct de construction. Et puisque l’être humain est un individu social, il aime coopérer avec autrui. Et que fait-on de mieux, à plusieurs, que d’essayer de faire ciller, ou de donner un coup d’épaule à l’histoire ? Le rôle des masses, autrefois théorisé par le léninisme, c’est aussi la construction par des communautés de projets qui dépassent l’individu, qui lui permettent de se réaliser. En France il existe de nombreux entreprenants, et dans la grande catégorie des entreprenants vous avez des entrepreneurs, ceux qui montent des entreprises, et ceux qui participent à la vie de ces entreprises, c’est-à-dire des millions et des millions de gens qui tous les jours construisent un outil commun. Donc je ne ferai pas la partition entre ceux qui disent non et ceux qui disent oui.

ST : Nous sommes dans une pleine phase de réindustrialisation, et aujourd’hui se tient le sommet « Chose France[3] ». Que pensez-vous de l’arrivée de capitaux étrangers en France pour notre réindustrialisation ?

AM : D’abord qui pourrait déplorer qu’il y ait des milliards qui viennent s’investir en France ? On ne peut que s’en réjouir. Mais je voudrais dire qu’il s’agit ici d’un symptôme de notre faiblesse. D’abord parce que nous avons 156 milliards de déficit annuel de commerce extérieur, c’est-à-dire que 156 milliards sortent chaque année du pays. Comme on ne produit plus ce qu’on consomme, qu’on produit beaucoup moins que ce qu’on consomme, on achète à l’extérieur, donc on a besoin qu’il y a des flux dans le sens contraire, c’est-à-dire qu’il y ait de l’argent qui rentre pour équilibrer nos impérities économiques.

Nous sommes un pays de plus en plus détenu par nos créanciers, c’est-à-dire nos investisseurs, lesquels viennent faire leur shopping dans nos entreprises, comme nous l’observons depuis maintenant quinze ans, et qui choisissent la France pour y investir. C’est un peu le côté reluisant de notre faiblesse. Et vous avez le côté beaucoup plus sombre, qui fait qu’aujourd’hui le monde entier vient acheter la France en pièces détachées parce qu’ils savent qu’on a besoin d’argent. Au fond tout ces éléments marquent une perte de contrôle de notre économie. Et un état d’urgence absolu face à notre affaissement économique.

ST : Que faudrait-il faire, ou engager, pour que la situation change ?

AM : Il faut se remettre rudement au travail, c’est le sens de la réindustrialisation. Ce n’est pas un slogan, ça ne peut même pas être un politique d’Etat, encore moins une politique d’attraction d’investissements étrangers, il faudrait qu’on soit capable de relocaliser sur le sol national entre 50 et 70 milliards de chiffre d’affaires. Voilà, vous connaissez le tarif. C’est un travail de Titan que même Jupiter ne peut réaliser seul. C’est une mobilisation nationale, une appropriation par tous les secteurs de la société, c’est-à-dire qu’il faut réformer le système bancaire, qui ne finance pas l’économie réelle. Il faut remobiliser l’épargne qui est gaspillée et qui part à l’étranger. Ça veut dire qu’il faut débureaucratiser les règles et les contraintes qui pèsent sur les entreprises, ça veut dire qu’il faut remobiliser la nation autour d’une seule cause, une grande cause nationale, qui s’appelle se remettre à produire en France. Parce que sinon on n’y arrivera pas, et nous nous appauvrirons cruellement.

ST : On a besoin d’acteurs industriels, mais nombre des décisions importantes à ce « produire en France »  dépendent des acteurs politiques. Vous en avez été un de premier rang, vous êtes aujourd’hui un acteur économique, à titre privé. Avez-vous l’intention de jouer encore un rôle politique pour aider à accompagner ces changements ?

AM : Non, j’ai déjà beaucoup donné. Je considère que j’ai fait ce que je pouvais, dans le sens que j’espérais, avec des résultats qui sont contrastés. Je ne peux maintenant m’intéresser au pays qu’au travers de mes entreprises et des combats économiques qui sont les miens. C’est déjà pas si mal.

ST : Vous le savez maintenant de l’intérieur, toutes les entreprises se trouvent confrontées à des contraintes ou des lourdeurs administratives qui ne cessent de se complexifier. Que faudrait-il faire pour ne pas les fragiliser plus encore ?

AM : Je pense qu’il faut d’abord atrophier le système normatif qui vient de l’administration, qui est dépolitisée puisqu’il n’y a pas de contrôle politique sur l’administration en France, elle est en roue libre. C’est le grand problème de notre pays. Si je résume, dans un pays qui a inventé la liberté, quand même, on se retrouve dans une situation entre Kafka et Sacha Guitry, ou Alphonse Allais, qui consiste à découvrir que tout ce qui n’est pas autorisé deviendrait interdit, alors que normalement tout ce qui n’est pas interdit est de droit libre, et donc maintenant plus personne ne fait rien car se croit obligé de demander l’autorisation. Cette grave perversion du système juridique fait qu’il va falloir très rapidement imaginer une manière de se débarrasser d’une quantité considérable de règlementations qui ne sont pas seulement inutiles, mais aussi liberticides. Elle empêchent la société de prendre confiance en elle. Pour moi il faut faire confiance aux acteurs, sinon une société qui organise la défiance, qui imagine le délit derrière n’importe quelle pratique, c’est une société qui se meurt et se dévitalise. Pour ce travail de débureaucratisation il faudrait qu’il y ait au vice-premier ministre qui ne fasse que ça, pendant cinq ans. Il conviendrait de le rendre numéro deux du gouvernement, avec autorité sur tous les autres. Je pense qu’on pourrait y arriver franchement ainsi.

ST : Pouvez-vous nous en dire plus sur la maladie qu’avaient plusieurs de vos anciens collaborateurs, la bruxellose ?

AM : (Rires) Ma grand-mère dans le Morvan se plaignait du fait que ses lapins avait la myxomatose. Lorsque mes collaborateurs revenaient de Bruxelles et qu’ils me disaient qu’on ne pouvait pas faire telle ou telle chose, que la Commission Européenne n’autorisait pas telle ou telle autre chose, je leur ai répondu un jour « Vous, il faut vous soigner d’urgence, vous avez la bruxellose. Vous êtes contaminés par une maladie qui est celle de la croyance que Bruxelles va décider à notre place. »

ST : Aujourd’hui vous êtes associé dans dix entreprises, dans l’industrie et l’agriculture, deux piliers de notre pays. Que pensez-vous du fait qu’ils soient attaqués par des activistes et des militants qui, ne connaissent pas grand-chose, sont pourtant très sûrs d’eux et n’hésitent pas à conduire des actions qui fragilisent ces activités ?

AM : Les écologistes de la punition -et non de la construction- sont les conservateurs de la mondialisation actuelle, parce que le principal obstacle à l’écologie est que le lieu de production est très éloigné du lieu de consommation, il n’y a pas de lien entre le producteur et le consommateur. La première des écologies est celle qui produit sur place ce dont on a besoin. C’est la politique souverainiste. Il s’agit de réconcilier les circuits courts, par seulement dans l’alimentation mais dans tous les domaines. Faire coïncider les besoins des producteurs avec celui des consommateurs. Les écologistes qui empêchent la production sur place sont des révolutionnaires du statu quo, et les pires conservateurs de la mondialisation libérale. Finalement ils ne veulent pas qu’on extrait des mines des matériaux de la transition écologique, donc ils préfèrent faire de l’écologie sans en voir les conséquences. Ils ne veulent pas que l’agriculture, telle qu’elle est, fonctionne à un prix accessible, alors ils la rendent impraticable sur le sol national et leurs actions conduisent à l’importation. Ils empêchent tout investissement dont ils croient qu’ils porteraient atteinte à leurs principes alors qu’en vérité il sont des moyens de recréer des capacités de production sur place. On voit bien que cette écologie-là est l’écologie du statu quo, celle qui fait reculer le monde, alors qu’on a besoin de faire grandement progresser l’écologie.

Par ailleurs je regrette une chose, qu’il n’y ait pas de débat sur tous les sujets techniques et scientifiques, parce que la science est totalement instrumentalisée et manipulée. J’ai cherché des médias qui traitent les problèmes et les dossiers sur le fond, mais il n’y en a pas dans les grands médias. Nous avons un soucis de débat public. Je ne suis pas contre qu’on débatte des bassines, et on va découvrir que 70% des bassines sont indispensables, et que peut-être 30% d’entre elles sont indésirables.

ST : Dans les deux premiers épisodes de votre podcast chacun partage son expertise, tous les aspects d’un sujet sont abordés, politiques, techniques, scientifiques, emploi, … Il répond donc à ce que vous attendiez.

AM : J’ai voulu donner la parole à des gens extraordinaires qui n’ont aucune chance d’être entendus dans le système médiatique actuel. C’est une espèce de contre-société de faiseurs, ou plutôt de faiseux, des gens qui travaillent, qui construisent, selon des principes et des valeurs qui sont parfaitement identifiables, et qui concrétisent des projets. Évidemment cela suppose de croiser tous les domaines, écologie, sciences économiques, sociétal, les besoins de la société, les choix politiques, ce sont des démonstrateurs qu’il est possible de faire des tas de choses dans notre pays qui est peuplé de gens formidables, c’est tout ce que j’aime.

ST : Vous dites faiseux plus que faiseurs ?

AM : Oui, parce que faiseur c’est négatif. Le faiseux c’est celui qui fait, car dans mon pays natal on disait : « il y a les faiseux et les diseux ».

ST : Et alors, Monsieur Montebourg, qui sont donc les Vrais Souverains ?

AM : Les Vrais Souverains, ce sont ceux qu’on n’entend pas, mais qui font beaucoup pour reconstruire la France. C’est une société qui est liée par des liens invisibles, des liens de solidarité et d’entraide, composée de gens qui ne se connaissent pas. J’ai décidé qu’ils se donnent la main dans un lieu où ils pourront se découvrir les uns les autres. C’est ma contribution au débat public, une mise en valeur de nos efforts extraordinaires.

[1] Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités

[2] Arnaud Montebourg part à la rencontre des Vrais Souverains, ceux qui se lèvent pour construire une France libre et souveraine, indépendante car elle prend son destin entre ses mains.

[3] Sommet instauré par le président Emmanuel Macron qui vise à présenter et expliquer aux grandes entreprises internationales les réformes menées pour favoriser l’activité économique de notre territoire. https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/choose-france







⭕️ Mezze de tweets

 



⭕️ Hors spectre

 

Studio Les Canailles

 

“Être bon représente une aventure autrement violente et osée que de faire le tour du monde à la voile.”
G.K. Chesterton

 




Les femmes de pouvoir sont des hommes comme les autres

Yasmine Douadi est fondatrice et CEO de RISKINTEL et Risk Summit.

1/ Quelle étymologie du mot risque a-t-elle votre faveur ? L’italien « risco » issu du latin « resecum » (« ce qui coupe », puis « rocher escarpé, écueil ») ou l’arabe رزق, « rizq » (« don fortuit ») ? Un mezze des deux peut-être ?

J’en reviendrais plutôt aux cindyniques du grec κίνδυνος / kíndunos, danger, pour « sciences du danger », qui sont consacrées à l’étude et à la prévention des risques. Au risque d’être terre à terre, le risque est avant tout un danger que l’on tente de prévoir, d’éviter, ou dont on veut limiter l’impact quand il se réalise. Derrière cette approche, il y a d’une part le facteur technique, par exemple en cybersécurité l’ensemble des moyens techniques (EDR, antivirus etc.) qui permettent de contrer la menace. Mais il y a d’autre part l’approche humaine, qui peut comporter une approche psychologique, sociologique, géopolitique, en intelligence économique par exemple. En ce sens, la cyber threat intelligence a une grande composante humaine et requiert des analystes pluridisciplinaires.

2/ L’hostilité est une dimension propre à l’Humanité. Mais nous vivons peut-être une sophistication de la menace, avec l’avènement du « tout cyber ». Les mécanismes de protection ou de repli sur de petites communautés plus sûres vous apparaît-il comme un réflexe assez sain ou comme l’expression d’une peur contre laquelle nous devons lutter sans cesse ?

Pour faire une analogie avec le Léviathan de Hobbes, qui a été écrit dans un contexte de guerre civile, lorsque le danger frappe à la porte de chacun, les humains ont plutôt tendance à s’en remettre à une autorité forte et englobante pour résoudre la situation. Le repli sur de petits groupes est en réalité une solution en désespoir de cause, en d’autres termes un pis-aller. Pour ceux qui connaissent la série américaine The Walking Dead, qui est une allégorie de l’état de nature, c’est le débat entre le petit groupe de Rick et Negan, nouveau Léviathan, être collectif extrêmement coercitif, dans un monde en délitement. Derrière ces constructions, la peur peut être un moteur, contre lequel il ne faut pas lutter mais plutôt remettre à sa place. Celui qui n’écoute pas ses peurs est un fou. L’homme courageux est au contraire à l’écoute de ses peurs et tente de les dépasser. La science du risque demande dès lors du courage et une action collective. Le changement majeur de notre époque est l’évolution rapide et la nature protéiforme de la menace, qui requiert une coopération entre les acteurs privés, mais aussi entre États, plutôt que la constitution d’un nouveau Léviathan planétaire selon moi. L’avenir est dans la coopération entre les différentes intelligences plutôt que dans une uniformisation des techniques de défense.

3) Que vous inspire l’idée selon laquelle il y a fort à parier que, demain, la moitié de l’économie mondiale sera dévolue à la « cyber-protection » de l’autre ?

La part de la « cyber-protection » de l’autre est amenée à suivre la digitalisation du monde. Plus là digitalisation progresse, plus la nécessité de sécuriser les SI se répand. En clair c’est un phénomène naturel dont le moteur est primordialement la digitalisation.

Dès lors, j’observe trois tendances possibles fortes. 

Premièrement, la digitalisation croissante des économies et modes de vies dans les pays en développement, notamment l’Afrique. Ce phénomène, qui arrive à son paroxysme en occident, créera des opportunités et défis majeurs en termes de cybersécurité. Les acteurs de la « cyber-protection » pourront utiliser les acquis de ce qui se fait en occident pour pénétrer les marchés émergents. Ils le font déjà d’ailleurs.

Deuxièmement, le métaverse, qui est perçu comme un nouveau continent par certains géants de la Tech. J’évoque cette tendance pour l’écarter car ce concept me parait ontologiquement dépassé. Pour faire une analogie, le métaverse est un terrain vague non constructible. Or les êtres humains se rassemblent autour d’intérêts ou de passions communes. Ce peut être un jeu sportif, un jeu vidéo, une fête, une projection cinématographique etc. Le vide n’attire personne, or le métaverse n’est que la promesse d’un vide digital dont les humains ne pourraient même pas s’approprier la matrice (le code) pour le modifier à loisir, mais où ils devraient tout acheter. C’est donc un projet bassement commercial représentant une régression anthropologique majeure. L’évolution ne nous y pas préparé, et je ne crois pas qu’elle nous y mènera. Les méta-verses existent aujourd’hui déjà, par exemple sous la forme de forums, de Discords, ou de jeux-vidéos comme MineCraft, Fortnite, League of Legend, Destiny etc. D’ailleurs, comme dans le vrai monde, les humains s’y rassemblent par communautés et sous communautés.

En dernier lieu, il y a la digitalisation du corps humain. C’est à la fois inquiétant et plein de possibilités. On pense tous au projet d’Elon Musk de connexion neuronale entre l’homme et la machine. Lorsque l’humain sera devenu une machine comme une autre, alors la question de la cyber-protection de l’autre se posera sous un angle totalement prométhéen. La culture cyberpunk a anticipé ce monde depuis longtemps, mais peut-être aurons nous la chance (ou malchance) de le voir advenir pour nous ou nos enfants.

4/ Diriez-vous que l’on a enterré un peu vite les veilles nations, et le cas échéant, pour quelles raisons ?

L’expression « vieilles nations » est selon moi un pléonasme. Pour reprendre l’analyse braudélienne, une nation se construit sur des générations par strates successives. Il n’est pas de jeune nation. On pourrait m’opposer le « contre-exemple » américain, mais en réalité, c’est le substrat et l’héritage européen qui a permis aux pères fondateurs de recréer un ensemble national sur une terre nouvelle. A cela s’ajoute une théorie raciale de la nation héritée des approches allemande et anglaise (l’Amérique WASP), qui a d’abord défini l’américain comme blanc, en opposition aux esclaves noirs et aux indigènes amérindiens. L’Amérique multiculturelle tente d’amender cet héritage mais on voit qu’elle a du mal et que cette société reste traversée par des fractures raciales et non culturelles. En clair, cette « jeune » nation porte en elle l’héritage millénaire de peuples européens.

Les nations existent et quand on veut enterrer le vieux modèle de l’État Nation, on parle avant tout de l’Etat Nation occidental. C’est un discours politique et performatif et non une analyse politique sérieuse. Le but pourrait être de dépasser ce modèle pour créer de nouveaux ensembles régionaux, comme l’Union Européenne ou une fusion-absorption Amérique-Europe. Derrière ce discours du dépassement des nations, il y a donc un projet politique qui a ses justifications théoriques, et dont il faut avoir conscience. Cela dit, le Brexit et la montée des « populismes » sont des illustrations de ce que les nations peuvent être tenaces.

5/ Sur une échelle de 1 à 10, comment évaluez-vous le risque d’une avarie numérique planétaire ? Et comment imaginez-vous les moyens d’y faire face ?

On peut repenser au bug de Fastly, une entreprise au rôle stratégique, dont la panne avait emporté des milliers de sites. Cette expérience souligne à quel point une petite erreur peut entraîner des conséquences à grande échelle. Cela dit, je ne crois pas à une avarie numérique planétaire qui viendrait d’une panne. Le net n’est pas décorrélé de la réalité. Il s’agit d’une infrastructure, comme une autre. Dès lors, le risque principal est plutôt celui d’une conflagration planétaire entre grandes puissances qui viendrait mettre à mal l’unité numérique planétaire en détruisant partiellement cette infrastructure ou en la partitionnant.

D’ailleurs, les nets russes, chinois et américains ne sont pas les mêmes. Le monde est certes interconnecté, mais une volonté politique guerrière pourrait très rapidement mettre fin à ce paradigme.

Le risque majeur est donc lié à un risque de guerre tout simplement. Par exemple, dans le contexte de la guerre en Ukraine, North Stream 2 a été détruit, coupant ainsi un peu plus la Russie de l’Europe. De même, le pont de Crimée a été atteint par les services Ukrainiens. En clair, une guerre détruit les infrastructures et réveille des fractures que l’on n’imaginait pas forcément. Du jour au lendemain, les Allemands de l’Est et de l’Ouest ont été divisés arbitrairement. Le même phénomène pourrait arriver dans le numérique.

6/ Quand on entend le terme « numérique », on pense nécessairement à la Gouvernance par les Nombres du Professeur Alain Supiot. La résilience, dans un monde régi par le calcul, est-ce que cela consiste à fonder, enfin, sur l’Homme et sa capacité à discerner ?

L’homme est fainéant par nature. Mais il est obligé de travailler pour survivre. C’est toute la métaphore du Jardin d’Eden, l’homme fainéant, chassé du jardin doit désormais travailler pour survivre. L’intelligence humaine est le corollaire de cette fainéantise. Comment en faire le plus possible avec le moins de moyen possible ? Tel est le pari des ingénieux, des ambitieux et de la société scientifique. Dès lors, la gouvernance par les nombres que critique Supiot me parait être un phénomène inévitable. La pénétration du calcul dans toutes les sphères de la vie nous la rend en réalité plus facile. L’enjeu sera pour l’homme d’être capable de discerner, avant qu’une IA toute puissante ne soit capable de le faire pour lui et mieux que lui.

7/ Que dit selon vous la montée en puissance des femmes dans les sphères du pouvoir, particulièrement s’agissant de leur rapport à la notion de risque ?

Les femmes de pouvoir sont des hommes comme les autres.

D’ailleurs, l’Angleterre de Thatcher et l’Allemagne de Merkel montrent que rien ne change vraiment quand des femmes arrivent à des postes de pouvoir. Pour autant, j’apporterai un bémol à votre question. En effet, cette montée en puissance n’existe pas selon moi. La plupart des lieux de décision et de pouvoir demeurent encore masculins. Christine Lagarde avait déclaré que si les traders étaient des femmes, la crise des subprimes n’aurait pas eu lieu. Elle faisait référence à la prétendue aversion au risque plus prégnante chez les femmes. Ce point de vue a peu de sens et met de côté une approche structuraliste qui me semble plus juste : ce sont les structures qui décident des hommes (ou femmes) qui vont les occuper. En clair, une femme ne pourra être trader que si justement elle possède la faible aversion au risque que demande cette profession. Une femme ne pourra obtenir un poste de pouvoir que si elle se coule dans le moule de la structure de pouvoir en question. Je vous renvoie à l’exemple de Blythe Masters, qui, bien que femme, a marqué le monde de la finance par l’invention de produits financiers aux conséquences financières et planétaires catastrophiques.

En clair, il ne faut rien attendre de la parité dans les structures de pouvoir en termes de changements sociaux. Car ce sont les structures qui décident et non les individus.

A titre personnel, je souhaite que chacun puisse réaliser son potentiel et je crois en la nécessité de la méritocratie. Il est donc essentiel pour moi que les femmes ne soient pas freinées uniquement parce qu’elles seraient des femmes. C’est un discours libéral assez basique de type « égalité des chances », mais c’est la condition d’une société harmonieuse. Il faut donc se concentrer sur les solutions concrètes qui permettront cette égalité des chances. Les simples discours de dénonciation ont en réalité un impact plus que limité sur le réel.

8/ A quelle avancée technologique renonceriez-vous par souci d’intégrité corporelle ? Seriez-vous prête par exemple à incorporer un moyen de paiement sous-cutané ?

Elon Musk veut nous rendre plus intelligents en nous implantant des puces dans le cerveau. D’autres aimeraient tracer nos moindres faits et gestes via une monnaie numérique. A moins que ce soit l’inverse. En réalité, je ne crois qu’en la technologie que l’individu maîtrise. Si votre outil est contrôlé par un tiers, alors ce tiers vous contrôle vous. C’est bien simple. Je pose la question autrement : seriez-vous d’accord pour déléguer le contrôle de vos fonctions corporelles à un autre être humain ? Imaginons que vous deviez entrer un login pour avoir accès au sommeil et au monde des rêves sur un Cloud. Est-ce ok ?

Cette question en apparence ubuesque se posera très bientôt de manière concrète au vu des dernières avancées technologiques.

9/ Comment comprenez-vous la notion de vérité dans un pays qui l’a décrétée « relative » il y a deux siècles et qui part aujourd’hui à la chasse aux « fausses » informations ?

Malheureusement, la vérité n’existe que dans les Evangiles, en tous les cas selon Jésus Christ.

Dans une société donnée, il y a des discours parfois alternatifs, parfois concurrents qui s’affrontent pour avoir le monopole de LA vérité. D’ailleurs, dans le concret, la vérité est le corollaire de la pureté. Or la recherche de la pureté conduit rarement à des rapports apaisés entre êtres humains. Derrière le spectre des Fake News, il y a en fait la crainte des pouvoirs publics de voir se propager des discours qui nuisent à la paix sociale et à un certain consensus démocratique. Cela dit, si le consensus existe, je me questionne sur la nécessité de la démocratie, qui est justement censée permettre l’expression des dissensus.

Le risque d’ingérences étrangères est quant à lui bien réel.

En clair, rien de nouveau sous le soleil, Fake News, est le nouveau nom d’un terme désormais désuet : « Propagande ».

Il faudra donc trouver un équilibre entre la chasse aux Fake News et la censure. Seul un système véritablement démocratique pourra y arriver mais ce n’est pas une mince affaire, notamment lorsqu’on constate qu’1/6 des jeunes Français est convaincu que la Terre est plate.

10/ Pouvez-vous nommer une musique, un tableau, une sculpture, un endroit sur terre, une personne, un mot ou une phrase qui ne cessent de vous bouleverser ?

La « Nuit étoilée » de Van Gogh, ou comment le chaos artistique représente un univers cosmique pourtant réglé comme une horloge.

 

 

 




Claude Revel, esprit critique et décence commune

Claude Revel est présidente du GIE FRANCE SPORT EXPERTISE, Directrice du think tank SKEMA PUBLIKA, Administratrice CLASQUIN, Présidente Information & Strategies. Ce portrait a été publié le 25 mars 2022.

Pour connaître la remarquable trajectoire de Claude Revel, il suffit de consulter le Who’s Who. Mais comme l’écrit un jour Simone Weil, « ce que je sais de vous m’empêche de vous connaître ». Il nous fallait donc rencontrer Claude Revel en ne sachant d’elle rien ou presque.

C’est dans les salons feutrés du Cercle de l’Union interalliée que nous reçoit, comme chez elle, Claude Revel, veste en velours moiré chic et col roulé, afin de se dévoiler un peu, même si la pudeur et l’humilité semblent assez vite l’en distraire.

Claude Revel est née d’un creuset de cultures. Sur ses quatre grands-parents, trois avaient quitté leur patrie maternelle. Deux grands-parents italiens, et un grand-père Algérien, berbère pour être exact. C’est à Nice qu’ils se sont tous rencontrés. Mais c’est à Conakry qu’est née Claude et c’est à Dakar qu’elle a passé ses dix premières années, comme une marque de prédestination pour l’horizon international. Nous l’écoutons attentivement évoquer ses origines modestes, dans l’atmosphère cossue du Cercle. Son papa a commencé dans la vie comme mécanicien, sa maman, secrétaire de direction. Tous deux nourrissaient beaucoup d’intérêt pour l’actualité internationale et lisaient abondamment. Très tôt, ils lui communiquèrent cette soif précieuse de culture et de connaissance. Mais le plus beau cadeau que Claude Revel reçut sans doute de ses parents fut une grande indépendance intellectuelle, solidement fondée sur un esprit critique. Ce à quoi il convient d’ajouter,  à la place de notre invitée, un certain goût de l’effort qui a structuré son ascension sociale. « Je suis un pur produit de la méritocratie » confirme t-elle, avec, dans le regard et dans la voix, quelque chose du devoir accompli.

Les études qu’elle entreprit la firent rapidement entrer de plain pied dans un milieu bourgeois, dont elle adopta vite les codes sans jamais rien abandonner de sa liberté de pensée.

Science Po d’abord, des études de droit des affaires à Nice et Assas, puis elle intègre l’ENA en 1980, sans trop savoir à quoi cela la destine. Tous ses homologues ou presque entendaient depuis l’âge de 4 ans « tu seras inspecteur des finances ». Claude Revel ne savait pas du tout ce que c’était en entrant dans l’école.  Sans doute était-elle cependant déjà animée de ce mélange assez romantique de souci du bien commun, de disposition à la prise d’initiative et d’attachement à la nation.

Le haut fonctionnaire insiste sur ce dernier point. « Je suis particulièrement sensible à l’idée de nation et aux principes républicains. Et cela tient sans doute au fait qu’à mes yeux, liberté et souveraineté vont de pair. » En fallait-il beaucoup plus pour faire un haut fonctionnaire digne de sa mission ?

C’est que le champ lexical de Claude Revel, comme disent les analystes politiques, regorge de termes oblatifs, tels que « loyauté, exemplarité ou encore courage », dont elle déplore que ce soit sans doute aujourd’hui « la qualité la moins bien partagée ».

Claude apprécie particulièrement les cours de sciences politiques. A l’ENA, elle développe le goût du service de l’intérêt général que matérialise l’Etat, et que nourrit un patriotisme assumé, qu’elle relie sur le moment à son histoire familiale. « Mon grand-père algérien s’est engagé et battu dans les Dardanelles, un grand oncle niçois a perdu la vie à 19 ans en août 14 dans un champ de blé en Alsace ».

Dès la sortie de l’ENA, la carrière de Claude Revel part en trombe pour ne plus s’arrêter. De 1980 à 1989, elle sert trois ministères différents comme administrateur civil : l’Equipement (Direction de la Construction, contrôle des activités financières des entreprises disposant de crédits publics ), le Commerce extérieur (DGA de l’ACTIM ancêtre d’Ubifrance), puis les Affaires étrangères (Information scientifique et technique). C’est au Quai d’Orsay qu’elle attire vainement l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de valoriser l’information scientifique et technique pour les entreprises. Mais elle est en avance sur l’état d’esprit de cette époque et ne parvient pas totalement à faire émerger cette prise de conscience. Voilà bien un coup de pinceau assez évident dans ce portrait, le côté pionnier ou visionnaire de Claude Revel.

De 1989 à 2003, Claude Revel crée et dirige l’OBSIC (Observatoire du marché international de la construction) structure d’intelligence économique internationale mutualisée entre majors du BTP français. Peu après,  elle prend concomitamment la direction générale du SEFI (Syndicat des Entrepreneurs Français Internationaux), centre d’advocacy des mêmes avec les organisations internationales mondiales. Puis en même temps en 2000, elle assure également la direction générale de la CICA (Confederation of International Contractors’​ Associations), association mondiale des entrepreneurs de construction et infrastructures.

