Nous devons refaire nation en France.

Nous recevons aujourd’hui Marta de Cidrac, qui est sénatrice (LR) des Yvelines.
Cet entretien a été publié le 30 septembre 2022.

1/ Madame la Sénatrice, vous êtes architecte. Comment pourriez-vous décrire l’architecture technologique de la Maison France de manière allégorique avec le vocabulaire de votre métier ?

C’est une question éminemment complexe car il y a sans cesse des innovations dans le secteur technologique et cette maison serait donc toujours en travaux…

La Maison France est en train d’installer une isolation plus performante et du double vitrage à ses portes et ses fenêtres : la régulation est en effet en train de se renforcer et c’est une bonne chose. Mais de nombreux travaux doivent encore se faire pour une rénovation totalement performante : c’est tout le sens d’une vraie politique de souveraineté technologique. Car on se retrouve aujourd’hui avec un ministre de l’Économie chargé de la souveraineté industrielle et numérique, alors que nous n’avons aucune politique nationale ambitieuse en la matière. 

2/ Quelle place l’idée de confiance occupe-t-elle selon vous dans le débat actuel sur les technologies ?

La confiance est essentielle quand on parle de technologies. Cette question n’est pas assez prise en compte, notamment par les entreprises et les acteurs des nouvelles technologies. On observe qu’il existe de vraies ruptures de confiance. Certifier aux consommateurs qu’ils sont dans un espace sécurisé sans que ce soit le cas, revendre des données personnelles sans le signaler, comme cela a pu se produire, ce n’est pas acceptable. Cette confiance doit être suscitée. Par de vrais critères de sécurité et de confidentialité, par une véritable information du consommateur, par la réactivité des plateformes face aux contenus inappropriés ou à la haine en ligne : les exemples de marques de confiance sont nombreux. Les entreprises qui conçoivent ces technologies doivent remettre cette idée de confiance au cœur de leur processus, dès la conception. 

3/ La technologie confère un pouvoir sur lequel il est encore possible d’exercer un pouvoir supérieur : celui de sa réglementation. Qui mène la danse aujourd’hui ?

Ces derniers mois, les grands groupes de la technologie ont perdu du terrain. La régulation s’est renforcée sur ce secteur qui a fortement révolutionné nos vies quotidiennes. Le politique a donc repris du pouvoir, même si beaucoup reste à faire encore.

Mais l’idée même de régulation n’allait pas de soi au départ. Il a fallu mener une lutte acharnée et de longue haleine. Des parlementaires ont été actifs en la matière : je pense à ma collègue Catherine Morin-Dessailly qui alertait dès 2013, et qui n’a cessé de remettre l’ouvrage sur le métier à travers plusieurs rapports. 

Aujourd’hui, il y a eu une vraie prise de conscience. Nous parlons aujourd’hui de souveraineté numérique. Enfin ! Il faut maintenant se donner tous les moyens de la garantir. Les récentes régulations européennes sont à ce titre essentielles. Il y a d’abord eu le RGPD il y a quelques années. Mais je pense surtout à l’adoption des nouveaux règlements DMA et DSA qui préviennent les abus des GAFAM et la haine en ligne. L’imposition de nouvelles règles aux GAFAM est une bonne chose, même s’il reste encore à faire notamment en matière de taxation.

4/ Pour l’électeur moyen, il est tentant de croire qu’il n’existe pas de lignes de fracture idéologiques sur la question de la souveraineté technologique entre les différents mouvements politiques français. Est-ce une vue de l’esprit ?

Le sujet de la souveraineté technologique rassemble, de manière transpartisane, au moins en apparence. Je pense par exemple à la régulation des GAFAM. Mais en regardant plus en détail, notamment le bilan des derniers quinquennats, de vraies différences sont perceptibles. Je prends pour exemple le président de la République qui évoque régulièrement la souveraineté technologique mais dont le gouvernement confie la gestion du Health Data hub, la plateforme de nos données de santé, à Microsoft, sans que le débat devant la représentation nationale n’ait lieu.

Nous n’avons, à l’heure actuelle, ni stratégie ni politique industrielle pour une indépendance technologique, et nous sommes bien loin du cloud « de confiance » promis depuis longtemps.

Par le passé, c’est sous des gouvernements de droite que la notion de souveraineté numérique a émergé et que l’innovation en la matière a été fortement encouragée. C’est pourquoi je considère que la droite est le camp de la souveraineté technologique.

5/ Considérez-vous votre présence sur Facebook comme indispensable dans le cadre de votre communication ? Dans un cas comme dans l’autre, pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Comme beaucoup de collègues parlementaires, j’utilise Facebook comme un journal de bord, qui recense une partie de mon activité sénatoriale, qui me permet aussi de partager mes avis ou éclairer mes engagements. C’est aussi et surtout un outil de communication directe avec nos concitoyens et nos élus locaux. Je crois être restée une utilisatrice modérée. Ma présence sur ce réseau social n’est donc pas essentielle mais elle est utile !

6/ La plupart des avancées technologiques auxquelles nous assistons s’enorgueillissent de nous affranchir : du temps, de l’effort ou de la dépendance. Quel genre d’avenir cela nous promet-il ?

Oui, de nombreuses avancées technologiques nous permettent de gagner du temps, de limiter nos efforts ou d’être moins dépendants. Le retour en arrière est impensable dans de nombreux cas. Si l’on prend l’exemple de l’agriculture, il serait totalement inhumain que des tâches mécanisables redeviennent manuelles, comme le proposent certains candidats à l’élection présidentielle. D’autant que les technologies en la matière ces dernières années sont écologiquement de plus en plus vertueuses.

