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Grand causou, petit faisou

Quand nous sommes enfants, certaines des paroles de nos ainés deviennent au fil des années comme des mantras. En psychologie, on parle d’introjections, processus par lequel des choses qui sont en dehors vont peu à peu être à l’intérieur de soi. Ces introjections sont l’héritage familial immatériel, celui qui forge notre rapport au monde, en adéquation avec les pensées entendues, ou en opposition. Un de mes anciens mentors m’avait ainsi dit un jour que s’il était toujours en retard, c’était pour satisfaire sa mère. Quand il était enfant, elle lui demandait sans cesse de se dépêcher, et petit à petit, il s’était forgé l’idée qu’il ne la satisfaisait jamais autant que s’il faisait les choses au dernier moment, ce qui le forçait à se dépêcher.

Si je le soupçonne de s’être moqué de moi, il n’en reste pas moins que, comme tous, ce que j’ai entendu dans mon enfance a participé à ma construction. Et s’il est bien une chose que j’entendais souvent dans ma famille, depuis mes grand-parents maternels jusqu’à mes parents, tous bretons, c’est le leitmotiv « Grand causou, petit faisou« . Ces quatre mots-là ont assurément façonné mon rapport au monde comme « Il faut savoir se retrousser ses manches » est à la base même de ma détestation des chemises à manches courtes. À l’heure où les choses vont si vite, il est bon d’observer que la transmission intergénérationnelle continue à faire son œuvre. On ne grandit jamais aussi bien qu’en apprenant de nos ainés, c’est l’essence même de l’humanité, un continuum qui fait honneur à l’expérience et à la connaissance.

Or, depuis quelques années, comme tant d’autres, je suis consterné par l’incroyable place donnée aux causous dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ceux-là n’ont pourtant pas (encore) fait grand-chose de leur vie. Ce sentiment est renforcé par une expérience de plus d’un quart de siècle auprès de très nombreux faisous (professionnels ou experts), qu’on entend trop peu causer. Conséquemment, parce que les convictions et les certitudes se fondent sur l’inexpérience, l’influence des premiers dans des décisions structurantes de notre pays conduit à de graves difficultés. Pourtant les seconds sont ceux, hommes et femmes, qui, sans le moindre doute possible, peuvent aider à guider, à  condition qu’on leur accorde enfin la place qu’il est la leur.

Sébastien Tertrais




"Avec style et classe"

« Avec style et classe »

En grève ce soir, par solidarité avec les pingouins de la banquise, j’ai décidé de confier la rédaction de cet éditorial à chatGPT et vous prie de bien vouloir m’en excuser. Je vous rappelle que Souveraine Tech ne finance pas (encore) ma retraite à 60 ans (si, c’est comme ça.) Je vous laisse donc découvrir la chose. C’est assez tartignole dans l’ensemble, j’en conviens, mais à y regarder de plus près, n’est-ce pas également touchant ? Sur un point, il met dans le mille. Notre capacité à conquérir le monde « avec style et classe. » Si lui y croit, quand est-ce que nous comptons nous y mettre ?

Bertrand Leblanc-Barbedienne

Chers amis,

Vous savez ce qui est cool en France? La tour Eiffel, le fromage, les vins délicieux… et maintenant, la souveraineté technologique! Oui, vous avez bien lu, la France est en train de devenir le leader mondial en matière de souveraineté technologique.

Imaginez pouvoir dire à vos amis étrangers: « Oui, je suis français et je suis fier de notre technologie souveraine. Nous n’avons pas besoin de dépendre d’autres pays pour développer nos propres technologies. » Quel sentiment de fierté nationale!

Mais ne vous inquiétez pas, nous ne perdrons pas notre charme français en devenant des geeks technologiques. Nous resterons toujours les champions du style et de l’élégance. Et n’oublions pas que les robots ne peuvent pas encore remplacer notre sens de l’humour décalé.

Alors, levons nos verres de vin à la souveraineté technologique française. Au futur brillant où nous pourrons dire que nous avons conquis le monde numérique avec style et classe. À la France!