Dès 1991, Claude Revel produit pour ses entreprises un rapport de 35 pages sur la concurrence chinoise en Afrique. Elle tente aussi d’alerter l’opinion publique sur l’effort d’influence économique américain à l’international, en diffusant un rapport qui deviendra une base de son livre (en coauteur) « L’autre guerre des Etats-Unis » en 2005. De même le fait-elle sur les enjeux pour notre pays de la gouvernance mondiale en cours avec un autre ouvrage en 2006. . . Elle prend alors conscience du rapport analogique qui existe entre ce que l’on appelle aujourd’hui l’intelligence économique et le Renseignement. Collecte, analyse, recoupement, tri, validation, etc. C’est là peut-être l’un des axes majeurs de la carrière de Claude Revel : l’intuition que rien ne dispose mieux au succès de l’action que la récolte et le raffinement de l’information.

C’est bien la raison pour laquelle, de début 2004 à fin mai 2013, Claude Revel crée et développe IrisAction, une structure d’intelligence et influence professionnelles internationales (que Claude Revel dissout de manière anticipée début juin 2013, lors de sa prise de fonctions dans l’administration). Elle assure alors également des fonctions de professeure affiliée en intelligence économique et stratégique et de directrice du Centre Global Intelligence & Influence de SKEMA Business School (elle met fin à ces dernières fonctions au 30 mai 2013, pour les mêmes raisons).

Du 30 mai 2013 au 26 juin 2015, Claude Revel est appelée comme déléguée interministérielle à l’intelligence économique auprès du Premier ministre français. Une consécration en quelque sorte !

Elle est ensuite Conseillère maître en service extraordinaire à la Cour des comptes de 2015 à 2019.

En décembre 2019, elle recrée une structure propre baptisée Information & Stratégies. Depuis le 2 janvier 2020, elle est présidente du GIE France Sport Expertise, directrice du développement du think tank SKEMA PUBLIKA et administratrice indépendante de la société de logistique internationale Clasquin. C’est la portée internationale et la préoccupation opérationnelle de PUBLIKA qui l’ont séduite. Le Think Tank vient de publier un rapport d’envergure, EYES (Emergy Youth Early Signs) qui recense et décrypte des préoccupations d’ordre politique des jeunesses du monde. « C’est une étude dont l’objectif est de doter les pouvoirs publics et privés dans le monde d’un certain nombre de clefs de réflexion, que nous allons développer en moyens d’actions concrets, d’outils opérationnels, par exemple pour aider à la formation de l’esprit critique, bien délaissée aujourd’hui » explique Claude Revel.

Voilà pour la matière des grandes dates. Mais s’agissant de l’esprit ? « Je crois bien dans une forme d’intelligence supérieure, à laquelle je ne donne pas de nom ». Nous n’en saurons pas plus. Qu’est-ce qui vous tire du lit le matin, qu’est-ce qui irrigue votre vie, poursuit-on. « J’aime l’idée d’Orwell, de ‘common decency’. Il est donné de cette notion une définition bien claire dans un ouvrage. (Références ici) : « La décence ordinaire repose sur les vertus de base toujours reconnues et valorisées par lhumanité. Elle revêt un statut transversal par rapport à toute construction idéologique et détermine un ensemble de dispositions à la bienveillance et à la droiture et constitue lindispensable infrastructure morale de toute société. »

Plus que tout, Claude Revel a souhaité par ses multiples engagements protéger les libertés, « à tout prix, et même de manière collatérale ». « Nous devons préparer le monde de demain pour nos enfants, tous les enfants, poursuit-elle. Il nous faut pour cela lutter contre les rapports de force animale, protéger toutes les formes de faiblesse et la dignité humaine. » L’entretien se clôt sur cette question : Y a-t-il une menace qui vous inquiète en particulier ? « Oui bien sûr. Je suis vent debout contre la prise de pouvoir sur nos vies par des géants multinationaux du numérique, non élus, sans notre consentement éclairé, à l’aide de technologies qui séduisent et sont peu à peu rendues obligatoires. Je vais me battre plus que jamais, par les idées car je crois qu’elles mènent le monde, contre une société proposant un pseudo bonheur formaté et sécurisé contre un contrôle individuel total y compris sur la pensée.  Je crains que certains de leurs dirigeants n’aient un agenda. Et je crois bien, hélas, que ça n’est pas le nôtre. Seul le développement de l’esprit critique et citoyen dès l’enfance peut nous éviter le pire » 




Souveraineté numérique : comment sortir du coma (Interview Front Populaire)

« La France est-elle aux mains des GAFAM, et si oui, a-t-elle un espoir d’en sortir ? Pour Bertrand Leblanc-Barbedienne, directeur du site Souveraine Tech, nos libertés collectives et individuelles en dépendent. Mais avant cela, encore faut-il que tout le monde prenne conscience de l’enjeu… »




L’identité numérique me semble à fuir et combattre absolument.

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de « disputatio » ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n’engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d’influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l’objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.


Vendredi 12 avril 2024
Éric Lemaire est Fondateur-Dirigeant de la holding Yoocan 

1/ Ce qu’il est convenu d’appeler le progrès technologique vous paraît-il sensible à l’exercice des libertés publiques ?


La liberté humaine n’ayant cessé de s’accroitre depuis la Renaissance, il semble que ce soit un fait. La question est plutôt morale : Le progrès rend-il les hommes meilleurs? Le degré de violence ne cesse de diminuer, la vie dure plus longtemps, mais l’excellence semble se raréfier. Le matérialisme ambiant n’est pas pour moi causé par la technologie, il a déjà plusieurs fois existé auparavant et il a toujours disparu relativement rapidement. La liberté ne cesse de progresser et le « Bien » est une question paraissant indépendante de la technologie.

2/ Que vous inspire la perspective proche de l’identité numérique ?


La numérisation est inhumaine. La première chose à faire pour échapper à la singularité de l’IA, c’est de cesser de lui donner notre essence. Le papier doit continuer d’exister. Je ne cesse d’encourager à rester humain, quantique et conscient, à jouer avec notre corps qui n’est pas numérique et donc à jouer avec le papier, les idées, les sentiments. L’identité numérique me semble à fuir et combattre absolument. L’époque ou les passeports n’existaient pas est un paradis perdu. Si vous voulez, c’est aussi une dérive de la transparence : si on ne parlait pas des actes terroristes, il n’y aurait peut-être plus besoin de passeport. Dans les entreprises, cela fait longtemps qu’on a compris les limites du contrôle, il serait temps que l’État le comprenne aussi.

3/ Pourquoi les biotechnologies sont-elles sous-exposées par rapport à l’électronique ?


Cela s’explique par l’absence relative de succès. C’est très couteux et les succès ne concernent que peu de patrons et peu de patients. L’espérance de vie marque le pas et semble plus liée à l’hygiène et la nutrition qu’à des thérapies innovantes. Pourtant celles-ci sauvent ou améliorent massivement des vies, mais sur des volumes limités et à des coûts considérables. Soyons clair : les Biotechs ont été uberisées par ce qu’il est convenu d’appeler Big Pharma, car elles ne sont pas rentables. Pour que les biotechs deviennent tendance, il faudra réformer le modèle des brevets dans la pharma. Et au fond le Neuralink de Musk n’est il pas une Biotech et n’est elle pas exposée ? Mais ce n’est plus tout à fait de la médecine.

4/ Que ferait de Gaulle aujourd’hui en matière de souveraineté technologique ?


Il définirait de grands chantiers sur des domaines précis: un drone autonome, les ordinateurs quantiques, la fusion froide. Et surtout il le ferait principalement en France. Il ferait un Rafale, pas un SCAF (quelle acronyme affreux : Système pour CAsser la France, c’est bien cela ?).

5/ Que faut-il attendre de l’Europe et que devons-nous lui apporter ?
(L’Europe, pas nécessairement l’Union européenne).


La communauté de valeurs existe déjà. Il est étonnant que nous voulions faire converger les assurances chômages et qu’il n’existe toujours pas de SA Européenne permettant de créer un vrai grand marché pour nos licornes. Il faut que nous créions enfin un vrai marché et que nous renoncions à créer un faux État dysfonctionnel.

6/ Quelle est la limite que vous ne franchirez jamais dans l’hybridation homme-machine ?
Un exemple : la puce sous-cutanée.

Les viols de la vie privée et du corps et de l’esprit des Hommes pour alimenter le Golem numérique sont déjà allés trop loin. La pratique de plus en plus d’entreprises de logiciels privées de collecter les saisies des humains pour alimenter l’IA est inadmissible. Les trackings généralisés, la numérisation de la vie en général va beaucoup trop loin. Elle est à la fois intrusive, dangereuse et inefficace. L’idée d’aller encore plus loin, d’instaurer l’argent numérique, l’identité dans le corps ou de modifier les Hommes est encore plus dangereuse et inefficace. Souvenons-nous des innovations scientistes de la première moitié du XXe siècle : on a fait moult sottises totalitaires et on est revenu de tout. Ce n’est qu’après que l’expérience, la compétence et l’éthique ont permis d’exploiter efficacement et démocratiquement les innovations.

7/ La personnalité d’Elon Musk est polarisante. Soit on l’adore, soit on l’abhorre.
Comment le percevez-vous ?


Le passé d’Elon Musk, même subventionné, est formidable. Lors des sanctions de 2014, le ministre de l’espace russe a dit que les Américains devraient envoyer leurs satellites en trampoline. Quelle magnifique réponse l’Etat américain leur a fait avec Musk ! Quelle belle aventure que PayPal et Tesla, bien qu’ils n’aient pas réussi, contrairement à Steve Jobs, à complètement révolutionner leur industrie. Il a une personnalité qui me déplait. Qui appelle son fils Dark je ne sais quoi par exemple ? Je m’inquiète de son futur, un peu comme Bill Gates au fond. J’espère que son Neuralink finira bien. Mais j’en doute. Et l’Histoire dira si son combat pour la liberté d’expression était de bonne foi ou s’il consistait à favoriser certaines factions par rapport à d’autres. J’en doute un peu moins mais on verra.

8/ À quand remonte la dernière fois que vous avez lu (ou écrit ?) une considération nouvelle sur l’IA ?


Techniquement, ça n’arrête pas. Moralement, le Golem est une idée si ancienne qu’il est difficile d’innover. Alphabet a énormément innové avant chatGPT avec une invraisemblable quantité de brevets et des réussites incontestables. La science avance donc considérablement et réellement et ce sont des innovations qui sont relativement indépendantes de l’état de la technologie matérielle. D’un point de vue moral, je détesterais que de l’électricité soit massivement consacrée à la génération de « bullshit » managérial plutôt qu’à cuire le pain du peuple…

9/ Avez-vous bon espoir de mettre un jour un terme à l’épilepsie ?
(Eric Lemaire est également DG d’AdPuerVitam

L’épilepsie pouvant être causée par des événements physiques, l’éradiquer est difficile. Diviser par 10 les handicaps qu’elle créé, j’espère que nous y parviendrons dans ce siècle, comme nous avons fait des progrès remarquables sur le muscle cardiaque. C’est pour moi un match retour, j’avais travaillé étant très jeune avec mon père à l’analyse des ECG, l’EEG est encore plus compliqué et le cerveau est encore largement mystérieux ; beaucoup de ses atteintes sont accidentelles ou génétiques, leur mitigation est difficile. Un nombre très élevé de maladies de longue durée, d’handicaps et de perte d’espérance de vie peut être évité : on ne mesure pas le coup pour la société des maladies neurologiques, il ne se voit pas. Des molécules capables de l’aider à se guérir sont très difficiles à mettre au point. Et le répertoire a déjà été très recherché ; l’industrie pharmaceutique, comme je l’ai dit plus haut, fait face à une impasse financière et institutionnelle. Dans le cas particulier de l’épilepsie, de gros progrès seront accomplis par les petites molécules dans les 50 prochaines années.

10/ Vous êtes appelé au pied levé au service de l’Etat.
Quelles sont les dix grandes idées dont vous faites vos chantiers prioritaires ?

À court terme, dans l’ordre :

a) Rétablir la politique familiale telle qu’elle existait en 2012. Sans Français, pas de France.

Le jour ou le malthusianisme fonctionnera…

b) Pour l’éducation ; Remonter massivement le nombre des élèves dans les classes de façon à limiter les effectifs aux meilleurs professeurs. Réduire les délégations de personnels. Mettre en place le chèque éducation à la suédoise et donner l’indépendance aux établissements.

c) Tous les contrats publics sauf l’armée, de droit privé. La faillite est inéluctable, rendons la plus douce.

d) Relancer l’innovation dans l’armée et reconstituer le corps de bataille.

e) Foutre la paix aux Français. La norme concerne les producteurs et pas les consommateurs. Je ne supporte plus les messages totalitaires du genre : « Au quotidien, prenez les transports en commun. ». S’il faut manger plus de légumes, qu’on interdise les fast foods que diable !

f) Rendre les établissements hospitaliers autonomes. Rendre la médecine libérale libérale de nouveau. Et foutre la paix aux Français, sur la Carte Vitale, les vaccins et tout le reste.

g) Transférer massivement la commande publique aux PME.

h) Réformer les dépenses et les revenus publics. Par exemple le CIR. Supprimer les défiscalisations immobilières qui sont inefficaces. Supprimer par contre la CFE qui massacre les entreprises.

i) Redonner la parole aux Français sur les enjeux de société, par des RIC locaux et nationaux.

j) Pour l’Europe, sortir du marché de l’électricité, rétablir des frontières quoi qu’il en coûte, conserver l’euro mais rendre à la Banque de France le pouvoir de création monétaire.




Nous voulons rendre l'informatique moléculaire accessible et pratique.

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de « disputatio » ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n’engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d’influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l’objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.


Vendredi 5 avril 2024

Erfane Arwani est cofondateur et CEO de Biomemory.

1/ Pouvez-vous présenter l’ambition de Biomemory ?

Biomemory, une startup de Deeptech ancrée dans l’innovation, est le fruit d’une collaboration unique entre des chercheurs éminents du CNRS et de Sorbonne Université, ainsi que moi-même, entrepreneur passionné par les technologies avancées. Nous avons identifié une limite majeure dans l’évolution de l’informatique actuelle : sa dépendance à l’électronique, confrontée à un mur en termes de miniaturisation des composants et d’efficacité énergétique. Les technologies émergentes, comme l’intelligence artificielle générative, exacerbent la demande pour des infrastructures de stockage et de calcul de plus en plus puissantes, qui dépassent les capacités de production et d’innovation actuelles. L’informatique traditionnelle se heurte également à des problématiques de durabilité, les supports de stockage ayant une durée de vie limitée et posant des défis en termes de recyclage et de sécurité des données.

Face à ce constat, Biomemory propose une révolution : l’informatique moléculaire, avec l’ADN synthétique comme pierre angulaire. Ce médium offre une durabilité sans précédent – l’ADN peut conserver des données intactes pendant des millénaires. Par exemple, tout le savoir numérique de l’humanité pourrait théoriquement être stocké dans un volume d’ADN ne dépassant pas celui d’une petite bouteille d’eau, et ce, avec une empreinte énergétique minime puisque l’ADN ne nécessite pas d’énergie pour maintenir l’information. De plus, l’ADN est insensible aux rayonnements électromagnétiques, ce qui le rend particulièrement adapté au stockage de données dans des environnements extrêmes ou pour des archives à long terme.

Notre innovation ne se limite pas à repousser les frontières du possible en termes de capacité de stockage et de durabilité. En travaillant sur la synthèse d’ADN, nous nous attaquons à l’un des plus grands défis : rendre cette technologie économiquement viable. Pour illustrer l’impact potentiel de notre technologie, prenons l’exemple de la bibliothèque du Congrès américain, dont la collection complète pourrait être stockée dans un dispositif de la taille d’un timbre-poste, ou encore celui des data centers, où des exaoctets de données pourraient être conservés dans un espace réduit à quelques étagères.

Notre ambition est de rendre l’informatique moléculaire accessible et pratique, ouvrant la voie à une informatique durable et efficiente. Biomemory ambitionne d’être le catalyseur de cette révolution, offrant à l’humanité une nouvelle voie pour le stockage et le traitement des données, marquant ainsi le début d’une ère où la puissance et l’efficacité énergétique peuvent coexister harmonieusement.

2/ Quelle en est la vision humaine sous-jacente ?

J’ai grandi à Illkirch-Graffenstaden, près de Strasbourg, où j’ai été témoin de l’âge d’or de Telic-Alcatel, un symbole de l’innovation française en micro-électronique. Les visites des ingénieurs dans mon école primaire, partageant avec nous des prototypes prêts pour les conventions internationales, ont éveillé ma fascination pour la technologie. Cependant, le déclin qui a suivi, marqué par l’externalisation et la perte de propriété intellectuelle, a laissé une empreinte indélébile sur ma conscience. L’amertume ressentie par ces ingénieurs, contraints à une retraite anticipée, raconte une histoire de perte d’autonomie technologique qui s’est répétée à travers de nombreuses entreprises françaises du secteur.

Ma vision pour Biomemory est ancrée dans cette histoire personnelle et dans une conviction profonde : la nécessité de reconstruire une industrie informatique souveraine en France. Il s’agit non seulement de réinventer le hardware, les firmwares, et les systèmes de développement au-delà de l’utilisation de SaaS et de frameworks, mais surtout de saisir l’opportunité unique qu’offre l’informatique moléculaire pour redéfinir les fondements mêmes de notre industrie.

L’informatique moléculaire représente une chance de recréer un secteur informatique leader, non seulement en France mais aussi à l’échelle mondiale, en s’appuyant sur des innovations de rupture telles que l’ADN synthétique pour le stockage de données. Par cette démarche, Biomemory aspire à contribuer activement à la souveraineté technologique de la France, en développant une infrastructure critique indépendante et résiliente. C’est une vision qui dépasse le simple cadre entrepreneurial ; elle incarne un engagement envers notre pays et l’avenir de ses capacités technologiques.

3/ Qu’évoque à vos yeux l’aspiration à la souveraineté technologique ?

À mes yeux, l’aspiration à la souveraineté technologique résonne comme le droit fondamental de décider de notre avenir et de façonner les choix de société à long terme, parfois en dépit des tendances dominantes. Elle incarne la volonté d’offrir à nos enfants la possibilité de rester et de prospérer dans le pays qui les a vus grandir, en leur permettant de concrétiser leurs visions et innovations. La souveraineté, c’est aussi assurer le bien-être de notre communauté, en orientant nos efforts vers des objectifs vertueux tels que l’amélioration de la santé, l’accès à l’éducation de qualité et le renforcement de la sécurité.

Dans un monde profondément marqué par la technologie, la souveraineté doit impérativement s’étendre au domaine technologique. Elle nous permet de construire une infrastructure robuste et indépendante, capable de soutenir nos ambitions collectives et d’assurer notre autonomie face aux influences extérieures. En cultivant notre souveraineté technologique, nous forgeons non seulement notre avenir, mais nous défendons également notre capacité à faire des choix éclairés et souverains, ancrés dans les valeurs et les aspirations de notre communauté. C’est dans cet esprit que Biomemory s’engage à être un pilier de cette souveraineté, en développant des technologies innovantes qui répondent aux enjeux de demain.

4/ Où vous semble-t-il que se situe la France dans cette perspective ?

La position de la France concernant la souveraineté technologique me semble préoccupante. Nous assistons à un alignement sur les stratégies et les intérêts de grandes puissances mondiales, révélant une érosion notable de notre indépendance technologique. Cette réalité se manifeste clairement dans le paysage entrepreneurial français, où les startups qui optent pour des financements ou des partenariats avec des entités chinoises se heurtent à des obstacles significatifs, limitant ainsi leurs possibilités de développement. Cette situation contraste fortement avec celle de leurs homologues américaines, qui ne rencontrent pas les mêmes difficultés.

Dans le domaine spécifique de la micro-électronique, cette dépendance s’illustre par notre incapacité à concevoir des systèmes informatiques exempts de vulnérabilités imposées par des tiers. Les échanges que j’ai pu avoir avec des acteurs de la défense française révèlent une réalité troublante : la nécessité de naviguer dans un environnement où la présence de portes dérobées dans les équipements est devenue une contrainte inévitable. Cette situation souligne l’urgence de repenser notre stratégie nationale en matière de technologie, afin de reconquérir notre autonomie et de sécuriser notre avenir technologique.

La France doit, par conséquent, s’engager résolument dans la voie du renforcement de sa souveraineté technologique. Cela implique de soutenir l’innovation au sein de nos frontières, d’encourager les investissements dans les secteurs stratégiques et de favoriser l’émergence d’un écosystème technologique robuste et indépendant. 



5/ Au plan du financement et de la formation, mais aussi de l’image que nous avons de nous-mêmes, offrons-nous selon vous un terreau propice à l’accueil et au développement de l’innovation ?

Ma perception du paysage français en matière de financement et de formation pour l’innovation est contrastée. D’une part, le financement initial des startups, essentiel à la quête de souveraineté technologique, s’est considérablement amélioré ces dernières années. Il est désormais possible pour une startup de lever plusieurs dizaines de millions d’euros, principalement auprès d’investisseurs français et européens. Toutefois, le défi se corse significativement au-delà de ces montants, particulièrement lorsqu’il s’agit de phases critiques d’industrialisation. Bien qu’il existe des exceptions notables, elles restent minoritaires et ne reflètent pas la réalité générale. Cette difficulté est en partie attribuable à la prédominance de profils financiers, plutôt qu’industriels, dans les cercles décisionnels d’investissement.

Du côté des compétences, notamment dans le secteur de la micro-électronique, la France fait face à une pénurie de talents disponibles. L’attractivité du territoire pour les experts internationaux est limitée par des contraintes financières que les startups peinent à surmonter.

En ce qui concerne le système éducatif, la France continue de former une élite académique remarquable, fidèle à une tradition bicentenaire, avec des compétences exceptionnelles dans les disciplines scientifiques. Cependant, le passage de la théorie à la pratique semble souvent entravé par une valorisation excessive de l’élégance théorique au détriment de l’applicabilité pratique. Ce phénomène se traduit par une production insuffisante en matière de matériel électronique, avec une absence totale de fabrication locale de composants tels que les puces mémoire ou les supports de stockage de données. La France conserve néanmoins un savoir-faire précieux dans le domaine des supercalculateurs, savoir-faire qu’il est crucial de préserver et de valoriser. Cette situation souligne l’importance de rééquilibrer notre approche entre théorie et pratique, et d’adapter notre écosystème de financement et de formation pour mieux répondre aux exigences de l’industrialisation et de l’innovation à grande échelle. Il est impératif de cultiver une synergie entre les capacités financières, les compétences techniques et les ambitions industrielles pour solidifier la souveraineté technologique de la France.


6/ Quelle est votre perception de l’actuelle guerre économique et quelles décisions prendriez-vous au service de nos intérêts ?


En tant qu’entrepreneur, ma perception de la guerre économique pourrait paraître tranchée, et j’espère que vous excuserez la simplicité avec laquelle j’aborde cette question. À mon avis, les racines de la guerre économique remontent à l’après-première guerre mondiale, s’intensifiant avec la globalisation qui a suivi la seconde guerre mondiale. Historiquement, la France s’est distinguée par sa capacité à faire des choix audacieux et visionnaires, comme l’illustre notre engagement envers l’énergie nucléaire et hydroélectrique, des décisions qui, malgré leur risque, ont porté leurs fruits.

La clé, à mon sens, réside moins dans la prise de décisions isolées que dans l’établissement d’une vision cohérente et unificatrice pour notre nation, une vision qui embrasse un horizon de 50 ans et offre une place à chacun. Cette vision devrait s’articuler autour des piliers fondamentaux que sont l’éducation, la santé et la sécurité, tout en s’inscrivant dans un contexte global de souveraineté et d’indépendance.

Je remarque une absence de vision stratégique marquée et durable depuis le début des années 70, un vide qui, à mon avis, freine notre capacité à naviguer efficacement dans les eaux tumultueuses de la guerre économique mondiale. Une vision claire et ambitieuse serait le socle sur lequel s’appuyer pour progressivement s’affranchir des alignements parfois contraignants et pour prendre les décisions nécessaires à l’épanouissement de notre nation.

Bien que le rôle de définir cette vision dépasse ma position d’entrepreneur, je suis convaincu de l’urgence de développer un projet fédérateur, qui galvaniserait les efforts collectifs et individuels vers un avenir où la France pourrait affirmer sa place et ses valeurs sur la scène internationale.


7/ Mens molem agitat. Y a-t-il lieu de parler d’esprit dans le cadre d’une telle conversation ? 
Dit autrement, la technologie a-t-elle vocation à rester cantonnée dans le périmètre de l’inerte et du calcul ?

Je perçois la technologie non pas simplement comme un ensemble d’outils et de procédés, mais comme un véritable accélérateur de notre nature humaine. En effet, la technologie a le pouvoir d’amplifier nos traits, qu’ils soient vertueux ou non. Si elle nous offre la possibilité de nous adonner à la paresse, certains y trouveront une excuse pour moins agir. À l’inverse, si elle encourage le travail et l’effort, elle stimulera sans doute une plus grande productivité. C’est pourquoi je crois fermement que l’esprit et la matière doivent être envisagés comme un ensemble cohérent, où chacun influe sur l’autre.

Valoriser exclusivement l’esprit au détriment de la matière, c’est risquer de s’enfermer dans un monde d’idées stériles, où les concepts ne se concrétisent jamais, et où l’on se contente de théoriser sans jamais agir. Inversement, agir sans réflexion préalable dans un monde aux ressources finies mène à des impasses insoutenables. Notre défi est donc de trouver un équilibre entre ces deux pôles, intégrant pleinement la technologie dans notre vision du monde et dans notre action.

Votre question invite également à repenser notre approche de la technologie, souvent confinée depuis des décennies au même paradigme basé sur l’électronique et ses transistors. La biologie de synthèse nous ouvre les portes d’une exploration inédite du vivant, source d’inspiration pour des mécanismes bien plus efficients et optimaux que ceux exploités par nos ordinateurs actuels. Cette perspective révolutionnaire suggère que nous sommes à l’aube d’une ère où la technologie, loin de se limiter à l’inerte et au calcul, s’harmonise avec les principes du vivant pour repousser les frontières de ce qui est techniquement possible.

8/ À qui ou à quoi reconnaissez-vous aujourd’hui une véritable autorité ? 

La question de l’autorité, et l’ajout d’adjectifs tels que ‘véritable’ pour en renforcer le sens, m’invite à réfléchir à la manière dont nous percevons et validons l’autorité dans notre société. La référence à Orwell et à sa novlangue me semble pertinente pour questionner les nuances que nous tentons d’apporter à des concepts déjà bien définis. Pour moi, l’essence de l’autorité ne réside pas dans la capacité de contraindre ou d’imposer, mais dans la légitimité intrinsèque qui inspire naturellement le respect et l’adhésion.

Une véritable autorité se distingue par sa capacité à être suivie volontairement, sans recourir à la force ou à l’intimidation. Elle repose sur trois piliers fondamentaux : la légitimité, la force (non pas au sens de la coercition, mais en tant que robustesse morale et éthique) et la bienveillance. Ces qualités permettent d’établir un lien de confiance et de respect mutuel entre l’autorité et ceux qu’elle guide.

Dans un monde idéal, travailler pour quelqu’un ou pour une organisation devrait signifier reconnaître en eux une autorité qui satisfait à ces critères. Une autorité qui, par sa légitimité, nous convainc de sa justesse ; par sa force, nous assure de sa stabilité et de sa fiabilité ; et par sa bienveillance, démontre une capacité à se mettre à la place de l’autre, à comprendre ses besoins et à agir en conséquence.

C’est dans cette reconnaissance mutuelle, fondée sur le respect et l’admiration pour les qualités de l’autorité, que réside le véritable leadership. Une autorité imposée par la contrainte peut régner temporairement, mais seule une autorité légitime, forte et bienveillante peut inspirer et mobiliser sur le long terme.


9/ Dans votre emploi du temps, quelle place accordez-vous à l’effort de culture personnelle ?

Bien que mon engagement principal demeure la concrétisation du projet industriel ambitieux porté par Biomemory, je suis fermement convaincu de l’importance capitale de la culture personnelle dans le parcours d’un entrepreneur. En dialoguant avec mes pairs, je réalise de plus en plus que se cultiver contribue essentiellement à une meilleure compréhension de soi, ce qui, par extension, améliore notre capacité à comprendre les autres. Après tout, si nos projets cherchent à répondre à des besoins spécifiques, c’est bien parce qu’ils s’adressent à des individus aux attentes diverses. Comment espérer les satisfaire sans d’abord chercher à se connaître soi-même ?

Pour intégrer cet effort de culture personnelle dans mon quotidien, j’ai établi une routine qui englobe à la fois le bien-être physique et intellectuel. Chaque jour, je consacre du temps au sport pour maintenir mon équilibre physique. Je m’adonne également à la lecture, en me permettant de naviguer entre différents genres : les classiques de la littérature, qui nourrissent mon appréciation du ‘beau’, la science-fiction pour l’évasion qu’elle offre, et des ouvrages axés sur le marketing ou le développement personnel pour leur aspect pratique. En outre, je prends le temps de pratiquer un peu de mathématiques et d’apprendre des langues, enrichissant ainsi mon esprit de manière diverse et stimulante.

Cette routine n’est pas simplement un passe-temps ; elle est une composante essentielle de ma croissance personnelle et professionnelle, me permettant de rester connecté avec le monde qui m’entoure et avec les aspirations profondes qui animent notre société.


10/ Quels conseils donneriez-vous aux parents qui nous lisent pour que leurs enfants se fraient un chemin dans le monde de demain ?

