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Souveraineté technologique et souveraineté politique

A l’heure où la France subit les conséquences de la guerre en Ukraine notre vision des risques s’élargit à d’innombrables problèmes, sociaux, alimentaires, énergétiques, politiques, financiers, etc.1 La souveraineté technologique apparait comme la fille de la souveraineté politique. Par exemple, les carences de notre industrie nucléaire renvoient à l’absence d’Etat stratège donc de souveraineté politique.2

Aujourd’hui nous manquent les ingénieurs et les techniciens dissuadés de faire carrière dans cette énergie indépendante des aléas climatiques. C’est-à-dire une technologique souveraine. Paralysés par des alliances politiques de rencontre nos gouvernements successifs ont cédé à des arrangements. Ils ont évité de décider.

Souveraineté technologique et politique vont ensemble. Les Etats-Unis, la Russie, la Chine en sont des exemples. D’autres comme Singapour, le Qatar, la Corée du Sud, le Japon méritent notre attention. Ces expériences nous apprennent que la souveraineté technologique est fille de l’Anticipation. Les technologies naissent de cheminements intellectuels structurés comme la TRIZ.3 Elle naissent aussi de notre intelligence inventive plus spontanée mais tout aussi efficace. 

Par intelligence inventive nous entendons la capacité des organisations à prévoir, à se différencier, à reformuler les problèmes qui parfois sont de faux problèmes. Il faut savoir se diversifier, réveiller des technologies qui dorment dans les cartons.4 La Chine a pu séparer les terres rares grâce aux brevets de Rhône Poulenc. La souveraineté technologique réside aussi dans l’observation des modèles économiques qui excellent dans un autre métier et pourraient secourir le mien en difficulté. C’est que fait Souveraine Tech avec talent et une audience de plus en plus grande. L’idée de départ est devenue avec l’actualité tragique une ressource pour la Nation, les entreprises, les territoires, les filières professionnelles en difficulté. Ce média original et inventif est le creuset d’une France obligée de se réinventer. Il faut du courage et de la persévérance pour conduire cette action révolutionnaire. Merci.

La nature est aussi un livre ouvert sur des technologies naturelles qui inspirent des « inventions artificielles ». La bande Velcro, les fuselages aériens ou maritimes fournissent des exemples.

La France, pays inventif, doit oser les dialogues entre des métiers et des organisations qui ne se parlent pas ! Individualisme destructeur oblige… Notre souveraineté technologique dort au milieu de ces silences invisibles. Lorsque, plusieurs métiers, cultures, expériences, générations, discutent de problèmes et de solutions nous inventons, nous découvrons des applications inattendues. Nous devenons souverains, nous pratiquons une intelligence politique. Enfin !

SouveraineTech et son fondateur,Bertrand Leblanc-Barbedienne tissent ce lien entre ingénieurs, techniciens, élus, chefs d’entreprises, étudiants, citoyens et surtout victimes à venir de la guerre en Europe. C’est dans ce creuset imaginé par eux que naîtront les technologies qui assureront notre indépendance. Qu’ils en soient remerciés et félicités.

Bernard Besson
Ecrivain, formateur,
Directeur scientifique du Comité intelligence économique des ingénieurs et scientifiques de France (IESF)
Membre de la Commission intelligence économique du MEDEF Ile de France.
Membre du Conseil scientifique de SouveraineTech

1 Ukraine : lire et conduire la guerre économique. Diploweb, Bernard Besson, mai 2022

2 Intelligence politique et Etat-stratège, 2022 Bernard Besson et Jean Claude Possin, Amazon et Amazon Kindle

3 TRIZ (acronyme russe de la Théorie de Résolution des Problèmes Inventifs, Teorija Reshenija Izobretateliskih Zadatch.

4 Introduction à l’intelligence économique, Bernard Besson, 4ème édition, 2021 Amazon et Amazon Kindle

 




La libre déraison de nos opinions

Dans un mystérieux paradoxe, notre société héritière des Lumières meurt à petit feu du fait que personne – et tout particulièrement sur les réseaux dits sociaux – n’est plus vraiment capable de dire à son interlocuteur :

– Je ne sais pas

– Sur ce point, je vous donne raison. 