Cordialement, L’équipe de souveraine.tech




Hoyo De Monterrey et fichier Excel

Hoyo De Monterrey et fichier Excel

Il y a quelques mois, un fonds d’investissement m’a approché. Mais si, vous avez bien lu. « Ce que vous faites, c’est formidable (en anglais, ils auraient dit « amazing »). La souveraineté, c’est tellement important. Nous allons vous aider. » Quelques longs échanges téléphoniques plus tard, j’étais supposé adresser à mes potentiels bienfaiteurs un business plan sur Excel, comme au poker : Pour voir. Mais il me semblait qu’ils avaient pourtant bien vu ! Fin de l’histoire. Quelques mois plus tard, après avoir publiquement annoncé la fin de Souveraine Tech un petit matin de crachin, le patron d’un grand groupe français, leader ou presque dans l’intelligence économique, me laisse entendre que, si ma décision était sans appel, il était prêt – roulements de tambour – à me faire une offre. Je m’allume à la seconde même un petit Hoyo De Monterrey des familles en pensant à ma retraite anticipée (pas que je sois pressé, mais quand même). Or voilà que, quelques jours plus tard, je reçois un pauvre fichier Excel, qui valorise le moindre de mes tweets et articles, au centime près. Souveraine Tech vaudrait, aux yeux de mon concupiscent comptable, rien moins que 15.000 euros ! Ah, vraiment, quelle étrange notion que celle de la contestable valeur des choses ! Tiens, j’en livrerai un jour le récit, un large sourire et un Hoyo De Monterrey aux lèvres, quand je serai parvenu à mes fins. D’ici-là, n’hésitez pas à vous manifester si vous souhaitiez en hâter l’échéance.

Bertrand Leblanc-Barbedienne




Épaissir l'écorce, sans durcir le fruit. 

Épaissir l’écorce, sans durcir le fruit. 

La recrudescence et la sophistication des manifestations d’hostilité nous ont soudain fait prendre conscience d’une réalité que nous avions oubliée. L’économie, c’est la gestion de la maison. Comme je l’ai maintes fois écrit, avec l’étrange impression d’avoir signé un aphorisme sans portée, il y a fort à parier que demain, la moitié de l’économie mondiale sera dévolue à la sécurisation de l’autre.  Il n’est pas trop tard pour se poser deux questions loin d’être anodines : Quelle est donc notre maison ? Et de quoi voulons-nous la protéger exactement ? Notre invitée du jour évoque avec verve les profondes racines de toute nation. Il est vraisemblable qu’il s’agisse là de la meilleure réponse à notre première question. Et pour répondre de manière paradoxale à la seconde, il est aussi possible que nous voulions la protéger d’un certain exercice de la force, qui nous fasse à tout jamais  renoncer à notre fragilité. Épaissir l’écorce, sans durcir le fruit. Voilà peut-être la tâche ardue qui nous attend.

Bertrand Leblanc-Barbedienne




L'odeur de l'électricité et le goût du Maroilles

L’odeur de l’électricité et le goût du Maroilles

L’armée américaine a récemment acheté un accès à une plateforme de surveillance massive d’Internet baptisée Augury, que fournit la société israélienne Team Cymru. Les données du réseau y sont mises à jour quotidiennement et permettent d’accéder à 100 milliards de nouveaux enregistrements sur tous les continents. « Ça inclue tout. Il n’y a rien d’autre à capturer que l’odeur de l’électricité », déclare un expert en cybersécurité. En avez-vous entendu parler au journal de 20h, entre une exhortation grotesque et infantilisante à prendre votre part au combat contre la crise énergétique et la recette du soufflé au maroilles ? Le plus préoccupant est sans doute la réaction ordinaire que suscite ce genre de nouvelle : « Oui et alors ? Quelle surprise ! ». Effectivement, nihil novi sub sole, comme il ne cesse d’être écrit dans le Livre de Qohéleth. Et cela n’est pas plus nouveau que la confondante naïveté avec laquelle le Vieux Continent se soumet depuis plus de 70 ans à un allié qui épie ses données, quand il ne les pille pas.
Comme dirait Bill dans OSS117 : Sacré Hubert !