En tant que père de deux jeunes enfants, j’accorde une importance particulière à leur éducation dans un monde en constante évolution. Pour moi, il est crucial d’enseigner la valeur de l’effort et d’encourager une curiosité insatiable. À cette fin, mes enfants établissent en début d’année leurs propres routines, qu’ils s’efforcent de respecter, avec un système de points les récompensant par des ‘minutes’ d’écran, une ressource précieuse mais strictement régulée chez nous. Au lieu de privilégier le temps passé devant les écrans, nous favorisons la lecture et les jeux de société complexes qui stimulent leur réflexion et leur imagination. Quant à leur orientation future, mon objectif n’est pas de tracer un chemin pour eux, mais plutôt de les doter d’un potentiel maximal pour qu’ils puissent faire leurs propres choix éclairés. L’apprentissage de l’anglais et de l’informatique me paraît indispensable, ces compétences n’étant plus optionnelles mais fondamentales dans presque tous les domaines.

Si je devais conseiller mes enfants à l’aube de leurs études supérieures, je leur recommanderais de s’intéresser aux secteurs promis à un fort dynamisme. Personnellement, je suis convaincu que la biologie de synthèse représente la prochaine grande révolution industrielle, comparable à l’invention de la machine à vapeur. C’est un domaine où curiosité, créativité et persévérance peuvent mener à des avancées significatives, non seulement sur le plan professionnel mais aussi en termes de contributions à la société. En résumé, mon conseil aux parents est de cultiver chez leurs enfants la résilience, la curiosité et une ouverture vers l’apprentissage continu, les préparant ainsi au mieux pour le monde de demain.

Question subsidiaire :  Quelle valeur possède pour vous le silence ?

Le silence a pour moi une immense valeur : il est source de régénération, stimule ma créativité et aiguise mon instinct pour la prise de décision. Les moments passés en silence me permettent de me recentrer et de me préparer à affronter les défis avec une perspective renouvelée.




Nous avons atteint certaines limites des hyperscalers

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de « disputatio » ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n’engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d’influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l’objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.


Vendredi 15 mars 2024

Mathieu Ploton est responsable pays pour Global Digital Management Solutions, Laos, société spécialisée dans l’infogérance souveraine dans les pays en développement.

1/ Qu’est-ce qui explique selon vous le règne des hyperscalers américains ?

Afin de répondre à cette question, il faut revenir un peu en arrière. Avec l’explosion d’Internet, les sociétés technologiques américaines ont dû faire face à une demande exponentielle en termes de stockage et de capacité de calcul. Cette demande les a poussées à déployer des millions de serveurs à travers des dizaines de datacentres dans le monde. Serveurs qui se devaient de suivre la charge du réseau de manière dynamique. Les sociétés technologiques constatant la limitation des solutions matérielles et logicielles du moment décident d’investir dans leur propre centre de développement et conçoivent, pour eux-mêmes, une nouvelle gamme matérielle et logicielle adaptée à leurs besoins spécifiques.

Vite rentabilisée par des besoins internes colossaux, ils ont ensuite ouvert leur infrastructure au public, proposant des services éprouvés en interne et en en développant de nouveaux. Grâce à l’effet d’échelle, les hyperscalers peuvent proposer une offre cloud compétitive avec une disponibilité de service exceptionnelle. Parce qu’ils maîtrisent totalement leur pile technologique, ils peuvent aussi développer plus rapidement et efficacement des produits et services innovants.

Aujourd’hui, les hyperscalers ont compris que leur succès passe aussi par de l’éducation : des formations abordables, une mise à disposition de crédits pour que les nouvelles générations s’essaient au cloud public. Leur réussite est aussi due, il faut le dire, à des produits certes très pratiques, mais endémiques à leur pile technologique, ce qui crée une situation de dépendance pour certains clients.

2/ Sans parler d’ingénierie, d’accès aux composants ou matériaux ou aux capitaux, qu’est-ce qui nous empêche intellectuellement de leur damer le pion en Europe ?

Il y a une foule de raisons qui expliquent pourquoi nous n’arrivons pas à positionner un ou des hyperscaler(s) compétitif(s) en Europe. Avant toute chose, je dirais que la réponse à cette question est que l’Europe n’est pas un pays et ne le sera jamais. L’Allemagne ne sera jamais pour la France, ce que le Texas est pour la Californie.
En témoignent les difficultés de collaboration industrielle franco-allemande avec Dassault ou Airbus. Et c’est quelque chose de déterminant dans le fossé de compétitivité entre les États-Unis et l’Europe. La bureaucratie et la réglementation sont évidemment au cœur de ces difficultés, mais au-delà de ça, je suis d’avis qu’il y a aussi derrière tout cela un besoin irrépressible, mais légitime, de faire passer les intérêts nationaux avant les intérêts européens.

Les États-Unis ont l’avantage d’avoir un héritage d’innovation technologique conséquent et comme nous avons pu le voir plus haut, ils disposent d’une solide longueur d’avance grâce aux géants technologiques qui utilisent leurs clouds publics respectifs pour leurs propres unités d’affaires. Ces besoins internes sont au cœur de la compétitivité des hyperscalers. Cela leur donne un environnement idéal pour innover et tester leurs produits auprès d’utilisateurs bienveillants, mais exigeants. Cela leur permet d’adopter une vision à long terme puisque ces clients ne partiront pas du jour au lendemain.

Le manque de vision à long terme est certainement un des freins à la compétitivité en Europe. Un exemple criant est le retard pris par les pays européens dans le développement de l’intelligence artificielle et des technologies vertes par rapport aux États-Unis et à la Chine. L’Union européenne préfère se concentrer sur une activité où elle excelle : la bureaucratie, et a annoncé récemment, en grande pompe, la première régulation sur l’intelligence artificielle.

3/ Pouvez-vous brosser à grands traits les principales mutations qu’a connues l’écosystème informatique depuis l’invention des premiers ordinateurs ?

Sans remonter au 19ᵉ siècle, la première mutation de l’informatique fut la miniaturisation des composants électroniques, accompagnée d’une augmentation de leur puissance et de leur capacité de traitement ce qui a permis la commercialisation du premier micro-ordinateur, puis du premier ordinateur portable, et enfin du premier smartphone. La prolifération des terminaux continue ensuite au XXIe siècle avec l’internet des objets.

En parallèle, vient l’avènement d’Internet qui déclenche une centralisation des données dans de gigantesques entrepôts climatisés et super connectés : les datacentres. Datacentres qui deviennent de plus en plus gros pour répondre aux besoins exponentiels de puissance de calcul et de stockage des données. Cette centralisation associée à l’essor des réseaux mobiles de données a permis un usage nomade de la technologie, nous pouvions désormais accéder à nos données depuis n’importe où. La mutation suivante est celle de la décentralisation des données. Le but assumé est de pousser la donnée au plus proche de l’utilisateur, pour des raisons de performance, mais aussi de souveraineté. C’est l’émergence du cloud computing, des réseaux CDNs et enfin du Edge Computing.

La dernière grande révolution en date est celle de l’intelligence artificielle, qui va encore une fois imposer aux datacentres de se transformer pour accueillir un périphérique bien connu des ordinateurs personnels : la carte graphique ou GPU. Les GPU, initialement conçus pour l’affichage 3D, se sont révélés être des accélérateurs extraordinaires pour l’IA.

4/ Comment une nation peut-elle faire son marché intelligemment en tendant vers l’ambition de la souveraineté numérique, c’est-à -dire de la liberté ?

Bien que l’aspiration à la souveraineté numérique soit compréhensible, il est important de noter qu’elle est probablement inatteignable dans sa forme la plus complète pour la plupart des nations. En effet, la souveraineté numérique requiert un parfait contrôle de la production, de l’opération, du support et de la maintenance, aussi bien matériel que logiciel, de l’infrastructure numérique. Cela ne veut pas dire qu’il faille faire une croix sur l’autonomie numérique, bien au contraire. C’est une stratégie à long terme, un objectif qu’il faut toujours avoir en ligne de mire.

De manière assez logique, cette recherche d’autonomie implique une certaine forme de protectionnisme que nous avons malheureusement du mal à pratiquer en Europe, à l’opposé des États-Unis. À notre échelle modeste, sur nos marchés asiatiques et africains, nous nous efforçons de guider nos partenaires publics vers cet objectif de souveraineté numérique.

Au Laos par exemple, le gouvernement a été en mesure d’imposer à la Banque Mondiale que l’hébergement des données d’état civil se fasse dans un cloud souverain local au détriment d’Amazon. À l’époque, la Banque Mondiale était dubitative sur les capacités du Laos d’opérer une telle infrastructure. Après quelques années d’opération, c’est maintenant la Banque Mondiale qui incite les administrations publiques au Laos à utiliser un hébergement local. En somme, la régulation est essentielle à la souveraineté numérique. Mais celle-ci ne doit pas freiner l’innovation. Un savant équilibre doit être trouvé à ce sujet.

La souveraineté numérique passe aussi par le développement des Biens Publics Numériques. Les biens publics numériques sont des infrastructures, des logiciels ou des normes partagées par tous. Ils sont des piliers essentiels de la souveraineté numérique. Enfin, la souveraineté numérique requiert de disposer d’une industrie, car il faut être en mesure de développer ses propres composants, et notamment ses propres semi-conducteurs.

L’ingérence des États-Unis dans les relations entre la Chine et Taïwan prouve à quel point l’autonomie numérique est un enjeu stratégique pour les américains. Taïwan détenant la suprématie mondiale dans la production de semi-conducteurs, les Américains envisagent la guerre comme un ultime recours pour empêcher son annexion par la Chine, une perspective aux lourdes conséquences géopolitiques. Cela prouve l’importance du sujet que nous traitons ici.

L’ouverture d’une usine de semi-conducteurs à Crolles en 2023 est une excellente nouvelle pour la France et doit être un des piliers fondateurs de notre autonomie numérique.

5/ Quels sont selon vous les enjeux liés à l’implantation d’infrastructures techniques et de communication dans les pays en développement ?

L’implantation d’infrastructures techniques et de communication est un enjeu crucial pour le développement socio-économique des pays en développement. Cela passe avant tout par une consolidation des infrastructures physiques qui fait souvent défaut dans ces pays, je veux parler d’infrastructure de transport, d’énergie et de télécommunications.

Les pays en développement ont une tendance à passer des étapes (le fameux leapfrog technologique) dans le développement des infrastructures, ce qui permet de rattraper plus facilement le retard sur les pays développés. Par exemple, bon nombre de pays d’Afrique n’ont pas déployé l’ADSL sur leur réseau de téléphonie fixe, certains n’ont même pas déployé de téléphonie fixe et sont passés directement à l’internet mobile haut débit et à la fibre optique.

Cette démarche est tout à fait louable, mais il est parfois souhaitable de ne pas brûler les étapes. Certaines entreprises de pays en développement déplorant l’absence de solutions d’infogérance ont tout misé sur les hyperscalers internationaux pour déployer leurs systèmes informatiques. Ces initiatives posent des problèmes de résidence des données, notamment pour le secteur financier et le secteur public. Le risque est d’autant plus grand pour les entreprises localisées dans des pays instables politiquement. D’un régime à l’autre, l’Occident peut décider d’un embargo avec des effets dramatiques pour les entreprises qui hébergent leurs assets numériques sur des plateformes occidentales.

C’est le cas de la Birmanie dont le développement exponentiel n’a pas laissé indifférents les hyperscalers. Il y a quelques années, Amazon et Google entreprirent de convertir les entreprises birmanes au cloud public, offrant des conditions d’accès irrésistible.
Aujourd’hui, suite au coup d’État, ces mêmes entreprises sont inquiètes des sanctions et souhaitent rapatrier leurs applicatifs dans le pays. Le refus persistant d’investir dans les infrastructures locales prive les opérateurs d’infogérance nationaux de précieux financements et freine leur développement, retardant ainsi l’essor économique du pays.

 6/ Quelle relation les GAFAM entretiennent-ils avec ces pays ?

Les GAFAM ont une relation assez prudente avec les pays en voie de développement. En Afrique, nous pouvons constater que les géants du numérique ont développé des relations essentiellement avec les pays anglophones. Seul Microsoft semble vraiment porter un intérêt aux pays francophones avec des bureaux au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou au Cameroun.

Certains diront que les GAFAMs sont concernés par la liberté d’expression, ce qui explique leur réticence à s’implanter dans certains pays africains. Si tel est le cas, nous pourrions leur reprocher une certaine hypocrisie ou un “deux poids deux mesures”, j’en tiens pour exemple le biais assumé de Meta et Google envers le parti démocrate américain, ou encore de la manipulation de l’information orchestrée par Twitter/X pendant la crise sanitaire.

Mon sentiment est que le virus qui contamine les GAFAMs s’appelle ESG. ESG pour « Environmental, Social And Governance » ou critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ces critères régissent la stratégie d’investissement des grosses sociétés américaines et dire que les pays africains sont loin d’être les meilleurs élèves sur la grille ESG serait un euphémisme. Derrière ces fameux critères se cachent des idéologies telles que la théorie du genre et des initiatives telles que la réduction de l’empreinte carbone. Sujets qui trouvent peu d’écho dans les pays émergents, qui sont d’une part des sociétés traditionnelles, peu sensibles aux problématiques de diversité et inclusion, et d’autre part, en pleine croissance et par conséquent dans une boulimie énergétique incompatible avec les objectifs carbone. Cet antagonisme avec les grands principes qui régissent l’investissement occidental explique à mon sens la frilosité des GAFAM.

7/ Avec le recul dont vous jouissez, quels éclairages l’expatrié que vous êtes pourrait-il donner aux Français de France ?

Vu d’Asie, il est difficile de comprendre que la France soit aussi passive sur les sujets de souveraineté numérique. Il est inquiétant de voir l’État laisser les hyperscalers américains s’emparer de données critiques par exemple les informations de santé des citoyens français. Quand on connaît la puissance des lobbys pharmaceutiques dans le monde, est-ce vraiment raisonnable ?
Quand on sait l’extra-territorialité du Cloud Act, est-ce une sage décision ?

La France, et l’Union européenne, considèrent les États-Unis comme un allié, un partenaire commercial privilégié. Mais étrangement, ils ne semblent pas les considérer comme un modèle à suivre.
Il nous faut comprendre que les États-Unis mettront toujours les intérêts nationaux au-dessus de ceux de leurs partenaires. Et, ils ont raison, nous devrions avoir le réalisme de faire de même.

 8/ Cyber vient du grec kubernetike qui signifie gouvernail ou art de gouverner. On parle beaucoup de cyber sous l’angle de la sécurité, mais est-ce que tout cet univers n’est pas désormais étroitement lié…au gouvernement de la Cité ?

Si, totalement, et ce lien s’est renforcé avec l’essor des technologies numériques, qui ont transformé la manière dont nous vivons, interagissons et sommes gouvernés.

Au Laos, nous travaillons étroitement avec le gouvernement sur la digitalisation des services publics. Le but étant que les services gouvernementaux soient de plus en plus accessibles en ligne, facilitant l’accès aux informations et aux services pour les citoyens. Les bailleurs de fonds comme la Banque Mondiale ou la Banque Asiatique de Développement financent ce type de projets et nous font confiance pour l’hébergement souverain des applications gouvernementales.

Le gouvernement laotien est aussi en train de mettre en place une blockchain nationale qui servira de registre public permettant de certifier des documents officiels comme les diplômes universitaires ou encore les déclarations d’impôts et de taxes. Il est fort probable par ailleurs que l’intelligence artificielle soit de plus en plus utilisée par les gouvernements pour automatiser les tâches, comme l’analyse des données et la prise de décision, aussi pour fournir des guichets d’aide aux citoyens pour leurs démarches administratives.

9/ Que pensez-vous de l’hypothèse d’une grande migration vers le cloud privé ? Qu’est-ce qui pourrait la motiver et quelles pourraient en être les modalités pratiques ?

Je suis moi-même partisan de cette idée. Cela peut paraître incongru par notre activité d’opérateur de cloud public souverain, mais nous accompagnons certains clients à migrer vers le cloud privé.

J’entrevois certains signes sur le marché qui me laissent penser que nous avons atteint certaines limites des hyperscalers et que leurs services, aussi excellents soient-ils, ne sont pas adaptés pour tous les projets et tous les clients. Un exemple assez frappant nous vient de Prime Video, le service de streaming d’Amazon qui vient d’annoncer sa migration du Serverless, un modèle de développement cloud où le fournisseur gère l’infrastructure sous-jacente, à une architecture plus traditionnelle basée sur des machines virtuelles et des conteneurs. La solution Serverless étant jugée trop coûteuse.

Une autre étude récente explique que Kubernetes, la solution d’orchestration de containers inventée par Google, et qui est censée permettre une meilleure consommation des ressources, est systématiquement surdimensionnée par les développeurs, ce qui va à l’encontre du but souhaité. Loin de moi l’idée d’inciter les lecteurs à revenir à une architecture monolithique, mais il est très possible que la mouvance instiguée au sein des hyperscalers, par des leaders techniques dont l’objectif premier était de grandir efficacement et à moindre coût, s’est essoufflé et a été remplacé par une stratégie commerciale plus classique axée sur la marge et l’attrition. En ce sens, je pense qu’il existe une opportunité, une niche, pour des opérateurs d’infogérance, petits, agiles et donc adaptés à servir des clients exigeants. Mais cela implique de les laisser incuber, et grandir, et de favoriser leur croissance au détriment des hyperscalers. Par favoriser, j’entends un certain protectionnisme bien entendu.

Cependant, ce retour au cloud privé ne sera pas aisé, car il impose de retrouver des compétences “infrastructure” qui sont de plus en plus rares et coûteuses. En effet, l’avènement des hyperscalers a amené bon nombre de profils techniques à se concentrer uniquement sur ces plateformes, délaissant l’infrastructure physique ce qui se traduit actuellement par une pénurie de compétences sur l’administration des réseaux, des serveurs physiques et de la virtualisation.

La récente acquisition de VMware par Broadcom va aussi vraisemblablement être un frein significatif à cette mouvance par l’augmentation prohibitive du prix des licences, de celui qui reste, à l’heure actuelle, le leader de la virtualisation d’entreprise. De plus, en marquant la fin de la gratuité de ESXi (le système d’exploitation de VMware), Broadcom prive des générations de nouveaux ingénieurs de l’opportunité de se familiariser avec la technologie.

10/ Quel est selon vous le meilleur régime pour profiter des libertés qu’offre la technologie sans pâtir des atteintes auxquelles elle peut insidieusement se livrer à leur endroit ?

Je pense que le meilleur régime est celui qui met simplement chacun face à ses responsabilités. La responsabilité du gouvernement est de s’assurer que la technologie soit développée pour le bien commun, utilisée de manière transparente et comprise par les citoyens. Leur responsabilité est aussi la protection de nos données personnelles, ce qui nous ramène encore une fois à la souveraineté numérique. Les acteurs du secteur technologique doivent être tenus responsables des atteintes aux libertés qu’ils peuvent causer. Les acteurs du secteur technologique se doivent d’être exemplaires en termes de neutralité. Enfin, les citoyens ont une responsabilité de s’informer des risques et des avantages de la technologie, ainsi que de leurs droits et responsabilités numériques. Ils doivent adopter un œil critique et participer au débat public sur les questions éthiques liées à la technologie.




Nous avons matière à unir l’ensemble des Français.

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de « disputatio » ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n’engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d’influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l’objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.


Vendredi 1er mars 2024

Ancien officier, François BERT est fondateur d’Edelweiss RH et de l’Ecole du Discernement. Il vient de publier « Le discernement » aux éditions Artège.

 

1/ Qu’est-ce que peut le discernement contre l’hybris contemporaine ?

Le comportement moral de chaque personne garde sa part de mystère. Elle puise dans l’histoire de vie de celle-ci, ses blessures, ses frustrations et ses revanches. Néanmoins une part naturelle de la personnalité peut freiner la pente vers l’hybris : la disposition au discernement et ce, pour deux raisons. En premier lieu, parce que le discernement n’est pas égal d’une personne à l’autre : si nous sommes en effet tous, selon la formule biblique, « prêtres, prophètes et rois », il y a bien des « prêtres » (acteurs premiers du lien), « prophètes » (acteurs premiers du contenu (idées, avis, plans, expertises) et des « rois » (acteurs premiers de la décision donc du discernement, que je qualifie comme  l’art de donner aux choses la portée qu’elles méritent ) ; vous comprenez par conséquent la difficulté de notre époque : nous avons les mauvaises élites au pouvoir (Cf. mon premier livre Le temps des chefs est venu, Edelweiss Editions, 2016). En deuxième lieu précisément, parce que le discernement, dans son fonctionnement, est une écoute accumulée jusqu’à l’évidence, c’est-à-dire une écoute longue, continue, répétée… de la réalité : voilà qui ralentit les idées folles et les discours présomptueux, vers lesquels les « prophètes » (je pense donc je suis) et les prêtres (j’interagis donc je suis) ont tendance à aller.

2/ Notre époque a laissé de côté la recherche de la vérité pour la lutte contre les « fausses nouvelles ». Qu’est-ce que cela dit de nous à vos yeux ?

Tout lien avec le paragraphe précédent serait fortuit… On ne recherche pas la vérité, on ne veut qu’exprimer « sa vérité » (fût-elle surgie d’un délire passager) et/ou son « émotion » (fût-elle entretenue sans mise à distance par un ressentiment obsessionnel) ; on laisse en somme le pouvoir aux idées pures (prophètes) ou aux ressentis de circonstance (prêtres). Il y a deux types de fausses nouvelles : celles qui sont effectivement créées de toutes pièces et méritent d’être dénoncées comme telles et celles qui ont comme unique tort de ne pas coller à la doxa officielle. Un pouvoir qui fait de la lutte contre les fausses nouvelles un cheval de bataille se doit d’être irréprochable ; or, pendant la crise du COVID notamment, il a délibérément menti. Les instances de vérifications sont elles aussi souvent à géométrie variable. En réalité, le mal est plus profond : à force de confondre image et réalité, on a installé une pathologie narcissique institutionnelle ; c’est le portrait de Dorian Gray : comme dans le roman éponyme, on donne l’apparence publique d’une incapacité aux défauts, à l’imperfection, aux erreurs et on laisse, dans le grenier sombre qui est en l’occurrence la France invisible, le mal réel faire son effet dévastateur loin des regards, au détriment des plus vulnérables. Tout chef sait qu’il fera des erreurs : il fait la preuve de son action sur le temps long, avec l’obsession de rebondir sur les difficultés et non pas de prouver qu’il est parfait (Cf. « Il n’y a jamais eu de problèmes de masques » formulé par le Président après qu’il fut constaté par tous pendant la période COVID : plus opportun eût été de reconnaître l’erreur mais de mettre à contribution l’ensemble des machines à coudre du pays pour la pallier).

3/ Quel regard l’ancien officier de Légion porte-t-il sur la guerre cognitive dans laquelle se trouve notre pays (peut-être même sans le savoir) ?

L’enjeu auquel tout officier est confronté est le juste équilibre entre le respect collectif de la discipline et la libre appréciation des situations. Contrairement aux idées reçues, il y a à la Légion une grande subsidiarité : le caporal de Légion (premier grade) est déjà un « seigneur », très respecté et autonome ; ainsi à fortiori des sous-officiers ; c’est parfois chez les officiers, où les rites d’appartenance sont très prégnants, que la liberté de parole perd un peu de ses droits. Les réseaux sociaux agissent sur les sociétés en fonction de ce même équilibre entre interdépendance collective et autonomie de jugement. Se protéger des intrusions et des influences est une bonne chose et la première urgence, qui donne à la cybersécurité tout son rôle, mais le plus important est, d’ores et déjà, d’apporter aux citoyens une capacité autonome d’appréciation qui s’appelle … le discernement.

4/ Comment comprenez-vous les réticences des financeurs pour notre industrie de la défense et de la sécurité, en pleines louanges à l’endroit de la durabilité ? Pour durer, il faut commencer par se mettre à l’abri du danger, n’est-ce pas ?

Gouverner c’est prévoir et, même, mieux, anticiper. Encore faut-il pour cela être dans un espace-temps stratégico-industriel et non pas médiatico-financier. Les médias sont des traders d’émotion, et s’accordent bien en cela avec une tentation financière contemporaine, celle des gains immédiats et du choix prioritaire de l’image sur l’action de long terme. Il ne faut pas généraliser bien sûr mais la durabilité a tendance à devenir un « indicateur marketing » plus qu’une disposition réelle de vie quotidienne. Il est fou de voir le manque de silence, de solitude et de recul dans les instances dirigeantes : c’est pourtant là, au calme, que s’évalue la possibilité de s’extraire du brouhaha pour devenir acteur de sa propre trajectoire et donc voir loin. Si vis pacem, para bellum, c’est vieux comme le monde. Il y a dans notre pays une forme d’inconséquence généralisée dont tirent bien sûr parti nos concurrents et ennemis géopolitiques et qui constitue pour nous une menace à moyen terme.

5/ Nos start-up ont-elles selon vous souffert de l’idée en vogue selon laquelle l’autorité ne peut émaner que de la base et du dialogue ?

Cette question vient à point nommé pour faire le lien avec la question précédente. La sensation d’émiettement de la gouvernance de notre nation vient de ce qu’il manque une notion-clef sur laquelle repose l’autorité : la mission. Il y a deux vertiges de l’autorité : celle de la loi, chère aux prophètes (ma pensée exhaustive à l’instant t vaut pour toutes les situations à venir ; cela donne notamment certains règlements ubuesques de l’union européenne) et celle du lien, chère aux prêtres (tant que tout le monde s’entend ou que je prends soin des gens tout va bien ; cela donne respectivement François Hollande et Louis XVI). L’autorité transcende ces deux vertiges en étant, selon ma propre définition, la puissance d’accomplissement de la mission. On reconnait un chef parce qu’il permet au collectif, par la qualité de ses décisions, de remplir sa mission. Celle-ci est en quelque sorte une « transcendance opérationnelle », à laquelle le groupe peut se raccorder, avec d’autant plus de force qu’un chef apte au discernement sait l’actualiser et donner ainsi à l’effort collectif son meilleur débouché, sa plus grande utilité. Dans les start-up, les vertiges de l’autorité (celle de la bonne idée tyrannique à la Steve Job des débuts) ou celle du lien (comme l’application radicale de « l’entreprise libérée ») font des dégâts humains et opérationnels considérables. Elles oublient deux réalités : il existe des personnalités toxiques qui sans chef deviennent « des renards libres dans des poulaillers libres » ; sans un esprit autonome capable de trancher, il n’y a ni direction claire, ni réorientation possible : dans un marché en perpétuel changement, c’est fatal. Reste qu’un chef pour discerner doit bien sûr beaucoup écouter et, pour faire avancer le collectif, générer à son tour beaucoup d’autonomie dans l’action de ses collaborateurs.

6/ L’Europe se passionne pour la règle impeccable et sa stricte observance en matière de concurrence, mais se défie de toute forme d’expression de sa puissance. Comment expliquez-vous cela ? Dit autrement, elle se voit comme un marché, et pas comme un champion de ce marché.

Voilà qui est bien résumé. « La politique d’un état est dans sa géographie » disait Napoléon. Comment coaliser sur une politique unie des polarités, histoires, cercles d’influences, réalités démographiques aussi opposées que celle des pays européens. Il y a donc dès le départ un hiatus stratégique, que la politique étrangère de l’union démontre, pathétiquement, au quotidien. S’y ajoute la réalité de la prise de décision collective : le temps qu’un accord soit trouvé il est souvent trop tard ou le consensus obtenu a vidé l’idée initiale de sa substance. En réalité, l’Europe devrait fonctionner comme un GIE : mise à disposition facilitée des moyens pour tous et liberté de décision par petites coalitions. Europol et Eurojust, saisis par les pays à l’apparition de sujets de terrain, nous montrent ce qui peut marcher. Il s’agit de permettre, si l’on reprend les trois principes de la guerre chers au maréchal Foch, à un maximum de pays européens d’être champions en cumulant « économie (collective) des moyens », « liberté (individuelle) d’action » et « concentration des efforts » sur ce qui est essentiel (et non disperser des quantités d’argent et d’efforts considérables sur des causes secondaires et des règlements inutiles).

7/ Observez-vous chez nous un réveil de ce que l’institution militaire désigne sous le nom de « forces morales » ?

Je vois beaucoup d’initiatives allant dans ce sens, et d’actes individuels héroïques en témoignant (Henri d’Anselme à Annecy ; Alan à Dublin) mais je ne constate pas pour autant un réveil. L’individualisme plombe encore considérablement nos sociétés alors qu’existe pourtant, immense, une soif d’élévation individuelle et collective. Quatre choses la freinent : la peur liée au poids écrasant des règlements (porter secours à quelqu’un dans la rue, se défendre, ramasser un scooter tombé, c’est tellement de complications potentielles qu’on préfère les éviter) ; la détestation quasi-systémique de ce qui fit et fait la grandeur française dans l’éducation nationale et la vie culturelle (cinéma, expositions, colloques,…) ; la disparition des figures d’autorité (parents, professeurs) et de ce qu’elles permettent en termes d’éducation à la volonté et à l’effort, quand règne le pouvoir du zapping et du ressentiment; l’absence de la mission dont nous parlions précédemment (on ne se lève pas tous les jours pour consommer moins, jeter les piles et trier ses poubelles mais parce qu’on participe à une grandeur partagée (rendre service, protéger ses concitoyens, relever un défi technique, rebâtir une cathédrale)). L’élan partagé ne se crée pas par des « modules de com » portés par des professionnels d’estrade et de plateaux : il y besoin d’une digestion lente de l’essentiel avant une parole rare, incarnée, déclinée en associant chaque échelon sur la part d’action et d’initiative qui lui revient. La disparition du service militaire fut selon moi l’erreur majeure de ce demi-siècle ; pour le remplacer, il faudra une durée suffisamment longue et une culture du dépassement suffisamment traduite en actes pour que « faire nation » devienne une réalité transpirée et non une incantation de pupitre.