À cela, deux explications que nous aimerions soumettre à votre appréciation, tout prêts à vous donner raison (ce qui nous permettrait ainsi de valider rétroactivement le point de vue que nous voulons nous efforcer de partager avec vous).

L’opinion, un « token » démocratique

La première est que nous avons été collectivement dotés d’un colifichet, qui est une forme d’objet transactionnel, de « token » démocratique : l’enivrant pouvoir d’émettre une opinion.

Figurez-vous comme il est toujours satisfaisant et flatteur de choisir, de réfuter, de juger. Qui ne voit là l’évident artifice de diversion mis en place par le pouvoir ? Regardez par exemple les questionnaires de personnalité ou les sondages. Ne sent-on pas sourdre en soi, au moment même où nous y répondons, comme une souveraineté personnelle ? Même un chimpanzé, dont il paraît que nous serions si proches, obéit aux mêmes réflexes. Lui manque peut-être simplement une carte d’électeur et le sentiment d’avoir tranché seul, en plus de la banane dont il est gratifié. Ce euphorisant rail de délibération individuelle nous étourdit au point de nous dissuader d’intervenir de manière plus active, et peut-être plus réfléchie, dans la vie de la Cité. Il y a là quelque chose de l’orgueil biblique d’Adam devant l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal.

Nos vies ont tellement été désincarnées par l’emprise du numérique et du débat permanent dont il est devenu le terrain d’expression naturel, que nous ressentons le vif besoin de cet expédient comme d’une drogue. Dépouillés de nos propriétés anciennes (le métier, le domaine, la famille, la tradition etc.) par un régime né de la promesse de nous faire soudainement accéder à la Liberté, nous ne sommes plus guère en possession que d’une chose, notre libre opinion sur tout et n’importe quoi. Qu’avons-nous perdu en échange ? L’Histoire le dira peut-être. Nous avons en attendant remplacé les pardons d’autrefois par une nouvelle liturgie. Et certains jours solennels, nous l’exprimons en procession. Nous nous nous rendons de concert en des lieux apprêtés où nous glissons un morceau de papier enveloppé, dans une urne en plexiglas. Et à la fin de la journée, le plus gros tas désigne l’opinion appelée à faire taire toutes les autres. Et c’est alors comme un oracle. Mais une opinion ne naît pas toujours d’un raisonnement. Elle ne fructifie pas nécessairement sur le terreau de l’expérience ou de l’apprentissage. Elle peut prendre la forme initiale d’une réaction ou d’une émotion. Qui sait ? Peut-être même d’une opinion populiste, horresco referens ! Elle peut avoir été suscitée de manière plus ou moins désintéressée, plus ou moins artificielle, plus ou moins vertueuse. Elle sait bien comment se propager de manière animale, grégaire. Mais voilà que chacun d’entre nous s’en empare comme d’un bien précieux.

Avoir une opinion, son opinion, – voulez-vous que je vous dise la mienne ?- et bien cela, aujourd’hui, c’est exister. La défendre dépasse le simple cadre de la disputatio antique. Il semble y aller de l’intégrité même de notre ego. Ce n’est parfois pas au goût de nos semblables. Et il faut peu d’imagination pour percevoir derrière la violence des échanges qui animent les discussions en ligne, pour y percevoir des formes nouvelles du duel ou du lynchage. C’est la raison pour laquelle il suffit de si peu pour que nous partions en guerre sur les réseaux, armés, l’écume aux lèvres, face à une menace inexistante, dans le seul but de défendre un point de vue finalement assez étranger à nous même et auquel nous identifions cependant notre honneur ou ce qui en tient lieu.