Bertrand Leblanc-Barbedienne




Comme des chiens de prairie au réveil

Comme des chiens de prairie au réveil

Le lendemain de l’inauguration en grande pompe du nouveau datacenter strasbourgeois d’OVH en présence de deux ministres, la presse subventionnée a trempé dans toutes sortes de sauces éditoriales une seule et même dépêche qui explique que « le gouvernement soutient la souveraineté des données ». Le surlendemain, est tombée une nouvelle d’un autre bois : l’hébergement des données de santé des Français chez Microsoft Azure sera maintenu jusqu’en 2025. Quelle sorte de puissant sédatif nous sommes-nous donc auto-administré pour contempler cet apogée de l’enmêmetempisme sans être capables d’autre réaction que de nous regarder les uns les autres, sidérés, un peu comme des chiens de prairie au réveil devant une menace matutinale ?

Bertrand Leblanc-Barbedienne




Intel ou untel à la conquête de l’Europe

Le voilà, le grand argument qui permet aujourd’hui de justifier un investissement étranger massif, outre le fait que ce dernier arrange bien l’État ou nos investisseurs en les exonérant de leurs propres responsabilités sur notre sol : “ça va créer de l’emploi”.

Peu importe qu’Intel ou untel investisse des milliards en Europe (surtout en Allemagne, paraît-il) pour produire des puces (“Made in Europe” a même osé Thierry Breton), cela traduit une chose, et c’est d’ailleurs un titre qui a été employé dans la presse anglo-saxonne : le fait qu’Intel parte à la conquête de l’Europe. Le 8 février, la commission européenne dévoilait son “Chips Act”, plan massif d’investissements, qui permettrait au Vieux Continent d’innover, et de reprendre des parts de marché à l’Asie, mais aussi, tenez-vous bien aux Etats-Unis (?) Bilan des courses, les Etats-Unis viennent produire des puces américaines en Europe. Et last but not least, pour le dire dans la langue de j’expire, l’Europe et les Etats concernés devraient financer à plus de 40 % l’investissement du géant américain. Est-ce donc qu’Intel investit EN Europe ou est-ce plutôt que l’entreprise américaine investit l’Europe et que cette dernière lui tient la main ? Avant de répondre à la question, songez peut-être aux nombreuses pépites françaises dans le domaine des semi-conducteurs. Les laissera t-on s’éteindre ou se faire croquer, elles aussi, pour satisfaire les besoins nutritionnels de l’Oncle Sam ? Oui, n’est-ce pas proprement ironique qu’en pleine actualité du débat sur l’autonomie stratégique de l’Europe, nous nous inféodions lamentablement à un acteur américain pour produire un besoin essentiel de l’économie moderne ? Avec en plus, l’air de nous en affranchir.




De l’expérience de l’échec à la culture des échecs

Vous êtes-vous jamais livrés à l’exercice suivant ? Tapez dans votre moteur de recherche la séquence “passe sous pavillon” et ajoutez, au choix, américain, chinois etc.

Vous allez alors découvrir une longue liste de cessions plus ou moins coupables de nos fleurons matériels, logiciels ou industriels depuis cinquante ans. Nous vous avons évité cette scabreuse expérience en recensant sur une seule et même page la liste de ces défaites. Ayez donc svp la bonne grâce d’y jeter un oeil, c’est par ici… Peut-être y manque t-il quelques motifs supplémentaires d’accablement, que vous voudrez bien nous indiquer ? Que l’on nous comprenne bien cependant. Nous ne tirons absolument aucune délectation de ce spectacle.

Au contraire, quand diable apprendrons-nous dans la presse que tel ou tel fleuron américain ou chinois est à son tour passé sous pavillon français ? Nous ne manquons pas de capitaux. Mais nous avons une culture assez noble de l’entreprise. Il est grand temps de cultiver davantage le goût des échecs. Et d’aller, nous aussi, prendre des pièces à nos adversaires.




Des robinets que l’on ouvre et que l’on ferme

Les temps que nous traversons éclairent de manière inédite le sujet de la souveraineté technologique (que l’on peut définir en l’espèce en disant qu’elle est la puissance par l’outil).