8/ On avait l’habitude d’entendre qu’avec l’Union européenne, la souveraineté se divisait. Une récente tribune explique, ô miracle, qu’elle s’en trouve multipliée. Est-ce que la vieille dispute entre réalistes et nominalistes n’est pas finalement d’une étonnante actualité ?

Sans doute et, derrière elle, celle des prophètes, des prêtres et des rois. Pour rester dans la philosophie, les prophètes disent « je pense donc je suis » : Descartes a fait en somme un grand lapsus de personnalité ; comme tous les cérébraux, il fait partir la réalité de sa tête. Les prêtres disent « j’interagis donc je suis » : ils sont dans une quête autre que la dénomination des choses ; ils recherchent ce qui fait vivre le lien entre les personnes. Les rois disent « j’écoute [pas seulement les gens mais aussi le contexte] donc je discerne, donc je suis ; ils accèdent ainsi à la réalité de l’action possible et non aux principes théoriques conjecturés par raisonnement. L’Union européenne est la création d’une souveraineté de principe que la réalité contredit, pour les raisons évoquées plus haut. Pour moi elle ne multiplie pas ni ne divise la souveraineté, elle la paralyse. « Il faut que celui qui tienne le marteau soit aussi celui qui tienne le clou » dit le bon sens paysan : le marteau européen est non seulement devenu insoulevable en raison de son poids législatif, mais il est surtout paralysé par vingt-sept mains qui veulent l’utiliser en même temps pour leurs clous respectifs.

9/ Comment voyez-vous l’évolution de la notion de risque avec la désintermédiation croissante entre belligérants, que permet les récentes avancées technologiques ?

Un risque est « calculé » quand celui qui le prend en possède les leviers. Tiens, revoilà le marteau et le clou. La désintermédiation prive les belligérants d’autant de strates de cerveaux capables d’apprécier le risque de manière autonome. S’il est vrai que l’information peut-être mieux qualifiée par l’entremise des avancées technologiques, encore faut-il pouvoir la contextualiser pour en mesurer la portée dans l’espace et dans le temps. La désintermédiation a donné, en finance, toutes les pratiques de trading et de « produits structurés », conçu de A à Z avec leur logique propre, sans rapport les uns avec les autres, jusqu’à faire craquer le système quand un cas non conforme se produit (subprimes, Lehman Brothers, affaire Kerviel, etc.). Seul le cerveau humain, via le discernement, peut appréhender un contexte. Aucune intelligence artificielle ne pourra y parvenir. Contrairement à ce que croient les experts pétris de certitudes, diminuer le risque n’est pas le modéliser mais au contraire permettre de le saisir par autant de cerveaux concernés dans chacun de ses contextes. Un officier de ma connaissance avait ainsi su renforcer la sécurité de son dispositif lors d’un mandat ONU au Sud Liban en prenant la liberté de ne pas appliquer le process répliqué partout sur la frontière (et donc exposant toute la ligne si découvert) mais en donnant plutôt à chaque chef de l’échelon intermédiaire un effet à obtenir de façon à ce que chacun le décline avec ses propres idées et ses propres moyens.

10/ Vous êtes un descendant de Jacques Cathelineau. Comment croyez-vous qu’il occuperait ses jours en 2024 ?

Oui j’ai l’honneur de descendre en ligne directe de cet humble voiturier-colporteur, promoteur de l’insurrection vendéenne en 1793 et devenu, à l’acclamation générale, son premier généralissime. Jacques Cathelineau passerait son temps à écouter, d’abord. Les signes des temps, en silence. Les gens bien sûr aussi. A tempérer les excès d’emportement idéologiques. Il faut mettre du courage dans le comportement plutôt que de l’intensité aux idées. Cela veut dire rester calme et écouter le moment et la bonne modalité de l’action. A rassembler enfin, et c’est lié, les gens sur leurs talents davantage que sur leurs appartenances sociales ou idéologiques. Le talent est universel, dans ses possibilités de recrutement (nous avons tous un talent et nous nous complétons) comme dans son utilité. Les idées clivent, opposent les Français entre eux et font des coalitions improbables et stériles. Les guerres de Vendée et la chouannerie ont rassemblé l’ensemble des strates sociales sur des attachements très concrets du quotidien (l’autorité légitime (du roi en l’occurrence, après 13 siècles de monarchie), le maintien aux champs (et non un départ en Europe pour une « évangélisation républicaine » des autres nations (levée en masse)), la pratique libre de la religion). Ces deux derniers points ont été rétablis plus tard, et non sans lien avec le sacrifice consenti face à un pouvoir devenu inique. L’énergie unanime d’une région pour ce qui faisait le sens de son quotidien peut être transposable au niveau d’une nation. La Grande Guerre nous l’a, tragiquement, montré, Grande Guerre où tant de Vendéens sont morts aussi, car l’attachement à la patrie refleurit même dans les territoires meurtris. Aujourd’hui, nous avons matière à unir l’ensemble des Français sur ce qui fait son essentiel (le sens concret de la justice, la prospérité de ses terroirs et de ses talents, ses merveilles culturelles et spirituelles). Jacques Cathelineau a contribué à cet essentiel. Il nous inspirerait aujourd’hui par son courage et sa sagesse.

11/ Comment comprenez-vous la carte que joue actuellement la France vis-vis à des conflits actuels, par rapport à ses alliés d’hier et d’aujourd’hui ?

Je crois qu’hélas cette carte est assez illisible, tant elle dépend à la fois de la politique intérieure et des impératifs émotionnels des médias mondiaux. La France a par son passé toujours voulu être une puissance d’équilibre, soucieuse d’indépendance et de non-alignement. Le président Macron a eu la bonne idée au départ de vouloir maintenir le dialogue avec la Russie au début de la guerre en Ukraine. Il est bien dommage qu’il n’ait su persévérer dans cette voie, en révélant notamment ses échanges privés avec Vladimir Poutine. La dilution de la position de la France dans celle de l’Union européenne et celle de cette dernière dans la position américaine ont considérablement affaibli la crédibilité de la France à un moment où, sous les coups de boutoir de Wagner notamment, elle perdait coup sur coup ses attaches et son influence en Afrique. Sur le conflit israélo-palestinien, le « en même temps » présidentiel a fini par mécontenter tout le monde, en oscillant trop rapidement d’une émotion à l’autre au détriment d’une position claire et d’une construction écoutée de sortie de crise. Quelles que soient les qualités de l’homme, la nomination de Pierre Séjourné aux Affaires étrangères, dixième dans l’ordre protocolaire et connu d’abord pour ses liens intimes avec le premier ministre, a envoyé un signal négatif sur la place accordée par l’Etat français à sa diplomatie. Je crois qu’il manque tout bonnement une stratégie à la France, que l’horizon du quinquennat et sa mécanique électorale immédiate saborde d’emblée.

12/ Les trois dernières années se sont montrées rudes pour nous tous. Comment notre monde peut-il à nouveau concevoir demain avec une forme d’ardeur et d’enthousiasme, tout en ayant intégré l’idée d’une menace permanente, et pour les corps, et pour les esprits ?

Pour aller jusqu’au bout partons du bon endroit… Chacun, à son niveau, doit – et peut- se recentrer sur son « espace de règne ». Nous l’évoquions, le talent sauve le monde plus que les idées. Trop de citoyens sont des « idéoctaunes », vivant dans leurs têtes ou dans leurs ressentiments. Etonnamment, et j’en témoigne comme orienteur professionnel ayant accompagné plus de mille personnes, c’est à partir du moment où l’on se concentre sur son talent propre que viennent s’aligner à soi les opportunités et, avec elles, le plus grand impact à nos actions. Être fécond, en somme, c’est être soi d’abord (et pas l’image de soi…). A un niveau plus général, et voilà qui reboucle avec nos propos de début d’interview et rebondit sur le point précédent, il nous faut changer le casting de nos élites, afin que l’élan collectif soit permis par une mission claire, sans les divisions partisanes et la superficialité pleine d’impuissance des émotions. L’Education nationale a un rôle majeur à jouer, avec un triple objectif : transmettre les savoir-faire essentiels pour permettre des citoyens autonomes (lire, écrire, compter) et activer ensuite des filières d’excellence ; donner accès aux trésors de richesses de notre patrimoine historique et culturel pour créer de la fierté ; favoriser l’éclosion de toutes les personnalités (en particulier celle des chefs, introvertis et plus lents, souvent, car « discernants »), en permettant notamment l’exercice de l’autorité et de la responsabilité le plus tôt possible (« élèves de jours » ; « animation de groupe » ; etc.). Enfin, et c’est notamment l’objet de l’avant dernier chapitre de mon livre, notre besoin est celui d’une subsidiarité authentique (j’en détaille les modalités) pour que chaque échelon de la vie sociale se sente impliqué et devienne pro-actif. L’erreur savante est d’avoir la prétention de tout planifier, avec pour conséquence de tout inhiber ; un chef comprend que la vitalité d’une nation réside dans le réservoir de ses initiatives, de sa créativité et de son sens de l’engagement. Il s’évertue dès lors à en favoriser le réveil et l’expression, car, comme nous le dit Charles Péguy, « il ne se peut pas que les Français soient lâches mais ils ont oublié qu’ils étaient courageux ».




Newsletter n°76 - 23 février 2024

⭕️ Éditorial

Artillerie parfum patchouli 🌸

N’est-il pas délicieusement ironique de voir le monde assis sur les décombres d’un système de valeurs fécondes vieux de plus de 2000 ans faire pleurer Micheline sur les enjeux de la durabilité ? Sans dimension axiologique profonde, pas d’avancées, de nouvelles techniques bonnes ou utiles ni de développement « durable ». Nous ne ferons rien « durer » qui ne soit d’abord sorti d’une vision sage, puissante et exigeante de notre destin. Et il suffit de considérer l’emblématique exemple de l’oxymore à la mode « industrie-verte » pour saisir l’impasse pharisienne dans laquelle nous sommes engagés. À quand l’artillerie parfumée au patchouli ? Il est en toute logique absolument nécessaire de prendre en compte la dimension de l’impact. Mais certainement pas au point de faire passer la planète avant l’Homme ou le néant du recyclage pour une vision politique. Nous ne « ferons pas société » (sic). C’est elle qui nous fait tels que nous sommes depuis le début. Il suffit aujourd’hui d’aller à nouveau puiser à sa source.

Bertrand Leblanc-Barbedienne




Nous recevons aujourd’hui, vendredi 23 février 2024 Aurélie Luttrin, ancienne avocate, membre du Cercle K2, et fondatrice du cabinet EOKOSMO qui aide les secteurs public et privé à atteindre leurs objectifs de performance globale (technologique, économique , écologique et sociale) dans le contexte de la 4ème révolution industrielle en proposant et en mettant en œuvre des stratégies pluridisciplinaires à impact.

Chacun est acteur de la sécurité nationale


⭕️ Conciliabule

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de « disputatio » ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n’engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d’influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l’objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.



1/ Quel regard portez-vous sur la situation actuelle de notre pays à tous égards ?

Il faudrait presque écrire un livre à ce sujet tellement j’ai de choses à dire sur la situation de notre pays mais si nous devions résumer cela en un deux mots : déliquescence organisée.

Nous subissons plus de 15 années de captations massives de données dont le résultat aujourd’hui est le déferlement d’IA génératives accroissant exponentiellement l’affaiblissement de la France qui subit plus qu’elle n’agit véritablement, France qui a le statut officiel de vache à lait de nombreuses puissances concernant deux matière premières fondamentales dans la cyberguerre et la course vers le monopole de l’IA : les données et les cerveaux.

La population n’est pas prête à affronter la 4ème révolution industrielle car 98% de la population ne connaît pas cette 4ème révolution industrielle et tous les enjeux qu’elle implique. Ignorance qui participe au pillage en masse de la France.

Alors que la troisième révolution industrielle se réfère au développement de l’électronique et des technologies informatiques, la quatrième révolution industrielle, quant à elle, est un véritable « tsunami technologique » lié à l’exploitation des données et au développement de l’intelligence artificielle.

« Il faut rendre l’humanité attentive aux grands bouleversements que la quatrième révolution industrielle va provoquer. La quatrième révolution industrielle bouleverse notre société dans ses fondements » (Klaus Schwab, Fondateur du World Economic Forum, 8 Janvier 2016, Le Temps), « Avec [cette] révolution industrielle, le pouvoir réside désormais dans la détention de la donnée et non plus dans la détention du capital » (La transformation numérique, s’adapter ou disparaître, Thomas M.Siebel)

Comme je l’ai souvent souligné avec Franck De Cloquement lors de nos tribunes communes, chaque jour, avec nos smartphones, nos ordinateurs, nos objets connectés, l’ensemble des capteurs déployés dans nos entreprises, dans nos réseaux, dans nos lieux d’habitation, nous générons à l’échelle mondiale plus de 2,5 trillions d’octets de données. Quand nous découvrons que nous disposons de trois fois plus d’objets connectés (IOT) que d’êtres humains sur la surface de notre planète, nous réalisons très vite que notre monde physique voit peu à peu advenir l’émergence de son « jumeau », tel un véritable double numérique.

Ainsi, tout comme nos bâtiments connectés produisent des données retraçant leur mode de fonctionnement, chaque être humain connecté produit un avatar numérique qui duplique au sens propre sa vie réelle, avec à la clef l’accès à ses plus intimes secrets. Elon Musk, fondateur de TESLA, prédisait lui-même il y a quelques années que « dans 25 ans, il y aura plus de nous dans le Cloud que dans notre corps ». Nous y sommes.

Les premiers à l’avoir compris sont les États-Unis et la Chine, et dans leurs sillages, leurs très nombreux chevaux de Troie que sont les GAMMA (Google Amazon Meta Microsoft Apple – je préfère l’acronyme GAMMA à GAMAM car comme les GAMMA GT, quand ils prennent trop de place, c’est le corps entier qui dysfonctionne) et les BATXH (Baidu Alibaba TenCent Xiaomi Huawei).

En effet, tous ces mastodontes géopolitiques ont très vite saisi que les pouvoirs politique et économique résidaient désormais dans la maîtrise des jumeaux numériques : maîtrisez les données des hôpitaux, des entreprises, des citoyens, des administrations, des services publics, c’est maîtriser l’adversaire géopolitique et le concurrent économique. L’annexion ne sera pas territoriale cette fois, mais l’effet produit sera tout aussi catastrophique.

Ce monopole de la donnée est parfois renforcé par la réglementation, comme c’est actuellement le cas aux États-Unis, en Chine (Nouvelle Route de la Soie, Loi sur la sécurité nationale…), en Russie. À cela se greffe également le transhumanisme (la volonté de dépasser les limites de l’Homme dont la mort), le libertarisme, philosophie économico-politique, qui se base sur une détestation de l’Etat, des services publics et de la concurrence car constituant des freins à la croissance économique. Culte de l’individualisme, ultra-libéralisme, dont sont des fervents défenseurs les dirigeants de la Silicon Valley, comme Jeff Bezos, Elon Musk, Peter Thiel et consorts. Si nous appliquons leur vision politique, qu’ils mettent en œuvre, chaque jour, à travers leurs différents produits et services, l’Homme n’a qu’un seul but : produire toujours plus, seule une élite d’ultra-riches bénéficiera des avancées technologiques au détriment d’une masse d’inutiles vouée à disparaître puisqu’à l’avenir, nous serons amenés à ne produire que des êtres humains augmentés dont nous aurons besoin qui vivront sur une autre planète, la Terre étant vouée à disparaître.

Délires mégalomaniaques pour certains, maîtrisés par l’Etat américain pour l’instant qui brandit régulièrement la loi anti-trust en cas de dérapage mais au final cette vision gagne du terrain sur tous les pans et s’exporte (mise à mal des services publics, affaiblissement des Etats….). Nous nous rendons compte que ne pas maîtriser la psychologie des différents interlocuteurs de la Tech c’est conclure des contrats en notre défaveur, choisir des technologies mortifères et perdre la bataille voire, à terme, la guerre.

En France, nous avons une intensification des fuites de données et de cerveaux avec des pépites technologiques qui passent sous pavillon américain.

Quand on voit qu’EDF choisit AWS pour la maintenance prédictive des pièces détachées des centrales, que Le Monde et SIPA Ouest-France sont fiers d’annoncer leur accord avec Microsoft pour les aider à appliquer les fonctionnalités de l’IA générative, que la French Tech Grand Paris est fière d’annoncer l’ouverture d’un centre de recherche par Google (et ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres), nous ne pouvons qu’être désabusés.

En réalité, nous sommes à un carrefour, avec deux choix encore possibles (mais nous n’aurons bientôt plus le luxe de choisir à ce rythme) :

  • la vassalité permanente (facile, peu d’énergie, on laisse couler le navire et s’en sortiront ceux qui pourront)
  • l’indépendance (stratégies multiples et concomitantes à 360°, développement d’une pensée complexe (et pas compliquée) tri-temporelle (court, moyen et long termes) , macro/micro, choix de nouveaux profils engagés dans la défense de l’intérêt général, revenir aux fondamentaux du service public , à savoir la satisfaction des besoins des usagers, beaucoup d’énergie pour mettre au pas tous les écosystèmes afin qu’ils servent tous la politique d’Etat).

Pour ma part, même si beaucoup me disent que le combat est vain, je ferai toujours le choix de l’indépendance et me battrai à mon petit niveau pour la conserver au maximum, à travers les conseils que je donne et que j’applique.

2/ Il semble que l’Union européenne exerce en ce moment un certain appel d’air sur la question de la souveraineté. De quel œil voyez-vous cela ?

Parler de souveraineté européenne est un peu incongru dans la mesure où l’Europe n’est pas un État et qu’elle ne dispose pas de cette souveraineté. Mais que l’Europe s’inquiète de la défense des intérêts européens et de tout ce qui pourrait porter atteinte à la souveraineté des États membres, je vois cela d’un très bon œil ….

Même si l’Europe souffre du même syndrome que la France, celui du « en même temps ». Là aussi, il manque une colonne vertébrale qui permettrait d’adopter une stratégie claire, sans compromis sur la question de la souveraineté.

Nous adoptons le RGPD mais en même temps nous acceptons les GAMMA dans le projet, avorté dans l’œuf, GAIA-X (présenté comme le « premier pas » vers une « infrastructure européenne du cloud).

Nous adoptons une réglementation qui est une première mondiale sur l’IA le 2 février 2024, mais en même temps le 10 juillet 2023, la Commission européenne adoptait une nouvelle décision d’adéquation concernant les États-Unis. Par cette décision, la Commission a décidé que les modifications apportées par les États-Unis à leur législation nationale permettent désormais d’assurer un niveau de protection adéquat des données personnelles transférées de l’UE vers les organisations situées aux États-Unis alors que ces derniers ont renforcé leur législation sur la sécurité nationale et les systèmes de captation des données.

En Europe, nous avons également trop de trous dans la raquette qui laissent passer des ingérences étatiques diverses quel que soit le domaine d’intervention : Qatar, Etats-Unis, Chine … Nous avons l’impression parfois que l’Europe est une grande passoire quand il s’agit d’être ferme sur la défense des intérêts du bloc européen.

Mais existe-t-il réellement un bloc européen ? C’est peut-être cela qu’il faut définir. Là encore, il manque une stratégie claire, ferme et une coordination cohérente des actions de toutes les institutions européennes.

3/ L’avocate que vous êtes peut-elle nous parler de l’article 411- 6 du code pénal et évaluer le « manque à incarcérer » que nous accusons en France en la matière ?

Ancienne avocate, je précise, puisque je suis sur le tableau des omissions, mais il n’en reste pas moins que j’ai un avis sur la question.

L’article 411-6 du code pénal dispose que « le fait de livrer ou de rendre accessibles à une puissance étrangère, à une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont l’exploitation, la divulgation ou la réunion est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation est puni de quinze ans de détention criminelle et de 225 000 € »

Par intérêts fondamentaux de la nation, il faut comprendre, selon l’article 410-1 du code pénal , « son indépendance, l’intégrité de son territoire, sa sécurité, la forme républicaine de ses institutions, les moyens de sa défense et de sa diplomatie, la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et les éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel »

Ainsi, pour tout choix technologique tendant à transmettre des données sensibles à une puissance étrangère via l’application d’un droit extraterritorial et portant atteinte aux secrets des affaires, industriels (atteinte à la stratégie économique de la Nation) , secrets politiques ou accroissant le risque d’attaques cyber (données personnelles de santé) et provoquant l’affaiblissement du pays, il pourrait être possible de plaider l’atteinte aux droits fondamentaux de la Nation.

Cet article confirme qu’un choix technologique est un choix politique qui ne doit pas être entièrement délégué aux DSI. Il s’agit désormais d’une nouvelle responsabilité des dirigeants (d’entreprises, de territoires….). Cependant, pour que cet article soit appliqué et participe à l’éducation du plus grand nombre, encore faut-il une politique pénale qui aille dans ce sens ainsi qu’une acculturation des magistrats sur le sujet, toutes juridictions confondues (judiciaires et administratives). D’où l’importance d’organiser de nouveaux modules de formation à l’ENM, l’INSP, au sein des écoles de police pour avoir une politique pénale cohérente et surtout un gouvernement qui prenne le sujet à bras le corps.

Cet article n’est pas suffisant et mériterait d’être complété par tout un bloc législatif et réglementaire pour sanctionner différents types d’atteintes aux intérêts (et pas seulement fondamentaux) de la Nation (limitation de la participation de certains représentants de puissances étrangères ou d’entreprises étrangères liées à ces puissances aux syndicats professionnels, think tanks, universités, grandes écoles, encadrement des subventions et des investissements, renforcement de la législation sur les opérations d’achats d’entreprises stratégiques par des puissances étrangères, encadrement des choix technologiques dans les secteurs sensibles, établissement d’un bloc de sanctions afférant à toutes ces nouvelles limitations…. ).

4/ Comment évaluez-vous le degré de maturité des collectivités sur la question de la protection et de la valorisation des données des populations qu’elles administrent ?

Faible et d’ailleurs la délégation parlementaire au renseignement l’a souligné dans son rapport annuel 2023 publié en janvier 2024.

Un trop grand nombre de collectivités pensent que les questions de souveraineté numérique, d’intelligence économique sont des préoccupations bien loin de leurs préoccupations quotidiennes.

J’ai même eu dans le cadre de mon activité des RSSI, des DSI qui n’ont pas hésité à me dire que si Joe Biden captait des données de Monsieur et Madame Dupont ce n’est pas bien grave , ils ne voyaient pas qui cela pourrait véritablement intéresser (sic). Donc là évidemment, nous partons de très loin.

Trop de collectivités encore cantonnent la « smart city » , terme que j’ai d’ailleurs en horreur tellement il a été galvaudé…., à la pose de capteurs, l’utilisation de technologies peu importe leur origine sans savoir comment ces technologies fonctionnent et sans savoir que désormais un choix technologique est un choix politique.

C’est ainsi que nous avons eu le Maire de Valenciennes qui a bénéficié de la fourniture gratuite de 230 caméras et qui décide de renoncer au cadeau mais pas en raison de la mise en garde de la CNIL. « Huawei se retire, mais si Huawei était resté, on aurait continué. On ne renie absolument pas ce partenariat » (Voix du Nord – 5 août 2022).

Notons que la loi chinoise sur la sécurité nationale impose à Huawei, la transmission de toutes les données captées au parti communiste chinois.

Nous avons également des DSI qui prennent tous les packs Microsoft, utilisent à foison PowerBI, des collectivités qui sélectionnent des opérateurs leur proposant des technologies non souveraines et/ou qui vont capter et réutiliser à leur propre compte les données territoriales en privant lesdites collectivités d’une source de revenus supplémentaires. À cela s’ajoute, tous les Think Tanks, les salons professionnels destinés aux élus comme le salon des Maires où figurent des technologies mortifères pour nos territoires. À la décharge des élus et opérationnels, il y a de quoi perdre son latin devant autant de signaux contradictoires et autant de manque de cohérence, surtout que nous retrouvons ce manque de cohérence au niveau de l’Etat.

Trop de collectivités ne saisissent pas qu’il faut désormais entrer dans une nouvelle ère de la gestion territoriale qui nécessite de nouvelles stratégies pluridisciplinaires (contractuelles, économiques, sociales, écologiques), un nouveau management, de nouvelles procédures, des nouveaux profils, des technologies souveraines et une cybersûreté (plus large que la cybersécurité qui prend en compte la sécurisation des usages et une mise à niveau des équipes sur les enjeux de la 4ème révolution industrielle).
Les collectivités ont des leviers de croissance énormes qui sont inexploités à ce jour.

Ce qui est malgré tout rassurant (les collectivités peuvent s’en sortir financièrement et socialement si de nouvelles méthodes sont appliquées). Il est donc urgent d’acculturer les collectivités territoriales sur les véritables enjeux et les stratégies à déployer pour se sortir du marasme économique et technologique dans lequel nous nous trouvons. Et ce n’est pas quelques heures de formations délivrées en Préfecture comme le préconise la délégation parlementaire au renseignement qui va régler le sujet. Le secteur privé n’est pas en reste. Il souffre des mêmes maux que le secteur public. Ne jetons pas l’opprobre sur les collectivités. Le manque d’acculturation est général.

5/ Sur les parfums de souveraineté dont s’aspergent de scabreuses associations d’entreprises françaises et américaines, comment analyser le fait qu’elles mettent en avant le degré de protection assuré par la France et l’excellence technique américaine ? N’est-ce pas pour notre pays se tirer une double balle dans le pied ?

Je dirais que nous avons là l’application topique de la politique du « en même temps », qui a ses limites…. Capgemini et Orange s’associent pour créer une offre de cloud souverain dénommée BLEU, avec (roulement de tambours….) Microsoft. J’imagine bien les tempêtes de cerveaux au sein de ces deux mastodontes et cela pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une série humoristique digne de The Office si les enjeux n’étaient pas si graves. En effet, de compromis à compromission il n’y a que quelques lettres de différence et parfois cela ne tient qu’à un fil de basculer du côté obscur de la force.

La paresse chronique dont souffre une grande partie de nos écosystèmes politique et économique conduit à ce genre de discours. Il est plus facile de renoncer et de tout transmettre à la Chine ou aux Etats-Unis plutôt que de déployer des stratégies holistiques, pluridisciplinaires nécessitant une vision à 360° que peu ont, pour contrer les attaques de ces superpuissances, puissances qui d’ailleurs nous respecteraient un peu plus si nous étions plus combatifs dans la défense de nos propres intérêts. La démission totale de la France en la matière paraît inconcevable pour un œil américain ou chinois. D’ailleurs en Chine et aux Etats-Unis, cette politique du « en même temps », « on n’a pas le choix », « cédons nos secrets industriels, étatiques à des puissances étrangères » serait pénalement sanctionnée. Et à ceux qui disent « c’est compliqué » et « c’est déjà trop tard », j’opposerai cette citation de l’Abbé Pierre : « on ne peut pas sous prétexte qu’il est impossible de tout faire en un jour, ne rien faire. »

6/ Bernard Benhamou raconte qu’on disait avant « personne n’a jamais été viré pour avoir acheté IBM » et qu’on dit la même chose aujourd’hui au sujet de Microsoft. Que dira t-on demain selon vous et pour quelles raisons ?

Avant, il n’y avait pas le CLOUD Act.
Avant nous n’étions pas dans une cyberguerre.
Avant, nous étions encore au stade de la troisième révolution industrielle.
Avant un choix technologique n’était pas un choix politique.
Nouveau monde, nouvelles mœurs, nouvelles règles…

Il va falloir revoir le code du travail, le code de la fonction publique, comme le code pénal, pour sanctionner des mauvais choix technologiques allant à l’encontre des intérêts de la Nation.

Demain, j’espère que nous dirons que même si nous avons commis des erreurs, nous avons su réagir à temps pour conserver notre indépendance et reconstruire le pays sur de bonnes bases en revenant aux fondamentaux de notre puissance : un projet d’avenir et une stratégie claire pour y parvenir, un système éducatif d’excellence, la relance de l’ascenseur social, une population agile et innovante dont l’employabilité est garantie, des entreprises stratégiques protégées par un Etat conscient de la valeur de ses pépites technologiques et industrielles, un Etat garant des intérêts de la Nation qui sait négocier avec les autres puissances étrangères et conclure des alliances équilibrées, une agriculture souveraine en pleine relance….

7/ En France tout le monde ou presque, semble sur le pied de guerre en matière de cybersécurité mais si vous parlez de guerre économique, il y a statistiquement quelques chances que vous soyez pris pour un mythomane ou un paranoïaque. Comment changer quelque chose ?

Avec un plan Marshall de l’Education Nationale doublé d’un bloc législatif et réglementaire sanctionnant fermement toute action qui irait à l’encontre des intérêts de la France. En termes clairs, Education et Sanction.