Mais un point de vue, c’est un peu comme un phare. Chacun y loge seul en s’y croyant rendu maître de toute vision. Affaiblir ou heurter cette idée que nous nous sommes appropriée, c’est voir attenter à ce qui nous reste de vie, de liberté. Voilà pourquoi nous débattons aujourd’hui comme nous jouerions aux échecs, la réflexion en moins. Nous avons pris place sur l’échiquier au lieu d’y mouvoir, à tâtons, des arguments après mûre et humble réflexion. Peut-être est-ce pour cela qu’il semble devenu si difficile d’accéder à l’idée de compromis, de concession. Nos opinions nous habillent. Et celles des autres nous blessent. Qui serait assez fou pour se dénuder en public ou prêter le flanc à la pointe d’un avis contraire ?

Un autre exemple pour tenter de vous convaincre. Convoquez donc le souvenir d’un échec professionnel ou d’une déconvenue personnelle. Voyez comme, par réaction, dans la foulée, la moindre de nos opinions a eu tendance à nous consoler, si nous avons bien pris bien le soin de nous en faire de véhéments thuriféraires. L’expression de l’opinion ressemble étrangement, au moins dans ses effets, à une substance stupéfiante chargée d’étourdir notre conscience et de magnifier notre volonté. Je pense ceci. Je condamne cela. Un verre de rhum, un verre de gin. Même chose. Je décide. Je.

Un expert ne peut avoir tort

La seconde raison pour laquelle notre France prétendument si cartésienne est à l’agonie, tient au fait que les experts, les prélats de notre République, semblent attacher moins d’importance à la poursuite de la vérité qu’à la validation des hypothèses nées du fruit de leurs travaux. Et ce pour une raison logique assez simple. Tout argument qui viendrait amoindrir ou discréditer la force de leur enseignement les diminuerait immédiatement dans leur qualité même d’expert. Un expert, en 2022, quel qu’il soit, ça n’est pas quelqu’un qui a senti de manière fugace le parfum de la vérité et qui ne consentira au repos que lorsqu’il en aura identifié l’origine. L’expert, c’est quelqu’un qui a raison. Qui peut avoir raison. Qui domine au plan de la raison. Qui doit avoir raison. Qui ne peut avoir tort. Qui est invité sur les plateaux télé pour bien dire ce qui est. On voit là comme les Lumières ont pu tromper ou baisser en kilowatts depuis leur branchement sur le secteur de notre régime politique. Dans l’esprit de notre époque, avoir raison, c’est être fort. Être fort, c’est avoir raison. Aussi n’est il pas loisible à un gouvernant de reconnaître son tort ou un échec. Parce que, malheureusement, nous considérerions cela comme une impardonnable manifestation de faiblesse. Et le petit monde politique aurait tôt faire de ne faire de lui qu’une bouchée.

Où donc est passé lé doute fécond, la remise en question ? Qu’avons-nous fait de l’esprit critique ? Nous lançons ici un avis de recherche. Les petits « conditionnel » et « subjonctif » sont attendus à la caisse du magasin par leurs papa et maman. Prenez cinq minutes, à froid, pour observer les débats télévisés ou les échanges sur les réseaux. Combien en avez-vous finir sur un terrain d’entente ?

A l’heure où notre monde se regarde, tel Narcisse, poursuivre un bien qui n’est que le spectacle de sa propre action, ne jure plus que par sa responsabilité, sa soutenabilité, sa durabilité… Qui ne voit que le salut ne passera jamais par une opinion, quelque insigne autorité dont elle puisse être revêtue, mais par la manière dont elle aura su se faire entendre et se laisser questionner ?

Nous devons, plus que tout autre chose, nous employer à devenir des chercheurs de vérité. Et s’il s’avère que la seule vérité que nous parvenons à toucher du doigt est que nous sommes universellement, éperdument en quête de vérité, nous n’aurons trahi ni notre ambition, ni notre vocation profonde d’êtres humains.

 

Bertrand Leblanc-Barbedienne