Toutefois, pousser sans cesse la technologie à tout crin n’est pas souhaitable pour autant. La déshumanisation du monde, la numérisation coupant de points d’accès aux services publics les plus essentiels ne sont pas sains, sans parler d’univers dystopiques qui ont été plusieurs fois envisagés lorsque l’on imaginait le monde technologique en 2100.

Il y a donc un équilibre à avoir entre l’affranchissement et la vigilance. L’humain doit rester notre préoccupation majeure.

7/ Vous êtes une ancienne auditrice de l’IHEDN. Comment pourrions-nous élargir à un plus vaste public l’idée qu’une nation est un trésor sur lequel chacun doit veiller et au service duquel il doit être prêt à s’engager ?

Nous devons refaire nation aujourd’hui en France. C’est essentiel tant les fractures dans notre pays sont béantes.

En tant qu’auditrice de l’IHEDN, je pense que l’on peut faire de nouveau nation car aujourd’hui personne ne peut ignorer les risques et dangers dans le monde. Ces risques et dangers sont de toutes sortes, économiques, sociaux, climatiques…et technologiques aussi bien sûr.  Pour y parvenir le lien armée – nation doit par exemple être renforcé, notamment à l’aune des nouveaux conflits que l’on voit apparaître à quelques milliers de kilomètres de chez nous. Ce lien doit être renforcé dès le plus jeune âge, par des visites de casernes, des interventions dans les classes, … L’armée y travaille, mais j’y travaille aussi comme sénatrice et auditrice.

8/ Vous tenez-vous au courant des évolutions technologiques que vit la Bulgarie, votre pays d’origine, et y voyez-vous des initiatives dont la France pourrait s’inspirer ?

En tant que présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Balkans occidentaux du Sénat, je m’intéresse beaucoup à cette zone du continent européen et j’observe que c’est une région de contrastes dans laquelle les nouvelles technologies sont très présentes et l’enjeu de la cyber sécurité parfaitement compris.

9/ La question énergétique a récemment retrouvé un lien privilégié avec les enjeux de souveraineté. Comment décririez-vous ce lien, particulièrement en matière nucléaire, à laquelle vous êtes sensible ?

C’est un lien incommensurable qui existe entre souveraineté et énergie. L’énergie est de première nécessité. Elle est vectrice de tout.

Au début de la Vème République, avec les présidences du Général de Gaulle, de Georges Pompidou et de Valéry Giscard-d’Estaing, la France a fait tout ce qu’elle a pu pour devenir souveraine en matière énergétique, et ainsi s’affranchir des grandes puissances. C’est ce qui a conduit à la construction de nos barrages hydroélectriques, mais aussi et surtout à notre programme ambitieux.

Les deux précédents quinquennats, le lien entre souveraineté et énergie a été rompu.

François Hollande a annoncé la fermeture de réacteurs nucléaires, sans jamais donner aucune justification économique ou écologique de ce geste. Cette politique a été poursuivie jusqu’à il y a peu par Emmanuel Macron, qui avait confirmé l’objectif de 14 réacteurs fermés. Il semble avoir totalement changé de discours depuis l’année dernière, mais il faut maintenant que ce discours se traduise en actes concrets pour notre filière technologique d’excellence.  Ces actes sont d’autant plus essentiels dans le cadre de notre transition énergétique, qui doit nous permettre de recouvrer notre souveraineté énergétique. Car si notre électricité est fortement décarbonée, bien plus que nos voisins européens, les énergies fossiles représentant encore deux tiers de l’énergie finale en France, dont près de 40% pour le seul pétrole. L’électrification des usages va donc être massive, et nous devons pour cela mettre ou remettre la main sur l’ensemble des compétences et des filières : l’entretien des centrales nucléaires, la construction de panneaux photovoltaïques, la conception et le recyclage des batteries, …

10/ A tort ou à raison, le Sénat passe pour une chambre conservatrice, ce qui n’est pas une injure ! Comment expliquez-vous le fait que les membres du Sénat manifestent davantage que les députés le souci de maintenir et de préserver les fondations et les grands équilibres de notre pays ?

Cette réputation conservatrice vient de la Constitution de l’an VIII, qui avait institué le Sénat conservateur – qui n’avait aucun rôle législatif. Le Sénat est une institution qui a traversé l’Histoire, qui n’a pas le même calendrier électoral et qui n’est donc pas sujet aux pressions du temps court.

Le Sénat a toujours été le pôle d’équilibre de nos institutions de la Vème République, et même bien avant. Sous le dernier quinquennat, le Sénat a parfaitement joué ce rôle, par un contrôle accru de l’action du gouvernement, et par un enrichissement des textes législatifs lorsque cela était possible. Le Sénat est donc essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie représentative.

Mais le Sénat est aussi et surtout une institution profondément ancrée sur le territoire en étant la voix des élus locaux, qui sont le ciment de la République.

La préservation des grands équilibres de notre pays est donc une valeur cardinale du Sénat, ce qui n’empêche en aucun cas de grandes innovations législatives. À titre personnel, j’ai vu combien le Sénat dans son ensemble était moteur, voire précurseur, sur la loi relative à l’économie circulaire. Bien plus que l’exécutif français et de nombreux autres pays. Cela a notamment été possible grâce à l’écoute des élus locaux et des initiatives venues des territoires.