Ceux qui veulent comprendre auront ainsi l’Education nationale pour satisfaire leurs besoins intellectuels, pour les autres il y aura la sanction. Nul n’est censé ignorer la loi. Nous éviterons ainsi des débats stériles avec ceux qui ne veulent pas comprendre et cela insufflera un vent de discipline sur le sujet dans un pays qui en manque cruellement en la matière. Comme nous l’avons déjà souligné précédemment, le principal problème en France est cette méconnaissance généralisée des enjeux de la 4ème révolution industrielle et de l’incapacité chronique des entreprises, administrations, collectivités territoriales à changer leur mode de fonctionnement qui correspond à un temps révolu, qui n’existe plus.

Cette méconnaissance contribue à créer la crise économique que nous subissons au profit d’autres puissances qui elles ont bien compris les nouvelles règles du jeu. Prenons par exemple dans la grande distribution, le cas d’école du Groupe Casino qui de décisions en décisions (notamment celle de conclure un accord avec Amazon qui a laissé rêveur plus d’un connaisseur des Big Techs ) a vu son statut passer de fleuron de la grande distribution à un opérateur en crise liquidant ses actifs.

D’autres exemples me viennent à l’esprit : des professeurs d’université ou de lycées qui s’enorgueillissent d’utiliser ChatGpT avec leurs élèves sans leur apprendre ce qui se cache derrière cette IA générative, et tous les sujets géopolitiques qu’elle soulève.

De même, des influenceurs tech, faisant la promotion d’une myriade de technologies dangereuses pour la sécurité nationale, se multiplient à vitesse grand V en s’auto-proclamant experts et donnent des conseils malheureux à leur audience nombreuse.

Ne pas anticiper l’impact des intelligences artificielles sur notre société, les emplois des Françaises et des Français, ne pas œuvrer pour garantir leur employabilité, est catastrophique car générateur, à terme, d’un chômage de masse structurel. Il n’y aura pas de destruction créatrice schumpetérienne avec l’IA. En outre, ne pas vouloir encadrer l’IA, comme nous avons encadré la recherche médicale avec les lois bioéthiques, conduira également à un massacre social avec la multiplication d’algorithmes et d’intelligences artificielles discriminantes, non contrôlées, générant un déterminisme des injustices sociaux sans précédents pouvant déstabiliser notre démocratie. Sur ce sujet, nous avons heureusement le règlement européen en date du 2 février 2024 mais il faudrait aussi se saisir du dossier au niveau national et compléter le bloc réglementaire européen.

Le déterminisme social, le sexisme systématique lié à l’application d’algorithmes mal conçus, remplis de biais, existent déjà aux Etats-Unis et est dénoncé par de nombreuses associations. J’invite le plus grand nombre à lire les ouvrages de Cathy O’Neil et de Caroline Criado Perez sur le sujet. Ils sont assez édifiants et nous permettent de tirer des leçons des erreurs qui ont déjà été faites. Or, aujourd’hui nous ne tirons pas les leçons des erreurs faites aux Etats-Unis , nous les reproduisons en nous américanisant. « L’ignorance est mère de tous les maux ». C’est donc en combattant cette ignorance que nous pourrons construire notre puissance .

Répondre aux enjeux de la 4ème révolution industrielle, c’est tout d’abord former des citoyens éclairés capables de décider en pleine conscience, d’être maîtres de leur destin et de conserver leurs libertés. En ce moment, ceux qui décident pour eux de leur destin, ce sont essentiellement les gouvernements américains, chinois. Pour permettre à la population de reprendre le pouvoir, il faut, dès le plus jeune âge, que les futurs actifs et acteurs de la France soient armés afin de vivre pleinement la vie qu’ils souhaitent mener sans que d’autres la leur imposent. Cela implique de nouveaux enseignements en matière de savoir-être : miser sur le travail collaboratif, éviter le culte de l’individu et de la note (syndrome du stylo rouge qui conduit à produire des cadres dirigeants par la suite qui ont peur de prendre une décision et d’échouer). La valorisation de l’échec crée une population plus dynamique, plus encline à innover.

Ensuite concernant les connaissances de fond : la géopolitique des données, les relations internationales à l’aune de la cyberguerre, la philosophie dont le transhumanisme, l’Histoire, la littérature et les sciences doivent être renforcés. Pourquoi à la fois les matières littéraires et scientifiques ? Car « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrivait Rabelais.

Et nous le voyons tous les jours. Il faut former des ingénieurs éthiques et responsables tout comme il faut former des juristes, des artisans, des agriculteurs, des industriels, peu importe le métier, qui connaissent les clés de fonctionnement de cette révolution industrielle et comprennent ce qui se cache derrière des technologies qui ne sont plus des gadgets informatiques mais de véritables armes politiques. Chacun est acteur de la sécurité nationale et toute la population doit être formée aux nouvelles règles de fonctionnement du monde actuel.

Cela implique une refonte totale des modes d’apprentissage, des contenus mais aussi de la formation continue car contrairement aux autres révolutions industrielles, il est fini le temps où nous pouvions nous reposer sur nos acquis pendant 15-20 ans. La formation doit faire partie de notre ADN. Cette révolution industrielle exige humilité et remise en question permanente.

Les syndicats devront également évoluer et accompagner les secteurs de l’économie dans cet apprentissage et ce décodage. Quand on voit des Big Tech au MEDEF, on se dit que la tâche va être rude mais ne désespérons pas… Nous constatons donc qu’il ne faut pas juste faire de la cosmétique en faisant de la sensibilisation au cyberharcèlement dans les collèges et les écoles. Il faut bien plus que cela et repartir d’une feuille blanche pour construire un nouveau système éducatif en phase avec les besoins des Françaises et Français et de pouvoir les protéger tout au long de leur vie.

À cela s’ajoute un bloc législatif et réglementaire nécessaire pour protéger les intérêts de la France. Il est désormais primordial de responsabiliser et de sanctionner tous ceux qui choisiraient des technologies mortifères allant à l’encontre des intérêts de la France ou qui soutiendraient financièrement des puissances étrangères en donnant des subventions à des Big Tech chinoises ou américaines.

Toutes les institutions françaises doivent servir les intérêts de la France : BPI, investisseurs français, banques, universités, grandes Ecoles, think tanks, syndicats, entreprises françaises, collectivités territoriales , Etat ….

Pour ce faire, nous devons nous doter du même arsenal juridique que les Etats-Unis pour pouvoir commencer à négocier à égalité, ce qui implique de construire un droit extraterritorial par application du parallélisme des formes. Le droit comme levier de performance économique, sociale et écologique, est assurément la piste à suivre si nous voulons retrouver notre indépendance et ça commence d’ailleurs par la renégociation de nombreux contrats et concessions conclus par des chefs d’entreprises, des collectivités territoriales avec des prestataires technologiques, des concessionnaires (eau, transports….) qui sont rarement à leur avantage.

8/ Que vous inspire la proposition « en vogue » de remplacer le vote à l’unanimité par un vote à la majorité qualifiée (VMQ) pour les questions de politique étrangère et de sécurité au Conseil de l’UE ?

Les démocraties modernes ont fait du vote à la majorité un principe de fonctionnement. Si nous revenons aux intentions des Pères fondateurs de l’Europe, il était question à l’origine de créer une simple association d’Etats européens pour éviter une autre guerre et protéger la démocratie en Europe. Avec le Traité de Rome du 1957, cette association s’est structurée avec une reconnaissance d’un pouvoir supranational tout en conservant la colonne vertébrale des Etats qu’est leur souveraineté.

Les différentes institutions européennes se sont construites avec cette idée de plus de démocratie et moins de bureaucratie, surtout ces dernières années avec un euroscepticisme grandissant et une perte de confiance. Dans le dernier eurobaromètre, seuls 35% des Français ont confiance dans les institutions européennes. On accuse aujourd’hui et parfois à juste titre, les fonctionnaires européens, les représentants des gouvernements comme étant parfois hors sol, déconnectés du terrain, d’avoir un tableur Excel à la place du cerveau, d’être facilement influençables face aux lobbyistes en tout genre dont ceux qui sont extérieurs à l’UE. Et en parallèle, l’urgence d’avoir une Europe forte, capable de contrer les actions américaines et chinoises est bien là, et ce, sur tous les fronts (crises écologique, économique, sociale, sécuritaire, technologique). Le débat sur le vote à majorité qualifiée me semble un faux problème ou du moins pas forcément la priorité du moment pour régler toutes les urgences en cours.

L’Europe prend l’eau et est la proie d’actions de déstabilisation de tous les côtés dans un contexte de cyberguerre dont tous les Etats dont le nôtre n’ont pas véritablement pris conscience ou ne veulent pas prendre conscience de l’ampleur. Aujourd’hui la règle de l’unanimité en matière de sécurité peut être un rempart contre de telles actions de déstabilisations extérieures. Prenons comme exemple, le Danemark qui est devenu, au fil du temps le poste d’écoute de la NSA en Europe et qui a signé le 19 décembre 2023, un traité avec les Etats-Unis autorisant le stationnement de troupes américaines sur son sol. Si nous n’avions pas, pour des sujets aussi structurants, que la sécurité, les règles d’entrée à l’UE, une unanimité, il serait encore plus facile pour certains pays extérieurs à l‘UE d’influencer les votes afin de conserver leur propre puissance et d’affaiblir l’Europe.
Pour que l’Europe démocratique telle qu’on la souhaite, devienne réalité, il faut à mon sens tout d’abord mener un grand chantier de reprise en mains du pouvoir et de lutte contre le lobbying, les compromissions en tout genre qui portent atteinte aux intérêts des nations européennes.

Il faut rétablir la confiance entre l’Europe et les Européens pour construire une Europe forte, garante de la pérennité des démocraties et capable de se protéger militairement et technologiquement.
L’intérêt des européens et la satisfaction de leurs besoins doivent retrouver leur place dans la politique européenne. Rien que dans le domaine technologique, le secteur des Big Tech a dépensé pas moins de 113 millions d’euros en lobbying auprès de l’Union européenne en 2022, une augmentation de 20% par rapport à 2021. Meta, la maison mère de Facebook, et Apple sont respectivement numéro un et numéro deux des dépenses de lobbying à Bruxelles tous secteurs confondus. Ce lobbying a contribué à tuer l’écosystème Tech européen mais pas que …. Ce sont nos économies respectives, nos droits sociaux, l’écologie qui sont également en péril.

L’Europe ne doit pas conduire à créer des citoyens de seconde zone, les grands oubliés de l’Europe qui n’ont qu’à subir des règles parfois incompréhensibles ne répondant plus aux besoins des européens (comme dans le secteur agricole). Reprenons comme exemple, l’accord surprenant conclu le 25 mars 2022 sur le transfert des données personnelles aux États-Unis alors même que les Américains n’ont pas changé leur réglementation en matière de captation de données, et qu’au contraire, ils l’ont même renforcée au mépris total du droit des Nations européennes.

Toutes ces actions conduisent de nombreux Européens à se dire que l’Europe n’œuvre pas dans l’intérêt des nations mais dans l’intérêt d’une élite politique. Le débat devrait donc se porter sur la probité des institutions, la compétence des représentants nationaux et la construction d’une politique claire, ferme et sans compromis pour une Europe forte, porteuse d’une troisième voie diplomatique, économique, sociale et écologique.

9/ Le souverainisme constitue-t-il une dérive sectaire ?

Si l’on définit le souverainisme comme une doctrine politique prônant l’indépendance d’une nation, son autonomie et plus largement comme la défense des intérêts de la Nation (qui incarne cette souveraineté), alors non il ne constitue pas une dérive sectaire. Il est salutaire. Le souverainisme n’est ni plus ni moins que l’application de l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Le souverainisme, du moins tel que je l’entends, est la doctrine politique qui veille à ce que le peuple garde une capacité d’action via ses représentants. Toute institution (nationale, européenne a besoin de garde-fous pour éviter les dérives).

Etre souverainiste ne signifie plus être contre l’idée d’une Europe. Par les temps qui courent, l’union et l’intelligence collective sont indispensables, elles constituent d’ailleurs une troisième voie pour rééquilibrer un monde qui se bipolarise et qui tend à l’imposition de monopoles sino-américains. Le souverainisme nouvelle génération si j’ose dire, c’est le retour aux fondamentaux, la lutte farouche contre tout ce qui pourrait nuire à la capacité d’action de la Nation et de ses représentants. Elle englobe la défense de la souveraineté alimentaire, industrielle, numérique…). La nouvelle réglementation sur l’IA est la preuve qu’heureusement, il y a l’Europe pour protéger les populations quand les Etats sont défaillants…..

Attention, il ne s’agit pas non plus de confondre souverainisme et nationalisme qui conduirait à privilégier tout ce qui vient de France. Entre un BATX qui capte des données territoriales en vue de les transmettre au Parti Communiste Chinois et une entreprise française concessionnaire de transports qui capte les données des territoires pour faire des algorithmes et les revendre aux mêmes territoires, il n‘y a pour moi aucune différence, les deux sont à combattre, pour des raisons différentes certes, mais les deux conduisent à l’appauvrissement des territoires et l’appropriation indue de données. En matière de souverainisme, il n’y pas de compromis à avoir et tout compromis est a minima un échec voire dans certaines situations de la lâcheté conduisant à une compromission.

10/ Pourquoi nos pouvoirs publics se réjouissent-ils à ce point du fait que Google ou ses homologues investissent en France ?

Selon les personnes qui interviennent, il y a de l’ignorance, de la naïveté, du cynisme, de la paresse, de la méthode Coué et de la franche compromission. Tout ce savant mélange fait que sur chaque photo diffusée sur les réseaux sociaux ou dans les médias traditionnels, nous remercions chaleureusement nos bourreaux avec un sourire béat avec des journalistes qui, le plus souvent, ne se posent pas les bonnes questions. Ne plus avoir d’espoir, abandonner la partie quand on aime la France et quand on est attaché au sort de sa population, c’est se résigner et je ne me résigne jamais. Alors oui, cela m’a causé certains soucis mais je garde à l’esprit deux citations :

« Celui qui n’a pas le goût de l’absolu se contente d’une médiocrité tranquille ». Paul Cézanne

« Tout ce qui s’est fait de grand dans le monde est fondé sur l’espoir ». Martin Luther King






Chacun est acteur de la sécurité nationale.

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de « disputatio » ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n’engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d’influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l’objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.


Vendredi 23 février 2024
Aurélie Luttrin est ancienne avocate, membre du Cercle K2 et fondatrice du cabinet EOKOSMO qui aide les secteurs public et privé à atteindre leurs objectifs de performance globale (technologique, économique, écologique et sociale) dans le contexte de la 4ème révolution industrielle en proposant et en mettant en œuvre des stratégies pluridisciplinaires à impact.
1/ Quel regard portez-vous sur la situation actuelle de notre pays à tous égards ?

Il faudrait presque écrire un livre à ce sujet tellement j’ai de choses à dire sur la situation de notre pays mais si nous devions résumer cela en un deux mots : déliquescence organisée.

Nous subissons plus de 15 années de captations massives de données dont le résultat aujourd’hui est le déferlement d’IA génératives accroissant exponentiellement l’affaiblissement de la France qui subit plus qu’elle n’agit véritablement, France qui a le statut officiel de vache à lait de nombreuses puissances concernant deux matière premières fondamentales dans la cyberguerre et la course vers le monopole de l’IA : les données et les cerveaux.

La population n’est pas prête à affronter la 4ème révolution industrielle car 98% de la population ne connaît pas cette 4ème révolution industrielle et tous les enjeux qu’elle implique. Ignorance qui participe au pillage en masse de la France.

Alors que la troisième révolution industrielle se réfère au développement de l’électronique et des technologies informatiques, la quatrième révolution industrielle, quant à elle, est un véritable « tsunami technologique » lié à l’exploitation des données et au développement de l’intelligence artificielle.

« Il faut rendre l’humanité attentive aux grands bouleversements que la quatrième révolution industrielle va provoquer. La quatrième révolution industrielle bouleverse notre société dans ses fondements » (Klaus Schwab, Fondateur du World Economic Forum, 8 Janvier 2016, Le Temps), « Avec [cette] révolution industrielle, le pouvoir réside désormais dans la détention de la donnée et non plus dans la détention du capital » (La transformation numérique, s’adapter ou disparaître, Thomas M.Siebel)

Comme je l’ai souvent souligné avec Franck De Cloquement lors de nos tribunes communes, chaque jour, avec nos smartphones, nos ordinateurs, nos objets connectés, l’ensemble des capteurs déployés dans nos entreprises, dans nos réseaux, dans nos lieux d’habitation, nous générons à l’échelle mondiale plus de 2,5 trillions d’octets de données. Quand nous découvrons que nous disposons de trois fois plus d’objets connectés (IOT) que d’êtres humains sur la surface de notre planète, nous réalisons très vite que notre monde physique voit peu à peu advenir l’émergence de son « jumeau », tel un véritable double numérique.

Ainsi, tout comme nos bâtiments connectés produisent des données retraçant leur mode de fonctionnement, chaque être humain connecté produit un avatar numérique qui duplique au sens propre sa vie réelle, avec à la clef l’accès à ses plus intimes secrets. Elon Musk, fondateur de TESLA, prédisait lui-même il y a quelques années que « dans 25 ans, il y aura plus de nous dans le Cloud que dans notre corps ». Nous y sommes.

Les premiers à l’avoir compris sont les États-Unis et la Chine, et dans leurs sillages, leurs très nombreux chevaux de Troie que sont les GAMMA (Google Amazon Meta Microsoft Apple – je préfère l’acronyme GAMMA à GAMAM car comme les GAMMA GT, quand ils prennent trop de place, c’est le corps entier qui dysfonctionne) et les BATXH (Baidu Alibaba TenCent Xiaomi Huawei).

En effet, tous ces mastodontes géopolitiques ont très vite saisi que les pouvoirs politique et économique résidaient désormais dans la maîtrise des jumeaux numériques : maîtrisez les données des hôpitaux, des entreprises, des citoyens, des administrations, des services publics, c’est maîtriser l’adversaire géopolitique et le concurrent économique. L’annexion ne sera pas territoriale cette fois, mais l’effet produit sera tout aussi catastrophique.

Ce monopole de la donnée est parfois renforcé par la réglementation, comme c’est actuellement le cas aux États-Unis, en Chine (Nouvelle Route de la Soie, Loi sur la sécurité nationale…), en Russie. À cela se greffe également le transhumanisme (la volonté de dépasser les limites de l’Homme dont la mort), le libertarisme, philosophie économico-politique, qui se base sur une détestation de l’Etat, des services publics et de la concurrence car constituant des freins à la croissance économique. Culte de l’individualisme, ultra-libéralisme, dont sont des fervents défenseurs les dirigeants de la Silicon Valley, comme Jeff Bezos, Elon Musk, Peter Thiel et consorts. Si nous appliquons leur vision politique, qu’ils mettent en œuvre, chaque jour, à travers leurs différents produits et services, l’Homme n’a qu’un seul but : produire toujours plus, seule une élite d’ultra-riches bénéficiera des avancées technologiques au détriment d’une masse d’inutiles vouée à disparaître puisqu’à l’avenir, nous serons amenés à ne produire que des êtres humains augmentés dont nous aurons besoin qui vivront sur une autre planète, la Terre étant vouée à disparaître.

Délires mégalomaniaques pour certains, maîtrisés par l’Etat américain pour l’instant qui brandit régulièrement la loi anti-trust en cas de dérapage mais au final cette vision gagne du terrain sur tous les pans et s’exporte (mise à mal des services publics, affaiblissement des Etats….). Nous nous rendons compte que ne pas maîtriser la psychologie des différents interlocuteurs de la Tech c’est conclure des contrats en notre défaveur, choisir des technologies mortifères et perdre la bataille voire, à terme, la guerre.

En France, nous avons une intensification des fuites de données et de cerveaux avec des pépites technologiques qui passent sous pavillon américain.

Quand on voit qu’EDF choisit AWS pour la maintenance prédictive des pièces détachées des centrales, que Le Monde et SIPA Ouest-France sont fiers d’annoncer leur accord avec Microsoft pour les aider à appliquer les fonctionnalités de l’IA générative, que la French Tech Grand Paris est fière d’annoncer l’ouverture d’un centre de recherche par Google (et ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres), nous ne pouvons qu’être désabusés.

En réalité, nous sommes à un carrefour, avec deux choix encore possibles (mais nous n’aurons bientôt plus le luxe de choisir à ce rythme) :

  • la vassalité permanente (facile, peu d’énergie, on laisse couler le navire et s’en sortiront ceux qui pourront)
  • l’indépendance (stratégies multiples et concomitantes à 360°, développement d’une pensée complexe (et pas compliquée) tri-temporelle (court, moyen et long termes) , macro/micro, choix de nouveaux profils engagés dans la défense de l’intérêt général, revenir aux fondamentaux du service public , à savoir la satisfaction des besoins des usagers, beaucoup d’énergie pour mettre au pas tous les écosystèmes afin qu’ils servent tous la politique d’Etat).

Pour ma part, même si beaucoup me disent que le combat est vain, je ferai toujours le choix de l’indépendance et me battrai à mon petit niveau pour la conserver au maximum, à travers les conseils que je donne et que j’applique.

2/ Il semble que l’Union européenne exerce en ce moment un certain appel d’air sur la question de la souveraineté. De quel œil voyez-vous cela ?

Parler de souveraineté européenne est un peu incongru dans la mesure où l’Europe n’est pas un État et qu’elle ne dispose pas de cette souveraineté. Mais que l’Europe s’inquiète de la défense des intérêts européens et de tout ce qui pourrait porter atteinte à la souveraineté des États membres, je vois cela d’un très bon œil ….

Même si l’Europe souffre du même syndrome que la France, celui du « en même temps ». Là aussi, il manque une colonne vertébrale qui permettrait d’adopter une stratégie claire, sans compromis sur la question de la souveraineté.

Nous adoptons le RGPD mais en même temps nous acceptons les GAMMA dans le projet, avorté dans l’œuf, GAIA-X (présenté comme le « premier pas » vers une « infrastructure européenne du cloud).

Nous adoptons une réglementation qui est une première mondiale sur l’IA le 2 février 2024, mais en même temps le 10 juillet 2023, la Commission européenne adoptait une nouvelle décision d’adéquation concernant les États-Unis. Par cette décision, la Commission a décidé que les modifications apportées par les États-Unis à leur législation nationale permettent désormais d’assurer un niveau de protection adéquat des données personnelles transférées de l’UE vers les organisations situées aux États-Unis alors que ces derniers ont renforcé leur législation sur la sécurité nationale et les systèmes de captation des données.

En Europe, nous avons également trop de trous dans la raquette qui laissent passer des ingérences étatiques diverses quel que soit le domaine d’intervention : Qatar, Etats-Unis, Chine … Nous avons l’impression parfois que l’Europe est une grande passoire quand il s’agit d’être ferme sur la défense des intérêts du bloc européen.

Mais existe-t-il réellement un bloc européen ? C’est peut-être cela qu’il faut définir. Là encore, il manque une stratégie claire, ferme et une coordination cohérente des actions de toutes les institutions européennes.

3/ L’avocate que vous êtes peut-elle nous parler de l’article 411- 6 du code pénal et évaluer le « manque à incarcérer » que nous accusons en France en la matière ?

Ancienne avocate, je précise, puisque je suis sur le tableau des omissions, mais il n’en reste pas moins que j’ai un avis sur la question.

L’article 411-6 du code pénal dispose que « le fait de livrer ou de rendre accessibles à une puissance étrangère, à une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont l’exploitation, la divulgation ou la réunion est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation est puni de quinze ans de détention criminelle et de 225 000 € »

Par intérêts fondamentaux de la nation, il faut comprendre, selon l’article 410-1 du code pénal , « son indépendance, l’intégrité de son territoire, sa sécurité, la forme républicaine de ses institutions, les moyens de sa défense et de sa diplomatie, la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et les éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel »

Ainsi, pour tout choix technologique tendant à transmettre des données sensibles à une puissance étrangère via l’application d’un droit extraterritorial et portant atteinte aux secrets des affaires, industriels (atteinte à la stratégie économique de la Nation) , secrets politiques ou accroissant le risque d’attaques cyber (données personnelles de santé) et provoquant l’affaiblissement du pays, il pourrait être possible de plaider l’atteinte aux droits fondamentaux de la Nation.

Cet article confirme qu’un choix technologique est un choix politique qui ne doit pas être entièrement délégué aux DSI. Il s’agit désormais d’une nouvelle responsabilité des dirigeants (d’entreprises, de territoires….). Cependant, pour que cet article soit appliqué et participe à l’éducation du plus grand nombre, encore faut-il une politique pénale qui aille dans ce sens ainsi qu’une acculturation des magistrats sur le sujet, toutes juridictions confondues (judiciaires et administratives). D’où l’importance d’organiser de nouveaux modules de formation à l’ENM, l’INSP, au sein des écoles de police pour avoir une politique pénale cohérente et surtout un gouvernement qui prenne le sujet à bras le corps.

Cet article n’est pas suffisant et mériterait d’être complété par tout un bloc législatif et réglementaire pour sanctionner différents types d’atteintes aux intérêts (et pas seulement fondamentaux) de la Nation (limitation de la participation de certains représentants de puissances étrangères ou d’entreprises étrangères liées à ces puissances aux syndicats professionnels, think tanks, universités, grandes écoles, encadrement des subventions et des investissements, renforcement de la législation sur les opérations d’achats d’entreprises stratégiques par des puissances étrangères, encadrement des choix technologiques dans les secteurs sensibles, établissement d’un bloc de sanctions afférant à toutes ces nouvelles limitations…. ).

4/ Comment évaluez-vous le degré de maturité des collectivités sur la question de la protection et de la valorisation des données des populations qu’elles administrent ?

Faible et d’ailleurs la délégation parlementaire au renseignement l’a souligné dans son rapport annuel 2023 publié en janvier 2024.

Un trop grand nombre de collectivités pensent que les questions de souveraineté numérique, d’intelligence économique sont des préoccupations bien loin de leurs préoccupations quotidiennes.

J’ai même eu dans le cadre de mon activité des RSSI, des DSI qui n’ont pas hésité à me dire que si Joe Biden captait des données de Monsieur et Madame Dupont ce n’est pas bien grave , ils ne voyaient pas qui cela pourrait véritablement intéresser (sic). Donc là évidemment, nous partons de très loin.

Trop de collectivités encore cantonnent la « smart city » , terme que j’ai d’ailleurs en horreur tellement il a été galvaudé…., à la pose de capteurs, l’utilisation de technologies peu importe leur origine sans savoir comment ces technologies fonctionnent et sans savoir que désormais un choix technologique est un choix politique.

C’est ainsi que nous avons eu le Maire de Valenciennes qui a bénéficié de la fourniture gratuite de 230 caméras et qui décide de renoncer au cadeau mais pas en raison de la mise en garde de la CNIL. « Huawei se retire, mais si Huawei était resté, on aurait continué. On ne renie absolument pas ce partenariat » (Voix du Nord – 5 août 2022).

Notons que la loi chinoise sur la sécurité nationale impose à Huawei, la transmission de toutes les données captées au parti communiste chinois.

Nous avons également des DSI qui prennent tous les packs Microsoft, utilisent à foison PowerBI, des collectivités qui sélectionnent des opérateurs leur proposant des technologies non souveraines et/ou qui vont capter et réutiliser à leur propre compte les données territoriales en privant lesdites collectivités d’une source de revenus supplémentaires. À cela s’ajoute, tous les Think Tanks, les salons professionnels destinés aux élus comme le salon des Maires où figurent des technologies mortifères pour nos territoires. À la décharge des élus et opérationnels, il y a de quoi perdre son latin devant autant de signaux contradictoires et autant de manque de cohérence, surtout que nous retrouvons ce manque de cohérence au niveau de l’Etat.

Trop de collectivités ne saisissent pas qu’il faut désormais entrer dans une nouvelle ère de la gestion territoriale qui nécessite de nouvelles stratégies pluridisciplinaires (contractuelles, économiques, sociales, écologiques), un nouveau management, de nouvelles procédures, des nouveaux profils, des technologies souveraines et une cybersûreté (plus large que la cybersécurité qui prend en compte la sécurisation des usages et une mise à niveau des équipes sur les enjeux de la 4ème révolution industrielle).
Les collectivités ont des leviers de croissance énormes qui sont inexploités à ce jour.

Ce qui est malgré tout rassurant (les collectivités peuvent s’en sortir financièrement et socialement si de nouvelles méthodes sont appliquées). Il est donc urgent d’acculturer les collectivités territoriales sur les véritables enjeux et les stratégies à déployer pour se sortir du marasme économique et technologique dans lequel nous nous trouvons. Et ce n’est pas quelques heures de formations délivrées en Préfecture comme le préconise la délégation parlementaire au renseignement qui va régler le sujet. Le secteur privé n’est pas en reste. Il souffre des mêmes maux que le secteur public. Ne jetons pas l’opprobre sur les collectivités. Le manque d’acculturation est général.

5/ Sur les parfums de souveraineté dont s’aspergent de scabreuses associations d’entreprises françaises et américaines, comment analyser le fait qu’elles mettent en avant le degré de protection assuré par la France et l’excellence technique américaine ? N’est-ce pas pour notre pays se tirer une double balle dans le pied ?

Je dirais que nous avons là l’application topique de la politique du « en même temps », qui a ses limites…. Capgemini et Orange s’associent pour créer une offre de cloud souverain dénommée BLEU, avec (roulement de tambours….) Microsoft. J’imagine bien les tempêtes de cerveaux au sein de ces deux mastodontes et cela pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une série humoristique digne de The Office si les enjeux n’étaient pas si graves. En effet, de compromis à compromission il n’y a que quelques lettres de différence et parfois cela ne tient qu’à un fil de basculer du côté obscur de la force.

