Il faudrait que davantage de grands groupes français rachètent des startups françaises !

Charles Degand, qui est président d’AngelSquare, la communauté de business angels experts en amorçage de PME et startups. Cet entretien a été publié le 15 avril 2022.

1) A partir de quel degré de maturité des entrepreneurs peuvent-ils vous soumettre la question de leur financement et qu’est-ce qui distingue votre positionnement de celui des VC ? 

Angelsquare est spécialiste de l’amorçage, c’est-à-dire des premières ou deuxièmes levées de fonds réalisées par une startup. Donc à partir du moment où un entrepreneur a lancé son activité, et commence à avoir des premiers utilisateurs ou clients, il peut venir nous voir ! Nous n’accompagnons pas d’entreprises qui sont au stade du projet : il faut qu’il y ait un minimum à se mettre sous la dent !

2) Est-ce que “souveraineté” est un mot qui figure dans le vocabulaire usuel d’un business angel ? 

Le Business Angel est une sorte de cowboy de l’investissement et de l’entrepreneuriat. Il investit son propre argent, qu’il a souvent gagné en étant lui-même entrepreneur. S’il voulait simplement placer son argent pour en tirer un rendement, il n’investirait pas en startups. S’il le fait, c’est parce qu’il est très sensible à l’aventure que représente une création d’entrepriss, et qu’il souhaite donner un certain sens à son argent.

De fait, les Business Angels français investissent quasi exclusivement dans des startups françaises, qui créent des emplois et paient des impôts en France. Une démarche qu’on pourrait qualifier de souverainiste en elle-même, bien que les Business Angels ne la revendiquent pas forcément comme telle.

Peut-être sont-ils simplement souverainistes sans le savoir ? 

3) Que vous inspire le fait que nos startups les mieux valorisées passent quasiment toutes sous pavillon étranger ?

Le cycle du financement des startups ne peut fonctionner que si les investisseurs (et les entrepreneurs) du début ont une chance de récupérer leur mise, avec une plus-value. Le rachat des startups est donc une chose saine, et même souhaitable pour que cet écosystème de l’innovation perdure. 

Au niveau national, chaque startup de qualité rachetée par un groupe ou un investisseur étranger est une perte de valeur. Au niveau individuel, c’est une décision rationnelle.

Il faut donc parvenir à réconcilier les intérêts personnels des investisseurs et des entrepreneurs avec l’intérêt national : donc en gros, il faudrait que davantage de grands groupes français rachètent des startups françaises !

Pour l’instant, on en est loin. Si les choses restent en l’état, ou que nos startups continuent de lever de plus en plus d’argent étranger, l’écosystème startups français risque de ne devenir qu’un incubateur géant pour les grands groupes étrangers. Cela restera positif au global pour la France, car il vaut mieux avoir ça que rien du tout. Mais ce serait dommage que la France ne tire pas davantage de valeur de ce formidable écosystème qui construit l’économie de demain, et contribuera indubitablement à maintenir la France dans le cercle des grandes puissances.

4) L’une de vos tribunes dans Conflits publiée sur votre blog se clôt par une proposition dont le libellé est “JE RÉSISTE À LA CIA ET DÉPOSE MON DOSSIER CHEZ ANGELSQUARE”. On ne savait pas les business Angels sensibles aux questions de guerre économique : ) Pouvez-vous nous expliquer la chose ? 

Comme expliqué précédemment, investir dans des startups de son pays est un geste de soutien à l’économie nationale. Beaucoup de Business Angels s’offusquent de la mainmise des géants américains de la tech sur nos startups, et plus globalement sur nos vies. C’est ce qu’on voulait dire par « résister à la CIA ». Chacun résiste comme il peut ?

5) Les levées de fond souffrent-elles selon vous de la centralisation et d’une certaine mentalité parisiennes ? 

De moins en moins. L’écosystème startups est beaucoup moins centralisé que le reste de l’économie (le CAC 40 est à 95% basé en Ile de France). Je ne pense pas que ce soit un problème.