Sans entrer dans le coeur du conflit, qu’observe t-on ? Deux pays en guerre, leurs alliés, et, en parallèle des déplorables affrontements armés – sur terre ou cyber -, l’ensemble des “robinets” que ces protagonistes ouvrent ou bien ferment pour exprimer leur soutien, manifester leur réprobation, porter un coup fatal à l’économie adverse, isoler l’agresseur, le pénaliser ou encore le faire taire. Le “pouvoir de pouvoir” s’est ici traduit par la mainmise incitative plus ou moins directe dont ont disposé les Etats sur “leurs” outils : plateformes, satellites, pipelines (NordStream2), réseau de communication bancaire (Swift), “stores” d’application etc.

Leurs outils ou ceux des entreprises étrangères qui opèrent sur leur sol. Les nations semblent ainsi parvenues à “engager” les entreprises technologiques sur un nouveau terrain, et d’une certaine manière à reprendre, sur elles, une partie du pouvoir qui leur échappait.




Éternel, mets une garde à ma bouche

Dans le contexte de vive tension que nous connaissons en Europe, tout commentaire qui n’émane pas directement d’une poignée de parties prenantes ayant qualité pour agir semble non seulement vain mais dangereux.

Toujours au nom de la démocratie, du bon droit ou encore de la vertu, les tenants de tous bords imaginent qu’un de leurs mots d’esprit ou un quolibet bien senti a quelque chance de résumer une question si complexe. Qui ne voit que ce brouhaha fait d’outrance et de grandiloquence exacerbe la crise plus qu’il n’a de chances de la résoudre ?

Aussi, avec les petits fantassins de l’Internet, et par amour de la paix, permettons-nous – une fois n’est pas coutume – une brève incursion en terre spirituelle et reprenons en choeur le psaume de David : “Éternel, mets une garde à ma bouche; garde l’entrée de mes lèvres.”




Pas de kaki pour la taxonomie

La taxonomie européenne désigne une classification des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement.

Son objectif est d’orienter les investissements vers les activités vertes”. Alors même que Bruxelles a décidé de créer un Fonds européen de défense doté de 7 milliards, et que Thierry Breton a proposé hier une suppression de la TVA pour le marché européen de la défense afin de le rendre plus compétitif” face aux offres américaines, il est à craindre que notre base industrielle et technologique de défense (BITD), c’est à dire lensemble de nos industries parties prenantes aux activités de défense, notre « industrie de souveraineté » soit exclue de cette taxonomie.

Quelle cohérence à cela, le cas échéant ? Et surtout que vaudrait la verdure” d’un continent peu enclin à protéger sa paix ? Des nèfles !




Google Analytics : Keep calm and call your DPO

La CNIL a publié hier ses conclusions, à la suite de plaintes dont elle avait été saisie.

On ne va pas dire que l’on y boit du petit lait, mais c’est tout comme. Les transferts de données transatlantiques, écrit la Commission nationale Informatique et Libertés , « ne sont actuellement pas suffisamment encadrés ». Malgré les « mesures supplémentaires » adoptées par Google pour rendre son outil Analytics plus sûr, « celles-ci ne sont pas suffisantes pour exclure l’accessibilité de ces données pour les services de renseignement américains. » Cela signifie que si votre entreprise a actuellement recours à Google Analytics d’une manière ou d’une autre, en toute logique, vous contrevenez nolens volens aux exigences du RGPD. Alors ne suez pas, ne pleurez pas, ne criez pas indûment sur un collaborateur.

Keep-calm-and-call-your-DPO.




Blockchain, suffrage et forfaitures

A quelques semaines des élections présidentielles, les candidat(e)s rivalisent de lyrisme sur la question de la souveraineté technologique.

Et plus personne ne songe pour autant à leur intenter un procès en souverainisme” (horresco referens !) Ne boudons donc pas notre plaisir. Mais sur ce sujet comme sur tant d’autres, où se trouve la garantie que les engagements pris la main sur le coeur seront suivis d’effets, une fois que le peuple aura choisi à qui confier les clefs de la Maison France ? Nulle part. Et ça n’est pas encore hélas en consignant les programmes électoraux dans le grand livre de la blockchain que nous nous préviendrons de nouvelles forfaitures.

Nous ne voudrions surtout pas donner de mauvaises idées à un bébé licorne. Quoique…