La paresse chronique dont souffre une grande partie de nos écosystèmes politique et économique conduit à ce genre de discours. Il est plus facile de renoncer et de tout transmettre à la Chine ou aux Etats-Unis plutôt que de déployer des stratégies holistiques, pluridisciplinaires nécessitant une vision à 360° que peu ont, pour contrer les attaques de ces superpuissances, puissances qui d’ailleurs nous respecteraient un peu plus si nous étions plus combatifs dans la défense de nos propres intérêts. La démission totale de la France en la matière paraît inconcevable pour un œil américain ou chinois. D’ailleurs en Chine et aux Etats-Unis, cette politique du « en même temps », « on n’a pas le choix », « cédons nos secrets industriels, étatiques à des puissances étrangères » serait pénalement sanctionnée. Et à ceux qui disent « c’est compliqué » et « c’est déjà trop tard », j’opposerai cette citation de l’Abbé Pierre : « on ne peut pas sous prétexte qu’il est impossible de tout faire en un jour, ne rien faire. »

6/ Bernard Benhamou raconte qu’on disait avant « personne n’a jamais été viré pour avoir acheté IBM » et qu’on dit la même chose aujourd’hui au sujet de Microsoft. Que dira t-on demain selon vous et pour quelles raisons ?

Avant, il n’y avait pas le CLOUD Act.
Avant nous n’étions pas dans une cyberguerre.
Avant, nous étions encore au stade de la troisième révolution industrielle.
Avant un choix technologique n’était pas un choix politique.
Nouveau monde, nouvelles mœurs, nouvelles règles…

Il va falloir revoir le code du travail, le code de la fonction publique, comme le code pénal, pour sanctionner des mauvais choix technologiques allant à l’encontre des intérêts de la Nation.

Demain, j’espère que nous dirons que même si nous avons commis des erreurs, nous avons su réagir à temps pour conserver notre indépendance et reconstruire le pays sur de bonnes bases en revenant aux fondamentaux de notre puissance : un projet d’avenir et une stratégie claire pour y parvenir, un système éducatif d’excellence, la relance de l’ascenseur social, une population agile et innovante dont l’employabilité est garantie, des entreprises stratégiques protégées par un Etat conscient de la valeur de ses pépites technologiques et industrielles, un Etat garant des intérêts de la Nation qui sait négocier avec les autres puissances étrangères et conclure des alliances équilibrées, une agriculture souveraine en pleine relance….

7/ En France tout le monde ou presque, semble sur le pied de guerre en matière de cybersécurité mais si vous parlez de guerre économique, il y a statistiquement quelques chances que vous soyez pris pour un mythomane ou un paranoïaque. Comment changer quelque chose ?

Avec un plan Marshall de l’Education Nationale doublé d’un bloc législatif et réglementaire sanctionnant fermement toute action qui irait à l’encontre des intérêts de la France. En termes clairs, Education et Sanction.

Ceux qui veulent comprendre auront ainsi l’Education nationale pour satisfaire leurs besoins intellectuels, pour les autres il y aura la sanction. Nul n’est censé ignorer la loi. Nous éviterons ainsi des débats stériles avec ceux qui ne veulent pas comprendre et cela insufflera un vent de discipline sur le sujet dans un pays qui en manque cruellement en la matière. Comme nous l’avons déjà souligné précédemment, le principal problème en France est cette méconnaissance généralisée des enjeux de la 4ème révolution industrielle et de l’incapacité chronique des entreprises, administrations, collectivités territoriales à changer leur mode de fonctionnement qui correspond à un temps révolu, qui n’existe plus.

Cette méconnaissance contribue à créer la crise économique que nous subissons au profit d’autres puissances qui elles ont bien compris les nouvelles règles du jeu. Prenons par exemple dans la grande distribution, le cas d’école du Groupe Casino qui de décisions en décisions (notamment celle de conclure un accord avec Amazon qui a laissé rêveur plus d’un connaisseur des Big Techs ) a vu son statut passer de fleuron de la grande distribution à un opérateur en crise liquidant ses actifs.

D’autres exemples me viennent à l’esprit : des professeurs d’université ou de lycées qui s’enorgueillissent d’utiliser ChatGpT avec leurs élèves sans leur apprendre ce qui se cache derrière cette IA générative, et tous les sujets géopolitiques qu’elle soulève.

De même, des influenceurs tech, faisant la promotion d’une myriade de technologies dangereuses pour la sécurité nationale, se multiplient à vitesse grand V en s’auto-proclamant experts et donnent des conseils malheureux à leur audience nombreuse.

Ne pas anticiper l’impact des intelligences artificielles sur notre société, les emplois des Françaises et des Français, ne pas œuvrer pour garantir leur employabilité, est catastrophique car générateur, à terme, d’un chômage de masse structurel. Il n’y aura pas de destruction créatrice schumpetérienne avec l’IA. En outre, ne pas vouloir encadrer l’IA, comme nous avons encadré la recherche médicale avec les lois bioéthiques, conduira également à un massacre social avec la multiplication d’algorithmes et d’intelligences artificielles discriminantes, non contrôlées, générant un déterminisme des injustices sociaux sans précédents pouvant déstabiliser notre démocratie. Sur ce sujet, nous avons heureusement le règlement européen en date du 2 février 2024 mais il faudrait aussi se saisir du dossier au niveau national et compléter le bloc réglementaire européen.

Le déterminisme social, le sexisme systématique lié à l’application d’algorithmes mal conçus, remplis de biais, existent déjà aux Etats-Unis et est dénoncé par de nombreuses associations. J’invite le plus grand nombre à lire les ouvrages de Cathy O’Neil et de Caroline Criado Perez sur le sujet. Ils sont assez édifiants et nous permettent de tirer des leçons des erreurs qui ont déjà été faites. Or, aujourd’hui nous ne tirons pas les leçons des erreurs faites aux Etats-Unis , nous les reproduisons en nous américanisant. « L’ignorance est mère de tous les maux ». C’est donc en combattant cette ignorance que nous pourrons construire notre puissance .

Répondre aux enjeux de la 4ème révolution industrielle, c’est tout d’abord former des citoyens éclairés capables de décider en pleine conscience, d’être maîtres de leur destin et de conserver leurs libertés. En ce moment, ceux qui décident pour eux de leur destin, ce sont essentiellement les gouvernements américains, chinois. Pour permettre à la population de reprendre le pouvoir, il faut, dès le plus jeune âge, que les futurs actifs et acteurs de la France soient armés afin de vivre pleinement la vie qu’ils souhaitent mener sans que d’autres la leur imposent. Cela implique de nouveaux enseignements en matière de savoir-être : miser sur le travail collaboratif, éviter le culte de l’individu et de la note (syndrome du stylo rouge qui conduit à produire des cadres dirigeants par la suite qui ont peur de prendre une décision et d’échouer). La valorisation de l’échec crée une population plus dynamique, plus encline à innover.

Ensuite concernant les connaissances de fond : la géopolitique des données, les relations internationales à l’aune de la cyberguerre, la philosophie dont le transhumanisme, l’Histoire, la littérature et les sciences doivent être renforcés. Pourquoi à la fois les matières littéraires et scientifiques ? Car « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrivait Rabelais.

Et nous le voyons tous les jours. Il faut former des ingénieurs éthiques et responsables tout comme il faut former des juristes, des artisans, des agriculteurs, des industriels, peu importe le métier, qui connaissent les clés de fonctionnement de cette révolution industrielle et comprennent ce qui se cache derrière des technologies qui ne sont plus des gadgets informatiques mais de véritables armes politiques. Chacun est acteur de la sécurité nationale et toute la population doit être formée aux nouvelles règles de fonctionnement du monde actuel.

Cela implique une refonte totale des modes d’apprentissage, des contenus mais aussi de la formation continue car contrairement aux autres révolutions industrielles, il est fini le temps où nous pouvions nous reposer sur nos acquis pendant 15-20 ans. La formation doit faire partie de notre ADN. Cette révolution industrielle exige humilité et remise en question permanente.

Les syndicats devront également évoluer et accompagner les secteurs de l’économie dans cet apprentissage et ce décodage. Quand on voit des Big Tech au MEDEF, on se dit que la tâche va être rude mais ne désespérons pas… Nous constatons donc qu’il ne faut pas juste faire de la cosmétique en faisant de la sensibilisation au cyberharcèlement dans les collèges et les écoles. Il faut bien plus que cela et repartir d’une feuille blanche pour construire un nouveau système éducatif en phase avec les besoins des Françaises et Français et de pouvoir les protéger tout au long de leur vie.

À cela s’ajoute un bloc législatif et réglementaire nécessaire pour protéger les intérêts de la France. Il est désormais primordial de responsabiliser et de sanctionner tous ceux qui choisiraient des technologies mortifères allant à l’encontre des intérêts de la France ou qui soutiendraient financièrement des puissances étrangères en donnant des subventions à des Big Tech chinoises ou américaines.

Toutes les institutions françaises doivent servir les intérêts de la France : BPI, investisseurs français, banques, universités, grandes Ecoles, think tanks, syndicats, entreprises françaises, collectivités territoriales , Etat ….

Pour ce faire, nous devons nous doter du même arsenal juridique que les Etats-Unis pour pouvoir commencer à négocier à égalité, ce qui implique de construire un droit extraterritorial par application du parallélisme des formes. Le droit comme levier de performance économique, sociale et écologique, est assurément la piste à suivre si nous voulons retrouver notre indépendance et ça commence d’ailleurs par la renégociation de nombreux contrats et concessions conclus par des chefs d’entreprises, des collectivités territoriales avec des prestataires technologiques, des concessionnaires (eau, transports….) qui sont rarement à leur avantage.

8/ Que vous inspire la proposition « en vogue » de remplacer le vote à l’unanimité par un vote à la majorité qualifiée (VMQ) pour les questions de politique étrangère et de sécurité au Conseil de l’UE ?

Les démocraties modernes ont fait du vote à la majorité un principe de fonctionnement. Si nous revenons aux intentions des Pères fondateurs de l’Europe, il était question à l’origine de créer une simple association d’Etats européens pour éviter une autre guerre et protéger la démocratie en Europe. Avec le Traité de Rome du 1957, cette association s’est structurée avec une reconnaissance d’un pouvoir supranational tout en conservant la colonne vertébrale des Etats qu’est leur souveraineté.

Les différentes institutions européennes se sont construites avec cette idée de plus de démocratie et moins de bureaucratie, surtout ces dernières années avec un euroscepticisme grandissant et une perte de confiance. Dans le dernier eurobaromètre, seuls 35% des Français ont confiance dans les institutions européennes. On accuse aujourd’hui et parfois à juste titre, les fonctionnaires européens, les représentants des gouvernements comme étant parfois hors sol, déconnectés du terrain, d’avoir un tableur Excel à la place du cerveau, d’être facilement influençables face aux lobbyistes en tout genre dont ceux qui sont extérieurs à l’UE. Et en parallèle, l’urgence d’avoir une Europe forte, capable de contrer les actions américaines et chinoises est bien là, et ce, sur tous les fronts (crises écologique, économique, sociale, sécuritaire, technologique). Le débat sur le vote à majorité qualifiée me semble un faux problème ou du moins pas forcément la priorité du moment pour régler toutes les urgences en cours.

L’Europe prend l’eau et est la proie d’actions de déstabilisation de tous les côtés dans un contexte de cyberguerre dont tous les Etats dont le nôtre n’ont pas véritablement pris conscience ou ne veulent pas prendre conscience de l’ampleur. Aujourd’hui la règle de l’unanimité en matière de sécurité peut être un rempart contre de telles actions de déstabilisations extérieures. Prenons comme exemple, le Danemark qui est devenu, au fil du temps le poste d’écoute de la NSA en Europe et qui a signé le 19 décembre 2023, un traité avec les Etats-Unis autorisant le stationnement de troupes américaines sur son sol. Si nous n’avions pas, pour des sujets aussi structurants, que la sécurité, les règles d’entrée à l’UE, une unanimité, il serait encore plus facile pour certains pays extérieurs à l‘UE d’influencer les votes afin de conserver leur propre puissance et d’affaiblir l’Europe.
Pour que l’Europe démocratique telle qu’on la souhaite, devienne réalité, il faut à mon sens tout d’abord mener un grand chantier de reprise en mains du pouvoir et de lutte contre le lobbying, les compromissions en tout genre qui portent atteinte aux intérêts des nations européennes.

Il faut rétablir la confiance entre l’Europe et les Européens pour construire une Europe forte, garante de la pérennité des démocraties et capable de se protéger militairement et technologiquement.

L’intérêt des européens et la satisfaction de leurs besoins doivent retrouver leur place dans la politique européenne. Rien que dans le domaine technologique, le secteur des Big Tech a dépensé pas moins de 113 millions d’euros en lobbying auprès de l’Union européenne en 2022, une augmentation de 20% par rapport à 2021. Meta, la maison mère de Facebook, et Apple sont respectivement numéro un et numéro deux des dépenses de lobbying à Bruxelles tous secteurs confondus. Ce lobbying a contribué à tuer l’écosystème Tech européen mais pas que …. Ce sont nos économies respectives, nos droits sociaux, l’écologie qui sont également en péril.

L’Europe ne doit pas conduire à créer des citoyens de seconde zone, les grands oubliés de l’Europe qui n’ont qu’à subir des règles parfois incompréhensibles ne répondant plus aux besoins des européens (comme dans le secteur agricole). Reprenons comme exemple, l’accord surprenant conclu le 25 mars 2022 sur le transfert des données personnelles aux États-Unis alors même que les Américains n’ont pas changé leur réglementation en matière de captation de données, et qu’au contraire, ils l’ont même renforcée au mépris total du droit des Nations européennes.

Toutes ces actions conduisent de nombreux Européens à se dire que l’Europe n’œuvre pas dans l’intérêt des nations mais dans l’intérêt d’une élite politique. Le débat devrait donc se porter sur la probité des institutions, la compétence des représentants nationaux et la construction d’une politique claire, ferme et sans compromis pour une Europe forte, porteuse d’une troisième voie diplomatique, économique, sociale et écologique.

9/ Le souverainisme constitue-t-il une dérive sectaire ?

Si l’on définit le souverainisme comme une doctrine politique prônant l’indépendance d’une nation, son autonomie et plus largement comme la défense des intérêts de la Nation (qui incarne cette souveraineté), alors non il ne constitue pas une dérive sectaire. Il est salutaire. Le souverainisme n’est ni plus ni moins que l’application de l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Le souverainisme, du moins tel que je l’entends, est la doctrine politique qui veille à ce que le peuple garde une capacité d’action via ses représentants. Toute institution (nationale, européenne a besoin de garde-fous pour éviter les dérives).

Etre souverainiste ne signifie plus être contre l’idée d’une Europe. Par les temps qui courent, l’union et l’intelligence collective sont indispensables, elles constituent d’ailleurs une troisième voie pour rééquilibrer un monde qui se bipolarise et qui tend à l’imposition de monopoles sino-américains. Le souverainisme nouvelle génération si j’ose dire, c’est le retour aux fondamentaux, la lutte farouche contre tout ce qui pourrait nuire à la capacité d’action de la Nation et de ses représentants. Elle englobe la défense de la souveraineté alimentaire, industrielle, numérique…). La nouvelle réglementation sur l’IA est la preuve qu’heureusement, il y a l’Europe pour protéger les populations quand les Etats sont défaillants…..

Attention, il ne s’agit pas non plus de confondre souverainisme et nationalisme qui conduirait à privilégier tout ce qui vient de France. Entre un BATX qui capte des données territoriales en vue de les transmettre au Parti Communiste Chinois et une entreprise française concessionnaire de transports qui capte les données des territoires pour faire des algorithmes et les revendre aux mêmes territoires, il n‘y a pour moi aucune différence, les deux sont à combattre, pour des raisons différentes certes, mais les deux conduisent à l’appauvrissement des territoires et l’appropriation indue de données. En matière de souverainisme, il n’y pas de compromis à avoir et tout compromis est a minima un échec voire dans certaines situations de la lâcheté conduisant à une compromission.

10/ Pourquoi nos pouvoirs publics se réjouissent-ils à ce point du fait que Google ou ses homologues investissent en France ?

Selon les personnes qui interviennent, il y a de l’ignorance, de la naïveté, du cynisme, de la paresse, de la méthode Coué et de la franche compromission. Tout ce savant mélange fait que sur chaque photo diffusée sur les réseaux sociaux ou dans les médias traditionnels, nous remercions chaleureusement nos bourreaux avec un sourire béat avec des journalistes qui, le plus souvent, ne se posent pas les bonnes questions. Ne plus avoir d’espoir, abandonner la partie quand on aime la France et quand on est attaché au sort de sa population, c’est se résigner et je ne me résigne jamais. Alors oui, cela m’a causé certains soucis mais je garde à l’esprit deux citations :

« Celui qui n’a pas le goût de l’absolu se contente d’une médiocrité tranquille ». Paul Cézanne

« Tout ce qui s’est fait de grand dans le monde est fondé sur l’espoir ». Martin Luther King




Les défis des grands feux et l’essor du programme Fregate-F100

Les années récentes ont été témoins de phénomènes sans précédent dans le domaine des incendies de forêt, mettant en lumière la nécessité d’une réponse efficace et innovante. Les feux dévastateurs de 2022 dans les Landes et sur le bassin d’Arcachon, ainsi que les vastes incendies qui ont ravagé des millions d’hectares au Canada l’été dernier, nous confrontent à l’urgence d’agir face à l’emballement climatique auquel les feux contribuent.

La recrudescence des incendies, leur propagation vers des territoires auparavant préservés, souligne le défi croissant auquel les états sont confrontés. Les moyens traditionnels semblent insuffisants pour contenir ces feux destructeurs. L’absence d’engagement des industriels aéronautiques français et européens dans des programmes d’Aerial Fire Fighting (AFF) révèle les conséquences encore présentes de la crise sanitaire et à la nature restreinte de ce marché de niche qui représente environ 300 avions à produire entre 2030 et 2050.

Or la responsabilité de garantir la sécurité nationale est régalienne. En Europe, la lutte contre les incendies donc des capacités AFF est principalement assurée par des entités étatiques, tandis qu’en Amérique du Nord, des opérateurs privés gèrent d’importantes flottes. La DG-ECHO de la Commission européenne coordonne quant à elle les réponses aux crises, mobilisant les ressources nationales « mises en alerte » sur la base du volontariat solidaire et favorisant l’interopérabilité entre les pays contributeurs.

Hynaero, une jeune société bordelaise, se positionne aujourd’hui avec l’ambition de répondre aux défis posés par les feux de forêt. Son programme, le Fregate-F100, vise à concevoir et produire un avion amphibie bombardier d’eau moderne et efficace, en partenariat avec l’industrie aéronautique française et européenne et les pays clients.

Comparé aux solutions existantes, le Fregate-F100 offre un réel bond capacitaire, une sécurité renforcée et une disponibilité accrue. Il représente une alternative aux avions traditionnels vieillissants et aux capacités complémentaires disponibles sur le marché. Il répond également aux enjeux majeurs de réindustrialisation et de souveraineté économique pour notre pays et pour l’Europe.

La France et plus largement l’Europe possèdent l’ensemble des savoirs et des outils industriels pour mener à bien ce programme et conserver sur nos territoires cette activité économique majeure et structurante pour l’écosystème des acteurs de la sous-traitance et supply-chain aéronautique. Le seul renouvellement des 70 Canadair volant en Europe représente un marché de 5Md€ pour les ventes sans compter les services de formation et soutien clients.

Pour Hynaero, la réussite du programme dépend du soutien des acteurs publics et privés. Les premiers signes d’intérêt émanant des ministères et des organismes de soutien sont encourageants pour l’avenir du projet.

Face à la montée des défis environnementaux et sécuritaires, le développement de solutions innovantes comme le Fregate-F100 est crucial. En unissant leurs forces, les acteurs européens peuvent faire face à la crise des feux de forêt tout en renforçant leur souveraineté et leur compétitivité sur la scène internationale.

David Pincet
Fondateur associé, Hynaero S.A.S.




Dépolitisons la nation

Le plus européen des Français proclamait « Je suis national ». L’Empereur précisait : « Ni talons rouges, ni bonnets rouges » pour bien exprimer le caractère universel de ce lien social fondateur : la nation. Aussi, quels que soient notre rang, notre condition ou même les idées que nous revendiquons, nous sommes tous faits par cette nation, quand bien-même nous serions aujourd’hui curieusement appelés à la « refaire » (sic). C’est là une évidence autant qu’une incontestable source  de bienfaits. Le lien vertical et horizontal qui nous unit et nous affilie à la nation, dans l’espace et dans l’Histoire, constitue notre trésor commun, notre demeure indivise : Voilà pourquoi il nous semble important d’en faire aujourd’hui la pierre angulaire de notre réflexion politique. Ce qui suppose d’abord d’en dépolitiser la notion une bonne fois pour toutes.

Lappartenance à la nation, une évidence autant quune somme de bienfaits

La nation est, avant toute chose, une réalité tangible, charnelle et spirituelle, enracinée dans le territoire et inscrite dans les siècles. La nation française est peuplée par 67 millions de personnes de « nationalité française ». (INSEE, 2023). Comme l’a écrit Philippe d’Iribarne dans son  ouvrage La Nation, une ressource d’avenir¹ : « Le cadre national a permis l’émergence de la figure du citoyen qui, avec ses pairs, décide des orientations de la cité. » Le cadre fondateur, protecteur et fructificateur de la Cité, est bel et bien la nation. Elle est partout, regardez donc autour de vous ! Songez un peu à l’Assemblée nationale, à la Défense nationale, à l’Hymne national, à la Bibliothèque nationale, à la concorde nationale, au service national universel etc. Et cette fameuse « startup nation » ! Inutile de nous lancer dans un panégyrique. Il suffit d’ouvrir un manuel de géographie, d’Histoire, de chanter  ou d’entendre ceux qui parlent et portent notre langue si belle, aux quatre coins du monde. La nation, famille de familles, représente la cellule élémentaire de toute forme d’essor  économique, politique, culturel. Elle place chacun de ses membres, dans une échelle géographique raisonnable, à l’abri du besoin et du danger ; Et, comme y invitait Montesquieu, de manière suffisamment proche du Prince, afin que ce dernier connaisse et gouverne justement chacun de nous.

La nation repose sur le vouloir vivre ensemble

Selon Ernest Renan, la nation est « une âme, un principe spirituel » qui repose sur « le vouloir vivre ensemble ». Le « vivre ensemble » dont les discours politiques alvéolés nous rebattent les oreilles n’a jamais existé, et n’existera jamais sans l’indispensable corollaire  de ce « vouloir vivre ensemble » qui le fonde, au cœur même et sous l’ombrelle de la nation. C’est le nécessaire « affectio societatis » de cette noble entreprise qu’incarne la nation. Il ne faut pas voir ailleurs que dans le défaut si manifeste de ce « vouloir vivre ensemble » la cause profonde de la plupart de nos maux actuels. Or, seule la nation permettra de recueillir à nouveau, sous quelque forme politique possible, cet assentiment collectif permanent.

Certes, la question de la nation pourrait – attendons-nous à cette objection – achopper  sur celle de l’Europe, et plus particulièrement sur la forme politique qu’elle revêt depuis trente ans : l’Union européenne. Nul ne conteste cependant, et certainement pas nous, l’intérêt que les nations d’Europe trouvent depuis des siècles à œuvrer en bonne intelligence, pour gagner en intérêts et en influence dans le grand concert… des nations ! Mais, comme le déclarait autrefois le Général de Gaulle, pas au point que nos pays en viennent à « perdre leur personnalité nationale », dans la grande marmite dissolvante  d’une quelconque fédération.

Fidélité à l’esprit des Lumières

Par ailleurs, si nous voulons demeurer fidèle à l’héritage des Lumières, il nous faut maintenir la nation. Jamais le mot de nation n’a été autant à la mode que pendant la période qui a précédé et accompagné la Révolution française. « Les titres de 895 ouvrages de langue française publiés entre 1700 et 1789 comportent les termes nation ou national, et que 277 autres contiennent des variantes sur le mot patrie, contre seulement 105 et 16 avant 1700. Rien qu’en trois ans, de 1787 à1789, les mots « nation » et « patrie » figuraient dans les titres de 520 ouvrages. » ²

Cependant, l’attachement à la nation doit éviter l’écueil de l’idéologie. Chez nous, la nation, c’est la France. Et la France n’a aucune vocation à être remisée dans une boîte à doctrines. La nation n’est pas une idée, c’est une réalité qui appartient à tous, et à laquelle tous appartiennent. En revanche, le nationalisme est une exacerbation idéologique qui naît historiquement sur le terreau de l’humiliation de la nation. Le meilleur moyen de ne pas verser dans ce travers, c’est donc sans doute de la restaurer dans ses droits.

Reconstituer une rosace

Voyez comme le socialisme a récupéré la préoccupation sociale (aujourd’hui, l’on dirait qu’il a « surfé » sur elle). Observez les libéralismes, l’ancien et le nouveau, un peu comme les testaments. N’ont-ils pas tous deux phagocyté sans vergogne l’idée même de liberté ? Les capitalistes auraient-ils cultivé seuls les bienfaits du capital ? Les communistes ont-ils quant à eux soustrait à leur profit privé (quelle ironie) l’idée même de Bien(s) Commun(s) ? Les Républicains se targuent, l’air de rien, d’avoir convolé seuls avec Marianne. Ne parlons pas des Progressistes, des Démocrates ou des Humanistes qui ont choisi, non sans orgueil et malice, de commuer les noms communs qui nous appartiennent en  noms propres. Or, ne sont-ce pas là, éparpillées, des dimensions, toutes nécessaires et attendues de n’importe quelle forme d’engagement politique complet, homogène, conciliant ?

Ces courants d’idée, toutes ces rentes intellectuelles ont choisi de ne considérer  le monde qu’à travers un seul prisme, au risque de méconnaître ou de mécontenter tous les autres. Seule la nation, tel un vitrail, nous permettra de recomposer une image, une vision éblouissante et juste du réel. Elle seule ramassera en une seule rosace les bris lumineux épars d’un kaléidoscope idéologique obsolète surtout conçu pour nourrir les petites chapelles et figer les antagonismes. La dimension sociale de notre communauté, la conservation de notre héritage, notre projection dans l’avenir, le sacro-saint exercice de nos libertés individuelles : voilà le seul vrai programme en entier.

Oui, nous ne mesurons pas à quel point la fragmentation, l’atomisation du paysage intellectuel nous empêche, de l’intérieur, d’envisager pour demain cet indispensable « vouloir vivre ensemble ». Toutes nos actuelles boutiques partisanes, qui forment le visage de la représentation nationale, obèrent une réalité fondamentale : nous sommes tous enfants de cette nation, de manière organique. Et sauf à vouloir faire sécession, géographique ou idéologique, nous ne parviendrons jamais à imprimer à notre destin la vision commune à laquelle nous aspirons sans recourir, encore et toujours, à l’idée cristallisante de nation.

Thomas Fauré
Président-fondateur de Whaller



¹ https://www.editionsartege.fr/product/126728/la-nation
² https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2006-2-page-165.htm

 

 




Les USA ne respectent que le rapport de forces.

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de « disputatio » ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n’engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d’influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l’objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.


Vendredi 5 janvier 2024
Philippe Jourdan et Jean-Claude Pacitto co-signent un ouvrage préfacé par le Général Benoît Durieux et postfacé par Stéphane Layani,  consacré à l’impact de la souveraineté économique sur la RSE.
1/ Que faut-il faire pour que nos entreprises, à commencer par celles du CAC40, comprennent que le 1er sujet de la RSE est celui de la souveraineté économique ?

Au fond, et c’est la thèse que nous défendons dans notre ouvrage, il faut raisonner la souveraineté non comme une simple posture mais par rapport aux finalités recherchées. En effet, à quoi bon être économiquement souverain si ce n’est pour promouvoir un vivre-mieux conforme à nos valeurs et aux souhaits de nos concitoyens, c’est-à-dire promouvoir des comportements éthiquement et écologiquement responsables ? Inversement comment promouvoir ces comportements si nos destins ne nous appartiennent pas mais sont tributaires de décisions prises ailleurs, en particulier sur un plan économique. Certes ces finalités ne concernent pas que les décideurs économiques, les acteurs politiques sont aussi concernés. Mais les entreprises de toutes tailles, pas uniquement celles du CAC40, doivent avoir conscience que derrière l’acronyme RSE, le terme important est celui de responsabilité : on n’est au fond responsable devant l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise que dans la mesure où l’on est souverain ! L’enjeu de la souveraineté économique pour l’ensemble des acteurs économiques, c’est de retrouver une capacité d’agir, en se redonnant des marges de manœuvre qui font défaut dans de nombreux secteurs et empêchent les acteurs économiques nationaux ou européens de définir des stratégies propres et de les mettre en œuvre dans le sens de leurs intérêts.

2/ Quels conseils un spécialiste du marketing pourrait-il donner aux entreprises actrices de la souveraineté technologique ?

