Grand causou, petit faisou

Quand nous sommes enfants, certaines des paroles de nos ainés deviennent au fil des années comme des mantras. En psychologie, on parle d’introjections, processus par lequel des choses qui sont en dehors vont peu à peu être à l’intérieur de soi. Ces introjections sont l’héritage familial immatériel, celui qui forge notre rapport au monde, en adéquation avec les pensées entendues, ou en opposition. Un de mes anciens mentors m’avait ainsi dit un jour que s’il était toujours en retard, c’était pour satisfaire sa mère. Quand il était enfant, elle lui demandait sans cesse de se dépêcher, et petit à petit, il s’était forgé l’idée qu’il ne la satisfaisait jamais autant que s’il faisait les choses au dernier moment, ce qui le forçait à se dépêcher.

Si je le soupçonne de s’être moqué de moi, il n’en reste pas moins que, comme tous, ce que j’ai entendu dans mon enfance a participé à ma construction. Et s’il est bien une chose que j’entendais souvent dans ma famille, depuis mes grand-parents maternels jusqu’à mes parents, tous bretons, c’est le leitmotiv « Grand causou, petit faisou« . Ces quatre mots-là ont assurément façonné mon rapport au monde comme « Il faut savoir se retrousser ses manches » est à la base même de ma détestation des chemises à manches courtes. À l’heure où les choses vont si vite, il est bon d’observer que la transmission intergénérationnelle continue à faire son œuvre. On ne grandit jamais aussi bien qu’en apprenant de nos ainés, c’est l’essence même de l’humanité, un continuum qui fait honneur à l’expérience et à la connaissance.

Or, depuis quelques années, comme tant d’autres, je suis consterné par l’incroyable place donnée aux causous dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ceux-là n’ont pourtant pas (encore) fait grand-chose de leur vie. Ce sentiment est renforcé par une expérience de plus d’un quart de siècle auprès de très nombreux faisous (professionnels ou experts), qu’on entend trop peu causer. Conséquemment, parce que les convictions et les certitudes se fondent sur l’inexpérience, l’influence des premiers dans des décisions structurantes de notre pays conduit à de graves difficultés. Pourtant les seconds sont ceux, hommes et femmes, qui, sans le moindre doute possible, peuvent aider à guider, à  condition qu’on leur accorde enfin la place qu’il est la leur.

Sébastien Tertrais