6) On peut avoir l’impression d’une certaine légèreté dans l’objet social des startups. Avez-vous permis le financement d’entreprises stratégiques ? 

Sur les près de 400 startups accompagnées par Angelsquare, on peut citer Share My Space (technologie de détection d’objets spatiaux par télescope), Bodyguard (solution de modération pour protéger en temps réel les individus, familles et entreprises des contenus toxiques en ligne), ou encore Agriodor (qui crée des parfums révolutionnaires pour remplacer les insecticides). 

Ces startups sont encore jeunes, mais elles s’attaquent à des défis essentiels de ces prochaines années, et pourraient devenir stratégiques un de ces jours !

7) A part l’open innovation qui s’est souvent traduite par du pillage au berceau, on ne voit pas encore bien les startups et les grands groupes danser ensemble ? Comment imaginez-vous que les choses pourraient être améliorées ? 

C’est un sujet récurrent dans les débats autour de la Frenchtech depuis des années. En effet, le rachat des startups est essentiel pour entretenir la boucle du financement, donc il est vital pour notre écosystème national d’innovation que les grands groupes participent en rachetant nos pépites technologiques.

Ils ne le font pas encore beaucoup, et pour des raisons variées : parfois, ce n’est pas dans l’ADN du grand groupe de racheter des petites structures, avec des équipes souvent jeunes et dont l’intégration dans le groupe ne coulera pas de source. D’autres grands groupes ont tenté l’expérience, et n’ont pas été satisfaits des résultats obtenus.

Pour que les choses s’améliorent sur ce point, il faudra beaucoup de temps. Et quelques success stories emblématiques.

8) Tout le monde appelle à l’avénement de géants européens. Mais quand cela arrive, ce ne sont jamais que des géants issus de pays européens. Un financement conjoint et massif par une multitude de business Angels européens pourrait-elle selon vous donner vie au premier géant proprement européen ? 

Les Business Angels interviennent au tout début de la vie d’une startup. Donc bien avant qu’elle ne devienne un « géant ».

Si on manque de géants européens, c’est surtout parce que l’UE n’étant pas harmonisée fiscalement, règlementairement et linguistiquement, elle ne représente par un marché unique pour une jeune startup. Il n’est pas plus facile pour une startup de s’implanter en Allemagne ou en Espagne qu’en Suisse ou au Brésil !

Ensuite vient le problème du financement : on constate en effet que les plus gros fonds du monde sont américains, et paient des valorisations insensées. Ce que ne peuvent pas autant faire les fonds européens.

Mais pour s’aligner sur les USA à ce niveau-là, il faudrait parler de la suprématie du dollar. Et ça nous emmènerait bien au-delà l’écosystème startups. !

9) Quelle mesure espérez-vous du / de la prochain(e) présidente de la République en faveur du financement des entreprises ? En quoi serait-elle bénéfique à votre industrie ? 

J’aimerais que le prochain président reprenne le flambeau de la Frenchtech, dont l’essor en une dizaine d’années est un vrai succès économique national (et on n’en a pas eu tant que ça ces derniers temps !), en en corrigeant les dérives.

Pour moi, la meilleure mesure à prendre pour que l’écosystème startups français carbure vraiment serait d’instaurer une dose de protectionnisme intelligent.

Notre écosystème startups parait parfois être peuplé de bisounours. Pourtant, c’est un secteur économique essentiel pour l’avenir, et nos concurrents étrangers ne s’y trompent pas.

Il est très difficile pour un acteur français d’acheter une pépite technologiques américaine : faisons la même chose, défendons nos startups à forte valeur ajoutée !

10) Vous êtes “président” d’Angelsquare et pas CEO. But alors you are french ? Plus sérieusement, et après vous avoir félicité de ce choix, que pensez-vous de la langue française dans les affaires ?

Le franglais ne me gêne pas plus que ça, même si quelques tocs linguistiques prêtent à sourire.

Ne nous trompons pas de combat : je suis ravi de voir des Français créer des entreprises extraordinaires, même s’ils se donnent le titre de CEO ?