Pour ne pas s’exposer au procès de « green washing » et de « fair washing », qui menacent nombre d’entreprises technologiques (mais pas uniquement), la RSE ne doit pas être considérée comme un outil marketing ou de communication, mais doit être pilotée au niveau le plus élevée de l’entreprise, car elle est un enjeu stratégique majeur. Nous le rappelons dans notre ouvrage la souveraineté économique vise en premier lieu la préservation de filières stratégiques dont la maîtrise est nécessaire pour assurer un développement économique, social et environnemental harmonieux. Pour nous, le développement harmonieux dépasse les seuls enjeux économiques et intègre les questions de justice sociale et de protection sociale, questions qui relève de la stratégie d’entreprise et des prérogatives de la direction générale. Ce sera le premier conseil donné aux entreprises technologiques.

Le deuxième conseil, c’est de ne pas occulter sa mission au nom de considérations économiques court terme. Le concept de souveraineté, qu’il soit appliqué à une entreprise ou à un Etat, renvoie toujours à sa capacité à assumer sa mission. Or toute stratégie nécessite la préservation d’une capacité d’action que détermine à un moment donné la possession de certaines ressources. Confrontés à de nombreux défis, dont ceux environnementaux qui mettent en jeu leur survie même, les entreprises technologiques se doivent d’être souveraines, c’est-à-dire capables de développer des ressources susceptibles d’assurer leur adaptation à ces nouvelles contraintes. Une ressource n’est stratégique que si elle permet d’exploiter une opportunité ou de conjurer une menace. Les nouveaux défis, environnementaux et sociaux, constituent de ce point de vue autant des opportunités que des menaces pour les entreprises technologiques mais pas seulement ! Au fond, une marque technologique majeure ne vit que par sa mission – on pense naturellement à Tesla, Google, Microsoft, Apple, etc. – et sa capacité à l’affirmer dans le temps. Cette affirmation passe par la mobilisation de tous les moyens qui vont permettre à l’entreprise de crédibiliser sa mission, c’est-à-dire de la rendre opérationnelle pour les parties prenantes (clients, fournisseurs, actionnaires, salariés, sous-traitants, investisseurs, etc.). Une marque technologique souveraine est une marque qui réussit à mobiliser ses parties prenantes autour des promesses de sa mission.

3/ Les termes de souveraineté, de sobriété et de résilience peuvent apparaître comme des limites ou des freins à la vie du marché. Le politique aurait-il repris la main sur l’économique ?

Je crois qu’il y a là un amalgame fâcheux. Il faut en finir avec une approche doloriste de la souveraineté, et nos dirigeants politiques seraient bien avisés de changer de registre s’ils veulent susciter une adhésion sur les efforts nécessaires. Pour nous, la souveraineté ne doit pas être confondue avec l’autarcie. Nous ne prétendons pas extraire notre pays des relations d’interdépendance consubstantielles au monde contemporain. La souveraineté vise à réduire les effets de sensibilité et de vulnérabilité qui peuvent déboucher à terme sur des crises non maîtrisables (crises sanitaires, énergétiques, économiques, etc.). Nous n’entendons pas non plus confondre le concept de souveraineté économique et celui d’autarcie qui désigne un régime d’autosuffisance caractérisé par une absence d’échanges, le plus souvent en vue de préparer guerre. Le principe de souveraineté économique que nous défendons en est donc éloigné, car l’autonomie de prendre des engagements en dehors de toute ingérence, et la liberté de s’organiser pour les assumer sans dépendre d’autrui ne signifie nullement la fin des échanges, et donc n’implique pas nécessairement la sobriété et la résilience, bien au contraire.

4/ Quelle différence d’approche constatez-vous en matière de marketing d’un versant à l’autre de l’Atlantique ?

Je ne souhaite pas limiter la discussion à une perspective strictement marketing. Fondamentalement, les approches marketing en Europe et aux États-Unis présentent peu de différences. Les outils, les techniques, les modèles, et par extension, les valeurs du marketing, tirent largement leur inspiration de la culture anglo-saxonne. Cependant, une nuance peut résider dans une dérive plus marquée aux États-Unis par rapport à celle que l’on observe actuellement en Europe. Refuser cette dérive pourrait potentiellement constituer un axe de différenciation intéressant : elle consiste dans une foi aveugle sur le pouvoir de la donnée aux Etats-Unis qui amènent nombre d’acteurs à penser qu’au fond les attentes et les besoins des consommateurs ne nécessitent ni décryptage ni explicitation, qu’il suffit de se fier à un modèle prédictif ou probabiliste approprié pour cibler et stimuler les ventes. En d’autres termes, peu importe les motivations d’achat, seul le résultat compte. S’engager dans une telle démarche sans aucune limitation revient à remettre en question l’éthique et la raison d’être du marketing, qui, fondamentalement, doit se baser sur des besoins pour susciter des désirs. Il y a derrière cette différence d’approche des questions d’éthique et de moral qu’il est urgent de ne pas écarter.

5/ Comment réunir en France, puis en Europe les conditions d’une adoption massive et virale d’un outil numérique, susceptible de traverser l’Atlantique ?

Ne nous leurrons pas les USA ne respectent que le rapport de forces. Ce n’est pas de notre part un jugement de valeur, mais un simple constat. La nature hégémonique des USA inscrit nécessairement les relations bilatérales dans un cadre de rapport de forces. La question demeure : comment l’instaurer au bénéfice de l’Europe ? Il nous est difficile de répondre sur le sujet précis du déploiement d’un outil numérique, n’étant pas des spécialistes pointus de ce secteur, pour autant le précédent de Huawei ne doit pas manquer d’alerter les Européens : entre mesures d’embargo, accusations d’espionnage et tensions géopolitiques, ce dossier rocambolesque montre que les Etats-Unis sont prêts à défendre leurs intérêts économiques à n’importe quel prix. En réalité, le fait pour Huawei de ne plus pouvoir utiliser de technologies Android (Google) dans ces smartphones a surtout contrarié le développement du géant de Shenzhen sur le marché européen. Le rebond opéré depuis quelques mois avec la décision d’un approvisionnement matériel et logiciel 100% chinois et le lancement du Mate 60 Pro, un smartphone 5G haut de gamme, montre clairement que face aux USA les Chinois ont fait le choix de la souveraineté s’agissant de leurs activités stratégiques. L’Europe a-t-elle les mêmes ambitions, sinon les mêmes moyens ? On peut raisonnablement en douter. À l’évidence, la stratégie axée sur des alliances avec des partenaires nord-américains, établies selon le principe de la réciprocité et négociées au niveau européen, demeure probablement la seule option viable pour le moment. La réussite d’Airbus face à Boeing offre une perspective éclairante à cet égard : en 2023, Airbus a enregistré 8 000 commandes d’avions, contre 6 000 pour son concurrent Boeing. De plus, en 2022, 22 % des avions du constructeur européen ont été acquis par des compagnies américaines. Le récent rachat de Bombardier par Airbus contribuera sans aucun doute à renforcer la position de l’avionneur toulousain sur le marché américain. Cette acquisition revêt une importance particulière, d’autant plus qu’une partie des avions destinés aux États-Unis est désormais fabriquée dans l’usine américaine de l’Alabama, échappant ainsi aux taxes antidumping imposées sous l’administration de Donald Trump.

6/ Quelle stratégie pour une « marque France » étendue à tous les domaines ?

La marque France étendue à tous les domaines est donc par nature, autant que par nécessité, une marque agile, plus focalisée sur sa mission que sur son métier. Elle doit apprendre à s’insérer dans des contextes d’interdépendance sans pour autant perdre sa liberté d’action lui permettant d’assurer et d’assumer sa mission. Cela suppose une capacité à renouveler son stock de ressources dans le temps en fonction de défis changeants. Elle doit donc développer ce que Tecee et Pisano¹ (1994) appellent des capacités dynamiques, nécessaires à une adaptation constante et la mise en œuvre de stratégies proactives. Quelles sont ses capacités dynamiques ? Nous pensons qu’il est temps pour le « Made in France » de se reposer sur des valeurs unificatrices plutôt que sur des projections fantasmées (nous serions « transgressifs », nous « créons des choses inattendues », nous « faisons l’événement » selon le rapport de Mission France). A l’heure où la justice sociale, la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique sont des enjeux cruciaux pour le développement durable, il est essentiel que le Made in France intègre pleinement les principes fondamentaux de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Cela permettra de construire un modèle de compétitivité qui ne peut pas reposer uniquement sur des coûts bas, mais qui doit pleinement intégrer la justice sociale et la durabilité environnementale. Le « Made in France », que nous proposons de rebaptiser « Made in autrement » doit reposer sur des aspirations partagées comme la transmission des savoirs, la formation continue, le désenclavement territorial, la mobilité sociale, la préservation des écosystèmes, etc. La marque France doit s’attaquer aux problèmes sociaux tels que le déclassement et redonner du sens au travail. S’inscrire dans une démarche de souveraineté économique, en partant du besoin des territoires et des populations, est de notre point de vue la bonne vision pour que la marque France parvienne à concilier trois ambitions propres à chaque entreprise : la performance économique, la justice sociale et la protection de l’environnement. La marque France s’inscrit dans un juste milieu entre la réduction des coûts et la préservation des acquis sociaux et environnementaux, sans pour autant construire des chaînes de valeur dont la seule finalité serait de satisfaire les ménages aisés.

7/ Quel vous semble être l’ultime enjeu de la souveraineté ? La liberté, le bonheur, la croissance… La survie en tant que nation ?

La liberté, le bonheur, la croissance, la survie ? Tous ces enjeux sont évidemment essentiels et il est difficile de les hiérarchiser, plus encore de choisir entre eux. Nous avons choisi de nous intéresser au lien entre la souveraineté et la RSE, mais la question de la finalité de la souveraineté est évidemment centrale dans notre propos. Ce qui est en jeu, c’est en réalité notre sécurité, notre prospérité, et au-delà notre conception du vivre mieux. La souveraineté, c’est en réalité disposer non seulement des ressources, mais aussi des marges de manœuvre, sans lesquelles aucune nation n’est en mesure de garantir à ses concitoyens un vivre-mieux qui soit conforme à leurs valeurs et à leurs aspirations. Nous le démontrons dans l’ouvrage, la souveraineté économique est un préalable à la capacité d’agir, préserve nos actifs stratégiques, protège les droits sociaux, contribue à la protection de l’environnement. Elle est également au cœur du développement des territoires. Elle est enfin une condition du développement durable, et partant se préoccupe de l’avenir des générations futures. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit au cœur de la préoccupation des Français aujourd’hui. L’enjeu ultime de la souveraineté, c’est sa contribution à ce que nous avons appelé le développement harmonieux, celui qui (ré)concilie la performance économique, la justice sociale et la protection des écosystèmes. Nous nous situons à un moment privilégié pour repenser en profondeur ce que nous désirons laisser aux générations futures et pour comprendre que recomposition économique et développement durable sont plus que jamais liés.

8/ De quoi selon-vous la souveraineté dépend-elle majoritairement ? – Du corpus juridique ? – De l’esprit de la loi ? – Des Hommes loyaux et courageux ? – Des moyens dont ils disposent ?

Pour répondre à votre question, il convient de s’interroger sur les prérequis du développement durable. C’est l’un des mérites du rapport remis au HCP² en 2022 d’avoir montré qu’il était illusoire de penser la réindustrialisation et le développement des territoires sans une approche concertée, globale et transversale. Il convient de prendre en compte les nécessités d’aménager les infrastructures, de former les populations, d’impliquer les acteurs, des leviers au moins aussi importants que les aides et les subventions publiques. Au fond, il est illusoire de penser le développement durable, et la souveraineté pour y parvenir, sans accorder aux individus le droit de prendre en main leurs trajectoires et leurs destins individuelles, ce que les sociologues appellent aujourd’hui « leurs parcours de vie ». Le développement durable est dès lors une combinatoire assez subtile entre aspirations individuelles au bien-être et préoccupations collectives, notamment celles liées à l’emploi et à la préservation de l’environnement. La reconquête de la souveraineté économique ne saurait dépendre seulement de facteurs structurels, mais doit s’inscrire dans une vision à long terme. A ce titre, il est logique de s’accorder sur le fait que la souveraineté (économique) doit émaner d’une volonté populaire forte, et qu’elle doit en même temps être incarnée et portée par nos élus et nos gouvernants dans notre système démocratique. C’est d’abord une question de courage pour agir au mieux de nos intérêts et de ceux de l’humanité, les deux n’étant pas de notre point de vue opposées.

9/ Que vous inspire le « soft power » français ? (s’il respire encore)

Le soft power s’appuie sur une capacité d’influence qui exclut le recours à la force. Le rayonnement international de la France repose sur des atouts incontestables, tels que la richesse culturelle, les arts, la langue française, la gastronomie, la diplomatie, l’éducation, la recherche, l’attrait touristique, ainsi que l’engagement international à travers des missions humanitaires, de coopération et de maintien de la paix. Cependant, il serait naïf de dissocier complètement le « soft power » du « hard power » dans un contexte mondial marqué par des tensions et des rivalités. L’opposition entre ces deux formes d’influence peut sembler illusoire, car la puissance douce appartient souvent aux États qui détiennent la force et qui font preuve de sagesse en évitant son utilisation, du moins temporairement. Rappelons que les idées des Lumières, souvent associées au « soft power », ont été propagées en Europe par les armées de Napoléon ! Actuellement, le soft power est largement détenu par les États-Unis et la Chine, qui s’affrontent de manière frontale, reléguant l’Europe et la France en arrière-plan. L’enjeu réside dans le fait que, bien que les États-Unis, en tant que nation récente, aient une culture moins ancienne que celle de la France, de l’Europe et de la Chine, les Américains demeurent un modèle de civilisation pour une partie du monde. À l’inverse, bien que la Chine, l’Europe et la France rayonnent d’une culture ancienne et diversifiée, ces pays ne sont pas encore (pour la Chine), et peut-être plus pour longtemps (pour l’Europe et la France), perçus comme des modèles de civilisation à l’échelle mondiale. C’est dans ce contexte que la reconquête de la souveraineté économique prend tout son sens, en vue de redéfinir l’influence de la France dans le monde en tenant compte de ces dynamiques complexes.

10/ L’UE est à la fois un marché et un compétiteur sur ce marché. Comment conjuguer intelligemment ces deux états ?

C’est effectivement une dualité qui peut poser un problème. Pour concilier les intérêts de la souveraineté économique nationale et les intérêts supranationaux défendus par l’Europe, l’Union Européenne s’est emparée du sujet et a fait la promotion du concept d’autonomie stratégique. La souveraineté économique et l’autonomie stratégique désignent-ils la même chose ? Dans le traité d’Aix-la-Chapelle signé en 2019, la France et l’Allemagne s’entendent sur le principe d’une « Europe souveraine et forte » dont les deux pays « s’efforcent de renforcer la capacité autonome ». Au fond, cette idée ancienne d’autonomie stratégique emprunte à la pensée du Général de Gaulle qui déclarait que « pour que la souveraineté soit une réalité, un Etat ne doit pas être dépendant de moyens d’action, de technologies d’approvisionnements sur lesquels il n’a pas de prise, parce qu’ils dépendent d’autres Etats, voire d’acteurs non étatiques ». L’autonomie stratégique est donc une condition sine qua non de la souveraineté, dès lors que l’indépendance stricto sensu n’est plus une réalité viable dans un monde globalisé, formé d’économies interdépendantes. L’autonomie stratégique s’inscrirait dans un continuum entre l’indépendance, considérée comme irréaliste, et la soumission, jugée inacceptable. Pour les États européens, l’autonomie stratégique englobe la capacité de défendre les pays membres, tout en évitant les divergences liées à la défense militaire qui ne font actuellement pas l’objet d’un consensus au sein de l’Union européenne. En cela l’autonomie stratégique est définie dans une note du Conseil de l’union européenne en 2016 comme « la capacité à agir de manière autonome lorsque cela est nécessaire et avec des partenaires chaque fois que cela est possible », traduisant la volonté d’élargir le champs d’application de l’autonomie stratégique en dehors de celui de la défense. L’ambition de l’autonomie stratégique est de servir les intérêts communs des citoyens européens et de promouvoir les principes et les valeurs de l’Europe, mais dans la recherche de partenaires. L’autonomie stratégique, pas plus que la souveraineté économique, n’écarte la possibilité, sinon la nécessité, de nouer des partenariats, mais à des conditions de réciprocité qui suppriment toute forme de dépendance et de sujétion.


¹ Teece David, Gary Pisano (1194).- The Dynamic Capabilities of Firm: an introduction.- Industrial and Corporate Change.- vol. 3.- p. 537-556.- https://bit.ly/4aro3QQ
² Haut-Commissariat au Plan


 




Newsletter n°75 - 5 janvier 2024

⭕️ Éditorial

Un seul et même peuple souverain

Dans un monde chaque jour plus divisé, puissions-nous cette année encore, comme membres d’une même nation, famille de familles, faire l’expérience personnelle toujours plus grande de nos libertés, de la solidarité, et de notre souveraineté. C’est à cela et à cela seul que doit oeuvrer notre génie technologique.

Mais rien de cela ne sera obtenu ni maintenu sans concorde.

Par-delà nos querelles de façade qui en arrangent bien d’autres, n’engagent en nous rien de vraiment intérieur, notre plus petit dénominateur commun est aussi le plus grand :  Nous formons un peuple.

Retrouvons donc le goût d’être ce seul et même peuple.

Un peuple souverain.

Bonne année 2024 ! ✨

Bertrand Leblanc-Barbedienne




Nous recevons aujourd’hui, vendredi 5 janvier 2024, Philippe Jourdan et Jean-Claude Pacitto qui co-signent un ouvrage, préfacé par le Général Benoît Durieux et postfacé par Stéphane Layani, consacré à l’impact de la souveraineté économique sur la RSE.
Les USA ne respectent que le rapport de forces.


⭕️ Conciliabule

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de « disputatio » ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n’engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d’influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l’objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.


1/ Que faut-il faire pour que nos entreprises, à commencer par celles du CAC40, comprennent que le 1er sujet de la RSE est celui de la souveraineté économique ?

Au fond, et c’est la thèse que nous défendons dans notre ouvrage, il faut raisonner la souveraineté non comme une simple posture mais par rapport aux finalités recherchées. En effet, à quoi bon être économiquement souverain si ce n’est pour promouvoir un vivre-mieux conforme à nos valeurs et aux souhaits de nos concitoyens, c’est-à-dire promouvoir des comportements éthiquement et écologiquement responsables ? Inversement comment promouvoir ces comportements si nos destins ne nous appartiennent pas mais sont tributaires de décisions prises ailleurs, en particulier sur un plan économique. Certes ces finalités ne concernent pas que les décideurs économiques, les acteurs politiques sont aussi concernés. Mais les entreprises de toutes tailles, pas uniquement celles du CAC40, doivent avoir conscience que derrière l’acronyme RSE, le terme important est celui de responsabilité : on n’est au fond responsable devant l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise que dans la mesure où l’on est souverain ! L’enjeu de la souveraineté économique pour l’ensemble des acteurs économiques, c’est de retrouver une capacité d’agir, en se redonnant des marges de manœuvre qui font défaut dans de nombreux secteurs et empêchent les acteurs économiques nationaux ou européens de définir des stratégies propres et de les mettre en œuvre dans le sens de leurs intérêts.

2/ Quels conseils un spécialiste du marketing pourrait-il donner aux entreprises actrices de la souveraineté technologique ?

Pour ne pas s’exposer au procès de « green washing » et de « fair washing », qui menacent nombre d’entreprises technologiques (mais pas uniquement), la RSE ne doit pas être considérée comme un outil marketing ou de communication, mais doit être pilotée au niveau le plus élevée de l’entreprise, car elle est un enjeu stratégique majeur. Nous le rappelons dans notre ouvrage la souveraineté économique vise en premier lieu la préservation de filières stratégiques dont la maîtrise est nécessaire pour assurer un développement économique, social et environnemental harmonieux. Pour nous, le développement harmonieux dépasse les seuls enjeux économiques et intègre les questions de justice sociale et de protection sociale, questions qui relève de la stratégie d’entreprise et des prérogatives de la direction générale. Ce sera le premier conseil donné aux entreprises technologiques.

Le deuxième conseil, c’est de ne pas occulter sa mission au nom de considérations économiques court terme. Le concept de souveraineté, qu’il soit appliqué à une entreprise ou à un Etat, renvoie toujours à sa capacité à assumer sa mission. Or toute stratégie nécessite la préservation d’une capacité d’action que détermine à un moment donné la possession de certaines ressources. Confrontés à de nombreux défis, dont ceux environnementaux qui mettent en jeu leur survie même, les entreprises technologiques se doivent d’être souveraines, c’est-à-dire capables de développer des ressources susceptibles d’assurer leur adaptation à ces nouvelles contraintes. Une ressource n’est stratégique que si elle permet d’exploiter une opportunité ou de conjurer une menace. Les nouveaux défis, environnementaux et sociaux, constituent de ce point de vue autant des opportunités que des menaces pour les entreprises technologiques mais pas seulement ! Au fond, une marque technologique majeure ne vit que par sa mission – on pense naturellement à Tesla, Google, Microsoft, Apple, etc. – et sa capacité à l’affirmer dans le temps. Cette affirmation passe par la mobilisation de tous les moyens qui vont permettre à l’entreprise de crédibiliser sa mission, c’est-à-dire de la rendre opérationnelle pour les parties prenantes (clients, fournisseurs, actionnaires, salariés, sous-traitants, investisseurs, etc.). Une marque technologique souveraine est une marque qui réussit à mobiliser ses parties prenantes autour des promesses de sa mission.

3/ Les termes de souveraineté, de sobriété et de résilience peuvent apparaître comme des limites ou des freins à la vie du marché. Le politique aurait-il repris la main sur l’économique ?

Je crois qu’il y a là un amalgame fâcheux. Il faut en finir avec une approche doloriste de la souveraineté, et nos dirigeants politiques seraient bien avisés de changer de registre s’ils veulent susciter une adhésion sur les efforts nécessaires. Pour nous, la souveraineté ne doit pas être confondue avec l’autarcie. Nous ne prétendons pas extraire notre pays des relations d’interdépendance consubstantielles au monde contemporain. La souveraineté vise à réduire les effets de sensibilité et de vulnérabilité qui peuvent déboucher à terme sur des crises non maîtrisables (crises sanitaires, énergétiques, économiques, etc.). Nous n’entendons pas non plus confondre le concept de souveraineté économique et celui d’autarcie qui désigne un régime d’autosuffisance caractérisé par une absence d’échanges, le plus souvent en vue de préparer guerre. Le principe de souveraineté économique que nous défendons en est donc éloigné, car l’autonomie de prendre des engagements en dehors de toute ingérence, et la liberté de s’organiser pour les assumer sans dépendre d’autrui ne signifie nullement la fin des échanges, et donc n’implique pas nécessairement la sobriété et la résilience, bien au contraire.

4/ Quelle différence d’approche constatez-vous en matière de marketing d’un versant à l’autre de l’Atlantique ?

Je ne souhaite pas limiter la discussion à une perspective strictement marketing. Fondamentalement, les approches marketing en Europe et aux États-Unis présentent peu de différences. Les outils, les techniques, les modèles, et par extension, les valeurs du marketing, tirent largement leur inspiration de la culture anglo-saxonne. Cependant, une nuance peut résider dans une dérive plus marquée aux États-Unis par rapport à celle que l’on observe actuellement en Europe. Refuser cette dérive pourrait potentiellement constituer un axe de différenciation intéressant : elle consiste dans une foi aveugle sur le pouvoir de la donnée aux Etats-Unis qui amènent nombre d’acteurs à penser qu’au fond les attentes et les besoins des consommateurs ne nécessitent ni décryptage ni explicitation, qu’il suffit de se fier à un modèle prédictif ou probabiliste approprié pour cibler et stimuler les ventes. En d’autres termes, peu importe les motivations d’achat, seul le résultat compte. S’engager dans une telle démarche sans aucune limitation revient à remettre en question l’éthique et la raison d’être du marketing, qui, fondamentalement, doit se baser sur des besoins pour susciter des désirs. Il y a derrière cette différence d’approche des questions d’éthique et de moral qu’il est urgent de ne pas écarter.

5/ Comment réunir en France, puis en Europe les conditions d’une adoption massive et virale d’un outil numérique, susceptible de traverser l’Atlantique ?

Ne nous leurrons pas les USA ne respectent que le rapport de forces. Ce n’est pas de notre part un jugement de valeur, mais un simple constat. La nature hégémonique des USA inscrit nécessairement les relations bilatérales dans un cadre de rapport de forces. La question demeure : comment l’instaurer au bénéfice de l’Europe ? Il nous est difficile de répondre sur le sujet précis du déploiement d’un outil numérique, n’étant pas des spécialistes pointus de ce secteur, pour autant le précédent de Huawei ne doit pas manquer d’alerter les Européens : entre mesures d’embargo, accusations d’espionnage et tensions géopolitiques, ce dossier rocambolesque montre que les Etats-Unis sont prêts à défendre leurs intérêts économiques à n’importe quel prix. En réalité, le fait pour Huawei de ne plus pouvoir utiliser de technologies Android (Google) dans ces smartphones a surtout contrarié le développement du géant de Shenzhen sur le marché européen. Le rebond opéré depuis quelques mois avec la décision d’un approvisionnement matériel et logiciel 100% chinois et le lancement du Mate 60 Pro, un smartphone 5G haut de gamme, montre clairement que face aux USA les Chinois ont fait le choix de la souveraineté s’agissant de leurs activités stratégiques. L’Europe a-t-elle les mêmes ambitions, sinon les mêmes moyens ? On peut raisonnablement en douter. À l’évidence, la stratégie axée sur des alliances avec des partenaires nord-américains, établies selon le principe de la réciprocité et négociées au niveau européen, demeure probablement la seule option viable pour le moment. La réussite d’Airbus face à Boeing offre une perspective éclairante à cet égard : en 2023, Airbus a enregistré 8 000 commandes d’avions, contre 6 000 pour son concurrent Boeing. De plus, en 2022, 22 % des avions du constructeur européen ont été acquis par des compagnies américaines. Le récent rachat de Bombardier par Airbus contribuera sans aucun doute à renforcer la position de l’avionneur toulousain sur le marché américain. Cette acquisition revêt une importance particulière, d’autant plus qu’une partie des avions destinés aux États-Unis est désormais fabriquée dans l’usine américaine de l’Alabama, échappant ainsi aux taxes antidumping imposées sous l’administration de Donald Trump.

6/ Quelle stratégie pour une « marque France » étendue à tous les domaines ?

La marque France étendue à tous les domaines est donc par nature, autant que par nécessité, une marque agile, plus focalisée sur sa mission que sur son métier. Elle doit apprendre à s’insérer dans des contextes d’interdépendance sans pour autant perdre sa liberté d’action lui permettant d’assurer et d’assumer sa mission. Cela suppose une capacité à renouveler son stock de ressources dans le temps en fonction de défis changeants. Elle doit donc développer ce que Tecee et Pisano¹ (1994) appellent des capacités dynamiques, nécessaires à une adaptation constante et la mise en œuvre de stratégies proactives. Quelles sont ses capacités dynamiques ? Nous pensons qu’il est temps pour le « Made in France » de se reposer sur des valeurs unificatrices plutôt que sur des projections fantasmées (nous serions « transgressifs », nous « créons des choses inattendues », nous « faisons l’événement » selon le rapport de Mission France). A l’heure où la justice sociale, la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique sont des enjeux cruciaux pour le développement durable, il est essentiel que le Made in France intègre pleinement les principes fondamentaux de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Cela permettra de construire un modèle de compétitivité qui ne peut pas reposer uniquement sur des coûts bas, mais qui doit pleinement intégrer la justice sociale et la durabilité environnementale. Le « Made in France », que nous proposons de rebaptiser « Made in autrement » doit reposer sur des aspirations partagées comme la transmission des savoirs, la formation continue, le désenclavement territorial, la mobilité sociale, la préservation des écosystèmes, etc. La marque France doit s’attaquer aux problèmes sociaux tels que le déclassement et redonner du sens au travail. S’inscrire dans une démarche de souveraineté économique, en partant du besoin des territoires et des populations, est de notre point de vue la bonne vision pour que la marque France parvienne à concilier trois ambitions propres à chaque entreprise : la performance économique, la justice sociale et la protection de l’environnement. La marque France s’inscrit dans un juste milieu entre la réduction des coûts et la préservation des acquis sociaux et environnementaux, sans pour autant construire des chaînes de valeur dont la seule finalité serait de satisfaire les ménages aisés.

7/ Quel vous semble être l’ultime enjeu de la souveraineté ? La liberté, le bonheur, la croissance… La survie en tant que nation ?

La liberté, le bonheur, la croissance, la survie ? Tous ces enjeux sont évidemment essentiels et il est difficile de les hiérarchiser, plus encore de choisir entre eux. Nous avons choisi de nous intéresser au lien entre la souveraineté et la RSE, mais la question de la finalité de la souveraineté est évidemment centrale dans notre propos. Ce qui est en jeu, c’est en réalité notre sécurité, notre prospérité, et au-delà notre conception du vivre mieux. La souveraineté, c’est en réalité disposer non seulement des ressources, mais aussi des marges de manœuvre, sans lesquelles aucune nation n’est en mesure de garantir à ses concitoyens un vivre-mieux qui soit conforme à leurs valeurs et à leurs aspirations. Nous le démontrons dans l’ouvrage, la souveraineté économique est un préalable à la capacité d’agir, préserve nos actifs stratégiques, protège les droits sociaux, contribue à la protection de l’environnement. Elle est également au cœur du développement des territoires. Elle est enfin une condition du développement durable, et partant se préoccupe de l’avenir des générations futures. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit au cœur de la préoccupation des Français aujourd’hui. L’enjeu ultime de la souveraineté, c’est sa contribution à ce que nous avons appelé le développement harmonieux, celui qui (ré)concilie la performance économique, la justice sociale et la protection des écosystèmes. Nous nous situons à un moment privilégié pour repenser en profondeur ce que nous désirons laisser aux générations futures et pour comprendre que recomposition économique et développement durable sont plus que jamais liés.

8/ De quoi selon-vous la souveraineté dépend-elle majoritairement ? – Du corpus juridique ? – De l’esprit de la loi ? – Des Hommes loyaux et courageux ? – Des moyens dont ils disposent ?

Pour répondre à votre question, il convient de s’interroger sur les prérequis du développement durable. C’est l’un des mérites du rapport remis au HCP² en 2022 d’avoir montré qu’il était illusoire de penser la réindustrialisation et le développement des territoires sans une approche concertée, globale et transversale. Il convient de prendre en compte les nécessités d’aménager les infrastructures, de former les populations, d’impliquer les acteurs, des leviers au moins aussi importants que les aides et les subventions publiques. Au fond, il est illusoire de penser le développement durable, et la souveraineté pour y parvenir, sans accorder aux individus le droit de prendre en main leurs trajectoires et leurs destins individuelles, ce que les sociologues appellent aujourd’hui « leurs parcours de vie ». Le développement durable est dès lors une combinatoire assez subtile entre aspirations individuelles au bien-être et préoccupations collectives, notamment celles liées à l’emploi et à la préservation de l’environnement. La reconquête de la souveraineté économique ne saurait dépendre seulement de facteurs structurels, mais doit s’inscrire dans une vision à long terme. A ce titre, il est logique de s’accorder sur le fait que la souveraineté (économique) doit émaner d’une volonté populaire forte, et qu’elle doit en même temps être incarnée et portée par nos élus et nos gouvernants dans notre système démocratique. C’est d’abord une question de courage pour agir au mieux de nos intérêts et de ceux de l’humanité, les deux n’étant pas de notre point de vue opposées.

9/ Que vous inspire le « soft power » français ? (s’il respire encore)

Le soft power s’appuie sur une capacité d’influence qui exclut le recours à la force. Le rayonnement international de la France repose sur des atouts incontestables, tels que la richesse culturelle, les arts, la langue française, la gastronomie, la diplomatie, l’éducation, la recherche, l’attrait touristique, ainsi que l’engagement international à travers des missions humanitaires, de coopération et de maintien de la paix. Cependant, il serait naïf de dissocier complètement le « soft power » du « hard power » dans un contexte mondial marqué par des tensions et des rivalités. L’opposition entre ces deux formes d’influence peut sembler illusoire, car la puissance douce appartient souvent aux États qui détiennent la force et qui font preuve de sagesse en évitant son utilisation, du moins temporairement. Rappelons que les idées des Lumières, souvent associées au « soft power », ont été propagées en Europe par les armées de Napoléon ! Actuellement, le soft power est largement détenu par les États-Unis et la Chine, qui s’affrontent de manière frontale, reléguant l’Europe et la France en arrière-plan. L’enjeu réside dans le fait que, bien que les États-Unis, en tant que nation récente, aient une culture moins ancienne que celle de la France, de l’Europe et de la Chine, les Américains demeurent un modèle de civilisation pour une partie du monde. À l’inverse, bien que la Chine, l’Europe et la France rayonnent d’une culture ancienne et diversifiée, ces pays ne sont pas encore (pour la Chine), et peut-être plus pour longtemps (pour l’Europe et la France), perçus comme des modèles de civilisation à l’échelle mondiale. C’est dans ce contexte que la reconquête de la souveraineté économique prend tout son sens, en vue de redéfinir l’influence de la France dans le monde en tenant compte de ces dynamiques complexes.

10/ L’UE est à la fois un marché et un compétiteur sur ce marché. Comment conjuguer intelligemment ces deux états ?

C’est effectivement une dualité qui peut poser un problème. Pour concilier les intérêts de la souveraineté économique nationale et les intérêts supranationaux défendus par l’Europe, l’Union Européenne s’est emparée du sujet et a fait la promotion du concept d’autonomie stratégique. La souveraineté économique et l’autonomie stratégique désignent-ils la même chose ? Dans le traité d’Aix-la-Chapelle signé en 2019, la France et l’Allemagne s’entendent sur le principe d’une « Europe souveraine et forte » dont les deux pays « s’efforcent de renforcer la capacité autonome ». Au fond, cette idée ancienne d’autonomie stratégique emprunte à la pensée du Général de Gaulle qui déclarait que « pour que la souveraineté soit une réalité, un Etat ne doit pas être dépendant de moyens d’action, de technologies d’approvisionnements sur lesquels il n’a pas de prise, parce qu’ils dépendent d’autres Etats, voire d’acteurs non étatiques ». L’autonomie stratégique est donc une condition sine qua non de la souveraineté, dès lors que l’indépendance stricto sensu n’est plus une réalité viable dans un monde globalisé, formé d’économies interdépendantes. L’autonomie stratégique s’inscrirait dans un continuum entre l’indépendance, considérée comme irréaliste, et la soumission, jugée inacceptable. Pour les États européens, l’autonomie stratégique englobe la capacité de défendre les pays membres, tout en évitant les divergences liées à la défense militaire qui ne font actuellement pas l’objet d’un consensus au sein de l’Union européenne. En cela l’autonomie stratégique est définie dans une note du Conseil de l’union européenne en 2016 comme « la capacité à agir de manière autonome lorsque cela est nécessaire et avec des partenaires chaque fois que cela est possible », traduisant la volonté d’élargir le champs d’application de l’autonomie stratégique en dehors de celui de la défense. L’ambition de l’autonomie stratégique est de servir les intérêts communs des citoyens européens et de promouvoir les principes et les valeurs de l’Europe, mais dans la recherche de partenaires. L’autonomie stratégique, pas plus que la souveraineté économique, n’écarte la possibilité, sinon la nécessité, de nouer des partenariats, mais à des conditions de réciprocité qui suppriment toute forme de dépendance et de sujétion.


¹ Teece David, Gary Pisano (1194).- The Dynamic Capabilities of Firm: an introduction.- Industrial and Corporate Change.- vol. 3.- p. 537-556.- https://bit.ly/4aro3QQ
² Haut-Commissariat au Plan


 




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Gloria Victis », groupe figuratif en bronze patiné de Mercié, fondu par Barbedienne

“Le plus pénible, quand on vieillit, c’est de se sentir encore jeune.” Robert-Louis Stevenson




L’Éthique appliquée au numérique joue un rôle de garde-fou.

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de « disputatio » ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n’engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d’influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l’objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.


vendredi 8 décembre 2023
Alice Louis est fondatrice de Dicé, cabinet de conseil en gouvernance 360° de l’Éthique de l’IA, de la Conformité et de la Cyber.
1/ Vous ne faites pas partie de ceux qui pensent être « une génération spontanée ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Il s’agit avant tout de garder son sens critique à l’égard de « la scintillation fantastique des événements »¹ qui contribue, au mieux, à « la fabrication » numérique des opinions, au pire, à la post-vérité.

Penser la Vérité, en particulier scientifique, analyser, raisonner, chercher, inventer, nécessite de mettre en perspective les éléments utiles du sujet pour comprendre sa genèse, ses progrès, son histoire. L’histoire de la philosophie morale, de l’Art, des religions, du droit, des techno-sciences, etc. C’est bien la somme de ces mises en perspective qui permet d’appréhender une civilisation, une culture, de prendre conscience de son génie, de sa singularité, pour, in fine, exprimer toutes ses capacités à devenir acteur du progrès.

2 / Comment concevoir un progrès technique qui ne soit pas par essence prométhéen ?

En enseignant l’Éthique appliquée au Numérique qui joue alors un rôle de garde-fou.

3/ Pouvez-vous définir l’Éthique appliquée au numérique ? Par ailleurs, comment percevez-vous la fascination que suscite le développement fulgurant de l’intelligence artificielle générative ? ²

L’Éthique implique une forme de pensée qui se situe au-delà de morale. Elle exige de raisonner sur les principes et les valeurs y afférant, en les confrontant à la réalité des faits inhérents au contexte dans lequel ils s’inscrivent, et ce, afin de déterminer ce qui parait utile, approprié ou raisonnable de faire en vue de s’améliorer collectivement. Appliquée au numérique, dès lors qu’il est constaté que les outils « intelligents » transforment nos sociétés et soulèvent des questions qui mettent en jeu notre système de valeurs, il peut-être légitimement demandé si tout ce qui est techniquement possible de réaliser est souhaitable pour l’humanité ; n’en déplaise aux « terroristes courtois »³ et/ou autres addicts de l’IA.

L’Éthique pense au-delà de la satisfaction individuelle, prône la mesure, l’objectivité ainsi que la responsabilité en tant que pendant de la liberté. Appliqué au numérique, le premier des devoirs est celui de la transparence. Cela implique de rappeler que la technologie n’est pas neutre et que s’agissant, en particulier, de l’IA générative, certains effets de celle-ci ne sont pas encore maîtrisés. Tout un chacun n’est pas informaticien, ingénieur ou mathématicien pour comprendre la notion de biais algorithmiques, de reprise de contenus protégés par le droit d’auteur, ou de boîte noire générée par l’approche connexionniste qui est aujourd’hui dominante. Il y a donc un premier enjeu de formation de toutes les parties prenantes (les dirigeants, le grand public, les spécialistes et non-spécialistes).

4/ Nous connaissons l’éthique des usages. Vous indiquez qu’il y a d’autres catégories d’éthiques appliquées à l’IA. Pouvez-vous nous les expliquer ?


L’éthique des usages est fondamentale. Comme son nom l’indique, elle s’intéresse aux usages du numérique. En amont de celle-ci, l’éthique de la conception interroge la déontologie professionnelle des acteurs de l’IA, notamment, celle des développeurs. En aval, l’éthique dite « sociétale » réfléchit aux conséquences que les avancées technologiques produisent dans tous les domaines de notre vie (la santé, la justice, la défense, etc.) ainsi que sur l’organisation du travail.

Il est à préciser, s’agissant de l’utilisation de Chat GPT dans un cadre professionnel, que certaines entités ont déjà pris des mesures afin d’assurer la protection de leur patrimoine informationnel. Aussi, plus globalement, et pour mener à bien la collaboration « Homme- machine », il est recommandé de mettre en place des dispositifs efficients pour accompagner ce changement.

5/ Que pensez-vous de la règlementation européenne dans le domaine ?

Sous l’impulsion de la France, notamment, le législateur européen a élaboré des outils vertueux et structurants pour les entités, en particulier, dans les domaines de la Data (RGPD, DGA, etc.), de la Cybersécurité (Nis 2, CRA, etc.) et des SIA (DSA, AI Act en cours d’adoption).

Néanmoins, nous assistons à une inflation de la règlementation sans précédent, qui a pour effet de décloisonner les disciplines. Au-delà de la question exigeante de l’articulation des bases textuelles et de l’efficacité des qualifications juridiques retenues, les acteurs des secteurs public et privé doivent repenser leur stratégie en y intégrant un modèle de gouvernance « Data & IA » doté d’une organisation capable de piloter et coordonner des talents multi-spécialités.

6/ Recommandez-vous aux organisations d’implémenter des SIA ?

Dès lors que la technologie est utilisée comme un moyen au service d’une vision d’entreprise et/ou comme un outil d’aide à la décision, elle apporte d’innombrables opportunités. Divers cas d’usages le démontrent déjà, qu’il s’agisse de vision par ordinateur (reconnaissance de posture, détection d’objets, etc.), d’analyse prédictive (personnalisation de l’expérience client, analyse tendance des marchés, etc.), de recherche opérationnelle (optimisation de planning et de la chaîne de production, etc.) ou de traitement du langage naturel (traduction, chatbots, etc.).⁴

Si l’IA est, incontestablement, un formidable accélérateur d’innovation et de croissance, elle génère, concomitamment, de nouveaux risques d’atteinte aux actifs stratégiques des entités. En conséquence, la cybersécurité des systèmes est un sujet à traiter. Par ailleurs, un mauvais usage de l’IA peut contrevenir aux valeurs de l’entreprise et engendrer des risques d’ordre éthique et réputationnel. Ainsi, il y a un enjeu de gestion globale des risques.

7/ Concrètement, quels conseils pouvez-vous donner aux dirigeants et aux élus ?

Les organisations ont tout intérêt à faire auditer leurs SIA afin de s’assurer notamment que ces derniers soient sûrs. Comme indiqué, ci-avant, l’analyse 360° est à privilégier. C’est la seule approche/méthode qui offre une vision globale des risques ; accessoirement, elle est moins coûteuse. Au-delà d’un simple diagnostic de l’existant, l’audit permet de mettre en lumière les bonnes pratiques. Il est essentiel de capitaliser sur celles-ci pour conduire le changement et obtenir l’adhésion des équipes.

Enfin, l’Éthique est une composante essentielle de la démarche d’amélioration continue. De sorte qu’elle doit intégrer chaque étape de développement (analyse d’impact, sensibilisation, chartes utilisateurs, etc.) des activités qui encapsulent de l’IA.

8/ Vous défendez la déontologie professionnelle, en particulier, l’instauration d’un Serment du Numérique. Quels sont les éléments qui devraient y figurer ?

Rappelons que depuis le 1er janvier 2023, à l’issue de leur soutenance, les doctorants prêtent serment. Ce n’est donc plus seulement l’affaire des médecins ou des avocats. « Le Serment du Numérique » s’inscrit dans cette dynamique. Les principaux éléments de ce dernier sont débattus depuis 2017 grâce aux précieux travaux qui ont été initiés par les chercheurs du Massachusetts Institute of Technology et qui ont inspiré de nombreuses Chartes émanant des Institutions européennes notamment.

D’autres actions prioritaires peuvent être menées, notamment, en direction des auto-proclamations « IA labélisée/certifiée éthique » qui se multiplient. En outre, peut-être faut-il réfléchir à faire bénéficier les nouveaux acteurs de la gouvernance « Éthique & Sécure » (Délégué à l’éthique numérique, Juriste SIA/Cyber, Directeur de l’IA, etc.) du régime de protection applicable au Dpd/Dpo ou à celui de certaines professions réglementées.

9/ Comment articulez-vous la souveraineté et l’Éthique ?

Nous vivons dans un monde dominé par les liens d’allégeance.⁵ En matière de stratégie d’entreprise, l’Éthique et la souveraineté numériques permettent de protéger ses usagers, ses clients, ses partenaires ainsi que de garder la main sur sa technologie ; autrement dit, de rester indépendant.⁶ Cette dernière question est substantielle concernant le Cloud, eu égard au principe d’extraterritorialité des lois américaines.

Par ailleurs, dans un environnement VICA (NDLR : VICA est l’acronyme utilisé pour décrire l’environnement dans lequel évoluent les organisations : V pour Volatile, I pour Incertain, C pour Complexe et A pour Ambigu), et selon les secteurs d’activité concernés, ces éléments deviennent des prérequis, des facteurs de performance et/ou des gages de durabilité. Rappelons que « l’Europe représente le plus grand marché économique du monde »⁷. En l’espèce, il y a donc un double enjeu d’intelligence économique et de compétitivité.

10/ Pour conclure, sauriez-vous brosser le tableau d’une société ou d’une civilisation arrivée à l’apogée de son progrès technologique tout en parvenant à conserver ce qui fait que l’Homme est Homme, sa liberté, sa fragilité, sa finitude ?

De l’entertainment au « Meilleur des mondes possibles »⁸, le solutionnisme semble incarner une forme de « pensée désidérative ». En adoptant une posture plus rationnelle et responsable⁹, il conviendrait de se demander si le projet techno-géo-politico-économique de l’IA forte notamment, qui englobe des principes et des valeurs qui sous-tendent un modèle de civilisation, est bien celui que nous souhaitons transmettre aux générations futures.

Dès lors, et à l’instar de ce que certaines entreprises et collectivités ont déjà brillamment réalisé, la France, à l’évidence, va devoir prendre en main son « techno-destin » sauf à se résoudre « à servir et à ne plus être libre ».¹⁰


¹ Etienne Klein citant Paul Valéry, l’Express, 30 novembre 2023, « La vie de l’esprit au péril de nos outils de communication »
² De l’intelligence artificielle (IA) ou des systèmes d’intelligence artificielle (SIA) ou de l’IA générative.
³ L’idéologie de la Silicon Valley
BPI : https://www.bpifrance-universite.fr/webinaires
Alain Supiot, « La gouvernance par les nombres », 4ème de couverture, Edition Fayard/Pluriel, 2020.
Smart
Jean-Noël Barrot citant le commissaire Thierry Breton.
Référence à Voltaire, « Candide ou l’Optimisme ». Edition Le livre de poche, 1995. Citation : « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».
CNIL « IA et libre-arbitre : sommes-nous des moutons numériques ? », 28 novembre 2013.
¹⁰ Référence à Etienne de la Boétie, « Discours de la servitude volontaire », Edition Folio, 2008. Citation :« Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres ».

 




Newsletter n°74 - 8 décembre 2023

⭕️ Éditorial

Sortons la longue vue de notre poche

En septembre prochain, aura lieu la 2ème édition des colloques de Souveraine Tech au Palais du Grand Large à Saint-Malo. Comme toute échéance lointaine, il n’est jamais mauvais de tirer sa longue-vue de sa poche pour la voir se dessiner au loin. Si vous souhaitez participer à cet événement d’une manière ou d’une autre, que ce soit pour le promouvoir, le soutenir, y intervenir ou encore y exposer, faites nous signe d’ores et déjà. Nous souhaitons en effet co-construire (comme on dit dans les cabinets ministériels) cette nouvelle journée en étroite collaboration avec nos partenaires. Le thème retenu cette année est le suivant : « COMMERCE, TECHNOLOGIES ET SOUVERAINETÉ : OPPORTUNITÉS, OBSTACLES ET LEVIERS ». Merci d’en parler autour de vous, tout particulièrement aux Bretons et spécialement aux Malouins ! Nous poursuivons ainsi, et par temps favorable, notre exaltante croisière pour faire de Saint-Malo le port d’attache autant que le vaisseau amiral de l’idée même de souveraineté technologique.

Bertrand Leblanc-Barbedienne




Nous recevons aujourd’hui, vendredi 8 décembre 2023, Alice Louis, qui est fondatrice de Dicé,
cabinet de conseil en gouvernance 360° de l’Éthique de l’IA, de la Conformité et de la Cyber.
L’Éthique appliquée au numérique joue un rôle de garde-fou.


⭕️ Conciliabule

Avertissement : Souveraine Tech revendique par vocation une approche transpartisane. Seule nous oblige la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous proposons ainsi un lieu de « disputatio » ouvert aux grandes figures actives de tous horizons. La parole y est naturellement libre et n’engage que ceux qui la prennent ici. Cependant, nous sommes bien conscients des enjeux en présence, et peu dupes des habiles moyens d’influence plus ou moins visibles parfois mis en œuvre, et dont tout un chacun peut faire l’objet, ici comme ailleurs. Nous tenons la capacité de discernement de notre lectorat en une telle estime que nous le laissons seul juge de l’adéquation entre le dire et l’agir de nos invités.


1/ Vous ne faites pas partie de ceux qui pensent être « une génération spontanée ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Il s’agit avant tout de garder son sens critique à l’égard de « la scintillation fantastique des événements »¹ qui contribue, au mieux, à « la fabrication » numérique des opinions, au pire, à la post-vérité.

Penser la Vérité, en particulier scientifique, analyser, raisonner, chercher, inventer, nécessite de mettre en perspective les éléments utiles du sujet pour comprendre sa genèse, ses progrès, son histoire. L’histoire de la philosophie morale, de l’Art, des religions, du droit, des techno-sciences, etc. C’est bien la somme de ces mises en perspective qui permet d’appréhender une civilisation, une culture, de prendre conscience de son génie, de sa singularité, pour, in fine, exprimer toutes ses capacités à devenir acteur du progrès.

2 / Comment concevoir un progrès technique qui ne soit pas par essence prométhéen ?

En enseignant l’Éthique appliquée au Numérique qui joue alors un rôle de garde-fou.

3/ Pouvez-vous définir l’Éthique appliquée au numérique ? Par ailleurs, comment percevez-vous la fascination que suscite le développement fulgurant de l’intelligence artificielle générative ? ²

L’Éthique implique une forme de pensée qui se situe au-delà de morale. Elle exige de raisonner sur les principes et les valeurs y afférant, en les confrontant à la réalité des faits inhérents au contexte dans lequel ils s’inscrivent, et ce, afin de déterminer ce qui parait utile, approprié ou raisonnable de faire en vue de s’améliorer collectivement. Appliquée au numérique, dès lors qu’il est constaté que les outils « intelligents » transforment nos sociétés et soulèvent des questions qui mettent en jeu notre système de valeurs, il peut-être légitimement demandé si tout ce qui est techniquement possible de réaliser est souhaitable pour l’humanité ; n’en déplaise aux « terroristes courtois »³ et/ou autres addicts de l’IA.

L’Éthique pense au-delà de la satisfaction individuelle, prône la mesure, l’objectivité ainsi que la responsabilité en tant que pendant de la liberté. Appliqué au numérique, le premier des devoirs est celui de la transparence. Cela implique de rappeler que la technologie n’est pas neutre et que s’agissant, en particulier, de l’IA générative, certains effets de celle-ci ne sont pas encore maîtrisés. Tout un chacun n’est pas informaticien, ingénieur ou mathématicien pour comprendre la notion de biais algorithmiques, de reprise de contenus protégés par le droit d’auteur, ou de boîte noire générée par l’approche connexionniste qui est aujourd’hui dominante. Il y a donc un premier enjeu de formation de toutes les parties prenantes (les dirigeants, le grand public, les spécialistes et non-spécialistes).

4/ Nous connaissons l’éthique des usages. Vous indiquez qu’il y a d’autres catégories d’éthiques appliquées à l’IA. Pouvez-vous nous les expliquer ?


L’éthique des usages est fondamentale. Comme son nom l’indique, elle s’intéresse aux usages du numérique. En amont de celle-ci, l’éthique de la conception interroge la déontologie professionnelle des acteurs de l’IA, notamment, celle des développeurs. En aval, l’éthique dite « sociétale » réfléchit aux conséquences que les avancées technologiques produisent dans tous les domaines de notre vie (la santé, la justice, la défense, etc.) ainsi que sur l’organisation du travail.

Il est à préciser, s’agissant de l’utilisation de Chat GPT dans un cadre professionnel, que certaines entités ont déjà pris des mesures afin d’assurer la protection de leur patrimoine informationnel. Aussi, plus globalement, et pour mener à bien la collaboration « Homme- machine », il est recommandé de mettre en place des dispositifs efficients pour accompagner ce changement.

5/ Que pensez-vous de la règlementation européenne dans le domaine ?

Sous l’impulsion de la France, notamment, le législateur européen a élaboré des outils vertueux et structurants pour les entités, en particulier, dans les domaines de la Data (RGPD, DGA, etc.), de la Cybersécurité (Nis 2, CRA, etc.) et des SIA (DSA, AI Act en cours d’adoption).

Néanmoins, nous assistons à une inflation de la règlementation sans précédent, qui a pour effet de décloisonner les disciplines. Au-delà de la question exigeante de l’articulation des bases textuelles et de l’efficacité des qualifications juridiques retenues, les acteurs des secteurs public et privé doivent repenser leur stratégie en y intégrant un modèle de gouvernance « Data & IA » doté d’une organisation capable de piloter et coordonner des talents multi-spécialités.

6/ Recommandez-vous aux organisations d’implémenter des SIA ?

Dès lors que la technologie est utilisée comme un moyen au service d’une vision d’entreprise et/ou comme un outil d’aide à la décision, elle apporte d’innombrables opportunités. Divers cas d’usages le démontrent déjà, qu’il s’agisse de vision par ordinateur (reconnaissance de posture, détection d’objets, etc.), d’analyse prédictive (personnalisation de l’expérience client, analyse tendance des marchés, etc.), de recherche opérationnelle (optimisation de planning et de la chaîne de production, etc.) ou de traitement du langage naturel (traduction, chatbots, etc.).⁴

Si l’IA est, incontestablement, un formidable accélérateur d’innovation et de croissance, elle génère, concomitamment, de nouveaux risques d’atteinte aux actifs stratégiques des entités. En conséquence, la cybersécurité des systèmes est un sujet à traiter. Par ailleurs, un mauvais usage de l’IA peut contrevenir aux valeurs de l’entreprise et engendrer des risques d’ordre éthique et réputationnel. Ainsi, il y a un enjeu de gestion globale des risques.

7/ Concrètement, quels conseils pouvez-vous donner aux dirigeants et aux élus ?

Les organisations ont tout intérêt à faire auditer leurs SIA afin de s’assurer notamment que ces derniers soient sûrs. Comme indiqué, ci-avant, l’analyse 360° est à privilégier. C’est la seule approche/méthode qui offre une vision globale des risques ; accessoirement, elle est moins coûteuse. Au-delà d’un simple diagnostic de l’existant, l’audit permet de mettre en lumière les bonnes pratiques. Il est essentiel de capitaliser sur celles-ci pour conduire le changement et obtenir l’adhésion des équipes.

Enfin, l’Éthique est une composante essentielle de la démarche d’amélioration continue. De sorte qu’elle doit intégrer chaque étape de développement (analyse d’impact, sensibilisation, chartes utilisateurs, etc.) des activités qui encapsulent de l’IA.

8/ Vous défendez la déontologie professionnelle, en particulier, l’instauration d’un Serment du Numérique. Quels sont les éléments qui devraient y figurer ?

Rappelons que depuis le 1er janvier 2023, à l’issue de leur soutenance, les doctorants prêtent serment. Ce n’est donc plus seulement l’affaire des médecins ou des avocats. « Le Serment du Numérique » s’inscrit dans cette dynamique. Les principaux éléments de ce dernier sont débattus depuis 2017 grâce aux précieux travaux qui ont été initiés par les chercheurs du Massachusetts Institute of Technology et qui ont inspiré de nombreuses Chartes émanant des Institutions européennes notamment.

D’autres actions prioritaires peuvent être menées, notamment, en direction des auto-proclamations « IA labélisée/certifiée éthique » qui se multiplient. En outre, peut-être faut-il réfléchir à faire bénéficier les nouveaux acteurs de la gouvernance « Éthique & Sécure » (Délégué à l’éthique numérique, Juriste SIA/Cyber, Directeur de l’IA, etc.) du régime de protection applicable au Dpd/Dpo ou à celui de certaines professions réglementées.

9/ Comment articulez-vous la souveraineté et l’Éthique ?

Nous vivons dans un monde dominé par les liens d’allégeance.⁵ En matière de stratégie d’entreprise, l’Éthique et la souveraineté numériques permettent de protéger ses usagers, ses clients, ses partenaires ainsi que de garder la main sur sa technologie ; autrement dit, de rester indépendant.⁶ Cette dernière question est substantielle concernant le Cloud, eu égard au principe d’extraterritorialité des lois américaines.

Par ailleurs, dans un environnement VICA (NDLR : VICA est l’acronyme utilisé pour décrire l’environnement dans lequel évoluent les organisations : V pour Volatile, I pour Incertain, C pour Complexe et A pour Ambigu), et selon les secteurs d’activité concernés, ces éléments deviennent des prérequis, des facteurs de performance et/ou des gages de durabilité. Rappelons que « l’Europe représente le plus grand marché économique du monde »⁷. En l’espèce, il y a donc un double enjeu d’intelligence économique et de compétitivité.

10/ Pour conclure, sauriez-vous brosser le tableau d’une société ou d’une civilisation arrivée à l’apogée de son progrès technologique tout en parvenant à conserver ce qui fait que l’Homme est Homme, sa liberté, sa fragilité, sa finitude ?

De l’entertainment au « Meilleur des mondes possibles »⁸, le solutionnisme semble incarner une forme de « pensée désidérative ». En adoptant une posture plus rationnelle et responsable⁹, il conviendrait de se demander si le projet techno-géo-politico-économique de l’IA forte notamment, qui englobe des principes et des valeurs qui sous-tendent un modèle de civilisation, est bien celui que nous souhaitons transmettre aux générations futures.

Dès lors, et à l’instar de ce que certaines entreprises et collectivités ont déjà brillamment réalisé, la France, à l’évidence, va devoir prendre en main son « techno-destin » sauf à se résoudre « à servir et à ne plus être libre ».¹⁰


¹ Etienne Klein citant Paul Valéry, l’Express, 30 novembre 2023, « La vie de l’esprit au péril de nos outils de communication »
² De l’intelligence artificielle (IA) ou des systèmes d’intelligence artificielle (SIA) ou de l’IA générative.
³ L’idéologie de la Silicon Valley
BPI : https://www.bpifrance-universite.fr/webinaires
Alain Supiot, « La gouvernance par les nombres », 4ème de couverture, Edition Fayard/Pluriel, 2020.
Smart
Jean-Noël Barrot citant le commissaire Thierry Breton.
Référence à Voltaire, « Candide ou l’Optimisme ». Edition Le livre de poche, 1995. Citation : « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».
CNIL « IA et libre-arbitre : sommes-nous des moutons numériques ? », 28 novembre 2013.
¹⁰ Référence à Etienne de la Boétie, « Discours de la servitude volontaire », Edition Folio, 2008. Citation :« Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres ».

 




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Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce qu’on possède. Saint Augustin d’Hippone

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